HAMID TAHRI 26 JUILLET 2018
J’ai pris les chemins de la vie, pieds nus et le ventre creux.» Cette phrase du célèbre poète Mustapha Toumi résume à elle seule l’enfance et l’adolescence de Rachid, contrariées par le sort. Dans ce parcours tumultueux, qui avive la verve de Rachid, avec la crudité des éclairages, l’histoire palpite.
De ses brûlantes blessures est née une histoire qui se décline comme une complainte, qu’il a consignée dans le livre plein d’émotions, forcément poignant Mémoire vive, le long parcours d’un enfant de la Soummam pour la liberté et la dignité.
Lui, c’est Rachid Benzema, qui s’est construit à la force du poignet, seul face à son destin et aux vicissitudes de la vie.
Il est né le 22 décembre 1932 à Beni Djellil, non loin d’Amizour. Il a perdu son père Abdelmadjid, emporté par une hémorragie cérébrale en 1937 alors qu’il n’avait que quatre ans. Sa mère Djida Boughanem a tout fait pour élever son fils unique dans la maison du grand-père paternel de Rachid, le vieux Seghir.
«Comme de tradition ici, mon grand-père et mes oncles ont demandé à ma mère de ‘‘m’instituer’’ à la place de mon père. En Kabylie, lorsque le père décède avant le grand-père, le petit-fils n’a pas le droit à l’héritage s’il n’est pas agréé par le grand-père qui avait exigé que Djida vende ses biens et les lui cède.
Une fois les biens récupérés, non seulement mon grand-père a ignoré le tutorat, mais il a menacé de renvoyer ma mère et de me retenir chez lui. Ma mère n’a pu accepter ce chantage. Un jour, elle m’a caché sous son châle, m’a porté sur son dos et s’est enfuie de la maison.
Elle avait entendu dire qu’une grande maison des Ben Ali Chérif hébergeait les sans-domicile, en échange de travaux domestiques.
Et c’est ainsi qu’elle est partie à la recherche de la gare d’El Kseur, pour prendre le train en direction de Lazib Ben Ali Chérif. En arrivant à la gare, le train était déjà parti, ce qui nous a obligés à passer la nuit dans la salle d’attente.
Le chef de gare, sensible à notre cas, nous y a autorisés, en nous ramenant deux couvertures et deux morceaux de pain. Le lendemain on a pris le train. Mais si le hasard est parfois curieux, le sort est ingrat.
Une enfance difficile
Ma mère s’est trompée de station, on est descendus à Ighzer Amokrane. Pendant tout le trajet entre la gare et le village, je n’ai cessé de pleurer. J’avais faim.
En arrivant au village, ma mère est rentrée dans la première épicerie venue pour m’acheter un bout de pain. Dans cette échoppe, une fillette d’une dizaine d’années venue de la maison d’en face a insisté pour que nous allions chez elle, où sa mère nous attendait.
La femme en question a demandé à ma mère le pourquoi de notre présence ici, en attachant un intérêt particulier au châle avec ses beaux motifs que ma mère a dessinés et conçus, et qui ne se faisait nulle part ailleurs qu’à Beni Djellil.
Ma mère lui a raconté son histoire, sa fuite de chez ses beaux-parents pour ne pas se séparer de son fils unique. La femme a fait savoir qu’elle était aussi de Beni Djellil et que son mari boucher ambulant ne rentrait que le soir.
Il s’est avéré que l’homme connaissait aussi bien les parents de ma mère que ses beaux-parents du fait qu’il était originaire, lui aussi du même village.
Il lui a dit : ‘‘Femme, moi vivant, tu n’iras pas dans cette maison, celle des Ben Ali Chérif où on pratique l’esclavage, pour ne pas dire plus ! Restez ici et on se partagera tout.
’’ Ma mère s’est mise à l’ouvrage en sortant tout le stock de laine et en tissant des burnous et des couvertures kabyles avec leurs merveilleux motifs dont elle seule a le secret. Au marché, les gens se battaient pour les acquérir.
Grâce à son travail, ma mère a amélioré l’ordinaire de la famille hôte. On est restés deux ans ici, pour ensuite élire domicile à Tizi au-dessus de Ouzellaguen.
C’est là que ma mère a contracté la tuberculose dont elle est morte, me laissant seul et désemparé.» Rachid n’a plus rien, plus rien qu’une intelligence aiguë et un vague avenir ! Il n’avait que 11 ans ! «J’ai pris la direction d’Alger, dans le train, je resquille avec la complicité d’un voyageur qui m’a caché sous la banquette, à la venue des contrôleurs.
On était en 1943, je ne comprenais pas un traître mot de ce que j’entendais. Pour moi, c’était une autre planète. A Alger, je me suis vite intégré à un groupe, où j’ai appris comment vendre les journaux à la criée, comment cirer les chaussures…
J’ai appris ainsi que la misère partagée est beaucoup plus supportable. Le soir, on se partageait les maigres sous récoltés. On dormait dans une boulangerie appartenant à un juif.
Quand la subsistance venait à manquer, on chapardait par-ci, par-là. Le gros larcin se faisait aux Halles centrales de Belcourt. C’est ainsi que je suis devenu un yaouled mais je me suis dit dans mon for intérieur est-ce cela que ma défunte mère m’a appris ?
Comme j’ai conclu que ce n’était pas le meilleur chemin,je suis parti chercher du travail dans les fermes du côté de Lavigerie jusqu’à Fort de l’eau.
Un jour je suis rentré dans une ferme où une dame lisait son journal. Elle m’a pourchassé et m’a arrêté et n’a pas voulu me lâcher en criant : ‘‘C’est lui, c’est lui !’’ en faisant allusion à son fils mort dans un accident, qui l’a visiblement traumatisée, jusqu’à la dépression.
Son mari, un homme courtois, m’a expliqué l’histoire et surtout mon étonnante ressemblance avec son fils décédé. Pour lui, c’était une aubaine que je reste.
C ’est là que j’ai appris le français, grâce à Denise la fille du couple, avec laquelle une idylle se dessinait, contrariée hélas par Emilio, son beau-père, agacé par cette union entre un indigène et une Française. Déçu, je suis parti pour faire plusieurs métiers ici et là avec des fortunes diverses…»
J’ai pris les chemins de la vie, pieds nus et le ventre creux.» Cette phrase du célèbre poète Mustapha Toumi résume à elle seule l’enfance et l’adolescence de Rachid, contrariées par le sort. Dans ce parcours tumultueux, qui avive la verve de Rachid, avec la crudité des éclairages, l’histoire palpite.
De ses brûlantes blessures est née une histoire qui se décline comme une complainte, qu’il a consignée dans le livre plein d’émotions, forcément poignant Mémoire vive, le long parcours d’un enfant de la Soummam pour la liberté et la dignité.
Lui, c’est Rachid Benzema, qui s’est construit à la force du poignet, seul face à son destin et aux vicissitudes de la vie.
Il est né le 22 décembre 1932 à Beni Djellil, non loin d’Amizour. Il a perdu son père Abdelmadjid, emporté par une hémorragie cérébrale en 1937 alors qu’il n’avait que quatre ans. Sa mère Djida Boughanem a tout fait pour élever son fils unique dans la maison du grand-père paternel de Rachid, le vieux Seghir.
«Comme de tradition ici, mon grand-père et mes oncles ont demandé à ma mère de ‘‘m’instituer’’ à la place de mon père. En Kabylie, lorsque le père décède avant le grand-père, le petit-fils n’a pas le droit à l’héritage s’il n’est pas agréé par le grand-père qui avait exigé que Djida vende ses biens et les lui cède.
Une fois les biens récupérés, non seulement mon grand-père a ignoré le tutorat, mais il a menacé de renvoyer ma mère et de me retenir chez lui. Ma mère n’a pu accepter ce chantage. Un jour, elle m’a caché sous son châle, m’a porté sur son dos et s’est enfuie de la maison.
Elle avait entendu dire qu’une grande maison des Ben Ali Chérif hébergeait les sans-domicile, en échange de travaux domestiques.
Et c’est ainsi qu’elle est partie à la recherche de la gare d’El Kseur, pour prendre le train en direction de Lazib Ben Ali Chérif. En arrivant à la gare, le train était déjà parti, ce qui nous a obligés à passer la nuit dans la salle d’attente.
Le chef de gare, sensible à notre cas, nous y a autorisés, en nous ramenant deux couvertures et deux morceaux de pain. Le lendemain on a pris le train. Mais si le hasard est parfois curieux, le sort est ingrat.
Une enfance difficile
Ma mère s’est trompée de station, on est descendus à Ighzer Amokrane. Pendant tout le trajet entre la gare et le village, je n’ai cessé de pleurer. J’avais faim.
En arrivant au village, ma mère est rentrée dans la première épicerie venue pour m’acheter un bout de pain. Dans cette échoppe, une fillette d’une dizaine d’années venue de la maison d’en face a insisté pour que nous allions chez elle, où sa mère nous attendait.
La femme en question a demandé à ma mère le pourquoi de notre présence ici, en attachant un intérêt particulier au châle avec ses beaux motifs que ma mère a dessinés et conçus, et qui ne se faisait nulle part ailleurs qu’à Beni Djellil.
Ma mère lui a raconté son histoire, sa fuite de chez ses beaux-parents pour ne pas se séparer de son fils unique. La femme a fait savoir qu’elle était aussi de Beni Djellil et que son mari boucher ambulant ne rentrait que le soir.
Il s’est avéré que l’homme connaissait aussi bien les parents de ma mère que ses beaux-parents du fait qu’il était originaire, lui aussi du même village.
Il lui a dit : ‘‘Femme, moi vivant, tu n’iras pas dans cette maison, celle des Ben Ali Chérif où on pratique l’esclavage, pour ne pas dire plus ! Restez ici et on se partagera tout.
’’ Ma mère s’est mise à l’ouvrage en sortant tout le stock de laine et en tissant des burnous et des couvertures kabyles avec leurs merveilleux motifs dont elle seule a le secret. Au marché, les gens se battaient pour les acquérir.
Grâce à son travail, ma mère a amélioré l’ordinaire de la famille hôte. On est restés deux ans ici, pour ensuite élire domicile à Tizi au-dessus de Ouzellaguen.
C’est là que ma mère a contracté la tuberculose dont elle est morte, me laissant seul et désemparé.» Rachid n’a plus rien, plus rien qu’une intelligence aiguë et un vague avenir ! Il n’avait que 11 ans ! «J’ai pris la direction d’Alger, dans le train, je resquille avec la complicité d’un voyageur qui m’a caché sous la banquette, à la venue des contrôleurs.
On était en 1943, je ne comprenais pas un traître mot de ce que j’entendais. Pour moi, c’était une autre planète. A Alger, je me suis vite intégré à un groupe, où j’ai appris comment vendre les journaux à la criée, comment cirer les chaussures…
J’ai appris ainsi que la misère partagée est beaucoup plus supportable. Le soir, on se partageait les maigres sous récoltés. On dormait dans une boulangerie appartenant à un juif.
Quand la subsistance venait à manquer, on chapardait par-ci, par-là. Le gros larcin se faisait aux Halles centrales de Belcourt. C’est ainsi que je suis devenu un yaouled mais je me suis dit dans mon for intérieur est-ce cela que ma défunte mère m’a appris ?
Comme j’ai conclu que ce n’était pas le meilleur chemin,je suis parti chercher du travail dans les fermes du côté de Lavigerie jusqu’à Fort de l’eau.
Un jour je suis rentré dans une ferme où une dame lisait son journal. Elle m’a pourchassé et m’a arrêté et n’a pas voulu me lâcher en criant : ‘‘C’est lui, c’est lui !’’ en faisant allusion à son fils mort dans un accident, qui l’a visiblement traumatisée, jusqu’à la dépression.
Son mari, un homme courtois, m’a expliqué l’histoire et surtout mon étonnante ressemblance avec son fils décédé. Pour lui, c’était une aubaine que je reste.
C ’est là que j’ai appris le français, grâce à Denise la fille du couple, avec laquelle une idylle se dessinait, contrariée hélas par Emilio, son beau-père, agacé par cette union entre un indigène et une Française. Déçu, je suis parti pour faire plusieurs métiers ici et là avec des fortunes diverses…»
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