HAMID TAHRI 12 JUILLET 2018
On ne louera jamais assez les mérites des hommes qui se sont dévoués pour leur pays au péril de leur vie, accomplissant une mission «sacrée» au terme de laquelle ils se sont éclipsés, n’en réclamant ni les dividendes ni les glorioles.
Ysmaïl Dahlouk Mahfoud est de ceux-là. Il était au cœur d’un énorme tintamarre fait de bruit et de fureur, où la mort guettait à chaque coin.
Puis, bousculant les conventions et les genres lorsque la guerre a pris fin, il s’est muré dans un silence pudique et digne pour aller terminer ses études, l’indépendance acquise.
Alors qu’il est issu d’une bourgeoisie milianaise, forcément dans l’aisance, qu’il est garçon unique et qu’il est sur le point d’achever ses études en médecine, voilà que notre homme, à l’appel de la grève de mai 1956, répond à son courage, celui qui conduit à jouer sa peau pour défendre les idéaux si nobles et si exaltants : la liberté et la dignité pour soi et pour les autres.
Il en est des destins comme d’autres choses. Les paradoxes les rendent plus intéressants que les évidences !
Mahfoud est né le 31 janvier 1931 à Miliana. Il a fait l’école primaire Charles Andreï. Il a passé la première partie du bac en 1948 à Miliana, qui avait eu l’honneur d’abriter pour la première fois cet examen. Sur les 15 candidats, il y a eu 14 lauréats dont Mahfoud. La 2e partie du bac, il l’a eue au lycée Bugeaud, où il avait été admis en qualité d’interne en 1949.
«En sciences expérimentales et ce n’était pas du gâteau», se souvient-il. Et puis l’université en 1950 et la résidence estudiantine de la rue Roberstsau. Mahfoud garde des souvenirs vivaces de son père Sadek, «qui avait sans doute la plus belle échoppe d’Algérie, qui était attentionné, aimant et qui est resté attaché à ses racines à la terre ne perdant jamais sa vocation d’agriculteur.»
Mahfoud professe que l’ouverture affective, la sensibilité lui ont été inoculées par ses parents, simples, généreux, exigeants avec eux-mêmes et indulgents pour autrui. Ces artisans de la vie ont offert une jeunesse studieuse et heureuse, le sens de l’effort et de l’engagement lorsque celui-ci se décline pour défendre un idéal.
Miliana ma ville
Aussi lorsque jeune interne à l’hôpital de Miliana, il ne répond qu’à sa conscience pour rejoindre le maquis durant l’été 1956, imprégné qu’il était par l’esprit nationaliste.
«Le cheikh de la médersa Mohamed Lalaoui m’avait contacté pour aller soigner dans le maquis. Je suis monté dans les monts du Zaccar juste après le Congrès de la Soummam. Il n’y avait pas encore les structures de l’organisation. Les congressistes n’étaient pas encore rentrés à leur base.
Le chef politico-militaire était Ouamrane. Dès leur retour, les responsables désignés par la Wilaya IV avaient convenu d’une réunion. Il y avait Ouamrane, Salah Zaamoum, hassan khatib (youssef Khatib) et m’hamed Bougara. Sadek Dehiles et Omar Oussedik, qui étaient venus dans le Zaccar en inspection, m’ont amené avec eux après avoir rejoint tout le groupe pour une réunion des cadres de la zone II.
On s’est dirigés vers Beni Mesra, au-dessus de Hammam Melouane. C’est là qu’on a tenu la première réunion après le Congrès de la Soummam dans la dechra dénommée Sbaghnia. C’est ici qu’a été élaboré l’organigramme de la zone et où j’ai été nommé médecin, zone qui va de Larbaâ à l’est englobant la Mitidja avec les monts de Médéa et de Blida et leurs plaines et le Sahel jusqu’à Ténès. On était 3 étudiants en médecine, Hassan Khatib, Harmouche Saïd et moi-même.
Je m’occupais du service de santé. J’avais carte blanche de la part de mes chefs successifs, Ouamrane, Dehiles, Si M’hamed Bougara qui n’a pas quitté les lieux jusqu’à sa mort en 1959. Moi, j’y suis resté jusqu’à mars 1958. J’ai échappé une dizaine de fois à la mort.
On a vécu l’enfer, surtout lorsque nos infirmeries étaient détruites par les bombardements. On soignait aussi bien les djounoud que les civils. J’en ai opéré plusieurs malgré l’insignifiance des moyens.» On comprend vite la posture de ce jeune homme résolument engagé dans un combat à nul autre pareil.
Comment cet homme rayonnant de gentillesse, avec ses yeux où s’allument des petits flammes gaies et tendres, a-t-il pu s’arracher, à la fleur de l’âge, à la route nationale toute droite, pour courir les chemins sinueux et de traverse ? «La conviction sincère, nul obstacle ne peut l’arrêter», concède-t-il avec assurance et sûreté.
«En juin 1957, on a perdu toute une infirmerie à côté de Hamdanïa après une opération, mais le coup le plus dur, on l’a reçu dans la bataille de Bouhandas près de Chréa. On était le 13 septembre 1957. L’infirmerie y était installée. L’ennemi était venu pour le commando de la zone 2 qu’il avait repéré et qu’il a traqué avec des moyens inimaginables. On s’est trouvés, malgré nous, encerclés.
On leur a tiré dessus, puis on s’est repliés. Ils nous ont bombardé avec du napalm, j’ai perdu mon infirmier Lamine et j’ai traîné 3 blessés. On s’est déplacés jusqu’au mausolée de Sidi El Kebir de Blida.
Il y a eu 60 morts parmi le commando et 23 blessés. On est restés pendant plusieurs jours terrés sans boire ni manger.» Pour l’anecdote, Si Mahfoud se rappelle d’un fait qui provoque chez lui un rire entendu lorsqu’il a failli mourir avec le colonel Si M’hamed. «A cause de balles amies, lorsqu’un de nos djounoud, à cause d’une mauvaise manipulation de son arme, a laissé échapper une rafale qui a fait s’effondrer le toit sous lequel nous discutions le colonel et moi. Nous l’avions échappé de justesse.»
Mahfoud ouvre une parenthèse pour mettre en exergue la grandeur d’âme de son supérieur, le colonel Bougara qui avec Omar Oussedik avaient fait la liaison avec la Wilaya V. «Un jour, si M’hamed Bougara s’amène avec 2 armes ramenées de Saïda. Il les a exhibées et m’a laissé le choix entre la carabine et la MAT.
J’ai opté naturellement pour la MAT. Il a gardé la carabine sans émettre la moindre attitude contrariée. Pour moi, ce geste était fabuleux, grandissime ! J’ai une pieuse pensée pour mes 4 infirmiers tombés au combat, Lamine, Tayeb, Abderrahmane et Djamel Laaroussi, ainsi que le médecin Yahia Fares (frère de Abderrahmane).»
Les circonstances de son arrestation, Mahfoud les évoque dans le détail «On était du côté de Champlain (El Omaria) où était basée l’infirmerie devenue une caravane itinérante. Il n’y avait pas de gardes.
Ce jour-là, l’ennemi était venu du camp de Tafala. J’ai évacué les malades vers la forêt mitoyenne. On est resté les derniers. Les trois qui étaient devant moi sont morts sur le coup. J’ai reçu deux balles dans la jambe. Ils m’ont arrêté et emmené au camp de Tafala.
Un hélico est venu. Ils m’ont transporté à Damiette près de Médéa, où un colonel médecin m’a examiné et suggéré de me faire subir une opération. Sitôt le colonel parti, ils m’ont attaché avec un fil électrique à l’oreille et l’autre à l’orteil et ont commencé à me torturer atrocement jusqu’à perdre connaissance. Je me suis retrouvé platré à l’hôpital de Médéa, encadré dans mon lit par deux gendarmes.
Le lendemain, les bérets rouges de Massu sont venus et m’ont emmené à Hydra où un interrogatoire musclé m’attendait avec Marion, Graziani et Aussaresses qui ont essayé de me ‘‘retourner’’. Ils m’ont emmené à l’infirmerie où je trouve Boualem Benhamouda.
On ne louera jamais assez les mérites des hommes qui se sont dévoués pour leur pays au péril de leur vie, accomplissant une mission «sacrée» au terme de laquelle ils se sont éclipsés, n’en réclamant ni les dividendes ni les glorioles.
Ysmaïl Dahlouk Mahfoud est de ceux-là. Il était au cœur d’un énorme tintamarre fait de bruit et de fureur, où la mort guettait à chaque coin.
Puis, bousculant les conventions et les genres lorsque la guerre a pris fin, il s’est muré dans un silence pudique et digne pour aller terminer ses études, l’indépendance acquise.
Alors qu’il est issu d’une bourgeoisie milianaise, forcément dans l’aisance, qu’il est garçon unique et qu’il est sur le point d’achever ses études en médecine, voilà que notre homme, à l’appel de la grève de mai 1956, répond à son courage, celui qui conduit à jouer sa peau pour défendre les idéaux si nobles et si exaltants : la liberté et la dignité pour soi et pour les autres.
Il en est des destins comme d’autres choses. Les paradoxes les rendent plus intéressants que les évidences !
Mahfoud est né le 31 janvier 1931 à Miliana. Il a fait l’école primaire Charles Andreï. Il a passé la première partie du bac en 1948 à Miliana, qui avait eu l’honneur d’abriter pour la première fois cet examen. Sur les 15 candidats, il y a eu 14 lauréats dont Mahfoud. La 2e partie du bac, il l’a eue au lycée Bugeaud, où il avait été admis en qualité d’interne en 1949.
«En sciences expérimentales et ce n’était pas du gâteau», se souvient-il. Et puis l’université en 1950 et la résidence estudiantine de la rue Roberstsau. Mahfoud garde des souvenirs vivaces de son père Sadek, «qui avait sans doute la plus belle échoppe d’Algérie, qui était attentionné, aimant et qui est resté attaché à ses racines à la terre ne perdant jamais sa vocation d’agriculteur.»
Mahfoud professe que l’ouverture affective, la sensibilité lui ont été inoculées par ses parents, simples, généreux, exigeants avec eux-mêmes et indulgents pour autrui. Ces artisans de la vie ont offert une jeunesse studieuse et heureuse, le sens de l’effort et de l’engagement lorsque celui-ci se décline pour défendre un idéal.
Miliana ma ville
Aussi lorsque jeune interne à l’hôpital de Miliana, il ne répond qu’à sa conscience pour rejoindre le maquis durant l’été 1956, imprégné qu’il était par l’esprit nationaliste.
«Le cheikh de la médersa Mohamed Lalaoui m’avait contacté pour aller soigner dans le maquis. Je suis monté dans les monts du Zaccar juste après le Congrès de la Soummam. Il n’y avait pas encore les structures de l’organisation. Les congressistes n’étaient pas encore rentrés à leur base.
Le chef politico-militaire était Ouamrane. Dès leur retour, les responsables désignés par la Wilaya IV avaient convenu d’une réunion. Il y avait Ouamrane, Salah Zaamoum, hassan khatib (youssef Khatib) et m’hamed Bougara. Sadek Dehiles et Omar Oussedik, qui étaient venus dans le Zaccar en inspection, m’ont amené avec eux après avoir rejoint tout le groupe pour une réunion des cadres de la zone II.
On s’est dirigés vers Beni Mesra, au-dessus de Hammam Melouane. C’est là qu’on a tenu la première réunion après le Congrès de la Soummam dans la dechra dénommée Sbaghnia. C’est ici qu’a été élaboré l’organigramme de la zone et où j’ai été nommé médecin, zone qui va de Larbaâ à l’est englobant la Mitidja avec les monts de Médéa et de Blida et leurs plaines et le Sahel jusqu’à Ténès. On était 3 étudiants en médecine, Hassan Khatib, Harmouche Saïd et moi-même.
Je m’occupais du service de santé. J’avais carte blanche de la part de mes chefs successifs, Ouamrane, Dehiles, Si M’hamed Bougara qui n’a pas quitté les lieux jusqu’à sa mort en 1959. Moi, j’y suis resté jusqu’à mars 1958. J’ai échappé une dizaine de fois à la mort.
On a vécu l’enfer, surtout lorsque nos infirmeries étaient détruites par les bombardements. On soignait aussi bien les djounoud que les civils. J’en ai opéré plusieurs malgré l’insignifiance des moyens.» On comprend vite la posture de ce jeune homme résolument engagé dans un combat à nul autre pareil.
Comment cet homme rayonnant de gentillesse, avec ses yeux où s’allument des petits flammes gaies et tendres, a-t-il pu s’arracher, à la fleur de l’âge, à la route nationale toute droite, pour courir les chemins sinueux et de traverse ? «La conviction sincère, nul obstacle ne peut l’arrêter», concède-t-il avec assurance et sûreté.
«En juin 1957, on a perdu toute une infirmerie à côté de Hamdanïa après une opération, mais le coup le plus dur, on l’a reçu dans la bataille de Bouhandas près de Chréa. On était le 13 septembre 1957. L’infirmerie y était installée. L’ennemi était venu pour le commando de la zone 2 qu’il avait repéré et qu’il a traqué avec des moyens inimaginables. On s’est trouvés, malgré nous, encerclés.
On leur a tiré dessus, puis on s’est repliés. Ils nous ont bombardé avec du napalm, j’ai perdu mon infirmier Lamine et j’ai traîné 3 blessés. On s’est déplacés jusqu’au mausolée de Sidi El Kebir de Blida.
Il y a eu 60 morts parmi le commando et 23 blessés. On est restés pendant plusieurs jours terrés sans boire ni manger.» Pour l’anecdote, Si Mahfoud se rappelle d’un fait qui provoque chez lui un rire entendu lorsqu’il a failli mourir avec le colonel Si M’hamed. «A cause de balles amies, lorsqu’un de nos djounoud, à cause d’une mauvaise manipulation de son arme, a laissé échapper une rafale qui a fait s’effondrer le toit sous lequel nous discutions le colonel et moi. Nous l’avions échappé de justesse.»
Mahfoud ouvre une parenthèse pour mettre en exergue la grandeur d’âme de son supérieur, le colonel Bougara qui avec Omar Oussedik avaient fait la liaison avec la Wilaya V. «Un jour, si M’hamed Bougara s’amène avec 2 armes ramenées de Saïda. Il les a exhibées et m’a laissé le choix entre la carabine et la MAT.
J’ai opté naturellement pour la MAT. Il a gardé la carabine sans émettre la moindre attitude contrariée. Pour moi, ce geste était fabuleux, grandissime ! J’ai une pieuse pensée pour mes 4 infirmiers tombés au combat, Lamine, Tayeb, Abderrahmane et Djamel Laaroussi, ainsi que le médecin Yahia Fares (frère de Abderrahmane).»
Les circonstances de son arrestation, Mahfoud les évoque dans le détail «On était du côté de Champlain (El Omaria) où était basée l’infirmerie devenue une caravane itinérante. Il n’y avait pas de gardes.
Ce jour-là, l’ennemi était venu du camp de Tafala. J’ai évacué les malades vers la forêt mitoyenne. On est resté les derniers. Les trois qui étaient devant moi sont morts sur le coup. J’ai reçu deux balles dans la jambe. Ils m’ont arrêté et emmené au camp de Tafala.
Un hélico est venu. Ils m’ont transporté à Damiette près de Médéa, où un colonel médecin m’a examiné et suggéré de me faire subir une opération. Sitôt le colonel parti, ils m’ont attaché avec un fil électrique à l’oreille et l’autre à l’orteil et ont commencé à me torturer atrocement jusqu’à perdre connaissance. Je me suis retrouvé platré à l’hôpital de Médéa, encadré dans mon lit par deux gendarmes.
Le lendemain, les bérets rouges de Massu sont venus et m’ont emmené à Hydra où un interrogatoire musclé m’attendait avec Marion, Graziani et Aussaresses qui ont essayé de me ‘‘retourner’’. Ils m’ont emmené à l’infirmerie où je trouve Boualem Benhamouda.
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