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L’enfant de l’œuf, d’Amin Zaoui- Un bibliomane aviné se livre à un caniche philosophe

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  • L’enfant de l’œuf, d’Amin Zaoui- Un bibliomane aviné se livre à un caniche philosophe

    Peau : «Et je la serre dans mes bras comme un mythe vivant, Lara !»
    Première ode charnelle de L’enfant de l’œuf, dixième roman en français signé par l’écrivain prodige et érudit Amin Zaoui.

    L’œuvre narre la solitude d’un homme au sein d’une société algérienne mutante, intolérante, extrémiste, annulatrice, égoïste et castrée de toute vocation citoyenne. La religiosité prime sur la civilité.

    L’absurde sur la raison. Il est question de la «phobie de l’autre», et de l’aliénation des valeurs humaines, mystifiées par la charlatanerie et la cagoterie. Zaoui nous étale une structure romanesque inhabituelle : il divise le texte en 287 chapitres de densités différentes, chacun portant un titre incongru, où se relayent deux voix conteuses, l’une humaine et l’autre canine !

    Tel un Cube de Rubik, vous pouvez commencer à aborder ce texte moqueur des dogmes là où il vous chante, et le sens de l’histoire demeure intact. Un Zaoui pince-sans-rire.

    Trois personnages clés meublent le récit décapant par son cran. Mouloud Aït Mouhoub, alias Moul, un quadragénaire divorcé, trilingue, partageant son appartement colonial type F2 vue sur la baie d’Alger avec un caniche nommé Harys, et puis une refugiée syrienne kurde et chrétienne, voisine de palier de Moul, appelée Lara Antonius. Moul ne se prosterne que devant les femmes, les vins et les livres.

    Il vit seul dans une capitale qui évacue ses riverains et visiteurs au crépuscule. Il se procure tout de même un chien, Harys, trois jours après que sa femme Farida eut définitivement claqué la porte derrière elle, mettant fin à vingt-deux années de couche commune.

    Houleuse. L’haleine nauséabonde de la bouche de son mari l’exaspérait. Harys dépeint son maître comme excentrique et désinvolte, aux chaussettes puantes, abhorrant les journées ensoleillées et aimant plutôt celles nuageuses.

    Moul broie sa solitude en dévorant les romans, en s’enivrant d’alcool, et en faisant l’amour à son amante Damascène. Il parle à son chien en français, une langue libre et libertine.

    Lara, pédiatre, raconte à Moul dans un «lit défait» sa mésaventure. Son père fut jadis un directeur d’une prison à Palmyre, mais finit par se pendre sans crier gare.

    Pourtant, elle s’en souvient quand, encore enfant, il la déshabillait dans une terrasse abandonnée, contemplant son corps chétif au coucher du soleil. Lara pleure l’anéantissement de Palmyre par les hordes de Daesh, qui ont aussi enlevé son frère et violé sa mère quinquagénaire.

    L’enfer à ciel ouvert en Syrie la pousse à quitter le sol natal dare-dare. Lara est une femme émancipée, souveraine de son corps désireux, intellectuelle, lit Nazim Hikmet, Ahmed Fouad Negm et Pablo Neruda et savoure les chansons de Marcel Khalifa. Ivre, Moul la voit une descendante du Berbère Tariq Ibn Ziyad, qui mourut miséreux dans les rues de Damas. Lara a été accueillie par Myriam, une fonctionnaire à Air Algérie.

    Ayant perdu son fiancé lors du séisme de Boumerdès en mai 2003, Myriam se rebiffe dans la vie. Contre toute attente, cette femme dévergondée et lesbienne disparaît et réapparaît quelques semaines plus tard sur l’une des vidéos propagandistes de Daesh, comme combattante du sexe ! L’abandon restaure la mémoire. Moul se rappelle bien de la vendeuse de menthe et de persil au souk de la Bastille, à Oran.

    «La fille aux bottes roses». Comme il n’a jamais oublié son enseignante d’espagnol au lycée, Mona. Cette dernière lui avait offert, lors de son dix-septième anniversaire, le roman Madame Bovary de Gustave Flaubert et lui avait même inculqué l’amour de la musique.

    Mona, d’origine andalouse, s’était entretemps mariée avec un Espagnol, polyglotte et spécialiste des manuscrits arabo-musulmans, travaillant au musée Escurial. Dès qu’il pleut, Moul allume son barbecue au balcon, dont les effluves atteignent les bougainvillées qui tapissent la clôture de l’immeuble.

    En dégustant les brochettes avec Harys, il alterne entre Lounis Aït Menguellet, Edit Piaf et Bob Dylan.

    Le chien Harys, s’érigeant en philosophe, nous amuse avec ses contes, vus sous l’angle des canidés. Déjà, le nom qu’il porte le dérange outre mesure, et veut le changer par Qitmir, ce chien célèbre,veilleur des Sept Dormants de la Caverne. Harys veut entrer au paradis pour jouir des chiennes houris, d’où son intérêt d’en apprendre la langue : l’arabe. Moul l’accuse d’«extrémisme religieux !»

    D’ailleurs, fait curieux de L’Enfant de l’œuf, Harys ne fait ses besoins dans le balcon que sur des pages de journaux arabophones, il a donc uriné sur des photos de monarques, de dictateurs arabes, de stars de sports et de cinéma, sur des barbus, et sur des hommes cravatés et malhonnêtes. Harys se réjouit de l’absence des chats qu’il déteste, aime le chocolat, jalouse Lara qui rôde sans ses dessous.

    Le caniche se régale en déchirant ses soutiens-gorge et les slips de Moul. Vengeance ! Par une nuit monotone, Farida appelle Moul pour lui annoncer qu’elle est atteinte de cancer du sein. Seins amputés, en sus. En fait, elle vit depuis son divorce à Saint-Louis, au Sénégal, enseignant l’histoire des gravures rupestres du désert à l’université Gaston-Berger. Moul compatit avec elle, se contusionne de remords de conscience. Il se souvient de leur première étincelle. C’était les années fac. Fastes.

    Il lui avait offert un roman, Lit défait, de Françoise Sagan, qui s’avérera un présage désastreux de leur vie conjugale, aussi défaite et déconfite ! Toutefois, elle avait ses penchants littéraires pour le poète mystique persan moyenâgeux, en la personne de Farid al-Din Attar. Au troisième jour du divorce, Moul avait acheté une autre copie de Lit défait, le dévore en une nuit funeste, et le matin le livre à la chasse d’eau !
    Farida et Moul ont une fille : Tanila. Profitant de ses vingt ans, elle sillonne le monde pour exposer ses tableaux d’art. De temps à autre, elle rend visite à son licencieux père.

    De Los Angeles à Alger, elle débarque épanouie, gâte Harys de barres de chocolat et dort jusqu’à midi. Férue des bouquins, elle rêve de quitter les USA pour aller s’installer au Japon, pays qui respecte les artistes, selon elle. Son père la veut auprès de lui, pour atténuer les affres de l’isolement qui lui sape le moral. Une vie de foutoir.

    Moul s’était également amouraché de sa belle-mère, Sultana ! Le jour où Farida donne naissance à Tanila dans une clinique algéroise, Moul se rend chez Sultana et étrenne sa première trahison extraconjugale.

    Un inceste dans une société musulmane ! Des années plus tard, la mort de Sultana le mortifie, le laisse orphelin. Il ne se gêne pas d’aller se recueillir sur sa tombe, à l’ombre d’un olivier au cimetière de Ben Aknoun. Il a même le culot de tirer un joint, remis par le gardien funèbre.

    Harys a remarqué que Moul évoque rarement sa mère Sekkoura. Une raciste invétérée, qui refuse de marier sa fille Jalila à un homme noir. Et la grand-mère de Moul, qui a hérité du dentier de son mari, qu’elle pose nuitamment sur sa poitrine pendante. Cette grand-mère superstitieuse tient à marier ses filles et petites-filles à des hommes chaussant de grands souliers, synonymes de «courgette de Raspoutine !»
    A l’âge de douze ans, la santé de Harys se dégrade, atteint d’une maladie du cœur.

    Moul ne lésine pas à le soigner dans une clinique vétérinaire privée, appartenant à la doctoresse Zouzou. Cette femme, qui ne tardera pas à être attirée par Moul le fougueux, qui la monte dans son cabinet même, à la grande stupeur du caniche maladif.

    Zouzou, la quarantaine, une divorcée d’un chirurgien kurde irakien, qui a rejoint son pays natal pour extirper les tumeurs de Daesh. Les destins ne sont faits que pour suivre la loi de la pesanteur de Newton. Tel un couperet, Lara, qui se trouve au Canada après deux années et demie dans les bras noueux de Moul, lui apprend que sa fille Tanila a été fauchée par une voiture dans une rue à Montréal. Il s’effondre et craque. La triste nouvelle fait suite à la mort de son chien Harys.

    Il sombre dans la démence et se retrouve dans l’asile psychiatrique Frantz Fanon, à Blida.

    Dans L’Enfant de l’œuf, Amin Zaoui fouine dans les méandres de la pensée humaine si recluse, malmène les certitudes, dénude les mensonges et écorche des portraits divers qui vivent dans une atmosphère philosophiquement délétère.

    L’auteur de Festin de Mensonges vilipende une société algérienne qui ne cesse de se fanatiser au détriment des grandes valeurs universelles. L’on retient l’humour noir qui caractérise les œuvres de Zaoui. A lire avec délectation.



    Par Belkacem Meghzouchene , romancier
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Bonsoir, intéressant à lire, j'avoue que j'ai arrêté de lire Amin Zaoui depuis quelques temps, il a commencé à faire dans le recyclage de ses vieux romans sortis en France..
    « Il est dangereux pour l'homme de manger ou de boire de la belle dame, car elle frappe son esprit et en quelque sorte le tue »

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