s Par: Bekhti Ould Abdallah 12 Août 2018
Chronique livresque. Saâdi* qui donne l’impression de scruter l’âme de Ben M’Hidi fut étonné par sa mine sombre alors qu’habituellement il avait la sérénité d’un Soufi. Il voulut connaitre les raisons de ce changement. Ben M’Hidi lui apprit qu’après plusieurs heures d’échanges et de débats, le CCE avait pris la décision de déclencher une grève politique de huit jours dès l’ouverture de la session de l’ONU :
« Je ne te cache pas, me dit-il, ma propre part de responsabilité dans cette décision. Abane Ramdane, auquel revient en toute légitimité la paternité de l’initiative, a dû recourir à un véritable plaidoyer pour nous convaincre du bénéfice qu’il y a à en tirer si l’opération est suivie sur une grande échelle. Subsidiairement, je t’apprends que Dahlab et Ben Khedda se sont rangés à ses côtés. En revanche, Krim Belkacem n’était pas chaud sur la durée du débrayage ».
Ben M’Hidi : « On se disputera les honneurs, ce sera la lutte acharnée pour le pouvoir… »
À la suite du long exposé de Ben M’Hidi sur la nécessité de la grève et ses répercussions politiques au niveau mondial, Yacef Saâdi posera deux questions. La première concerne la date de la grève, la seconde sur les modalités d’action « pour éviter de laisser des plumes ». Ben M’Hidi répondra que la grève sera lancée en fonction de la date du débat onusien sur la « question algérienne ». Quant aux modalités, il précisera que le CCE n’avait pas encore tranché. Saâdi soulignera qu’il était séduit par la position de Krim. Mais n’étant pas membre du CCE, comme il l’écrira, il n’avait pas voix au chapitre. Comme Ben M’Hidi, surnommé Hakim voulait avoir son avis, il le donna volontiers :
« Vois-tu Hakim, dis-je, nous commettrions une terrible erreur à prolonger la durée de la grève au-delà de trois jours. En optant pour une grève active, au cours de laquelle les attentats ne s’arrêteront pas, peut être parviendrons-nous à rendre moins vulnérable notre organisation et à lui épargner quelque redoutable retour de flamme. Or, j’ai l’impression que les jeux sont faits ».
La réponse de Ben M’Hidi ou plutôt celle que nous donne de mémoire Yacef Saâdi parait décalée dès lors qu’elle ne répond pas aux préoccupations et questionnements du narrateur. Nous la citons in-extenso pour que le lecteur puisse juger de lui-même :
« Il est vrai, dit-il, qu’il n’est pas question de faire marche arrière. La guérilla, tu ne l’ignores pas, ne sert que pour commencer. Ensuite en principe, c’est l’ensemble du peuple qui doit remuer. Aujourd’hui nous sommes dans une impasse alors que l’issue du conflit semble encore lointaine. Il devient dès lors impérieux de saisir cette opportunité pour démontrer, autant que faire se peut, la légitimité de notre lutte. Lorsqu’une bataille politique est engagée nous devons la remporter ».
Yacef nous laisse sur notre faim : quelle est la position de Ben M’Hidi par rapport à la durée de la grève : est-il pour huit jours comme le préconise Abane suivi de Benkhedda et Dahlab ou bien pour trois jours comme Krim et Yacef lui-même ?
Le premier jour la grève fut massivement suivie. Dans la maison des Haffaf, au cœur de la Casbah, Yacef, Si Mourad (Debbih Cherif) et Ali la Pointe écoutent Ben M’Hidi faire le point sur la situation : « Commencer une révolution est certes très difficile. Mais la poursuivre l’est encore davantage. Ceci n’est rien comparé à ce qui attend les survivants. C’est en effet lorsque nous aurons vaincu que les difficultés s’amplifieront car, sous divers prétextes, naitront des inimités. Le côté factice de prééminence des uns sur les autres sera privilégié au détriment de la valeur essentielle des hommes. On se disputera les honneurs. Ce sera la lutte acharnée pour le pouvoir. Nous sommes en pleine guerre et certains y pensent déjà ».
Terrible prophétie de Ben M’Hidi le pur qui a vu, comme dans une boule de cristal, l’avenir de l’Algérie indépendante et ses luttes de pouvoir. Mais Ben M’Hidi a-t-il réellement prononcé ces paroles prophétiques que cite aussi Bigeard dans ses mémoires et même Ferhat Abbes ? Difficile de le savoir. Pourquoi aurait-il eu ces mots alors qu’il n’y avait pas alors des divergences entre les chefs de l’intérieur et de l’extérieur ? Abane était encore vivant et aucun crime fratricide n’avait entaché la révolution.
Notons simplement, sans pour autant trancher sur la véracité des propos attribués au chahid, que Yacef, Bigeard et Ferhat Abbes ont tous pour une raison ou une autre, matière à en vouloir à ceux qui ont pris le pouvoir : Yacef et Ferhat ont été écartés, quant à Bigeard, il était l’ennemi de l’Algérie indépendante. Chacun des trois donc, pour des motivations d’ordre politique, apporte à sa position la caution supposée de l’âme de la révolution qu’était Ben M’Hidi, le pur, le révolutionnaire absolu.
Départ des membres du CCE pour le Maroc et la Tunisie : un acte de lâcheté sans précédent…
Assiégé par plus de 1000 parachutistes de Massu, Bigeard et Godard, la Casbah plie mais ne rompt pas. Les maisons qui abritent 80.000 âmes furent passées au peigne fin. Un officier, lieutenant, se distingue particulièrement par sa férocité. Son nom de guerre : Marco. Son vrai nom : Jean Marie Le Pen. Il fit torturer une dizaine de personnes dont « Mustapha Bouhired (oncle de Djamila et mari de la moudjahida Fatiha Hattali « Oukhiti »).
En dépit des fouilles porte par porte de la Casbah, aucun membre du groupe de Yacef ne fut arrêté. Leurs caches étaient introuvables. À la fin de la Bataille d’Alger, Yacef Saâdi qui risquait d’être pris à tout moment, pose alors une question qui donne un avant-gout de l’ambiance de suspicion qui y régnait et des doutes qui le tenaillaient : « Mais où étaient donc les membres du CCE ? Tôt ou tard, cette question devait être posée. Autant donc la poser tout de suite, pensai-je. En ce qui concerne Ben M’Hidi, je savais qu’il avait comme nous traversé son chemin de croix. De cachette en cachette, il avait enduré de nombreuses épreuves durant la grève avant de décider de rejoindre ses collègues dont nous n’avions plus eu de nouvelles depuis plus d’un mois ».
Très vite, il aura de leurs nouvelles. Il reçut un message en provenance du massif blidéen l’informant que Krim Belkacem, Benyoucef Benkhedda , Abane Ramdane et Saad Dahlab se trouvaient chez le colonel Bouguerra, chef de la wilaya IV. Yacef confie qu’il fut soulagé et heureux d’apprendre qu’ils sont vivants et qu’ils ont choisi le maquis pour continuer la lutte. Patatras ! Le lendemain, un autre agent de liaison en provenance de la même wilaya l’assommera : les membres du CCE vont prendre, par groupe de deux, la route du Maroc et de la Tunisie ! Il l’informera également de la capture de Ben M’Hidi.
À la douleur, la plus atroce de son existence selon lui, succèdera la stupéfaction puis l’indignation : « …Voilà donc qu’un responsable était arrêté alors que les autres collègues fuyaient à l’étranger, adoptant la politique du « sauve qui peut » ». N’étant pas sûr de leur départ, il ajoutera que s’il se confirme, « ce que ce serait pour le moins un acte de lâcheté sans précédent ».
Quelques jours plus tard, il aura la confirmation de leur arrivée en Tunisie et au Maroc. Alors, il laisse éclater son dépit et sa colère longtemps contenues contre des chefs qu’il ne semble pas estimé-à une ou deux exceptions près- : « Singulière démarche que celle de ces gens qu’on avait vus, à la faveur d’un congrès clandestin, se hisser au niveau le plus noble de la responsabilité et qui à la moindre petite secousse se laissaient séduire par la honteuse tentation de fuir le champ de bataille. (…) Nos « leaders » avaient non seulement accompli un acte monstrueux mais, toute honte bue, ils avaient eu la prétention de continuer à diriger le combat de l’extérieur…Quelle fatuité ! » ».
Petite secousse, vraiment, quand on sait que Ben M’Hidi a payé son courage de sa mort. À tout prendre, la révolution algérienne avait besoin d’un Ben M’Hidi vivant fut-il en Inde, que d’un Ben M’Hidi mort même en martyr. En outre, Yacef lui-même, dans les pages ci-devant, reconnaissait que si par malheur les membres du CCE disparaitraient « Massu et consorts auraient décrété un « second » 14 juillet pour marquer l’évènement. La survie des membres du CCE représentait une exigence révolutionnaire dont peu d’entre nous avaient soupesé les conséquences. Leur disparition serait, en revanche, une catastrophe ». Phrases frappées au coin du bon sens. Pourquoi alors s’énerve-t-il ? Pourquoi les blâme-t-il ? C’est la colère du combattant de l’intérieur qui se sent lâché par ses chefs qui passent, avec armes et bagages, dans le camp des « touristes » de l’extérieur si exécrés et si craint.
Chronique livresque. Saâdi* qui donne l’impression de scruter l’âme de Ben M’Hidi fut étonné par sa mine sombre alors qu’habituellement il avait la sérénité d’un Soufi. Il voulut connaitre les raisons de ce changement. Ben M’Hidi lui apprit qu’après plusieurs heures d’échanges et de débats, le CCE avait pris la décision de déclencher une grève politique de huit jours dès l’ouverture de la session de l’ONU :
« Je ne te cache pas, me dit-il, ma propre part de responsabilité dans cette décision. Abane Ramdane, auquel revient en toute légitimité la paternité de l’initiative, a dû recourir à un véritable plaidoyer pour nous convaincre du bénéfice qu’il y a à en tirer si l’opération est suivie sur une grande échelle. Subsidiairement, je t’apprends que Dahlab et Ben Khedda se sont rangés à ses côtés. En revanche, Krim Belkacem n’était pas chaud sur la durée du débrayage ».
Ben M’Hidi : « On se disputera les honneurs, ce sera la lutte acharnée pour le pouvoir… »
À la suite du long exposé de Ben M’Hidi sur la nécessité de la grève et ses répercussions politiques au niveau mondial, Yacef Saâdi posera deux questions. La première concerne la date de la grève, la seconde sur les modalités d’action « pour éviter de laisser des plumes ». Ben M’Hidi répondra que la grève sera lancée en fonction de la date du débat onusien sur la « question algérienne ». Quant aux modalités, il précisera que le CCE n’avait pas encore tranché. Saâdi soulignera qu’il était séduit par la position de Krim. Mais n’étant pas membre du CCE, comme il l’écrira, il n’avait pas voix au chapitre. Comme Ben M’Hidi, surnommé Hakim voulait avoir son avis, il le donna volontiers :
« Vois-tu Hakim, dis-je, nous commettrions une terrible erreur à prolonger la durée de la grève au-delà de trois jours. En optant pour une grève active, au cours de laquelle les attentats ne s’arrêteront pas, peut être parviendrons-nous à rendre moins vulnérable notre organisation et à lui épargner quelque redoutable retour de flamme. Or, j’ai l’impression que les jeux sont faits ».
La réponse de Ben M’Hidi ou plutôt celle que nous donne de mémoire Yacef Saâdi parait décalée dès lors qu’elle ne répond pas aux préoccupations et questionnements du narrateur. Nous la citons in-extenso pour que le lecteur puisse juger de lui-même :
« Il est vrai, dit-il, qu’il n’est pas question de faire marche arrière. La guérilla, tu ne l’ignores pas, ne sert que pour commencer. Ensuite en principe, c’est l’ensemble du peuple qui doit remuer. Aujourd’hui nous sommes dans une impasse alors que l’issue du conflit semble encore lointaine. Il devient dès lors impérieux de saisir cette opportunité pour démontrer, autant que faire se peut, la légitimité de notre lutte. Lorsqu’une bataille politique est engagée nous devons la remporter ».
Yacef nous laisse sur notre faim : quelle est la position de Ben M’Hidi par rapport à la durée de la grève : est-il pour huit jours comme le préconise Abane suivi de Benkhedda et Dahlab ou bien pour trois jours comme Krim et Yacef lui-même ?
Le premier jour la grève fut massivement suivie. Dans la maison des Haffaf, au cœur de la Casbah, Yacef, Si Mourad (Debbih Cherif) et Ali la Pointe écoutent Ben M’Hidi faire le point sur la situation : « Commencer une révolution est certes très difficile. Mais la poursuivre l’est encore davantage. Ceci n’est rien comparé à ce qui attend les survivants. C’est en effet lorsque nous aurons vaincu que les difficultés s’amplifieront car, sous divers prétextes, naitront des inimités. Le côté factice de prééminence des uns sur les autres sera privilégié au détriment de la valeur essentielle des hommes. On se disputera les honneurs. Ce sera la lutte acharnée pour le pouvoir. Nous sommes en pleine guerre et certains y pensent déjà ».
Terrible prophétie de Ben M’Hidi le pur qui a vu, comme dans une boule de cristal, l’avenir de l’Algérie indépendante et ses luttes de pouvoir. Mais Ben M’Hidi a-t-il réellement prononcé ces paroles prophétiques que cite aussi Bigeard dans ses mémoires et même Ferhat Abbes ? Difficile de le savoir. Pourquoi aurait-il eu ces mots alors qu’il n’y avait pas alors des divergences entre les chefs de l’intérieur et de l’extérieur ? Abane était encore vivant et aucun crime fratricide n’avait entaché la révolution.
Notons simplement, sans pour autant trancher sur la véracité des propos attribués au chahid, que Yacef, Bigeard et Ferhat Abbes ont tous pour une raison ou une autre, matière à en vouloir à ceux qui ont pris le pouvoir : Yacef et Ferhat ont été écartés, quant à Bigeard, il était l’ennemi de l’Algérie indépendante. Chacun des trois donc, pour des motivations d’ordre politique, apporte à sa position la caution supposée de l’âme de la révolution qu’était Ben M’Hidi, le pur, le révolutionnaire absolu.
Départ des membres du CCE pour le Maroc et la Tunisie : un acte de lâcheté sans précédent…
Assiégé par plus de 1000 parachutistes de Massu, Bigeard et Godard, la Casbah plie mais ne rompt pas. Les maisons qui abritent 80.000 âmes furent passées au peigne fin. Un officier, lieutenant, se distingue particulièrement par sa férocité. Son nom de guerre : Marco. Son vrai nom : Jean Marie Le Pen. Il fit torturer une dizaine de personnes dont « Mustapha Bouhired (oncle de Djamila et mari de la moudjahida Fatiha Hattali « Oukhiti »).
En dépit des fouilles porte par porte de la Casbah, aucun membre du groupe de Yacef ne fut arrêté. Leurs caches étaient introuvables. À la fin de la Bataille d’Alger, Yacef Saâdi qui risquait d’être pris à tout moment, pose alors une question qui donne un avant-gout de l’ambiance de suspicion qui y régnait et des doutes qui le tenaillaient : « Mais où étaient donc les membres du CCE ? Tôt ou tard, cette question devait être posée. Autant donc la poser tout de suite, pensai-je. En ce qui concerne Ben M’Hidi, je savais qu’il avait comme nous traversé son chemin de croix. De cachette en cachette, il avait enduré de nombreuses épreuves durant la grève avant de décider de rejoindre ses collègues dont nous n’avions plus eu de nouvelles depuis plus d’un mois ».
Très vite, il aura de leurs nouvelles. Il reçut un message en provenance du massif blidéen l’informant que Krim Belkacem, Benyoucef Benkhedda , Abane Ramdane et Saad Dahlab se trouvaient chez le colonel Bouguerra, chef de la wilaya IV. Yacef confie qu’il fut soulagé et heureux d’apprendre qu’ils sont vivants et qu’ils ont choisi le maquis pour continuer la lutte. Patatras ! Le lendemain, un autre agent de liaison en provenance de la même wilaya l’assommera : les membres du CCE vont prendre, par groupe de deux, la route du Maroc et de la Tunisie ! Il l’informera également de la capture de Ben M’Hidi.
À la douleur, la plus atroce de son existence selon lui, succèdera la stupéfaction puis l’indignation : « …Voilà donc qu’un responsable était arrêté alors que les autres collègues fuyaient à l’étranger, adoptant la politique du « sauve qui peut » ». N’étant pas sûr de leur départ, il ajoutera que s’il se confirme, « ce que ce serait pour le moins un acte de lâcheté sans précédent ».
Quelques jours plus tard, il aura la confirmation de leur arrivée en Tunisie et au Maroc. Alors, il laisse éclater son dépit et sa colère longtemps contenues contre des chefs qu’il ne semble pas estimé-à une ou deux exceptions près- : « Singulière démarche que celle de ces gens qu’on avait vus, à la faveur d’un congrès clandestin, se hisser au niveau le plus noble de la responsabilité et qui à la moindre petite secousse se laissaient séduire par la honteuse tentation de fuir le champ de bataille. (…) Nos « leaders » avaient non seulement accompli un acte monstrueux mais, toute honte bue, ils avaient eu la prétention de continuer à diriger le combat de l’extérieur…Quelle fatuité ! » ».
Petite secousse, vraiment, quand on sait que Ben M’Hidi a payé son courage de sa mort. À tout prendre, la révolution algérienne avait besoin d’un Ben M’Hidi vivant fut-il en Inde, que d’un Ben M’Hidi mort même en martyr. En outre, Yacef lui-même, dans les pages ci-devant, reconnaissait que si par malheur les membres du CCE disparaitraient « Massu et consorts auraient décrété un « second » 14 juillet pour marquer l’évènement. La survie des membres du CCE représentait une exigence révolutionnaire dont peu d’entre nous avaient soupesé les conséquences. Leur disparition serait, en revanche, une catastrophe ». Phrases frappées au coin du bon sens. Pourquoi alors s’énerve-t-il ? Pourquoi les blâme-t-il ? C’est la colère du combattant de l’intérieur qui se sent lâché par ses chefs qui passent, avec armes et bagages, dans le camp des « touristes » de l’extérieur si exécrés et si craint.
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