Le socialisme chinois et le mythe de la fin de l’Histoire
En 1992, un politologue américain, Francis Fukuyama, osait annoncer la « fin de l’Histoire ». Avec l’effondrement de l’URSS, disait-il, l’humanité entrait dans une ère nouvelle. Elle allait connaître une prospérité sans précédent. Auréolée de sa victoire sur l’empire du mal, la démocratie libérale projetait sa lumière salvatrice sur la planète ébahie. Débarrassée du communisme, l’économie de marché devait répandre ses bienfaits aux quatre coins du globe, réalisant l’unification du monde sous les auspices du modèle américain.1 La débandade soviétique semblait valider la thèse libérale selon laquelle le capitalisme - et non son contraire, le socialisme - se conformait au sens de l’histoire.
Aujourd’hui encore, l’idéologie dominante martèle cette idée simple : si l’économie planifiée des régimes socialistes a rendu l’âme, c’est qu’elle n’était pas viable. Le capitalisme, lui, ne s’est jamais aussi bien porté, et il a fait la conquête du monde.
Les tenants de cette thèse en sont d’autant plus convaincus que la disparition du système soviétique n’est pas le seul argument qui semble plaider en leur faveur. Les réformes économiques engagées en Chine populaire à partir de 1979, à leurs yeux, confirment également la supériorité du système capitaliste.
Pour stimuler leur économie, les communistes chinois n’ont-ils pas fini par admettre les vertus de la libre entreprise et du profit, quitte à passer par-dessus bord l’héritage maoïste et son idéal égalitaire ? De même que la chute du système soviétique démontrait la supériorité du capitalisme libéral sur le socialisme dirigiste, la conversion chinoise aux recettes capitalistes semblait donner le coup de grâce à l’expérience « communiste ». Un double jugement de l’histoire, au fond, mettait un point final à une compétition entre les deux systèmes qui avait traversé le XXème siècle.
Le problème, c’est que cette narration est un conte de fées. On aime répéter en Occident que la Chine s’est développée en devenant « capitaliste ». Mais cette affirmation simpliste est démentie par les faits. Même la presse libérale occidentale a fini par admettre que la conversion chinoise au capitalisme est illusoire. Enfin, les Chinois eux-mêmes le disent, et ils ont de solides arguments. Comme point de départ de l’analyse, il faut partir de la définition courante du capitalisme : un système économique fondé sur la propriété privée des moyens de production et d’échange. Ce système a été progressivement éradiqué en Chine populaire au cours de la période maoïste (1950-1980), et il a effectivement été réintroduit dans le cadre des réformes économiques de Deng Xiaoping à partir de 1979. Une dose massive de capitalisme a ainsi été injectée dans l’économie, mais - la précision est d’importance - cette injection eut lieu sous l’impulsion de l’État. La libéralisation partielle de l’économie et l’ouverture au commerce international relevaient d’une décision politique délibérée.
Pour les dirigeants chinois, il s’agissait de lever des capitaux extérieurs afin de faire croître la production intérieure. Faire place à l’économie de marché était un moyen, et non une fin. En réalité, la signification des réformes se comprend surtout d’un point de vue politique. « La Chine est un Etat unitaire central dans la continuité de l’empire. Pour préserver son contrôle absolu sur le système politique, le parti doit aligner les intérêts des bureaucrates sur le bien politique commun, à savoir la stabilité, et fournir à la population un revenu réel croissant et de meilleures conditions de vie. L’autorité politique doit gérer l’économie de façon à produire plus de richesses plus efficacement. D’où deux conséquences : l’économie de marché est un instrument, pas une finalité ; l’ouverture est une condition d’efficacité et conduit à cette directive économique opérationnelle : rattraper et dépasser l’Occident ».2
C’est pourquoi l’ouverture de la Chine aux flux internationaux fut massive, mais rigoureusement contrôlée. Le meilleur exemple en est fourni par les zones d’exportation spéciales (ZES). Les réformateurs chinois voulaient que le commerce renforce la croissance de l’économie nationale, et non qu’il la détruise », notent Michel Aglietta et Guo Bai. Dans les ZES, un système contractuel lie les entreprises chinoises et les entreprises étrangères. La Chine y importe les ingrédients de la fabrication de biens de consommation industriels (électronique, textile, chimie). La main d’œuvre chinoise fait l’assemblage, puis les marchandises sont vendues sur les marchés occidentaux. C’est ce partage des tâches qui est à l’origine d’un double phénomène qui n’a cessé de s’accentuer depuis trente ans : la croissance économique de la Chine et la désindustrialisation de l’Occident. Un demi-siècle après les « guerres de l’opium » (1840-1860) qui virent les puissances occidentales dépecer la Chine, l’Empire du Milieu a pris sa revanche.
Car les Chinois ont tiré les leçons d’une histoire douloureuse. « Cette fois, la libéralisation du commerce et de l’investissement relevait de la souveraineté de la Chine et elle était contrôlée par l’État. Loin d’être des enclaves ne profitant qu’à une poignée de “compradors”, la nouvelle libéralisation du commerce fut un des principaux mécanismes qui ont permis de libérer l’énorme potentiel de la population ».3 Une autre caractéristique de cette ouverture, souvent méconnue, est qu’elle bénéficia essentiellement à la diaspora chinoise. Entre 1985 et 2005, elle détient 60 % des investissements cumulés, contre 25 % pour les pays occidentaux et 15 % pour Singapour et la Corée du Sud. L’ouverture au capital « étranger » fut d’abord une affaire chinoise. Mobilisant les capitaux disponibles, l’ouverture économique a créé les conditions d’une intégration économique asiatique dont la Chine populaire est la locomotive industrielle.
Dire que la Chine est devenue « capitaliste » après avoir été « communiste » relève donc d’une vision naïve du processus historique. Qu’il y ait des capitalistes en Chine ne fait pas de ce pays un « pays capitaliste », si l’on entend par cette expression un pays où les détenteurs privés de capitaux contrôlent l’économie et la politique nationales. En Chine, c’est un parti communiste de 90 millions d’adhérents, irrigant l’ensemble de la société, qui détient le pouvoir politique. Faut-il parler de système mixte, de capitalisme d’Etat ? C’est davantage conforme à la réalité, mais encore insuffisant. Dès qu’il s’agit de qualifier le système chinois, l’embarras des observateurs occidentaux est patent. Les libéraux se répartissent entre deux catégories : ceux qui reprochent à la Chine d’être toujours communiste, et ceux qui se réjouissent qu’elle soit devenue capitaliste. Les uns n’y voient qu’un « régime communiste et léniniste » bon teint, même s’il a fait des concessions au capitalisme ambiant.4 Pour les autres, la Chine est devenue « capitaliste » par la force des choses et cette transformation est irréversible.
Certains observateurs occidentaux, toutefois, essaient de saisir le réel avec davantage de subtilité. C’est ainsi que Jean-Louis Beffa, dans un mensuel économique libéral, affirme carrément que la Chine représente « la seule alternative crédible au capitalisme occidental ». « Après plus de trente ans d’un développement inédit, écrit-il, n’est-il pas temps de conclure que la Chine a trouvé la recette d’un contre-modèle efficace au capitalisme à l’occidentale ? Jusque-là, aucune solution de rechange n’était parvenue à s’imposer, et l’effondrement du système communiste autour de la Russie en 1989 avait consacré la réussite du modèle capitaliste. Or la Chine d’aujourd’hui n’y a pas souscrit. Son modèle économique, hybride, combine deux dimensions qui puisent à des sources opposées. La première emprunte au marxisme-léninisme ; elle est marquée par un puissant contrôle du parti et un système de planification vigoureusement appliqué. La seconde se réfère davantage aux pratiques occidentales, qui donnent la part belle à l’initiative individuelle et à l’esprit d’entreprendre. Cohabitent ainsi la mainmise du PCC sur les affaires et un secteur privé foisonnant ».5
Cette analyse est intéressante, mais elle renvoie dos-à-dos les deux dimensions - publique et privée - du régime chinois. Or c’est la sphère publique, manifestement, qui est aux commandes. Dirigé par un puissant parti communiste, l’État chinois est un Etat fort. Il maîtrise la monnaie nationale, quitte à la laisser filer pour stimuler les exportations, ce que Washington lui reproche de façon récurrente. Il contrôle la quasi-totalité du système bancaire. Surveillés de près par l’État, les marchés financiers ne jouent pas le rôle exorbitant qu’ils s’arrogent en Occident. Leur ouverture aux capitaux étrangers est d’ailleurs soumise à des conditions draconiennes fixées par le gouvernement. Bref, le pilotage de l’économie chinoise est confié à la main de fer d’un Etat souverain, et non à la « main invisible du marché » chère aux libéraux. Certains s’en affligent. Libéral bon teint, un banquier international qui enseigne à Paris I relève que « l’économie chinoise n’est ni une économie de marché, ni une économie capitaliste. Pas même un capitalisme d’État, car en Chine c’est le marché lui-même qui est contrôlé par l’Etat ».6 Mais si le régime chinois n’est même pas un capitalisme d’État, est-ce à dire qu’il est « socialiste », c’est-à-dire que l’État y détient la propriété des moyens de production, ou y exerce du moins le contrôle de l’économie ? La réponse à cette question est clairement positive.
La difficulté de la pensée dominante à nommer le régime chinois, on l’a vu, vient d’une illusion longtemps entretenue : abandonnant le dogme communiste, la Chine serait enfin entrée dans le monde merveilleux du capital.
On aimerait tant pouvoir dire que la Chine n’est plus communiste ! Convertie au libéralisme, cette nation réintégrerait le droit commun. Retour à l’ordre des choses, une telle capitulation validerait la téléologie de l’homo occidentalis. Mais on a sans doute mal interprété la célèbre formule du réformateur Deng Xiaoping : « peu importe que le chat soit blanc ou noir, pourvu qu’il attrape les souris ». Cela ne signifie pas que le capitalisme et le socialisme sont indifférents, mais que chacun sera jugé sur ses résultats. Une forte dose de capitalisme a été injectée dans l’économie chinoise, sous contrôle de l’État, parce qu’il fallait stimuler le développement des forces productives. Mais la Chine demeure un Etat fort qui dicte sa loi aux marchés financiers, et non l’inverse. Son élite dirigeante est patriote. Même si elle concède une partie du pouvoir économique aux capitalistes « nationaux », elle n’appartient pas à l’oligarchie financière mondialisée. Adepte du « socialisme à la chinoise », formée à l’éthique confucéenne, elle dirige un Etat qui n’est légitime que parce qu’il garantit le bien-être d’un milliard 400 millions de Chinois.
En 1992, un politologue américain, Francis Fukuyama, osait annoncer la « fin de l’Histoire ». Avec l’effondrement de l’URSS, disait-il, l’humanité entrait dans une ère nouvelle. Elle allait connaître une prospérité sans précédent. Auréolée de sa victoire sur l’empire du mal, la démocratie libérale projetait sa lumière salvatrice sur la planète ébahie. Débarrassée du communisme, l’économie de marché devait répandre ses bienfaits aux quatre coins du globe, réalisant l’unification du monde sous les auspices du modèle américain.1 La débandade soviétique semblait valider la thèse libérale selon laquelle le capitalisme - et non son contraire, le socialisme - se conformait au sens de l’histoire.
Aujourd’hui encore, l’idéologie dominante martèle cette idée simple : si l’économie planifiée des régimes socialistes a rendu l’âme, c’est qu’elle n’était pas viable. Le capitalisme, lui, ne s’est jamais aussi bien porté, et il a fait la conquête du monde.
Les tenants de cette thèse en sont d’autant plus convaincus que la disparition du système soviétique n’est pas le seul argument qui semble plaider en leur faveur. Les réformes économiques engagées en Chine populaire à partir de 1979, à leurs yeux, confirment également la supériorité du système capitaliste.
Pour stimuler leur économie, les communistes chinois n’ont-ils pas fini par admettre les vertus de la libre entreprise et du profit, quitte à passer par-dessus bord l’héritage maoïste et son idéal égalitaire ? De même que la chute du système soviétique démontrait la supériorité du capitalisme libéral sur le socialisme dirigiste, la conversion chinoise aux recettes capitalistes semblait donner le coup de grâce à l’expérience « communiste ». Un double jugement de l’histoire, au fond, mettait un point final à une compétition entre les deux systèmes qui avait traversé le XXème siècle.
Le problème, c’est que cette narration est un conte de fées. On aime répéter en Occident que la Chine s’est développée en devenant « capitaliste ». Mais cette affirmation simpliste est démentie par les faits. Même la presse libérale occidentale a fini par admettre que la conversion chinoise au capitalisme est illusoire. Enfin, les Chinois eux-mêmes le disent, et ils ont de solides arguments. Comme point de départ de l’analyse, il faut partir de la définition courante du capitalisme : un système économique fondé sur la propriété privée des moyens de production et d’échange. Ce système a été progressivement éradiqué en Chine populaire au cours de la période maoïste (1950-1980), et il a effectivement été réintroduit dans le cadre des réformes économiques de Deng Xiaoping à partir de 1979. Une dose massive de capitalisme a ainsi été injectée dans l’économie, mais - la précision est d’importance - cette injection eut lieu sous l’impulsion de l’État. La libéralisation partielle de l’économie et l’ouverture au commerce international relevaient d’une décision politique délibérée.
Pour les dirigeants chinois, il s’agissait de lever des capitaux extérieurs afin de faire croître la production intérieure. Faire place à l’économie de marché était un moyen, et non une fin. En réalité, la signification des réformes se comprend surtout d’un point de vue politique. « La Chine est un Etat unitaire central dans la continuité de l’empire. Pour préserver son contrôle absolu sur le système politique, le parti doit aligner les intérêts des bureaucrates sur le bien politique commun, à savoir la stabilité, et fournir à la population un revenu réel croissant et de meilleures conditions de vie. L’autorité politique doit gérer l’économie de façon à produire plus de richesses plus efficacement. D’où deux conséquences : l’économie de marché est un instrument, pas une finalité ; l’ouverture est une condition d’efficacité et conduit à cette directive économique opérationnelle : rattraper et dépasser l’Occident ».2
C’est pourquoi l’ouverture de la Chine aux flux internationaux fut massive, mais rigoureusement contrôlée. Le meilleur exemple en est fourni par les zones d’exportation spéciales (ZES). Les réformateurs chinois voulaient que le commerce renforce la croissance de l’économie nationale, et non qu’il la détruise », notent Michel Aglietta et Guo Bai. Dans les ZES, un système contractuel lie les entreprises chinoises et les entreprises étrangères. La Chine y importe les ingrédients de la fabrication de biens de consommation industriels (électronique, textile, chimie). La main d’œuvre chinoise fait l’assemblage, puis les marchandises sont vendues sur les marchés occidentaux. C’est ce partage des tâches qui est à l’origine d’un double phénomène qui n’a cessé de s’accentuer depuis trente ans : la croissance économique de la Chine et la désindustrialisation de l’Occident. Un demi-siècle après les « guerres de l’opium » (1840-1860) qui virent les puissances occidentales dépecer la Chine, l’Empire du Milieu a pris sa revanche.
Car les Chinois ont tiré les leçons d’une histoire douloureuse. « Cette fois, la libéralisation du commerce et de l’investissement relevait de la souveraineté de la Chine et elle était contrôlée par l’État. Loin d’être des enclaves ne profitant qu’à une poignée de “compradors”, la nouvelle libéralisation du commerce fut un des principaux mécanismes qui ont permis de libérer l’énorme potentiel de la population ».3 Une autre caractéristique de cette ouverture, souvent méconnue, est qu’elle bénéficia essentiellement à la diaspora chinoise. Entre 1985 et 2005, elle détient 60 % des investissements cumulés, contre 25 % pour les pays occidentaux et 15 % pour Singapour et la Corée du Sud. L’ouverture au capital « étranger » fut d’abord une affaire chinoise. Mobilisant les capitaux disponibles, l’ouverture économique a créé les conditions d’une intégration économique asiatique dont la Chine populaire est la locomotive industrielle.
Dire que la Chine est devenue « capitaliste » après avoir été « communiste » relève donc d’une vision naïve du processus historique. Qu’il y ait des capitalistes en Chine ne fait pas de ce pays un « pays capitaliste », si l’on entend par cette expression un pays où les détenteurs privés de capitaux contrôlent l’économie et la politique nationales. En Chine, c’est un parti communiste de 90 millions d’adhérents, irrigant l’ensemble de la société, qui détient le pouvoir politique. Faut-il parler de système mixte, de capitalisme d’Etat ? C’est davantage conforme à la réalité, mais encore insuffisant. Dès qu’il s’agit de qualifier le système chinois, l’embarras des observateurs occidentaux est patent. Les libéraux se répartissent entre deux catégories : ceux qui reprochent à la Chine d’être toujours communiste, et ceux qui se réjouissent qu’elle soit devenue capitaliste. Les uns n’y voient qu’un « régime communiste et léniniste » bon teint, même s’il a fait des concessions au capitalisme ambiant.4 Pour les autres, la Chine est devenue « capitaliste » par la force des choses et cette transformation est irréversible.
Certains observateurs occidentaux, toutefois, essaient de saisir le réel avec davantage de subtilité. C’est ainsi que Jean-Louis Beffa, dans un mensuel économique libéral, affirme carrément que la Chine représente « la seule alternative crédible au capitalisme occidental ». « Après plus de trente ans d’un développement inédit, écrit-il, n’est-il pas temps de conclure que la Chine a trouvé la recette d’un contre-modèle efficace au capitalisme à l’occidentale ? Jusque-là, aucune solution de rechange n’était parvenue à s’imposer, et l’effondrement du système communiste autour de la Russie en 1989 avait consacré la réussite du modèle capitaliste. Or la Chine d’aujourd’hui n’y a pas souscrit. Son modèle économique, hybride, combine deux dimensions qui puisent à des sources opposées. La première emprunte au marxisme-léninisme ; elle est marquée par un puissant contrôle du parti et un système de planification vigoureusement appliqué. La seconde se réfère davantage aux pratiques occidentales, qui donnent la part belle à l’initiative individuelle et à l’esprit d’entreprendre. Cohabitent ainsi la mainmise du PCC sur les affaires et un secteur privé foisonnant ».5
Cette analyse est intéressante, mais elle renvoie dos-à-dos les deux dimensions - publique et privée - du régime chinois. Or c’est la sphère publique, manifestement, qui est aux commandes. Dirigé par un puissant parti communiste, l’État chinois est un Etat fort. Il maîtrise la monnaie nationale, quitte à la laisser filer pour stimuler les exportations, ce que Washington lui reproche de façon récurrente. Il contrôle la quasi-totalité du système bancaire. Surveillés de près par l’État, les marchés financiers ne jouent pas le rôle exorbitant qu’ils s’arrogent en Occident. Leur ouverture aux capitaux étrangers est d’ailleurs soumise à des conditions draconiennes fixées par le gouvernement. Bref, le pilotage de l’économie chinoise est confié à la main de fer d’un Etat souverain, et non à la « main invisible du marché » chère aux libéraux. Certains s’en affligent. Libéral bon teint, un banquier international qui enseigne à Paris I relève que « l’économie chinoise n’est ni une économie de marché, ni une économie capitaliste. Pas même un capitalisme d’État, car en Chine c’est le marché lui-même qui est contrôlé par l’Etat ».6 Mais si le régime chinois n’est même pas un capitalisme d’État, est-ce à dire qu’il est « socialiste », c’est-à-dire que l’État y détient la propriété des moyens de production, ou y exerce du moins le contrôle de l’économie ? La réponse à cette question est clairement positive.
La difficulté de la pensée dominante à nommer le régime chinois, on l’a vu, vient d’une illusion longtemps entretenue : abandonnant le dogme communiste, la Chine serait enfin entrée dans le monde merveilleux du capital.
On aimerait tant pouvoir dire que la Chine n’est plus communiste ! Convertie au libéralisme, cette nation réintégrerait le droit commun. Retour à l’ordre des choses, une telle capitulation validerait la téléologie de l’homo occidentalis. Mais on a sans doute mal interprété la célèbre formule du réformateur Deng Xiaoping : « peu importe que le chat soit blanc ou noir, pourvu qu’il attrape les souris ». Cela ne signifie pas que le capitalisme et le socialisme sont indifférents, mais que chacun sera jugé sur ses résultats. Une forte dose de capitalisme a été injectée dans l’économie chinoise, sous contrôle de l’État, parce qu’il fallait stimuler le développement des forces productives. Mais la Chine demeure un Etat fort qui dicte sa loi aux marchés financiers, et non l’inverse. Son élite dirigeante est patriote. Même si elle concède une partie du pouvoir économique aux capitalistes « nationaux », elle n’appartient pas à l’oligarchie financière mondialisée. Adepte du « socialisme à la chinoise », formée à l’éthique confucéenne, elle dirige un Etat qui n’est légitime que parce qu’il garantit le bien-être d’un milliard 400 millions de Chinois.
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