La passion de Husayn Mansûr Al-Hallaj
Il est difficile de parler du martyr sans évoquer Al-Hallaj, première figure d’un martyr mystique, un des plus célèbres mystiques de tous les temps. Poète et philosophe perse également, bien qu’il soit presque totalement inconnu en Occident.
C’est à Louis Massignon que l’on doit la redécouverte, en islam, des textes oubliés d’Al-Hallaj, dont il fut le premier traducteur en langue européenne. Il a consacré à cet homme qu’il admirait les quatre volumes de son œuvre maîtresse, La Passion d’Al-Hallâj, et traduit aussi l’originalité de son œuvre littéraire. Par la suite, Sami Ali a publié chez Sindbad (1998) une traduction des Poèmes mystiques . Bien que la documentation historique sur Al-Hallâj soit considérable, on ignore une bonne partie de sa vie. Ce sont les années à Bagdad, les séjours à la Mecque, l’histoire de sa mort violente et la beauté de sa poésie avec ses accents mystiques que la tradition a retenus.
Mansûr Al-Hallaj plus précisément Abû `Abd Allah Al-Husayn Mansûr Al-Hallaj est né vers 857 (ou 244 de l’Hégire) en Iran, et mort le 26 mars 922 (ou 309 de l’Hégire) à Bagdad, à 65 ans. Il est né en Fars près de Tur, près du bourg d’Al Bayda, centre très arabisé, petit camp sur la route militaire allant de Basra au Khorasan, provinces limitrophes d’Irak et d’Iran. Son grand-père, selon la tradition, était un zoroastrien et descendait de Abu Ayub, un compagnon de Mahomet. Quand sa mère tomba enceinte de lui, elle fit vœu de l’offrir comme serviteur à des « fuqara » (religieux pauvres volontaires). Et elle le nomma Hussein, en souvenir du fils martyrisé de Fatima, la fille bénie du prophète. De 253 à 262, son père, probablement cardeur alla travailler dans le milieu textile de l’Ahwaz et s’installa à Wasit, sur le Tigre, en Irak. Al-Hallâj est d’ailleurs un surnom qui lui vient du métier de ce dernier, « cardeur de coton ».
Wasit était une grande cité en majorité sunnite de rite hanbalite (socle traditionaliste), avec cependant une minorité shiite extrémiste dans les campagnes, près de paysans araméens. Elle était renommée pour son école réputée de lecteurs du Coran, connue aussi pour des convertis célèbres arabisés (Salman et Bilal). L’enfant, jusqu’à 12 ans, apprit le Coran par cœur, et devint un « Hafiz » (apprenant) ; il reçut un enseignement traditionnel et une éducation religieuse complète en langue arabe. Dès l’adolescence, il fut attiré par une vie ascétique, s’avéra très pieux et troublé par des épisodes extatiques.
Dans une recherche de la dimension symbolique de l’enseignement transmis, il fréquenta des maîtres du soufisme. Après avoir été le disciple de Sahl at-Tustari, son premier maître en mystique, Hallaj, à 20 ans (262), alla brusquement à Basra, entrant dans une communauté soufie, où les Harithiya étaient liés à l’honorable tribu des B. Mullahab azdites, pour recevoir l’habit monastique de soufi, de la main de Amr ibn ‘Uthman al-Makki, s’affiliant à une généalogie de maîtres dans la filiation d’Abraham. Celui-ci le consacrant comme shaykh soufi, avec licence d’enseigner.
Quelque temps après, en 264, Halladj se maria avec Um Al Husayn, fille du Maître soufi al-Aqta’Basri, mariage qui suscita une certaine rivalité spirituelle avec son maître Amr Makki. Foyer uni jusqu’au bout, de trois fils dont une fille, qui établit Hallaj à Basra, dans le quartier Tamim, du clan B. Mujashi, réputé comme révolutionnaire, avec des apparences shiites qui a pu le marquer, dans son apologétique. Il rencontra ensuite son troisième maître Gunayd, dont il resta disciple pendant 18 ans. En 272-273, le conflit s’amplifiant entre son directeur spirituel (Makki), et son beau-père (Aqta), Hallaj, après avoir patienté un bon moment sur conseil du célèbre sufi Junayd qu’il était allé consulter à Bagdad, se lassa, et partit pour la Mecque. Son départ coïncida avec l’écrasement d’une rébellion populaire, le peuple abbasside à l’époque étant en pleins tumultes.
Hallaj entreprit son premier pèlerinage à la Mecque, allant chercher le sens du « secret » issu de l’enseignement de la pratique du soufisme. Toujours vêtu de noir, « car c’est l’habit qui convient à celui dont les œuvres sont réprouvées » montrant l’exemple du dépouillement, de l’ascèse et de la rigueur morale. Sa présence pendant une année près de la Kaaba, assis sur le parvis du lieu saint, pratiquant le jeune et la prière, exacerba encore son mysticisme et son intransigeance envers ceux dont il estimait la dévotion superficielle ou insuffisante.
Hallaj retourna vivre à Basra, dans sa famille, d’une vie ascétique fervente et toujours sunnite : il jeûnait tous les ramadans, et le jour de fête (rupture du jeune), s’adonnait à la méditation et à la prière. Il était néanmoins attiré par le rayonnement de Bagdad, où il fréquenta le cercle mystique et ascétique présidé par son dernier maître Abû al-Qasim Junayd, mais à la longue, il n’arriva pas à s’entendre avec ce dernier. Selon S. Ruspoly : « tout d’ailleurs les opposait, le tempérament, l’âge, et surtout l’approche de la vie mystique, méthodique, progressive et contrôlée chez Junayd, intuitive, émotive et prophétique chez Hallâj ». Le conflit entre les deux se développa jusqu’au jour où Junayd lui dit : « Qui sait si ta tête n’ornera pas un jour le gibet ». À 36 ans, vers 280, naquît son troisième fils, ce qui correspondait à son 2e pèlerinage à la Mecque.
Surnommé Al-Hallâj al-Asrar, L’homme des Mystères (ou des secrets)... Al-Hallâj est un mystique qui avait au point de départ de sa quête un intense désir de Dieu : « J’avais le cœur plein de désirs dispersés, et depuis que l’œil t’a vu, les voici rassemblés. » Dans sa théorie des origines, deux thèmes principaux ont joué un rôle dans la structure de la doctrine religieuse : la chute de Satan et l’ascension nocturne de Muhammad (sws) qu’il développera dans ses œuvres de Tawasin (864-846). Parmi ses grands développements : la science des cœurs et l’aspiration à l’union divine par l’amour ; la recherche de la synthèse et du fondement spirituel propre à toutes les religions ; et la question de l’expérience.
La Science des cœurs est posée par le texte du Coran qui en pose les bases, science approfondie par les soufis. C’est par son cœur que l’homme entre dans la contemplation du divin. L’homme a différentes enveloppes successives qu’il lui faut traverser et qui correspondent au degré de purification de l’âme. Pour Hallaj, trois phases dans la voie, ou l’ascension : phase de pénitence, ou ascèse des sens ; phase de purification massive (on se détache de son moi subjectif) ou s’instaure une réciprocité de l’amour et du désir entre Dieu et sa créature ; et enfin phase de l’ascèse de l’esprit qui débouche sur l’union avec le divin. Le soufi a alors conquis le droit de dire le « je » qui l’unit à la source même de la parole divine car il atteint alors le stade de l’union transformante avec Dieu.
Différents poèmes donnent à voir sa science des cœurs et la question d’ascèse vers l’union :
« Mon regard, avec l’œil de la science a dégagé le pur secret de la méditation » ;
« Une lueur a jailli, dans ma conscience » ;
« J’ai vu mon bien-aimé avec l’œil de mon cœur. Et je lui dis : Qui es-tu ?
Il me répond : Toi ! » ;
« Je suis devenu celui que j’aime et celui que j’aime est devenu moi » ;
« Je suis devenu toi tout comme tu es devenu moi » ;
« Tu m’as rapproché de toi et j’en suis venu à croire que tu es moi » ;
« Comment pourrais-je m’amuser et être insouciant si vraiment moi c’est Lui » ;
« On dirait que l’interlocuteur, c’est moi-même m’adressant par mon essence à mon essence » Qasida VII [9][9] : Ibid..
Hallâj emploie le mot amour, « mahabbah », pour désigner les rapports du Créateur et de sa créature. Pour lui, l’amour primordial est l’amour de l’essence divine pour elle-même, l’amour se consomme et s’assouvit, lors de la connaissance parfaite « ma`rifah ». Al-Hallâj distingue entre la foi et les rites : celui qui veut se consacrer à l’amour de Dieu, va développer au plus profond sa foi intérieure ; les rites et les dogmes seraient secondaires, la religiosité l’écarterait de l’essentiel.
« J’ai abandonné aux gens leur usage et leur religion pour me dédier à ton amour, toi ma religion et mon usage »
« O témoin splendide, quoique tu te caches
En Ton invisibilité, si Ta personne
S’est cachée, Ton mémorial subsiste »
« Sache que judaïsme, christianisme et islam, comme les autres religions, ne sont que dénomination et appellation, le but recherché à travers elles jamais ne varie, ni ne change. »
« J’ai longuement réfléchi aux diverses religions en tâchant de les assimiler, puis je les ai ramenées à un seul Fondement ayant maintes ramifications. Ne demandez pas à l’homme de s’en tenir à un culte déterminé, car cela l’écarterait certainement du Fondement divin assuré. »
Enfin, la question de l’expérience est dans sa doctrine aussi importante. Al-Hallâj, le mystique qui s’est plongé dans la méditation de Dieu, se trouve conduit non seulement à un « ittisâl » (contact entre l’âme de l’homme et Dieu), mais à un véritable hulûl (inhabitation), l’Esprit de Dieu habitant sans confusion de nature, l’âme purifiée du mystique.
« L’aimé à l’amant qui le chérissait s’est uni, tendrement tous deux se sont souri. Leurs formes se sont étreintes d’un seul élan, et ils ont succombé dans le monde évanescent. »
« Mon cœur a banni tout amour, car un autre que le tien m’est interdit. Tu es pour moi esprit et vin, tu es la rose et le parfum, tu es toute joie et tout souci, guérison et maladie. Et couronnant désir après désir, en toi on trouve une paix. »
La lecture de ses œuvres donne valeur à l’expérience : un de ses disciples raconte qu’il l’a vu dans le souk pleurer et crier :
« Ô gens, sauvez-moi de Dieu. Car Il m’a ravi à moi-même, et Il ne me rend pas à moi-même.
Quant à moi, voici qu’il n’y a plus de voile entre Lui et moi, pas même un clin d’œil, le temps que je trouve le repos, afin que mon humanité périsse en Sa divinité, pendant que mon corps se consume aux flammes de Son omnipotence : pour qu’il n’en reste plus ni trace, ni vestige, ni description. »
Et, pour terminer :
« Je suis le Vrai ! Et le vrai, est rendu vrai par le Vrai, j’ai revêtu son essence, plus de séparation désormais. »
Tous ces textes expliquent, amènent le fameux « Ana al haqq » de Hallâj (je suis la Vérité, je suis Dieu). Ou je suis le réel Vrai, c’est-à-dire Dieu, qui sera condamné par la suite comme un inadmissible péché d’orgueil. Affirmation, qui, si elle ne doit être rendue publique, n’est pas incongrue dans le milieu soufi dans lequel le mystique est « fondu » dans l’« océan de la divinité », et qui renverrait à un rang spirituel élevé. Les traductions de Louis Massignon viennent appuyer cette thèse, la plupart des versets du Diwan de Hallaj traitant de la science de l’Unité (Tawhid).
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Il est difficile de parler du martyr sans évoquer Al-Hallaj, première figure d’un martyr mystique, un des plus célèbres mystiques de tous les temps. Poète et philosophe perse également, bien qu’il soit presque totalement inconnu en Occident.
C’est à Louis Massignon que l’on doit la redécouverte, en islam, des textes oubliés d’Al-Hallaj, dont il fut le premier traducteur en langue européenne. Il a consacré à cet homme qu’il admirait les quatre volumes de son œuvre maîtresse, La Passion d’Al-Hallâj, et traduit aussi l’originalité de son œuvre littéraire. Par la suite, Sami Ali a publié chez Sindbad (1998) une traduction des Poèmes mystiques . Bien que la documentation historique sur Al-Hallâj soit considérable, on ignore une bonne partie de sa vie. Ce sont les années à Bagdad, les séjours à la Mecque, l’histoire de sa mort violente et la beauté de sa poésie avec ses accents mystiques que la tradition a retenus.
Mansûr Al-Hallaj plus précisément Abû `Abd Allah Al-Husayn Mansûr Al-Hallaj est né vers 857 (ou 244 de l’Hégire) en Iran, et mort le 26 mars 922 (ou 309 de l’Hégire) à Bagdad, à 65 ans. Il est né en Fars près de Tur, près du bourg d’Al Bayda, centre très arabisé, petit camp sur la route militaire allant de Basra au Khorasan, provinces limitrophes d’Irak et d’Iran. Son grand-père, selon la tradition, était un zoroastrien et descendait de Abu Ayub, un compagnon de Mahomet. Quand sa mère tomba enceinte de lui, elle fit vœu de l’offrir comme serviteur à des « fuqara » (religieux pauvres volontaires). Et elle le nomma Hussein, en souvenir du fils martyrisé de Fatima, la fille bénie du prophète. De 253 à 262, son père, probablement cardeur alla travailler dans le milieu textile de l’Ahwaz et s’installa à Wasit, sur le Tigre, en Irak. Al-Hallâj est d’ailleurs un surnom qui lui vient du métier de ce dernier, « cardeur de coton ».
Wasit était une grande cité en majorité sunnite de rite hanbalite (socle traditionaliste), avec cependant une minorité shiite extrémiste dans les campagnes, près de paysans araméens. Elle était renommée pour son école réputée de lecteurs du Coran, connue aussi pour des convertis célèbres arabisés (Salman et Bilal). L’enfant, jusqu’à 12 ans, apprit le Coran par cœur, et devint un « Hafiz » (apprenant) ; il reçut un enseignement traditionnel et une éducation religieuse complète en langue arabe. Dès l’adolescence, il fut attiré par une vie ascétique, s’avéra très pieux et troublé par des épisodes extatiques.
Dans une recherche de la dimension symbolique de l’enseignement transmis, il fréquenta des maîtres du soufisme. Après avoir été le disciple de Sahl at-Tustari, son premier maître en mystique, Hallaj, à 20 ans (262), alla brusquement à Basra, entrant dans une communauté soufie, où les Harithiya étaient liés à l’honorable tribu des B. Mullahab azdites, pour recevoir l’habit monastique de soufi, de la main de Amr ibn ‘Uthman al-Makki, s’affiliant à une généalogie de maîtres dans la filiation d’Abraham. Celui-ci le consacrant comme shaykh soufi, avec licence d’enseigner.
Quelque temps après, en 264, Halladj se maria avec Um Al Husayn, fille du Maître soufi al-Aqta’Basri, mariage qui suscita une certaine rivalité spirituelle avec son maître Amr Makki. Foyer uni jusqu’au bout, de trois fils dont une fille, qui établit Hallaj à Basra, dans le quartier Tamim, du clan B. Mujashi, réputé comme révolutionnaire, avec des apparences shiites qui a pu le marquer, dans son apologétique. Il rencontra ensuite son troisième maître Gunayd, dont il resta disciple pendant 18 ans. En 272-273, le conflit s’amplifiant entre son directeur spirituel (Makki), et son beau-père (Aqta), Hallaj, après avoir patienté un bon moment sur conseil du célèbre sufi Junayd qu’il était allé consulter à Bagdad, se lassa, et partit pour la Mecque. Son départ coïncida avec l’écrasement d’une rébellion populaire, le peuple abbasside à l’époque étant en pleins tumultes.
Hallaj entreprit son premier pèlerinage à la Mecque, allant chercher le sens du « secret » issu de l’enseignement de la pratique du soufisme. Toujours vêtu de noir, « car c’est l’habit qui convient à celui dont les œuvres sont réprouvées » montrant l’exemple du dépouillement, de l’ascèse et de la rigueur morale. Sa présence pendant une année près de la Kaaba, assis sur le parvis du lieu saint, pratiquant le jeune et la prière, exacerba encore son mysticisme et son intransigeance envers ceux dont il estimait la dévotion superficielle ou insuffisante.
Hallaj retourna vivre à Basra, dans sa famille, d’une vie ascétique fervente et toujours sunnite : il jeûnait tous les ramadans, et le jour de fête (rupture du jeune), s’adonnait à la méditation et à la prière. Il était néanmoins attiré par le rayonnement de Bagdad, où il fréquenta le cercle mystique et ascétique présidé par son dernier maître Abû al-Qasim Junayd, mais à la longue, il n’arriva pas à s’entendre avec ce dernier. Selon S. Ruspoly : « tout d’ailleurs les opposait, le tempérament, l’âge, et surtout l’approche de la vie mystique, méthodique, progressive et contrôlée chez Junayd, intuitive, émotive et prophétique chez Hallâj ». Le conflit entre les deux se développa jusqu’au jour où Junayd lui dit : « Qui sait si ta tête n’ornera pas un jour le gibet ». À 36 ans, vers 280, naquît son troisième fils, ce qui correspondait à son 2e pèlerinage à la Mecque.
Surnommé Al-Hallâj al-Asrar, L’homme des Mystères (ou des secrets)... Al-Hallâj est un mystique qui avait au point de départ de sa quête un intense désir de Dieu : « J’avais le cœur plein de désirs dispersés, et depuis que l’œil t’a vu, les voici rassemblés. » Dans sa théorie des origines, deux thèmes principaux ont joué un rôle dans la structure de la doctrine religieuse : la chute de Satan et l’ascension nocturne de Muhammad (sws) qu’il développera dans ses œuvres de Tawasin (864-846). Parmi ses grands développements : la science des cœurs et l’aspiration à l’union divine par l’amour ; la recherche de la synthèse et du fondement spirituel propre à toutes les religions ; et la question de l’expérience.
La Science des cœurs est posée par le texte du Coran qui en pose les bases, science approfondie par les soufis. C’est par son cœur que l’homme entre dans la contemplation du divin. L’homme a différentes enveloppes successives qu’il lui faut traverser et qui correspondent au degré de purification de l’âme. Pour Hallaj, trois phases dans la voie, ou l’ascension : phase de pénitence, ou ascèse des sens ; phase de purification massive (on se détache de son moi subjectif) ou s’instaure une réciprocité de l’amour et du désir entre Dieu et sa créature ; et enfin phase de l’ascèse de l’esprit qui débouche sur l’union avec le divin. Le soufi a alors conquis le droit de dire le « je » qui l’unit à la source même de la parole divine car il atteint alors le stade de l’union transformante avec Dieu.
Différents poèmes donnent à voir sa science des cœurs et la question d’ascèse vers l’union :
« Mon regard, avec l’œil de la science a dégagé le pur secret de la méditation » ;
« Une lueur a jailli, dans ma conscience » ;
« J’ai vu mon bien-aimé avec l’œil de mon cœur. Et je lui dis : Qui es-tu ?
Il me répond : Toi ! » ;
« Je suis devenu celui que j’aime et celui que j’aime est devenu moi » ;
« Je suis devenu toi tout comme tu es devenu moi » ;
« Tu m’as rapproché de toi et j’en suis venu à croire que tu es moi » ;
« Comment pourrais-je m’amuser et être insouciant si vraiment moi c’est Lui » ;
« On dirait que l’interlocuteur, c’est moi-même m’adressant par mon essence à mon essence » Qasida VII [9][9] : Ibid..
Hallâj emploie le mot amour, « mahabbah », pour désigner les rapports du Créateur et de sa créature. Pour lui, l’amour primordial est l’amour de l’essence divine pour elle-même, l’amour se consomme et s’assouvit, lors de la connaissance parfaite « ma`rifah ». Al-Hallâj distingue entre la foi et les rites : celui qui veut se consacrer à l’amour de Dieu, va développer au plus profond sa foi intérieure ; les rites et les dogmes seraient secondaires, la religiosité l’écarterait de l’essentiel.
« J’ai abandonné aux gens leur usage et leur religion pour me dédier à ton amour, toi ma religion et mon usage »
« O témoin splendide, quoique tu te caches
En Ton invisibilité, si Ta personne
S’est cachée, Ton mémorial subsiste »
« Sache que judaïsme, christianisme et islam, comme les autres religions, ne sont que dénomination et appellation, le but recherché à travers elles jamais ne varie, ni ne change. »
« J’ai longuement réfléchi aux diverses religions en tâchant de les assimiler, puis je les ai ramenées à un seul Fondement ayant maintes ramifications. Ne demandez pas à l’homme de s’en tenir à un culte déterminé, car cela l’écarterait certainement du Fondement divin assuré. »
Enfin, la question de l’expérience est dans sa doctrine aussi importante. Al-Hallâj, le mystique qui s’est plongé dans la méditation de Dieu, se trouve conduit non seulement à un « ittisâl » (contact entre l’âme de l’homme et Dieu), mais à un véritable hulûl (inhabitation), l’Esprit de Dieu habitant sans confusion de nature, l’âme purifiée du mystique.
« L’aimé à l’amant qui le chérissait s’est uni, tendrement tous deux se sont souri. Leurs formes se sont étreintes d’un seul élan, et ils ont succombé dans le monde évanescent. »
« Mon cœur a banni tout amour, car un autre que le tien m’est interdit. Tu es pour moi esprit et vin, tu es la rose et le parfum, tu es toute joie et tout souci, guérison et maladie. Et couronnant désir après désir, en toi on trouve une paix. »
La lecture de ses œuvres donne valeur à l’expérience : un de ses disciples raconte qu’il l’a vu dans le souk pleurer et crier :
« Ô gens, sauvez-moi de Dieu. Car Il m’a ravi à moi-même, et Il ne me rend pas à moi-même.
Quant à moi, voici qu’il n’y a plus de voile entre Lui et moi, pas même un clin d’œil, le temps que je trouve le repos, afin que mon humanité périsse en Sa divinité, pendant que mon corps se consume aux flammes de Son omnipotence : pour qu’il n’en reste plus ni trace, ni vestige, ni description. »
Et, pour terminer :
« Je suis le Vrai ! Et le vrai, est rendu vrai par le Vrai, j’ai revêtu son essence, plus de séparation désormais. »
Tous ces textes expliquent, amènent le fameux « Ana al haqq » de Hallâj (je suis la Vérité, je suis Dieu). Ou je suis le réel Vrai, c’est-à-dire Dieu, qui sera condamné par la suite comme un inadmissible péché d’orgueil. Affirmation, qui, si elle ne doit être rendue publique, n’est pas incongrue dans le milieu soufi dans lequel le mystique est « fondu » dans l’« océan de la divinité », et qui renverrait à un rang spirituel élevé. Les traductions de Louis Massignon viennent appuyer cette thèse, la plupart des versets du Diwan de Hallaj traitant de la science de l’Unité (Tawhid).
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