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Parler bougiote. En voie d’extinction ?

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  • Parler bougiote. En voie d’extinction ?

    La langue berbère (le terme de tamazight étant le plus approprié) de nos ancêtres perdit du terrain au fur et à mesure de la présence arabe et de l’islamisation du Maghreb. Chez nous, elle trouva refuge dans les endroits inaccessibles pour l’administration, à savoir dans les montagnes de Kabylie, des Aurès, la vallée du Mzab, chez les tribus touareg (tamachekt), et dans certaines poches qui n’ont pu résister à l’arabisation comme les Beni Snouss (monts de Tlemcen), Cherchel,etc...
    Les grandes villes algériennes, telles Tlemcen, Medea, Miliana, Alger, Constantine etc...adoptèrent un parler populaire, la “daridja”, bien éloigné de l’arabe littéraire, celui-ci restant une langue inaccessible pour le commun des mortels réservée aux lettrés et à l’administration.
    Il va sans dire que la langue populaire a subi l’influence des occupants successifs, qu’ils soient espagnols, ottomans ou français.
    Les aèdes (XVIIe au XIXe) du Haouzi à Tlemcen, du Aroubi à Alger, du Melhoun au Maroc nous offrent un florilège de poèmes écrits en arabe populaire de haute facture.
    Si le tamazight est devenu actuellement la langue majoritaire de la vieille cité hammadite, occupant le terrain linguistique suite à la migration des habitants des régions environnantes berbérophones durant la guerre et surtout après l’indépendance pour des raisons économiques, il a bel et bien existé un “dialecte bougiote”arabe qui perd de plus en plus de terrain, encore usité dans certaines familles ou en cercle restreint.
    Il semble que Bejaia, du fait de sa situation de ville côtière ait subi l’influence des andalous bien avant la création de la cité appelée Ennassirya sous la dynastie hammadite (1066-1152). De la période allant des Beni Hammad jusqu’aux Hafsides, Bejaia fut une capitale rayonnante où se succédèrent savants de toute sorte, mathématiciens, hommes de lettres, historiens, philosophes... Après la Reconquista en 1492, une forte immigration andalouse s’installa dans la vallée des Singes et du côté de la Soummam (lesquels furent des maraîchers). Puis Bejaia subit l’occupation espagnole, turque et enfin française.
    Beaucoup de vieilles familles du haut de la ville, en particulier de Bab Ellouz, Haoumet Karamane, se réclament de leur origine arabo-andalouse ou turque. Ces familles parlaient et parlent encore le citadin“bougiote” qui est un arabe parlé ayant subi l’influence, turque (derbouz, chichma, kahouadji) espagnole ou française (tabla, blassa) avec des mélanges de mots et racines kabyles, (comme aghesmar, abertit, tazermamout etc...)
    Déjà à mon arrivée à Bejaia, je constatais que Khali Salah parlait en kabyle quand il s’adressait à son épouse, alors que tous les deux parlaient en bougiote avec leurs enfants. Khali Salah était originaire d’Imezzaiene mais sa femme était d’une famille kouroughli.
    Khalti Tata ne se trompait jamais, elle parlait en arabe bougiote à ses enfants et petits enfants, mais en kabyle à sa belle fille (qui comprenait pourtant l’arabe) dont la famille est originaire de Kendira... Khalti Tata originaire de Fenaia parlait en kabyle avec sa sœur Khalti Youya mais en arabe bougiote avec son mari qui devait être d’origine arabo-andalouse...
    Actuellement le citadin bougiote parle plutôt le Tamazight ce qui n’est qu’un juste retour aux sources. Il semble qu’on assiste à un véritable parler kabyle bougiote sur lequel les spécialistes devraient se pencher.
    Mon ami Aissou, m’expliquait déjà à l’époque que les bougiotes parlaient très mal le kabyle. Il me citait l’exemple : " anida tellit g sbah ouana nhaouess aalik". (Ou étais tu passé, je te cherche depuis ce matin)
    Je rapporterai également la fameuse expression , « Baba daghen dja » = mon père est aussi venu. La réponse moqueuse étant « yemma dtaghendjaout " qui signifie ma mère est une cuillère.
    Cheikh Sadek Bejaoui, citadin né à Bab Ellouz, apporta ses lettres de noblesse non seulement au parler bougiote, mais également au kabyle en composant de multiples poèmes dans les deux langues. Fier de sa cité Hammadite et féru de son histoire, il n’oublie pas de citer finement dans ses poèmes les savants qui ont marqué sa ville, tel Ibn Khaldoun, Ibn Hamdis, Sidi Mohand Amokrane etc..
    Ses poèmes tels "qad El mesrar" sont de toute beauté.
    La tradition féminine bougiote nous livre ses boqalates ou Djeghlilates (chants de femmes sur l’escarpolette) équivalent du hawfi tlemcenien, que les familles gardent jalousement.
    Un travail de recherche sur ces boqalates devrait intéresser les spécialistes. Mais je suis sûr que dans les commentaires nous en aurons quelques exemples.

    Dr Yama Triki
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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