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Extraits de TORTURES PAR LE PEN par Hamid Bousselham

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  • Extraits de TORTURES PAR LE PEN par Hamid Bousselham

    CHAPITRE PREMIER

    LA TORTURE


    La Nation française, occidentale et chrétienne, poursuit en Algérie depuis trois ans une entreprise de crimes contre l'humanité dont l'ampleur a déjà rempli d'horreur les peuples du monde.

    Inlassablement, caractérisés par une évidente dépravation morale et intellectuelle, les soldats et les civils français en Algérie inscrivent les pages les plus sanglantes et aussi les plus honteuses du 20ème siècle.

    L'avenir ne sera pas indulgent pour la France qui croit pouvoir retrouver sa grandeur dans l'éclatement des crânes ou dans la technique élaborée des tortures.

    L'avenir pourra aussi se demander avec une angoisse légitime les raisons qui ont dicté aux autres nations ce silence complice devant cette gangrène.

    En possession de preuves écrites, nombreuses et authentiques, nous nous devions d'apporter aujourd'hui les précisions sur cette monstrueuse création française.

    Les voici exposées dans leur tragique réalité.

    Puissent-elles ouvrir les yeux de ceux et de celles qui ne veulent pas voir et édifier l'opinion internationale.





    Les supplices ont, bien entendu, une classification allant par gradation selon leur gravité et le degré de plaisir cynique que l'on veut tirer de leurs applications.

    D'une manière générale, on a dénombré cinq grands moyens de tortures employés de façon différente.


    L'ELECTRICITE


    Cette opération délicatement raffinée présente, malgré toute son horreur, l'avantage que ses traces disparaissaient si on y apporte les soins nécessaires.
    Elle a lieur généralement la nuit.

    Le supplicié est dévêtu et couché sur une "table d'opération".

    Ses pieds et poings sont liés et un bidon d'eau est jeté sur tout le corps afin qu'il fasse "masse". A ce moment-là, le courant électrique est appliqué aux parties les plus sensibles de l'individu, homme ou femme : les oreilles, la langue, les parties génitales et les seins.

    Les souffrances de l'individu sont atroces. Quoique ligoté, il se livre à des contorsions diaboliques sous la violence du choc électrique.

    Mais pour que l'effet du courant électrique soit encore plus efficace, le corps nu est attaché au mur, les pieds baignant dans une bassine d'eau. Le courant électrique est alors promené à travers tout le corps.

    Ou bien le corps nu est attaché sur une échelle métallique, baignant dans la bassine d'eau et le courant électrique est également passé dans tout le corps, traitement spécialement appliqué aux jeunes filles à la villa "Susini".

    Ou bien encore le corps nu est placé dans une ogive, poings et pieds liés, ces derniers baignant dans l'eau. L' "opérateur", isolé par des gants de caoutchouc et des sabots de bois, fait passer le courant électrique à l'aide d'un long crayon en métal pointu qu'il enfonce dans la chair (P.C. d'El-Biar). Cette opération laisse parfois des traces pendant plus de 20 jours.

    Le dernier moyen utilisé pour torturer à l'électricité, consiste à plonger carrément l'individu dans une baignoire pleine d'eau, la tête émergeant seulement. Le courant électrique est mis dans l'eau même, ce qui a pour effet de noyer effectivement l'individu dans un "bain électrique".

    Cette opération est de loin la plus atroce et la plus terrible de toutes celles à l'électricité, employées par les "paras".

    Les "bérets verts" dénomment "télévision", la torture électrique, les "bérets rouges", qui ont employé les génératrices dans les domiciles mêmes, l'appellent "Gégène" ou bien le "Loup" si l'appareil est plus puissant.

    Il convient d'ajouter que les suppliciés, après avoir subi les tortures, sont rarement relâchés immédiatement après, les "opérateurs" prennent auparavant la précaution de "soigner" les traces afin que le supplicié ait une apparence saine.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    L'EAU


    Nous pouvons classer les tortures par l'eau, par trois grandes catégories :

    A- L'injection de l'eau par la bouche : Cette opération consiste à introduire de l'eau dans le ventre du supplicié par injection forcée en plaçant, soit :
    1) Un entonnoir dans la bouche jusqu'à enflement démesuré du ventre. Si le supplicié refuse de "boire", le moyen le plus simple employé pour l'y obliger, consiste à lui pincer les narines. Le supplicié, pour ne pas suffoquer par manque d'air, laisse alors "couler l'eau".

    Quand le ventre est suffisamment ballonné, un "volontaire" se lance à pieds joints sur le ventre du supplicié, ce qui a pour effet de faire éjecter l'eau par la bouche et l'anus.

    2) On emploie aussi un autre système qui consiste à placer un tuyau dans la bouche du supplicié et à le relier directement à une fontaine. Quand le ventre de la victime est suffisamment gonflé, le même moyen que précédemment est employé pour faire évacuer l'eau.

    B- La baignoire : Le supplice de la "baignoire" est différemment appliqué suivant le raffinement ou le cynisme de ceux qui l'emploient.

    1) A la villa "Gras" des Bains-Romains, dans la banlieue d'Alger, le supplicié est mis à nu, en pleine nuit, quand il fait bien froid. Il est alors plongé dans baignoire pleine d'eau, la tête immergée est maintenue dans une position jusqu'à étouffement.

    2) A la villa "Susini", où ce supplice est notamment réservé aux jeunes filles, le corps nu est placé dans un sac puis plongé dans la baignoire jusqu'à aveu ou épuisement complet.

    3) Une autre méthode est encore appliquée dans cette villa, horriblement célèbre, qui consiste à passer un bâton sous les genoux de victime accroupie et, les bras passés sous ce bâton, les mains réunies par delà, les genoux sont ligotés. Elle est ensuite placée sur la baignoire, les extrémités du bâton reposant sur les bords et formant un axe de rotation. Si la victime refuse de passer aux aveux, par un système de bascule, la tête est plongée dans un liquide visqueux et infect stagnant au fond de la baignoire.

    C- Le saucisson : A la "Grande Terrasse" des Deux-Moulins, les corps est attaché comme un saucisson et descendu à l'aide d'une poulie du premier étage du cabanon à la mer, la tête vers le bas. Pendant plusieurs secondes, qui paraissent des siècles, le supplicié reste immergé. Il est remonté ensuite grelottant et à demi inconscient pour un nouvel interrogatoire. Cette opération est répétée jusqu'à aveu, épuisement ou mort.

    LE FEU


    A- Torse nu, la victime est attachée, assise à une chaise ; le "para" qui l'interroge lui jette alors des bouffées de fumée de tabac aux yeux, puis il éteint la cigarette sur sa poitrine ou ses seins.

    B- La victime est attachée sur une "table d'opération", torse nu, son corps est alors imbibé d'essence et l'"opérateur" y met calmement le feu. Les brûlures provoquées par ce supplice atteignent le deuxième degré et parfois même un degré supérieur. Dans ce cas, les victimes sont traitées médicalement avant d'être relâchées.

    C- Un autre moyen consiste à attacher les mains derrière le dos, puis des allumettes enflammées sont placées aux extrémités des doigts pour brûler les ongles. La douleur qui en résulte est tellement atroce qu'on ne peut la décrire.

    D- Les pieds et jambes nus, une bougie allumée est placée au-dessous jusqu'à extinction de la flamme. Certaines victimes présentent de vrais trous sous la plante des pieds.

    E- La flamme d'un chalumeau est approchée de la poitrine, des bras et des orteils pour les brûler.


    LE FER


    A- Torse nu, la victime est placée sur une chaise. Le préposé au supplice "mord" le dos, les seins, les lèvres... et entaille parfois le corps en enlevant des petits morceaux de chair à l'aide des tenailles.
    B- Les mains placées à plat sur le sol, servent d'enclumes au dos des poignards ou des manches de haches.
    C- A l'aide d'un couteau pointu et aiguisé, le "para" creuse des "boutonnières" sur différentes parties du corps avec scarification au poignard puis frottement des plaies au gros sel.

    LA CORDE


    A- Le sac : Le supplice appelé ainsi consiste à attacher ensemble les pieds et poings de la victime et à les réunir par une corde, à l'image d'un mouton auquel on aurait ligoté les quatre pattes. La victime est alors hissée à l'aide d'une poulie vers le plafond, la tête et le dos tournés vers le sol, puis elle est relâchée brusquement. Elle choit comme un sac et s'écrase. L'opération est recommencée autant de fois qu'il est nécessaire pour amener le supplicié à un aveu, même mensonger, ou à une dénonciation calomnieuse. S'il résiste et se tait, il meurt victime de son mutisme et de la furie de ses tortionnaires.

    B- L'étranglement par le cou : Le supplicié est attaché solidement à une chaise, dans la position assise, une cordelette est nouée à son cou. Deux tortionnaires tirent les bouts de la cordelette et enserrent le cou par une strangulation progressive, qui va jusqu'à l'étouffement ou la mort.

    C- L'attachement au sol : Mis en croix et écartelé, le prisonnier est fixé au sol humide et froid des grottes du Ravin de la Femme-Sauvage (banlieue d'Alger), les pieds et mains attachés à des piquets enfoncés dans la terre. Le prisonnier est ainsi laissé plusieurs jours dans l'obscurité complète et l'isolement absolu. La plupart de ceux qui ont subi ce supplice sont devenus fous.

    Spécialités des lieux de torture

    Si, dans différents lieux de torture, on applique, en général, la plupart des supplices, certains "laboratoires" se sont spécialisés dans leurs raffinemen
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

    Commentaire


    • #3
      A la villa "Susini" , par exemple, les tortionnaires font manger des excréments à leurs victimes.

      Au "Haouch Altairac", au lieu dit les "Trois Caves", on laisse les prisonniers debout sous la pluie pendant des heures.

      Au "Stade municipal d'Alger", les "suspects" sont plongés habillés dans la piscine, la nuit, et une fois retirés, laissés dans leurs vêtements mouillés.

      Au poste de Commandement du Général Massu, à El-Biar, on immobilise le suspect en l'attachant à une "table d'opération" et en lui frottant les plaies avec du gros sel.

      Un autre spécialité de ce P.C consiste à faire jouer au suspect un rôle de "hamac", en l'attachant par les pieds et mains ; un "volontaire" se couche alors sur la victime suspendue dans le vide.

      Des "suspects" ayant subi ce supplice se trouvent actuellement au camp de concentration de Paul-Cazelles, les mains paralysées.

      Les supplices psychologiques

      Ils ont pour but de créer et de maintenir dans la population un climat de terreur constante et définitive.

      Afin de semer la crainte, la peur et la torture morale, les méthodes d'arrestations se font dans une atmosphère d'épouvante telle, que les témoins en restent marqués tout le reste de leur vie.

      Les cas constatés, de folie à divers degrés, d'accouchements avant terme, des crises de dépression nerveuse, des morts à la suite d'une crise cardiaque ne se comptent plus.

      Les arrestations se font surtout la nuit, de minuit à quatre heures du matin.

      Pendant le couvre-feu, dans les ruelles sombres et désertes de la Casbah, on entend d'abord, avec épouvante, l'évolution bruyante de la meute des "paras", manches retroussées évoquant les boucher des abattoirs, et le cliquetis de leurs armes, diverses et nombreuses : chapelets de grenades, baïonnettes effilées au canon, mitraillettes, revolvers, etc.

      Les habitants de la Casbah ne dorment plus, toujours hantés par les coups de crosse sur la porte de leur maison. Ils savent bien pourquoi ils sont venus. Ils savent que ni les hommes, ni les femmes, ni les enfants n'échapperont aux tortures. Ils savent encore que les "paras" apportent avec eux le "Loup" ou la "Gégène", et que peut-être ils assisteront au supplice de leurs enfants dans la cour intérieure de leur maison. Ils savent enfin que ceux qui repartiront, tout à l'heure, emmenés par les "paras", n'ont pas beaucoup de chance à revenir.

      Mais, sachant tout cela, aux premiers coups de crosse à la porte d'entrée, ils ouvrent quand même, car sans cela, les représailles seraient plus terribles encore et collectives.

      Souvent aussi, sans attendre, les "paras" défoncent portes et fenêtres et envahissent les maisons de toutes parts, par les terrasses et par la rue. Les femmes et les enfants, qui dorment encore, ne sont pas épargnés. Tout le monde est mis debout et alors, comme dans un cauchemar, on assiste avec horreur et épouvante à l' "opération".

      On ne leur laisse pas le temps de s'habiller, nus, hébétés, les yeux gonflés par le manque de sommeil. Rien n'est plus poignant que le spectacle de cette scène où l'on voit, d'un côté, les membres d'une famille, surpris au milieu de la nuit, affolés, pleurant, tremblant de peur, et de l'autre, une horde de soldats, se livrant, à la lumière blafarde d'une lampe à pétrole, à des supplices atroces.

      Les coups de crosse, les coups de poings, les injures sont distribués à tour de bras aux hommes qui n'osent plus protester, et les gifles, les bousculades, quand ce ne sont pas les tortures, ne sont pas épargnées aux femmes et aux enfants.

      Que de personnes, enlevées dans de telles conditions, n'ont jamais réapparu. Dans des camions bâchés, elles sont emmenées vers des destinations inconnues, que personne peut-être, ne saura jamais.

      Les laboratoires et les camps de concentration


      On ne peut, pour terminer cet exposé, passer sous silence, l'énumération des principaux centres de tortures appelés "laboratoires".

      La plus importante est la zaréah.
      Là, des bâtiments ont été spécialement aménagés pour cette singulière destination, avec un soin particulier et aux frais, bien entendu, du budget de l'Algérie, auquel ils ont certainement coûté plusieurs dizaines de millions.

      Par une étrange ironie du sort, le chef de la DST est le fameux Ceccaldi-Raynaud, secrétaire général de la Fédération algéroise de la SFIO, et auteur d'une lettre à M. Guy Mollet, lettre qui fit beaucoup de bruit dans certains journaux. C'est la nature de ces singulières fonctions qui expliquent la précision des faits contenus dans la lettre, faits se rapportant précisément aux tortures. Lorsque le bourreau se fait chroniqueur ou journaliste, on peut, pour le moins, avoir toutes les raisons de croire à la triste réalité des détails qu'il rapporte.

      Au moment où tous les pouvoirs ont été confiés au Général Massu dans le cadre du "Grand Alger", la DST, qui possède un grand nombre d'indicateurs, a mis à la disposition du général tous ses inspecteurs qui se sont, pour l'occasion, déguisés en "paras" pour des raisons de sécurité personnelle faciles à comprendre. Et c'est ainsi que les inspecteurs de la DST se sont avérés des maîtres d'art dans le raffinement des tortures. Parmi les lieux de torture les plus connus, nous pouvons citer :

       Le centre du "tri" de Ben-Aknoun
       L'Amirauté
       La Caserne Chanzy
       Les Ecoles d'El-Biar, de la Redoute, de Diar-Es-Saâda
       Les Casernes du 27e Train – du 19e Génie – des Transmissions
       La Villa "Susini", ancien consulat allemand
       La Villa "Esso" au Boulevard Gallieni
       Le "Stade municipal".
       Une villa, au 51, Boulevard bru.
       Les Abris du "Ravin de la Femme-Sauvage".
       Le "Parc d'Hydra".
       La ferme Perrin de Birkhadem (dans laquelle Me Boumendjel a été torturé pendant plus de quinze jours).
       La ferme des "Quatre-Chemins".
       Le "Haouch d'Altairac" de Maison-Carrée,
       La ferme "Bernabé" de Fondouk,
       La caserne RTS du Musée Franchet-d'Esperay,
       La "Grande-Terrasse" des Deux-Moulins,
       La villa "Gras" des Bains-Romains.

      Et enfin les centres plus éloignés de Zeralda, Maison-Blanche et Draria.

      Cette énumération est évidemment incomplète. Elle ne comprend pas les centres de moindre importance qui se trouvent en plus grand nombre.

      Quand les suppliciés ont la chance de sortir vivants des "laboratoires", ils sont dirigés vers des camps de concentration qui atteignent, selon un chiffre officiel, le nombre de deux cents, disséminés à travers l'Algérie.
      The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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      • #4
        El-Moudjahid, N° 8, 5 août 1957


        *

        Le 25 décembre 1958, la presse et les différents postes français de radiodiffusion reconnaissaient l'existence en Algérie de cent douze centres militaires de triage des suspects et onze centres d'internement, sans parler des prisons, ni des camps d'assignation à résidence qui sont installés, de notoriété publique, dans la métropole. Selon des chiffres approximatifs, cent mille hommes, femmes et enfants ont été ou sont encore internés en Algérie. Encore ces chiffres ne comprennent-ils pas tous ceux qui purgent par milliers, des condamnations "en bonne et due forme", dans les prisons, les bagnes et les centres pénitentiaires surpeuplés.


        CHAPITRE II

        LE MARTYRE DES FEMMES ALGERIENNES


        Les femmes seront spécialement protégées contre toute atteinte à leur honneur, et notamment contre le viol, la contrainte à la prostitution, et tout attentat à la pudeur.


        Convention de Genève, article 27, alinéa 2


        "C'était au cours de l'été 1956. Nous avions une voisine enceinte. J'étais chez elle, lorsque, au cours d'un ratissage, des soldats français ont fait irruption dans la maison. J'ai pu me cacher, mais j'ai vu toute la scène... Ils ont pris la femme et lui ont ouvert le ventre. Ils arrachèrent alors le fœtus et s'amusèrent avec, comme avec une balle. Ils le lançaient de l'un à l'autre : "Voici ce qu'on fait avec un Arabe, un sale Arabe", disaient-ils. J'ai tout vu de mes propres yeux. Je n'avais pas encore quinze ans."

        Journal d'une maquisarde, paru dans El-Moudjahid N° 46, 20 juillet 1959


        Aujourd'hui, bien que condamnée à mort, puis grâciée, devant l'émotion suscitée dans le monde entier par ses révélations, Djamila Bouhired séjourne encore dans les prisons des "civilisés". Récemment, pour protester contre de mauvais traitements, elle s'est signalée par une grève de la faim ; et le martyre des Algériennes continue.
        Plus de vingt jeunes filles ont été arrêtées en un seul jour à Alger, et cent femmes croupissent, près de Zeralda, au camp de Tefeschoun. Parmi elles, l'une âgée de quatre vingt-cinq ans, a vu son fils tué par les parachutistes. Sa fille et sa belle-fille sont en prison...


        Résistance algérienne, N° 36, 13 au 20 juillet 1957
        Arnaud-Vergès – Pour Djamila Bouhired




        CHAPITRE III

        MON PASSAGE CHEZ LES PARACHUTISTES


        Au terme de la grève de huit jours décidée par le FLN, c'est-à-dire le lundi 4 février 1957, j'ai été arrêté chez moi par les parachutistes du colonel Bigeard (bérets rouges). Un officier, deux soldats et un inspecteur de la DST m'arrachèrent du lit et me projetèrent dans la rue. On me banda les yeux devant ma femme et mes enfants.

        On m'entraîna jusqu'à une voiture stationnée non loin de là. Un soldat s'assit sur moi et la voiture roula en direction de la Bouzaréa . En cours de route, mon bandeau se détacha et je remarquai des buissons et des arbres projetant sur le sol une ombre sinistre. La voiture ralentit puis s'arrêta bientôt. On me fit descendre et on me lia les poignets derrière le dos. Un soldat ouvrit enfin la bouche pour demander : "Alors, sergent ?" –Assomme-le !..... répondit celui-ci. Le sbire s'acharna sur moi à coups de crosse de revolver à la tête. La douleur me fit pousser quelques cris, le sang me coulait à flots sur le visage et m'aveuglait ; j'eus le cuir chevelu fendu en plusieurs endroits. Je commençai à faiblir ; soudain, un bruit de pas, puis une ombre et un ordre : "Jetez-le dans la "Dodge" et au PC !" (Le PC du colonel Bigeard). Nous ne tardâmes pas à y arriver. On me fit descendre et on m'entraîna dans une petite cour. Là, on m'enleva souliers et chaussettes, on me fit mettre à quatre pattes et on me jeta dans une sorte de cage construite sous des escaliers ; je tombai sur des corps humains et demandai : "Qui est là ?" Une voix faible me répondit : "Des frères !". Nous étions neuf, dont la plupart de mon quartier. Nous étions entassés les uns sur les autres. Dehors, un poste de radio lançait des notes gaies, des soldats sifflaient des airs connus, des rires fusaient.

        Le jour se leva maussade, triste. J'allais bientôt prendre contact avec les agents chargés de nous "pacifier", nous qui n'avons jamais cessé de clamer notre qualité d'Algériens et notre amour pour l'Algérie. Tout à coup, quelqu'un du dehors m'appela. La couverture qui voilait l'entrée se souleva ; un soldat à face de brute me mit un capuchon en caoutchouc qui me couvrit entièrement la tête et, me poussant devant lui, me fit entrer dans une salle. Il me fit asseoir dans une sorte de fauteuil en fer, il m'attacha chaque main et chaque pied à chaque bras et à chaque pied du fauteuil. Il me mit une pince (électrode) à chaque oreille et s'écarta.

        Une voix s'éleva et me parla ainsi :

        - Tu es entre les mains des parachutistes du colonel Bigeard. Nous ne sommes pas des hommes, nous sommes des fauves. Tiens, sens ça ! Une violente décharge électrique me secoua tout le corps, de terribles coups de marteau me battaient les tempes ; la décharge se prolongea, le fauteuil tournoya et je roulai sur le sol. La bave me coulait abondamment, j'eus des visions : une salle d'hôpital, des infirmières vêtues de blanc. On me releva et, après m'avoir fortement secoué, on me remit à ma place. La même voix se fit entendre de nouveau : "Tu vas te mettre à table et tu me raconteras tout ce que tu sais, sinon je recommencerai autant de fois qu'il le faudra pour te délier la langue.". Une nouvelle décharge, violente mais courte, me secoua. Il continua : "Tu es un chef FLN et tu as menacé de mort un commerçant d'Air France qui a refusé de te donner de l'argent."
        - Ce n'est pas vrai. Je n'ai menacé personne.

        Décharges d'électricité, violentes, courtes, mais répétées. Epuisé, je m'évanouis un moment. Tout s'arrêta. Quand je revins à moi, le soldat m'enleva le pantalon et me mit une électrode aux parties : c'était absolument effrayant et la douleur que j'ai ressentie fut terrible. L'opération fut répétée plusieurs fois, et c'est dans cet état d'inconscience que l'on me ramena dans ma la cage. Je m'endormis, mais deux heures après environ, on vint me chercher. On me fit entrer de nouveau dans la salle de torture, après m'avoir, au préalable, remis la cagoule. On me replaça dans les mêmes conditions que précédemment. Puis une voix se mit à hurler :
        - Alors, c'est lui, tu le reconnais ?
        Une autre voix bien connue de moi répondit :
        - Oui, mon lieutenant, c'est lui, je le reconnais ; il est venu dans mon
        magasin et il m'a dit : " Tu aides ou tu n'aides pas ? " Je lui ai répondu : "Tu es du Front et moi je suis du MNA. Chacun aide son parti."
        Alors dans un cri de colère, j'ai dit en arabe :
        - Tu n'as pas honte, Si Larbi....
        Une violente décharge d'électricité me ferma la bouche et me renversa tandis que l'officier me fit remarquer :
        - Parle en français !
        Et il me demanda :
        - Tu le connais ?
        - C'est Larbi, le boucher d'Air de France.
        On me fit entrer dans une seconde pièce dont le sol était mouillé et sale. Un tuyau en spirale branché à un robinet, des savates usées dans un coin et enfin un paquet informe de toile de sac traînant dans l'eau. L'officier me regarda longuement puis me dit :
        - Tu vas parler ou je vais te gonfler d'eau.
        On me jeta par terre et on me lia les pieds et les mains, puis on m'appliqua la toile de sac sur la figure et on ouvrit le robinet. L'eau coulait le long de mon corps et une partie pénétrait dans mon ventre par la bouche et les narines qui me brûlaient. A faibles intervalles, on soulevait et on remettait la toile de sac. Lorsque je fus complètement épuisé, on me renversa sur le ventre et j'ai renvoyé une bonne partie de l'eau avalée. J'entendis comme dans un rêve : "Il en a assez pour l'instant, emmenez-le dans la cour, derrière le grillage". On me traîna dans un coin de la cour, derrière un grillage où je fus étendu au soleil ; le soleil quoique pâle me fit du bien, je rejetai de l'eau par la bouche et par l'anus.
        Vers 17 heures, on vint me chercher pour m'interroger encore : de l'électricité, toujours de l'électricité.....

        *

        Je venais de m'endormir, lorsqu'on vint me chercher. Il était 22h 30 environ. On me fit monter dans une jeep découverte et nous voilà partis vers une destination inconnue. Cela dura dix minutes qui me parurent un siècle. Nous nous arrêtâmes en plein centre d'El-Biar dans la cour d'un immeuble et je poussai alors un profond soupir de soulagement ; j'eus cette pensée : "Non, ce n'est pas demain qu'on lira dans les journaux que je me suis suicidé dans ma cellule ou que j'ai tenté de m'enfuir. " On me fit monter dans une salle au deuxième étage. Une très longue table derrière laquelle se tenaient un capitaine, deux lieutenants et deux sous-lieutenants ; un sergent et un soldat se tenaient près d'un gros appareil de forme cylindrique monté sur trépied : la "Gégène".
        Le capitaine me dit alors :
        - Tu es un chef FLN, tes chefs de cellule sont pris ; tu refuses de
        parler et tu nous obliges à employer les grands moyens... Sergent, mettez-lui les bracelets !
        Le sous-officier se leva, prit deux fils électriques, branchés à la "Gégène" et enroula les extrémités autour de mes poignets. Sur un signe, le soldat se mit à tourner une manivelle : c'était atroce, insupportable. Le courant d'abord faible devenait de plus en plus intense au fur et à mesure que la vitesse de rotation augmentait. J'ai cru que mes mains s'étaient détachées du reste de mon corps. Epuisé, je me suis abattu sur le sol. Cette première séance se prolongea longtemps.
        - Alors, vas-tu parler ?
        - .......
        - Bon, tu l'auras voulu, sergent, les boucles d'oreilles !
        On délia les fils électriques de mes poignets et on les enroula autour de mes oreilles. La manivelle se remit à tourner de plus en plus vite. J'ai cru que ma tête allait éclater ; mes oreilles bourdonnaient.
        La journée se passa calme et sans surprise aucune. Tout l'immeuble était plein de détenus de tous âges et de toutes conditions sociales ; de l'élève de l'école primaire (treize ans) au vieillard de soixante-dix ans, du paysan au pharmacien et à l'avocat. Dans le couloir, les sentinelles armées de mitraillettes faisaient régner un profond silence ; on entendait que le bruit de leurs godasses résonner sur le carrelage. Une boite de pilchards pour trois et une boule de pain pour six, pour deux repas. Je n'avais nullement faim, je ne recherchais que de l'eau, de l'eau à tout instant car j'étais complètement déshydraté. Lorsque le soir tombait et que les postes de radio se mettaient à faire grand bruit, on savait que les séances de torture allaient bientôt reprendre. Il ne fallait pas qu'on entendît de la rue les cris des victimes.
        Une atmosphère lourde, étouffante gagnait toutes les salles et l'appréhension s'installait dans tous les cœurs ; chacun attendait son tour.
        Soudain, des pas martelèrent le couloir et j'entendis mon nom jeté dans le silence de la nuit. Je me levai péniblement et gagnai le couloir. Au deuxième étage, on m'engouffra dans la salle des tortures. Toujours les mêmes acteurs mais les instruments de la veille avaient disparu, remplacés par d'autres : une grande baignoire en zinc remplie aux trois quarts d'eau, une planche d'environ 20 cm de large et 1,80 m de long et une solide et longue corde de chanvre.
        Sur un signe, le sergent s'avança et me poussa violemment : ma tête cogna contre le mur. Puis, aidé d'un lieutenant, il m'attacha solidement contre la planche, dans le sens de la longueur, des pieds jusqu'aux épaules. Les deux tortionnaires saisirent la planche et la retournèrent. J'étais dans une position horizontale, la face tournée vers le sol. On me plongea la tête dans la baignoire jusqu'aux épaules. De grosses bulles d'air sortaient de ma bouche ; j'ai essayé de me débattre. Mon bras droit me fit mal. Je perdis bientôt connaissance. On me retira de l'eau et on adossa contre le mur la planche sur laquelle j'étais attaché. Ayant bougé, la planche glissa et je tombai de tout mon long sur le sol, la plaie de ma tête se rouvrit et le sang coula : j'étais sauvé pour la nuit. Un jeune soldat compatissant m'apporta, d'une pièce voisine, un sac en bon état. Je me déshabillé et enfilai le sac. Je m'allongeai sur la paille et sombrai rapidement dans un profond sommeil. Le lendemain matin, vers 10 heures, un jeune soldat vint me réveiller et me dit :
        - Lève-toi et suis-moi.
        Ne pouvant bouger, il m'aida à me lever et, me tenant par le bras, il m'entraîna au deuxième étage, à la salle de torture. De l'autre côté de la table, un adjudant assis ; au milieu de la salle, le fameux sergent debout, le regard plus féroce que jamais. Il s'approcha de moi et me dit :
        - J'ai travaillé dans un cirque, j'ai fait la lutte avec les ours, tu
        parles ou tu ne parles pas !
        The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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        • #5
          Et il s'animait de plus en plus ; il approchait et éloignait de mon ventre son terrible poing. Puis, n'y tenant plus, il me porta un coup d'une rare violence. J'en eus le souffle coupé et je tombai inanimé, sur le sol. Quand je m'éveillai, j'étais étendu sur la paille de la cellule dans un état que je n'ose pas décrire. Complètement épuisé et incapable de bouger, je ne pouvais manger et ne demandai que de l'eau. La sentinelle ameuta les officiers. Un lieutenant vint et, de la porte, m'observa longuement et s'en alla. Un officier médecin et un infirmier me rendirent visite ; le praticien m'ausculta avec attention. La chair de mes cuisses, de mes pieds et de mes oreilles se fendait, le sang ne coulait pas et les plaies ne me faisaient pas mal. En revanche, le sang me coulait par l'anus.

          *
          Le médecin fit la moue et alla trouver le capitaine qui me fit acheter des médicaments. Les autres frères détenus me prodiguèrent des encouragements du mieux qu'ils purent et me soignèrent avec dévouement.
          J'ai mis longtemps pour me rétablir. Durant cette période de maladie, on me laissa en paix. Un matin, on me fit descendre au deuxième étage et on me fit entrer dans une pièce où il y avait plusieurs détenus. Nous étions en tout dix-huit. Cette pièce s'ouvrait face à la salle de torture. Nous entendîmes clairement les tortionnaires et les gémissements de jeunes patriotes : nous subissions un véritable supplice moral.
          Une nuit vers 22 h 30, un sergent se présenta dans notre cellule et cria :
          - Foudal Ali, lève-toi, on va t'emmener au camp.
          Le détenu demanda, soupçonneux, :
          - Je peux emmener ma couverture ?
          - Si tu veux, répondit le sergent.
          On l'emmena.
          Le lendemain, une indiscrétion nous permet d'apprendre "qu'il avait tenté de s'enfuir".
          A la tombée de la nuit, le même sergent vint chercher le frère Mohammed Senane Dheb. Il devait lui aussi "tenter de s'enfuir".

          *

          Un après-midi, on vint m'appeler et on m'emmena dans une sorte de réduit faiblement éclairé. On me fit raser la barbe, puis on m'attacha solidement les bras le long du corps, j'étais ficelé. On me fit monter dans une jeep. A mes côtés, il y avait un chien policier et un soldat armé d'une mitraillette. Il était près de 15 heures quand on me fit traverser El-Biar. On m'emmena au PC du colonel Bigeard pour une conférence de presse. Quand on me fit descendre de voiture, j'ai commencé à faiblir, le sang circulait difficilement ; j'allais tomber quand un soldat me saisit et me gifla à plusieurs reprises en disant :
          - Tu veux faire le malin avec moi, ça ne prend pas. Mais il relâcha
          quand même la corde, et je me sentis mieux. Enfin, les journalistes arrivèrent en très grand nombre. Ils furent admis dans le grand salon qui se remplit rapidement. On me fit entrer le dernier, toujours ficelé avec, derrière moi, le chien policier et la sentinelle. Le colonel Bigeard ouvrit la bouche pour dire :
          - Vous avez devant vous, Messieurs, un chef FLN. Je vais vous lire le
          rapport qui a été dressé à la suite de son interrogatoire et vous pourrez ensuite lui poser des questions.
          On me demanda où j'avais fait mes études, si j'avais fait la guerre, où j'avais été arrêté et si j'étais encore en exercice. Les journalistes ne purent me prendre en photo, vu l'état dans lequel je me trouvai.


          Témoignage de Tahar Oussedik, Instituteur à Alger, 13 juin 1958



          CHAPITRE IX

          RESCAPE DES CAMPS DE TORTURE


          Dans les premiers jours de mars 1957, les parachutistes m'arrêtent à mon domicile.
          A bord de la voiture militaire qui m'emmène, l'un des gardiens, remarquant les objets de quelque valeur que je porte sur moi, s'adresse à son compagnon : "Et celui-là, il y passe ou pas ?", soulignant son propos d'un geste significatif de l'index qu'il promène sur sa gorge comme pour la trancher. Sur la réponse affirmative du chef de convoi, les deux militaires me dépouillent de ma montre, d'une somme de soixante mille francs, de ma cravate, de mes boutons de manchettes et de mes cigarettes.

          Je devais apprendre plus tard par mes codétenus que tout suspect sur qui pèsent des présomptions assez lourdes a de grandes chances de ne plus sortir vivant de la ferme Perrin. C'est ce que signifiait le geste explicite du parachutiste portant sa main à son cou. Et les militaires qui ont la "chance" d'arrêter un pareil suspect lui prennent tout ce qui peut présenter une certaine valeur. Que ce soit le parachutiste qui arrête le suspect, celui qui le convoie jusqu'à la ferme, ou celui qui le garde durant son séjour, tous tentent de lui subtiliser ce qu'il possède.
          Le "Haouch Perrin", comme on l'appelle dans le village, est situé aux environs de Birkadem (Banlieue d'Alger) sur la route de Saoula, à deux kilomètres du carrefour des routes de Blida-Alger et Saoula. C'est une ferme typique de colon algérien avec un bâtiment central. Des locaux en maçonnerie, destinés à la préparation et à la conservation du vin, flanquent de part et d'autre ce bâtiment. Derrière se trouve un bosquet. Le tout est noyé dans d'immenses étendues de vignes.
          Dès leur arrivée, les suspects, généralement amenés dans une remorque hermétiquement fermée par une bâche, sont parqués dans un espace découvert entouré de barbelés et gardé par plusieurs parachutistes, mitraillette au poing. Deux ou trois jours, plus tard, l'interrogatoire commence. Les suspects sont alors enfermés dans l'une des quinze cuves à vin. En ce qui me concerne, jugeant sans doute mon cas trop grave, on m'enferme immédiatement dans une cuve.

          *

          Les cuves à vin sont de petites bâtisses en briques d'une superficie de deux à trois mètres carrés, avec pour seule ouverture un trou de soixante à soixante-dix centimètres de diamètre dans la partie inférieure. C'est par ce trou qu'on accède à la cuve. Etant de taille moyenne, je parvenais difficilement à y pénétrer. Certains détenus corpulents ne pouvaient se glisser par ce trou. Les parachutistes ouvraient alors la dalle supérieure formant toit et les descendaient au bout d'une corde passée sous les aisselles. Chaque cuve contenait six ou sept personnes. L'exiguïté du lieu ne permettait pas aux détenus de s'allonger et les obligeait à rester constamment accroupis. C'est ainsi que je suis resté près de vingt-cinq jours dans cette position, ne la quittant que pour me rendre aux interrogatoires qu'accompagnaient invariablement les supplices.
          Parfois, selon l'humeur d'un des gardiens ou lorsque les parachutistes étaient mécontents des dépositions des détenus, l'ouverture était obstruée par un sac. Plusieurs morts furent ainsi provoquées par asphyxie. C'est également par cette même ouverture que nos gardiens nous glissaient quelques restes de leurs repas. Lorsqu'ils y pensaient.

          *


          Une quarantaine de parachutistes fixés à la ferme avaient pour rôle essentiel l'interrogatoire des suspects et leur surveillance. D'autres, dont je n'ai pu déterminer le nombre, étaient spécialement chargés de faire les rondes et de procéder aux arrestations. Je remarquais parmi eux beaucoup d'étrangers et un grand nombre de Français d'Algérie. Malgré les précautions que ceux-ci prenaient pour dissimuler leur origine et leur identité – ils s'interpellaient tous par de faux prénoms – beaucoup étaient trahis par leur accent spécifique du faubourg de Bab-El-Oued. D'autres étaient pour moi des visages connus, que j'avais eu l'occasion de rencontrer quelque part en ville. Le "patron" qui sévissait sur ces lieux, un lieutenant que ses hommes appelaient "Pierrot", était précisément un Français d'Algérie.
          Deux, trois ou quatre fois par jour, le suspect est soumis à l'interrogatoire. Selon sa résistance physique et celle de ceux qui le questionnent, la séance peut durer une demi-heure ou se poursuivre durant trois heures. Mené exclusivement par les parachutistes, l'interrogatoire se fait fréquemment en présence des gendarmes, des agents de la DST ou de ceux du deuxième bureau.
          Le suspect, extrait de sa cuve, est conduit dans le petit bois derrière le bâtiment principal. Là, quelques sacs étendus entre les arbres délimitent le lieu des tortures, qui se font ainsi en plein air le jour, à la belle étoile la nuit. Des cordes pendent aux branches des arbres. Au bout de ces cordes se balancent des détenus ficelés, les quatre membres ramenés vers le dos et réunis. Certains prisonniers sont demeurés deux à trois jours dans cette position. Tout l'attirail désormais classique des salles de torture françaises se retrouve ici : un petit moteur générateur de courant électrique, un bac remplaçant la traditionnelle baignoire, des tuyaux d'eau, des gourdins, des rabots (dont nous verrons tout à l'heure l'utilisation), de longues épingles que l'on enfonce sous les ongles, lorsque d'autres moyens se révèlent insuffisamment efficaces.
          Parvenu dans cette enceinte, le suspect est complètement dévêtu. L'interrogatoire commence. Dès la moindre hésitation ou dénégation, la victime subit une première séance d'électricité suivie généralement de la "question" à l'eau. Ces procédés sont trop connus pour qu'il soit nécessaire de les décrire ici.
          Parfois le détenu, auquel on aura préalablement placé un bandeau sur les yeux, sert en quelque sorte de ballon de football aux militaires chaussés de gros souliers ferrés. Le "jeu" continue même lorsque la victime épuisée tombe à terre. C'est ainsi que plusieurs Algériens sont morts d'un éclatement de foie ou de la vessie.
          Le feu est également un supplice courant. L'on arrose d'essence une partie bien délimitée du corps de la victime, un pied ou une main, par exemple, que l'on flambe. On emploie aussi la sonde électrique, qui provoque une brûlure intolérable. Les femmes qui sont passées par le "Haouch Perrin" ont toutes été ainsi mutilées.
          Dernière modification par nacer-eddine06, 01 septembre 2018, 22h17.
          The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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          • #6
            Mais la "spécialité" de la ferme Perrin est le rabotage. La victime est solidement attachée sur une table servant d'établi. On lui laboure alors une cuisse, un bras, ou le dos avec un rabot, exactement comme on racle une planche. Parfois pour s'amuser, les parachutistes saupoudrent les plaies de sel fin.
            Lorsque le détenu est évanoui, on le réveille à grands seaux d'eau froide et on l'oblige à courir. Il doit faire plusieurs fois le tour du bâtiment en tirant une remorque.
            Le plus souvent, la victime exténuée, que l'on tient à conserver vivante, est renvoyée dans sa cuve. Elle se trouve alors dans un état d'abrutissement tel qu'il lui est assez difficile de se faufiler par l'étroite ouverture de la cuve. Le parachutiste de garde l'"aide" alors à y pénétrer en lui piquant les fesses de son poignard.
            J'ai dit plus haut que nous étions enfermés à six ou sept par cuve. Toutefois, lorsque l'un d'entre nous paraissait aux yeux de nos geôliers détenir un secret important, il était complètement isolé dans une cuve. C'est ainsi que j'ai pu apercevoir, dans ces cuves individuelles, certains intellectuels algériens que je connaissais. Ceux-ci ont subi exactement les mêmes sévices que les autres détenus. Nous avons appris qu'on leur avait inoculé un produit spécial qui, aux dires de l'un de nos gardiens, était le sérum de la vérité . La victime devenait comme folle, elle parlait seule des heures entières et des sujets les plus incohérents. Ce délire, bien entendu, ne faisait qu'aggraver son cas en la rendant encore plus suspecte.
            A ce régime, le détenu s'effondre rapidement. Ce n'est plus qu'une loque humaine inutile parce que n'ayant rien à révéler. De plus, l'éventualité de son retour à la liberté qui s'accompagnerait de témoignages inévitables se trouve généralement exclu. Le parachutiste n'a plus alors qu'un souci : se débarrasser le plus tôt de sa victime. Lorsque, vers dix ou onze heures du soir, un détenu particulièrement marqué par les tortures était extrait de sa cuve par des parachutistes saouls, nous savions que nous n'allions plus le revoir.
            Dévêtue et ficelée, la victime est traînée derrière les bâtiments sur un talus servant de dépotoir. Là, elle est égorgée. La pratique est assez courante ; sur quatre-vingt-dix suspects passés par le "Haouch Perrin", trente cinq on subi ce sort.
            L'exécution a lieu généralement devant des suspects récalcitrants dans l'espoir de les faire fléchir. Mais depuis l'histoire de Hammadi, tous les détenus de la ferme savaient que l'aveu était loin d'assurer le salut. Hammadi avait en effet dit tout ce que les parachutistes attendaient de lui. Pendant quelque temps, ils en firent même leur aide et leur indicateur. Un jour, on lui promit sa libération pour le lendemain, mais il savait déjà trop de choses sur les pratiques et coutumes des hommes de "Pierrot". Le soir, ficelé comme ses compatriotes qui l'avaient devancé au talus, les parachutistes lui tranchèrent le cou.
            Salhi fut arrêté à peu près à la même époque que moi, en mars 1957. Il occupait une cuve voisine de la mienne, en compagnie de Ben Kaddache d'Alger et de deux jeunes gens : Ahmed, originaire de Birkadem, et Smaïn, de Birtouta. Deux autres détenus dont j'ignore les noms, partageaient la même cuve.
            Durant dix-huit jours qu'il y vécut, Selhi fut interrogé quotidiennement. Certains jours, il subissait jusqu'à trois séances de tortures. Il en fut terriblement éprouvé et affaibli. Un soir, il fut extrait de sa cuve vers vingt-trois heures par un parachutiste ivre. Débarrassé du pardessus et du complet, il fut égorgé sur le talus. Ses vêtements restèrent plusieurs jours abandonnés dans un coin de la ferme, à la vue de tout le monde.
            Selhi avait trente-cinq ans. Il était ingénieur de la Société des Pétroles Shell à Oran.

            *

            La caserne d'Hussein-Dey, dans la proche banlieue d'Alger, ne sert pas seulement à abriter les soldats du 19e régiment du Génie. Je devais m'en rendre compte lorsque, avec vingt-cinq jours et nuits passés dans ma cuve, les parachutistes du "Haouch Perrin" me firent descendre à Hussein-Dey, en compagnie d'autres suspects qui étaient dans mon cas.
            Dans les bâtiments proches de la grande porte de la caserne donnant sur la rue de Constantine, une douzaine de cellules sont "réservées". Ces cachots ont trois ou quatre mètres de long sur deux ou trois mètre de large. L'on y entasse quinze, vingt ou trente personnes selon les arrivages des Algériens baptisés "suspects". Les locaux sont néanmoins insuffisants, malgré la surcompression dans laquelle vivent les détenus. Aussi le couloir à ciel ouvert sur lequel ouvrent les portes des cellules est-il également transformé en salle commune. Les détenus y sont soumis à des brimades et à des sévices continuels. On les oblige à lever les mains en l'air des heures entières, ou à se tenir sur un seul pied. Lorsque vaincu par la fatigue, le détenu baisse les mains ou repose le pied, il est assommé à coups de crosse.
            Souvent en pleine nuit, l'un des gardiens, sans doute plus ardent "patriote" que les autres, vient, mitraillette au poing, commander aux "suspects" de crier "Vive la France".
            Le séjour dans ce couloir peut durer une semaine à dix jours, avant que le détenu ne soit mis en cellule ou transféré dans un camp d"hébergement". Parmi les suspects entassés dans la galerie, il se trouve de très vieilles gens et des malades : ainsi ce boucher d'Hussein-Dey qui, infirme, ne pouvait se déplacer qu'avec des béquilles. Au cours d'une perquisition monstre dans le quartier, les parachutistes découvrent chez lui une somme d'un million neuf cent mille francs, destinée à être remise le lendemain même à l'entrepreneur qui lui construit sa villa. Les parachutistes font main basse sur la somme et, pour éviter toute complication éventuelle, le propriétaire est catalogué suspect et emmené à la caserne. Son fils va se plaindre. Il connaît le même sort.
            Les sévices subis dans cette galerie suffisent pour éliminer déjà les plus faibles. Plusieurs "raflés" sont morts durant les vingt-deux jours que je devais passer à la caserne du Génie.

            *
            Comme tout lieu de détention, de triage ou d'interrogatoire des suspects, la caserne d'Hussein-Dey possède évidemment sa salle de torture.
            Le "cabinet" d'instruction se trouve dans une cave. A la porte, le prisonnier reçoit un violent coup de pied dans les reins qui l'envoie rouler au bas de l'escalier. Les "juges" qui l'attendent le déshabillent, lui jettent un plein seau d'eau sur le corps, lui placent les électrodes, branchent le courant électrique selon la méthode habituelle. Il s'agit simplement d'une mise en train qui dure une dizaine de minutes. Les instruments classiques de torture que j'avais vus au "Haouch Perrin" se trouvent ici. Je remarque néanmoins qu'il n'y a pas de moteur générateur de courant électrique, celui-ci était fourni directement par le secteur.
            Lorsque après une séance le détenu exténué est ramené dans sa cellule, il ne trouve le plus souvent pas une gorgée d'eau pour se désaltérer. On en distribue, en effet, une seule gamelle d'un demi-litre par cellule et par jour, quel que soit le nombre des occupants, fût-il de douze ou de trente. C'est dire que les détenus sont pratiquement privés d'eau.

            *
            Le personnel nécessaire à la surveillance et à l'interrogatoire des détenus ne comprend pas de sapeurs, bien que la caserne, comme je l'ai expliqué plus haut, soit celle du Génie. Le suspect retrouve là les parachutistes. Mais de même qu'à Birkadem, beaucoup n'ont de parachutistes que la tenue. Une bonne proportion de Français d'Algérie, des policiers, des agents de la DST du 2e Bureau et de la milice, déguisés en "paras", poursuivent leur besogne à la caserne du Génie. Certains, comme le policier Halimi qui se disait parent du champion de boxe, assistent régulièrement aux interrogatoires-tortures ou les dirigent en personne.
            La plupart d'entre eux désirent conserver l'anonymat et se faire passer pour des parachutistes "métropolitains". Un suspect enfermé dans une cellule contiguë à la mienne reconnut l'un des parachutistes. Il l'interpella par son nom. Celui-ci fit mine de ne pas comprendre. Un moment plus tard, vers 18 heures, le prisonnier fut sorti de sa cellule et abattu.
            Une vieille femme était venue demander si son fils, jeune homme âgé de dix-sept ans avait été arrêté et conduit à la caserne après la dernière rafle. A l'annonce qui lui fut faite que son fils figurait parmi les "tués lors d'une tentative de fuite", elle fondit en larmes et imprécations. Décidés à s'en débarrasser rapidement, les parachutistes la traînèrent devant nos cellules en vue de l'éjecter hors du quartier. C'est à ce moment précis que le fils reconnaissant la voix de sa mère, s'écria : "Je suis ici, je suis vivant !".
            Dans la soirée, i fut extrait de sa cellule. Le crépitement des balles de mitraillettes nous signifia que nous ne le reverrions plus.
            Telle était l'existence des "suspects" à la caserne du Génie à Hussein-Dey, en mars-avril 1957. Un camarade rencontré au camp où je fus interné m'apprit plus tard que la situation était identique l'été suivant. Toutefois, les parachutistes "métropolitains" étaient partis ; seuls poursuivaient leurs occupations, Halimi et son équipe.

            *

            Vingt-deux jours après mon arrivée à Hussein-Dey, les militaires décident de vider toutes les cellules. Nous rejoignons ben-Messous à une dizaine de kilomètres au sud-ouest d'Alger.
            Officiellement, Beni-Messous est un "camp de triage". Les détenus en instance soit de départ vers les camps d'internement, soit de libération après leur retour des camps, sont néanmoins astreints au travail forcé dans les fermes environnantes ou aux corvées dans le quartier militaire.
            Ces corvées sont cependant évitées à la trentaine d'Européens internés à cette époque. Alors que les Algériens couchent à même le sol, ceux-là disposent de lits de camp, d'une grande table pour manger. Ils reçoivent visites et colis.
            Les brutalités ne sont même pas épargnées aux quinze femmes algériennes auxquelles on a réservé une tente spéciale. Trois sages-femmes, plusieurs étudiantes, quelques mères de famille honorablement connues à Alger et dont je tairai le nom, telles sont les détenues qui font pour les militaires la corvée de cuisine, le lavage, le repassage, reçoivent des coups pour le moindre prétexte et sont l'objet des plus vulgaires insanités.
            Mon passage à Beni-Messous aura été de courte durée. Au bout de quatre jours, en effet, je fus expédié dans le sud au camp de Paul-Cazelles.
            Au petit jour, à bord de douze camions militaires, quatre cent quatre vingt détenus quittent Beni-Messous. Le convoi est précédé de deux autos-mitrailleuses. Quelques GMC transportant des militaires armés ferment la marche. Un avion "mouchard" nous survole durant tout le trajet. A un certain moment – nous devions être dans les gorges de la Chiffa, le convoi stoppe brusquement. Le bruit court qu'une embuscade est tendue par l'Armée de Libération. Les autos-mitrailleuses de tête avancent seulement. Elles tirent quelques rafales de part et d'autre de la route. Une demi-heure plus tard, nous redémarrons. Chaque véhicule transportant une cargaison humaine d'une quarantaine d'hommes, est complètement recouvert d'une bâche. Nous respirons très difficilement. Vers midi, nos conducteurs s'arrêtent pour déjeuner à l'ombre des arbres bordant la route. On laisse sciemment nos véhicules au soleil. Nos camions-prisons sont de véritables étuves et plusieurs détenus perdent connaissance.
            Nous étions en période de Ramadan. Ni le petit Ayache qui n'a pas encore atteint sa quinzième année ni si El hadj Ahmed, octogénaire accompli, ne rompent le jeûne. La conviction est profonde et le moral des nouveaux internés n'a jamais baissé. Après un voyage de dix heures, nous parvenons enfin à notre destination : le camp Paul-Cazelles, entre Boghari et Djelfa.
            Les bâches des camions ôtées, les voyageurs ankylosés ne peuvent descendre aussi vite que le veulent les gardiens. Ils les stimulent alors de quelques coups de crosse et de cravache généreusement distribués. Les arrivants sont ensuite astreints à faire, au pas de course et en silence, plusieurs fois le tour des tentes dressées à l'entrée du camp. Certains détenus conservent encore quelques effets personnels. Les gardiens s'emparent en toute hâte de ce qui les intéresse. Puis les nouveaux venus sont rangés en file indienne et passent devant une tente magasin où leur sont remis une gamelle et une couverture. Ils sont ensuite l'objet de la "sollicitude" du service psychologique qui remplit pour chacun une feuille spéciale. Un dernier militaire procède à l'immatriculation de l'interné qui remet son portefeuille, son argent (s'il lui en reste) et ses papiers d'identité contre un carton portant son numéro. A partir de ce moment, et durant tout son séjour au camp, il n'aura plus d'autre identité que le chiffre porté sur son carton.
            The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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            • #7
              Lorsque tous les arrivants sont enregistrés, fichés, immatriculés, ils sont séparés en quatre groupes devant s'installer dans l'un des quatre "blocs" qui composent le camp. Une séance d'initiation imprévue attend alors les nouveaux venus. On les met à genoux et les oblige, dans cette position, à rejoindre leurs tentes, tout en portant les bagages qu'ils ont pu conserver, la gamelle et la couverture. La distance à parcourir est d'environ sept cents mètres et il ne s'agit pas de flâner, car les gardiens militaires forcent l'allure à grands coups de nerf de bœuf sur le dos des internés. Certains ont mis plus d'une heure pour faire le trajet. Les plus résistants arrivent les premiers au bloc désigné. Ilbrir, le réputé joueur de football, et moi-même en faisions partie. Sur notre demande, le chef de bloc voulait bien nous autoriser à aller aider les malheureux qui n'arrivaient pas. C'est ainsi que nous pouvions ramener le Cheikh El Hafnaoui, secrétaire de l'Association des Oulémas, âgé de plus de soixante ans, le boucher infirme d'Hussein-Dey dont j'ai parlé plus haut, ainsi qu'un aveugle qui se traînait lui aussi sur ses genoux.
              J'ai pu reconnaître parmi les internés : El hadj Akkacha, propriétaire à Birkadem, Abdelkader Mimouni, libraire, rue de Chartres à Alger, Si Mokrane, commerçant à Birtouta, Abdelmadjid Bentchicou , industriel à Alger. Tous ces gens furent astreints à cette stupide et humiliante gymnastique.
              L'arrivée du convoi n'est pas sans provoquer un certain remue-ménage à l'intérieur du camp. D'anciens internés sortent du bloc pour voir ce qui se passe. Les gardiens leur intiment l'ordre de rentrer dans les tentes. Un flottement s'ensuit, les détenus ne semblant pas presser de regagner leur bloc. Plusieurs rafales de mitraillettes les dispersent. Six blessés, dont deux grièvement, sont étendus sur le sable.

              *

              Les nouveaux internés qui arrivèrent en ce jour d'avril 1957 au camp de Paul-Cazelles allaient, en peu de temps, apprendre quelle réalité se cachait sous l'euphémisme officiel de "camp d'hébergement".
              La rudesse du climat et la désolation du lieu furent, semble-t-il, les facteurs déterminants qui poussèrent les autorités colonialistes à choisir cet emplacement pour y ouvrir leur centre pénitencier.
              A une heure de marche du village de Paul-Cazelles, dans un espace complètement désert, perdu dans la rocaille et les sables des hauts plateaux, une ville de vieilles toile enserre dans ses barbelés les "suspects hébergés" par l'administration française.
              Ces hébergés, au nombre de deux mille quatre cents environ, sont répartis en quatre "blocs" ou quartiers, chaque bloc se composant de quinze à quarante tentes selon les arrivages.
              Un triple réseau de barbelés entoure le camp. La ligne extérieure est formée d'un grillage haut de trois mètres, soutenu par des poteaux électriques. Sur le pourtour du camp et à intervalles réguliers s'élèvent des tours de guet d'une quinzaine de mètres de hauteur. Une autre, plus large, est dressée au centre du camp. Au sommet de chacune d'elles se tiennent en permanence les guetteurs munis de mitrailleuses et de projecteurs. Toute la nuit, ces projecteurs balayent de leur jet de lumière intense le camp et les autos blindées circulent le long des barbelés.
              Un camp militaire, où logent les soldats chargés de la surveillance des internés, est installé à l'entrée du camp de concentration. Les militaires habitant sur place et ceux qui logent au village de Paul-Cazelles sont à peu près aussi nombreux que les civils algériens dont ils assurent la garde.

              *

              Toutes les couches du peuple algérien se retrouvent parmi les internés de Paul-Cazelles : des ouvriers, des commerçants, des médecins, un grand nombre d'instituteurs (dont le directeur d'école de Maison-Carrée), des dentistes, des professeurs, comme celui qui enseignait l'arabe au collège Guillemin à Alger.
              Certains étaient là parce qu'on leur reprochait un fait bien précis. Ainsi, lorsque l'ALN ou les Moussebilines procèdent à un sabotage quelconque, il est de notoriété publique que le plus proche village déclaré collectivement responsable, subit les représailles de l'occupant. Si les notables ou anciens membres de la Djemaâ sont, à défaut de preuves, envoyés au camp, c'est évidemment la mesure la plus douce qu'ils puissent connaître.
              Or, un ancien Maire d'une commune de Kabylie, partageait notre détention parce précisément on n'avait rien à lui reprocher. Sur toute l'étendue de sa circonscription, aucun attentat, aucun sabotage, n'eurent lieu. Par un raisonnement très subtil, l'administration française en déduit qu'il prêtait aide au FLN pour avoir la paix dans sa commune. C'était suffisant pour lui valoir l'internement.
              La France a interné même des anciens suppôts. On trouvait en effet à Paul-Cazelles des Caïds, des Bachagas comme celui de Laghouat, le Cheikh Tidjani que l'administration avait délégué au couronnement de la reine Elisabeth d'Angleterre pour y représenter l' "Algérie française". Mais pour le Cheikh Tidjani, une erreur des services locaux lui avait sans doute valu ce court séjour parmi nous, car bientôt un hélicoptère vint spécialement le ramener à son domicile.

              *

              La présence de certains internés à Paul-Cazelles montre le degré de folie criminelle atteint par la machine répressive française en Algérie. Ainsi, l'on y trouvait à cette époque, un vieil aveugle, originaire de Kabylie. Il était accusé d'avoir fait partie d'un commando terroriste et abattu "un ami de la France". Son fils, un gamin de onze ans, lui servait de guide, partageant de la sorte, sans que l'administration ne s'en inquiétât nullement, la détention de son père. Un pauvre bossu, cireur de bottes, place du Gouvernement à Alger, était également accusé de "terrorisme". Malingre, chétif, il mesurait à peine un peu plus d'un mètre et ses geôliers, qui ne le dispensaient d'aucune corvée, le battaient fréquemment pour sa lenteur au travail.
              Nombre de tuberculeux étaient soumis au régime commun. On les voyait dépérir à vue d'œil. Certains osaient se plaindre au gardien-chef, qui leur répondit en ces termes : "Vous êtes venus ici pour mourir." En fait, beaucoup n'en sont sortis que pour leur dernier voyage.

              *

              La vie des "hébergés" est pratiquement celle de forçats. Levés à 7 heures, les internés sont astreints au travail jusqu'à 18 heures avec interruption, pour la soupe, de midi à 14 heures.
              L'interné ne connaît aucun repos ni vendredi, ni dimanche, ni jour férié. Ces corvées consistent en travaux de terrassement à l'extérieur ou d'entretien des camps civil et militaire. Jeunes et vieux, l'ouvrier et l'ex-caïd, le médecin et le commerçant, tous les internés doivent manipuler la pelle ou véhiculer des pierres à longueur de journée, sous le soleil brûlant.
              A 20 heures, tous sont tenus de regagner leurs tentes, le camp est alors livré aux chiens.
              Ces bêtes, dressées en conséquence, sont d'une rare férocité. Il est prudent de fermer soigneusement sa tente. Les négligences coûtent cher : une nuit, des chiens ayant réussi à pénétrer dans les dortoirs mordirent cruellement plusieurs détenus. La présence de ces bêtes interdit évidemment toute sortie aux détenus, fut-ce pour satisfaire leurs besoins naturels.
              Il arrive souvent que les préposés aux chiens se saoulent et viennent, excitant leurs bêtes, chercher noise aux internés. Il st conseillé à ce moment-là de se laisser battre par le soldat sans esquisser le moindre geste, car l'on risque d'être déchiqueté par les molosses. Atrocement blessé par les chiens, un jeune homme de Blida, Mustapha Hakim fut sauvé in extremis.
              Si, la nuit, les chiens sont un danger éventuel, un autre plus insidieux et plus redoutable par sa permanence est une menace pour l'interné : le froid. Cette région désolée, très chaude le jour, est glaciale la nuit. Nos vieilles tentes usagées, perforées d'innombrables trous, portent également des déchirures que l'administration du camp ne s'est jamais inquiétée de faire réparer. Ainsi, quelques jours après mon arrivée, des giboulées s'abattent de nuit sur le camp. Au matin, nous nous retrouvons recouverts d'une couche de grêle solidifiée.
              L'interné doit également se défendre des rats qui pullulent la nuit, des scorpions et des vipères qui se montrent davantage le jour, enfin des puces et des poux.
              Maintes réclamations sont adressées au directeur pour une distribution de poudre DDT. En vain. Quelques internés purent en obtenir clandestinement.
              Après l'attribution hebdomadaire d'un fût de deux cents litres d'eau pour un effectif d'une ou deux tentes, soit trente à soixante personnes, les conditions d'hygiène ne peuvent être que dangereusement insuffisantes, d'autant plus que cette quantité doit servir à l'alimentation, la toilette et la lessive. Enfin, le camp ne dispose pas de W.C, chaque "chambrée" doit, à cet effet, creuser à proximité de sa tente, un trou.
              Les fautes sanctionnées sont déterminées et jugées selon l'humeur du gardien et les circonstances.
              Ainsi est considérée comme faute, un retard de quelques secondes au lever du matin, un maintien qui "traduirait un manque de respect pour le gardien", le défaut de rendement maximum au cours d'une corvée.
              Entre le repas de midi et la reprise du travail, les internés doivent rester sous la tente où l'on suffoque ; la toile est enduite de goudron, et le soleil ardent. Se tenir près de la tente, non à l'intérieur est également une faute.
              Compte tenu des coups de crosse et de pied, pratique quasi automatique, les sanctions infligées sont l'emprisonnement, la bastonnade ou la "mise au tombeau" selon la "gravité" de la faute commise. Ainsi trois fautes dans un délai donné entraînent la mise au tombeau.
              Elle consiste à enterrer dans le sable le "fautif", debout, la tête seule émergeant du trou. Dans cette position, le supplicié ne peut bouger aucun membre. De midi à trois heures, on dresse sur sa tête un carré de toile, faute de quoi le soleil provoque immanquablement une congestion mortelle. La sanction peut durer jusqu'à quarante-huit heures, au cours desquelles le détenu est privé de toute nourriture. Si son gardien conserve quelque humanité, il lui donne une gorgée d'eau.
              C'est dans ces conditions que les "pacificateurs" français "hébergeaient" les "suspects" algériens, au camp de Paul-Cazelles, pendant le printemps et l'été 1957.
              Dernière modification par nacer-eddine06, 01 septembre 2018, 22h41.
              The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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              • #8
                Témoignage de Nadji Abbas Turqui


                CHAPITRE X

                LES DISPARUS


                Le 10 août 1959, deux avocats parisiens, Jacques Vergès et Michel Zavrian, recevaient dans un hôtel d'Alger plusieurs algériennes venues leur signaler la disparition d'un fils, d'un père, d'un mari. Ils en prirent note. Le lendemain, elles étaient dix, trente. Le surlendemain, cent femmes se pressaient à la porte du salon où les avocats débordés enregistraient les plaintes sans discontinuer. Le 14 au soir, Me Vergès, qui disposait pourtant d'une autorisation de séjour régulière, était expulsé d'Alger, sur ordre de l'autorité militaire, pour "atteinte à l'ordre public". Me Zavrian, resté seul, allait continuer d'enregistrer de nouvelles plaintes jusqu'au moment de son propre départ.
                L'effrayant dossier ainsi constitué en quelques heures : le Cahier Vert, les deux avocats l'ont transmis à la Croix-Rouge Internationale.

                Temps Modernes
                Septembre 1959
                CHAPITRE XII

                LES SYNDICALISTES ALGERIENS


                Nourredine Skander

                Je fus arrêté le 24 février 1957 par une patrouille de parachutistes alors que, malade, j'étais en traitement chez un médecin.
                Les pouvoirs publics de police à Alger venaient d'être dévolus aux militaires du Général Massu qui donna pour consigne à ses troupes d'arrêter tous les Algériens suspects d'une activité politique ou syndicale.
                Je fus conduit au PC du colonel Bigeard, qui devait assassiner Ben M'hidi quelques mois plus tard. Dès que je fus en sa présence, il me parla en ces termes : "Toute personne entrant dans ces lieux peut d'ores et déjà se considérer comme morte, à moins qu'elle ne soit compréhensive. Si tu veux avoir la vie sauve, je te conseille de ne pas faire la forte tête. Nous emploierons tous les moyens pour te faire parler – et en me fixant dans les yeux – je dis bien tous les moyens. Maintenant nous allons te laisser réfléchir en bonne compagnie pendant un moment".
                On me conduisit dans une cellule où je trouvai le cadavre d'un patriote devenu méconnaissable tellement il avait été torturé. Je sus par la suite qu'il s'agissait de Hachemi Hammoud, valeureux militant d'Alger.
                Au bout d'une heure, on vint me chercher. Les tortionnaires me déshabillèrent et, avant même de me poser la moindre question sur mes activités, ils s'acharnèrent sur moi à coups de poing et de pied, entraînant mon évanouissement.
                Lorsque je revins à moi, l'un d'eux me dit que ce s'était passé n'était qu'un "hors-d'œuvre" et que si à la prochaine séance je ne montrais pas de bonnes dispositions, on recourrait aux grands moyens...
                L'interrogatoire reprit au cours de la nuit. J'ai commencé par déclarer que je ne connaissais d'autre activité que syndicale et que je revendiquais toutes mes responsabilités dans ce cadre. Mais ils se mirent à me parler d'armes et de refuges, de cotisations, etc... Mes dénégations répétées ne firent que les irriter davantage. Tout y passa : supplice à l'électricité, baignoire, pendaisons momentanées par les pieds. Ce calvaire dura quinze jours. Chaque nuit j'étais extrait de ma cellule et livré aux tortionnaires. J'ai fini par n'avoir plus conscience du temps, ni même de ce que je subissais. Je n'étais plus qu'une loque. De crainte sans doute que je ne meure entre leurs mains, mes bourreaux arrêtèrent le supplice.
                On me laissa en paix pendant une semaine. Mais je n'étais pas au bout de mes peines. Ils vinrent un jour me chercher, pour me soumettre cette fois au sérum de vérité.
                C'est abruti par cette drogue que l'on me conduisit devant notre local de la place de Chartres pour me montrer aux passants.
                Beaucoup de frères me reconnurent et avisèrent ceux des responsables de la Centrale qui étaient recherchés. La CISL fut alors alertée et c'est ainsi peut-être que je fus épargné.
                Je fus transféré vers la fin du mois de mars 1957 au camp de Paul-cazelles, nouvellement créé pour interner les victimes des parachutistes qui ont eu la chance d'avoir la vie sauve.
                Je retrouvai là-bas beaucoup de responsables et militants de notre Centrale qui, à des degrés divers, avaient enduré les mêmes souffrances que moi.
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                #Posté le jeudi 21 septembre 2006 21:12Modifié le mercredi 27 septembre 2006 17:39
                TORTURES PAR LE PEN

                TORTURES PAR LE PEN

                Par Hamid BOUSSELHAM



                INTRODUCTION



                "En 1943, rue Lauriston, des Français criaient d'angoisse et de douleur, la France entière les entendait.

                En 1958, à Alger, on torture régulièrement, systématiquement, tout le monde le sait, de M. Lacoste aux cultivateurs de l'Aveyron, personne n'en parla, ou presque. "


                Jean-Paul Sartre

                Une Victoire



                Oui, Jean Marie Le Pen a torturé en Algérie, et lui même a admis avoir usé de la torture en déclarant notamment dans un entretien accordé au quotidien "Combat, le 9 novembre 1962.

                "Je n'ai rien à cacher. J'ai torturé parce qu'il fallait le faire. Quand on vous amène quelqu'un qui vient de poser vingt bombes qui peuvent exploser d'un moment à l'autre et qu'il ne veut pas parler, il faut employer des moyens exceptionnels pour l'y contraindre. C'est celui qui s'y refuse qui est le criminel car il a sur les mains le sang de dizaines de victimes dont la mort aurait pu être évitée".

                Selon le journal officiel français du 12 juin 1957, le député parachutiste Le Pen déclarait également " J'étais à Alger officier de renseignement (...), comme tel je dois être aux yeux d'un certain nombre de mes collègues ce qui pourrait être le mélange d'un officier SS et d'un agent de la Gestapo. Ce métier, je l'ai fait ...."

                Tous les témoignages des algériens torturés par Le Pen rejoignirent celui de Mohamed Louli, arrêté à Alger le 14 février 1957, et emmené par Le Pen à la villa des Roses, Boulevard Galliéni, aujourd'hui 74, boulevard Bougara :

                "Le Pen m'a torturé. Oui, lui personnellement à l'électricité et à l'eau. Et je l'ai vu aussi torturer d'autres détenus".

                Le commissaire principal R. Gilles dans un rapport à M. l'inspecteur général de l'administration en mission extraordinaire, préfet d'Alger, rapportait ceci :
                "J'ai l'honneur de porter à votre connaissance qu'à l'issue de son arrestation et de sa détention, du 8 au 31 mars, par les parachutistes du 1er REP, le nommé Yahiaoui Abdenour, né le 3 juillet 1938, domicilié 53 avenue Lavigerie à Kouba, s'est présenté devant moi et m'a déclaré avoir été l'objet de sévices de la part du Lieutenant Le Pen, et sur son ordre.
                En particulier, lors de son arrestation, des fils électriques furent reliés aux lobes de ses oreilles. Le lieutenant Le Pen lui même faisait fonctionner une magnéto à manivelles à l'aide de laquelle il envoyait des décharges électriques dans le corps. En présence de ce même officier, le jeune Yahiaoui fut frappé avec un nerf de bœuf, et y fut attaché nu sur un banc, pieds et poignets liés, et il dut y ingurgiter de force une certaine quantité d'eau.
                Enfin, il reste cinq jours enfermé dans un "tombeau", trou creusé dans le sol et fermé par des barbelés, au 74 boulevard Galliéni où il était détenu. A la suite de ces cinq jours de "tombeau", il ne fut plus maltraité jusqu'à sa libération."


                Jean-Marie Le Pen doit être poursuivi pour les actes de torture qu'il a fait subir à nos compatriotes.

                Tout comme le président du Front National, le tortionnaire Jean Marie Le Pen, le général Bigeard, l'assassin de Larbi Ben M'hidi, le "Jean Moulin" algérien, le général Massu et Maurice Papon doivent être jugés comme criminels de guerre. Klaus Barbie et Papon ont été jugés en France. Il serait également juste que Le Pen, Massu, Bigeard, Papon et les autres soient jugés pour les mêmes crimes que Barbie par des tribunaux algériens et français.

                Nous sommes en droit d'exiger un procès Nuremberg du colonialisme français à Alger pour les juger pour crimes contre l'humanité.



                Hamid Bousselham
                The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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                • #9
                  A la fin, le lieutenant Le Pen nous a pris en photo.

                  MOHAMED LOULI . Né le21 juillet 1927 . J'ai été arrêté dans la nuit du 23 au 24 février 1957, après avoir été relâché par les bérets rouges. J'avais été relâché le 21 février. On m'a repris dans la nuit du 23 au 24. C'est le lieutenant Le Pen qui est, lui-même, venu chez moi à Notre Dame d'Afrique. Il opérait beaucoup par là-bas. Il ont tout démoli chez moi. Ils ont ramassé tout ce qu'ils ont trouvé chez moi. Ils sont restés à peu près une heure chez moi. Il était 21h. On m'a attaché, on m'a mis un bandeau sur les yeux. Avec le Pen, il n'y avait que des paras Allemands. Ils m'ont fait monter dans une voiture stationnée à 100 mètres de chez moi. La voiture, c'était une dauphine neuve. On est monté à trois derrière, on était bien serrés, plus le chauffeur et le lieutenant. Le Pen devant, ils m'ont fait faire un petit voyage dans Alger. J'ai pu, pendant quelques moments, repérer les endroits où on passait, mais à un moment, ils n'ont fait qu'aller et venir, et tourner à gauche, à droite, et là, j'ai perdu le fil. On a dû arriver Boulevard Gallieni vert minuit, une heure du matin. On m'a fait descendre et on m'a fait marcher tout seul a peu près 200 m, ils étaient derrière moi, et je tâtonnais pour arriver là où on me conduisait. Et là, on m'a fait entrer dans une villa. On m'a fait monter un étage, et quand ils m'ont enlevé le bandeau, j'ai vu trois paras étrangers, le lieutenant Le Pen et le capitaine que je ne connaissais pas. Le Pen non plus, je ne le connaissais pas, je ne l'avais jamais vu auparavant. Ils ont commencé l'interrogatoire. Gentiment au départ, sans rien, et après, on m'a fait descendre dans une chambre, et c'est là que j'ai commencé à être torturé. Alors, le premier soir, c'était à l'eau et c'est Le Pen et le capitaine qui interrogeaient, il n'y avait pas de baignoire, il y avait une grande bassine remplie d'eau sale et ils m'ont attaché comme un saucisson sur un banc très long avec la tête qui dépassait de la planche, et chaque fois, quand ils voyaient que je ne disais rien, ils soulevaient, et ma tête rentrait dans la bassine d'eau. Après, je ne me rappelle plus, je sais qu'il faisait jour quand ils m'ont fait descendre avec les autres. Oui, il devait être cinq heures du matin. Quand vous êtes à la villa, vous avez en face le soleil. La lumière commençait à poindre. Ils vous prenaient à n'importe quel moment du jour ou de la nuit. Ils n'avaient pas d'heure. Pratiquement ça ne s'est pas arrêté, si ce n'était pas moi, c'étaient d'autres, pendant tout le temps que je suis resté là-bas. Ce n'est que peut-être cinq ou six jours après, qu'ils nous ont ordonné de creuser des tombes, des tombes normales d'à peu près 1,70 m de profondeur, autant en longueur et dans les 60 cm de large. Il y en a eu dix, cinq près de la villa et cinq plus bas. Et là-dedans, ils mettaient les gens. Quand ils torturaient quelqu'un, dès qu'ils avaient besoin de lui, ils prenaient le prisonnier, ils le torturaient, puis ils le refoutaient dans la tombe.
                  Moi, personnellement, j'ai dû passer peut-être, quatre ou cinq jours dedans. Et quant El Hadj Ali Mouloud a été liquidé, à ce moment là, pour éviter qu'il y ait des histoires pareilles, ils ont mis des barbelés jusqu'au ras du sol, ce qui fait que le prisonnier ne pouvait pas sortir. Quand ils venaient le prendre, ils levaient un peu les barbelés, puis ils le retiraient. Il était déjà à moitié liquidé avant d'être sorti, parce qu'ils le passaient entre les barbelés. L'affaire Ali Mouloud, on a dit que ce n'était pas une évasion. Il fallait deviner ce qu'il pensait à ce moment là, le malheureux. Personne ne pouvait savoir ce qu'il pensait. Ce que je peux préciser, c'est ce que j'ai vu, moi. On m'avait monté le matin à la terrasse de la villa, et ils m'ont laissé debout de 7h du matin à 18h 30 à peu près. Il commençait à faire noir. C'est à ce moment que j'ai entendu du bruit et je me suis retourné. J'étais sur le bord du parapet de la terrasse. Un petit parapet de 60 cm de hauteur. Je regardais en bas, entre les arbres, et j'ai vu Hadj Ali Mouloud, qui avait commencé à faire quelques pas vers le bas. A ce moment-là, un para étranger, il parlait allemand, a tiré sur lui dans le dos. Alors, de tous les côtés, ça commençait à tirailler. Les paras qui étaient à côté de moi, ne voyaient pas, ils étaient au milieu de la terrasse, à l'endroit où se trouvaient les appareils de transmission. Quand ils ont entendu tirer, ils sont venus, ils m'ont jeté par terre, et ils tiraillaient dans les arbres qui se trouvaient plus bas dans le jardin. Ils ne savaient pas ce qui se passait. Au même moment, il y a eu des tirs qui venaient de la rue, plus bas. C'était un groupe de C.R.S en patrouille. Ils ont tiraillé aussi de tous les côtés, pensant qu'ils devaient être attaqués ou qu'il y avait quelque chose contre eux, et ça a duré une minute peut-être. Un quart d'heure après, il devait être 19h, le lieutenant Le Pen est monté sur la terrasse et il a fait cette réflexion en me voyant : « Tiens, il est encore là, celui-là, qu'est-ce qu'il fout là ? ». Il m'avait oublié, parce que c'était lui qui m'avait monté le matin. Ils m'ont redescendre, et devant la porte d'une remise où il y avait une trentaine de prisonniers à peu près, le lieutenant Le Pen m'a fait cette réflexion, en voyant le corps de Hadj Ali Mouloud qui était nu, il avait été déshabillé : « Tu vois ce qui arrive à ceux qui tentent de fuir. Voilà un de tes amis. ». J'ai dit : « Ce n'est pas mon ami, je ne le connais pas. ». Et c'est vrai que je ne le connaissais pas du tout. Je l'ai vu mort pour la première fois. Après, ils m'ont mis dans la remise avec les autres, et Le Pen a demandé à un para de m'attacher. Le para, c'était un allemand, il ne m'a pas attaché. Il m'a mis une corde autour et il a essayé de m'expliquer de rester comme ça, de passer la nuit comme ça avec les autres, et le matin, quand on viendrait nous détacher, d'essayer de me mettre avec les autres qui venaient d'être détachés pour qu'on ne voit pas qu'on ne m'avait pas passé la corde autour des poignets. On a eu des paras, là-bas, qui étaient méchants aussi, qui torturaient les gens, mais il y en a qui ont refusé de torturer, ce sont des paras étrangers, qui s'en foutaient pas mal de ce qui se passait en Algérie. Il y avait des hongrois, un espagnol, deux italiens et tous les autres sont des Allemands. Les français, c'étaient des officiers. Le lieutenant Le Pen, en plus, nous faisait des séances de politique. C'est à dire, qu'il prenait un groupe de prisonniers, et nous disait : « Moi, je ne vous comprends pas, je suis allé dans beaucoup de foyers arabes, et j'ai vu que beaucoup de ces foyers, avaient de jolis meubles, avaient des postes radio, il y en a qui avaient la télévision. Les gens sont très bien habillés, alors qu'est-ce que vous cherchez ? ». Il était loin du problème, parce que poser ces questions à des prisonniers, dans un contexte pareil, je crois que c'est un peu déplacé, surtout qu'il était député, quand même. D'ailleurs, un prisonnier qui est mort après l'indépendance : Sassi, tailleur à Bab-El-Oued, lui a répondu : « Mais, mon lieutenant, ce qu'on cherche nous, c'est l'indépendance. »
                  Alors, à la suite de cette réflexion, il a passe huit (08) jours, dans des toilettes de 1,50 m de long sur à peu près un mètre de large. On le retirait de là-bas, on le torturait, on le refoutait là-bas, et pendant huit (08) jours, ça n'a été que ça.
                  Je crois qu'il était loin des problèmes, Le Pen. On ne cherchait pas à être habillé, ni à avoir des postes radio à la maison, ou avoir de jolis meubles. C'est ce qui m'a frappé le plus à l'époque, chez Le Pen. On ne fait pas des réflexions comme ça. Pour lui, c'est peut-être, je ne sais pas comment vous expliquer ça, il ne devait même pas savoir pourquoi il était là. Il s'est engagé pour le plaisir de s'engager, pour le plaisir de nous torturer, Je crois que c'est ça, parce que ce n'est pas possible autrement....
                  Parfois Le Pen frappait lui-même. Je peux vous citer le cas d'un prisonnier, Abdelwahab Redjini, qui avait été arrêté une journée avant moi. C'était un jeune, il devait avoir 20 ou 21 ans. Il est toujours vivant. Et Le Pen est arrivé. Après l'avoir torturé, on l'a jeté du premier étage dans le jardin. C'est Le Pen qui, lui-même, l'a jeté. Il a été assommé. Et il y a des moments où Le Pen torturait Abdelwahab devant nous. Il s'entraînait sur lui à le jeter en l'air, et l'autre retombait assommé. Il se réveillait et il riait, bien sûr, je ne sais pas comment vous dire... C'était nerveux. Et Le Pen lui disait : « Mais le salaud, il rit encore, avec tout ce qu'on lui file, il rit encore. ». Après ça, il est resté pendant trois ou quatre ans à dormir sur du dur, il avait trois vertèbres cassées et les dents aussi, il n'en a pratiquement plus. Le Pen l'appelait par son petit nom, Abdelwahab. Et il s'est acharné sur lui de cette manière, pendant quelques jours. Plus tard, je l'ai retrouvé dans le camp de transit.
                  Je me souviens aussi d'un jeune, Smain Aknouche, un appelé algérien qui était de Notre Dame d'Afrique. Il avait été arrêté dans sa caserne, accusé d'avoir volé des armes et de les avoir données à l'organisation, ils l'ont amené et l'on torturé. Je n'ai pas vu quand ils l'ont torturé, mais il était plein de sang et on m'a fait entrer dans la salle où il était prisonnier. J'ai vu Le Pen, qui lui ordonnait d'essuyer les traces de sang sur les murs, avec un chiffon. Il avait son pantalon de militaire, torse nu et les bras attachés derrière le dos. Avec un chiffon entre les dents, il essuyait le sang sur les murs. Après, le chiffon est tombé, et il a continué avec la langue. Et ce jeune homme, à un moment, il a parlé. Il leur a dit : « Oui, j'ai des armes, elles sont cachées dans un puits, chez moi, à Notre Dame d'Afrique. ». Le Pen et les soldats l'ont emmené à 2h du matin, ils l'ont attaché, mais quand ils l'ont mis sur la margelle du puits pour le descendre en bas, le jeune s'est jeté. C'est lui qui me l'a raconté plus tard, il a voulu se tuer... Ils l'ont remonté avec une corde. IL a été assommé, bien sûr, mais rien de cassé. Quand ils l'ont ramené à la villa, j'ai vu deux femmes qui l'attendaient, c'était sa sœur et sa mère. Je ne peux pas assurer que la jeune fille et la mère ont été frappées. Et même aujourd'hui, la fille ne veut rien dire. J'ai essayé de l'interroger très souvent, sur les nuits qu'elle avait passées là-bas, elle n'a jamais voulu dire si elle avait été torturée ou pas. Aknouche a été libéré, et en mai 1962, il a été tué par l'O.A.S avec sa femme, à Bab El Oued. Et la jeune fille, maintenant, vit seule. Elle ne veut parler à personne.
                  A la villa, ils faisaient aussi une sorte de tribunal, entre eux seulement. Un capitaine para, un lieutenant para, un adjudant et d'autres paras étrangers, et puis parmi eux, il y avait deux Européens d'Algérie (des policiers habillés en paras). Je ne les connais pas, parce que je ne connais pas tout le monde. Et là, ils décidaient facilement, en deux, trois minutes. Ils discutaient, le prisonnier ne pouvait rien entendre, parce qu'ils étaient loin et ils parlaient doucement. Le capitaine faisait un geste, et le prisonnier est, soit libéré, soit liquidé, soit encore ramené dans un camp de transit, dans les environs d'Alger, à Béni Messous, Ben Aknoun... Personnellement, j'ai été amené là-bas, au camp de Béni Messous. En fait, c'était une justice illégale, parce qu'ils ne discutaient pas avec nous. Deux paras nous faisaient entrer, c'était une grande salle, on était peut-être à une vingtaine de mètres de la table très longue, quelques tables collées les unes aux autres, et derrière, étaient assis tous les officiers et ces policiers habillés en paras. La discussion était menée par le capitaine, et dès qu'il faisait un geste, les paras nous sortaient. Alors que certains d'entre nous étaient regroupés sous un arbre, d'autres sortaient par l'arrière de la villa, et se voyaient embarqués sur des 4x4 ou sur des GMC.
                  The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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                  • #10
                    LAKHDARI KHELIFA
                    Né le 28 janvier 1923. Il était un des responsables de l'Union Générale des Travailleurs Algériens (UGTA, lorsqu'il a été arrêté.


                    J'ai connu Le Pen un soir du mois de février 1957. Je sortais de mon travail, je suis passé rue Montaigne pour voir un ami, M. Sassi, tailleur ; je suis rentré, j'ai dit : « Bonsoir, M. Sassi », et un bonhomme m'a mis un revolver dans le dos. C'était un guet-apens, voilà. Ils m'ont fait monter, et j'ai trouvé en haut, dans la soupente, deux personnes arrêtées avant moi. On était trois. J'avais trouvé le rideau ouvert, je ne savais pas que Sassi était en état d'arrestation. Quand il n 'y a plus eu de gibier, il faisait nuit, ils ont fermé le rideau, ils sont montés, un lieutenant et un capitaine que je ne connaissais pas.
                    Ils nous ont demandé les papiers. J'avais une carte de recensement. Alors, ils ont commencé à interroger le premier. « Qu'est-ce que tu es venu faire ici ». Il a dit : « Moi, j'avais une facture pour M. Sassi ». Ils ont vu la facture, ils ont vu le nom de Sassi, ils l'ont mis de côté. Le deuxième leur a dit qu'il venait faire un deuxième essayage. Ils ont vu le calepin de M. Sassi, et ils ont trouvé son nom, ils l'ont mis de côté. Ils sont arrivés à moi. J'ai dit : « Moi, je suis venu faire un pantalon, parce que M. Sassi est renommé dans la gabardine ». Ils se sont regardés entre eux. Alors le capitaine et le lieutenant m'ont fait descendre par un petit escalier, et je leur ai demandé : « Pourquoi vous m'arrêtez, qu'est-ce que j'ai fait ? ». Le lieutenant Le Pen m'a donné un coup au ventre. Après, ils m'ont attaché les mains, m'ont mis dans une voiture et m'ont bandé les yeux. On a roulé. Quant ils m'ont enlevé le bandeau des yeux, j'étais assis dans un champ. Il était peut-être 10 heures ou 11 heures du soir. Ils m'ont laissé dans ce champ, trois ou quatre heures. Je ne sais pas combien. Je voyais des camions arriver, pleins de suspects. En fait, le champ dans la nuit, je ne pouvais pas voir, mais c'était le jardin d'une villa. Il y avait le rez-de-chaussée, des escaliers, et au bout de ces escaliers, une petite pièce. C'est là, qu'ils faisaient les tortures, tout à fait en haut. Alors, ils ont commencé les interrogatoires. Moi, je suis monté, j'ai vu la scène. Ils étaient quatre dans la petite pièce, et Le Pen lui-même, a dit : « C'est pas celui-là, c'est pas celui-là ». Ils m'ont fait descendre, ils ont amené un autre à ma place. Et je n'ai pas vu ce qu'ils lui ont fait. On a entendu des cris, mais on ne savait pas qui le torturait. Après, ils m'ont remonter, et ils m'ont interrogé. Ils m'ont demandé si je connaissais Ali Moulai, j'ai dit non. « Et qu'est-ce que tu es venu faire chez Sassi ? », « Je suis venu faire un pantalon », « Qu'est-ce que tu fais, toi ? « Je travaille à la société Job, je suis syndicaliste », « Tu ne travailles pas avec le F.L.N », « Non, je ne travaille pas avec lui, je suis syndicaliste, oui ». Alors, ils m'ont mis sur un sommier plein d'électricité. Ils m'ont mis un chiffon dans la bouche. Et quand je voulais parler, je devais faire un signe. Ils m'ont torturé pendant dix minutes. C'était Le Pen qui m'interrogeait. Et puis, ils m'ont fait descendre, parce qu'il y avait beaucoup de monde qui attendait en bas. Toute la nuit, on a entendu des gens crier, toute la nuit. Vous ne pouvez pas vous imaginer... Vous entendez des gens qui crient, et vous, vous êtes là...
                    Le lendemain, nous, les gens suspects, on nous a mis en bas, dans un hangar, il y en avait qu'un seul qui avait un lit de camp, c'était à un type paralysé, Aïssa Cheikh Laïd Boubekeur. Ils l'avaient arrêté avec son fils. Ils torturaient le fils devant le père, et le père devant le fils. Le fils, on ne l'a jamais revu. Un soir, j'étais dans le garage, ils ont attaché ensemble Aissi et Zouaoui Mokhtar et ils les ont mis comme ça, dans une fosse. Ils restaient jour et nuit là-dedans. Un après-midi, Le pen a crié au gardien : « Va détacher Aissi et Zouaoui Mokhtar ». Il les a détachés. Il leur a dit : « Allez vous débarbouiller ». Il y avait une fontaine dans le jardin. Ils y ont été, ils se sont débarbouillés. Je me rappelle Aissi, c'était un beau garçon, il avait une jacquette marron, je m'en rappellerai toute ma vie. Ils se sont habillés, ils les ont mis dans une voiture, et depuis ce jour là, on ne les a plus revus. Un autre soir, on sortait du hangar pour prendre un peu d'air dans le champ. Il y avait des sentinelles, Ils nous avaient fait une fosse pour faire nos besoins. Le frère qui a été abattu, Hadj Ali Mouloud, je ne peux pas confirmer, qu'il a voulu se sauver, mais je suis sûr qu'il était parti pour faire ses besoins Parce qu'il n'allait pas vite. Moi, je n'ai pas vu Le Pen , parce que j'étais en bas, mais je l'ai entendu crier, et le militaire qui était en bas, a mitraillé Mouloud. C'est là que Le Pen est descendu et nous a dit : « Voilà ce que mérite celui qui veut se sauver ». Le Pen, c'était un parleur, il faisait de la psychologie : « Pourquoi vous faites la guerre, qu'est-ce qui vous manque en Algérie ? Moi, je suis un député, je suis venu ici pour la pacification ». Je me souviens quand le frère Rouchai a voulu se suicider. Je l'ai vu comme un mouton égorgé. Ils l'ont pris dans une Jeep, et tout de suite ils l'ont emporté à l'hôpital. Et quand Le Pen est revenu, il nous a dit : « C'est mois le bon Dieu, quand je veux que quelqu'un crève, il crève. Quand je veux sauver quelqu'un parce qu'on a besoin de lui, on le sauve ». Voilà , je suis resté dix-sept ou dix-huit jours chez Le Pen. Et j'ai été libéré. Le premier que je suis allé voir, c'était Ali Moulai. Je lui ai dit : « Il faut faire très attention, ils sont entrain de te chercher ». Et on continué nos activités, jusqu'en août 57. Là, j'ai été arrêté de nouveau par les pars bérets verts, mais pas par Le Pen.

                    MME VVE Mouloud MESSAOUD

                    70 ans. Mère de Hadj Ali Moulai, lâchement assassiné.

                    En 1957, deux années après la mort de mon mari Mouloud Messaoud dit Lounès, ancien combattant de la première Guerre Mondiale, et mobilisé entre 1939 et 1945, le lieutenant Jean Marie Le Pen et ses militaires ont débarqué chez moi, au 22, rue d'Amourah, à Belcourt, sans aucun motif. Jean Marie Le Pen a donné des ordres à ses paras, pour qu'on m'attache avec du fil de fer, de 10h du matin à 16h, dans la cour de ma maison. J'ai reçu des coups de crosses sur la tête, derrière la nuque, dont je garde jusqu'à présent des séquelles. Ma pauvre fille de 19 ans qui était cardiaque, et qui se faisait soigner par des religieuses dans le quartier du ruisseau, près de mon habitation, voyait sa pauvre mère se faire torturer sous ses yeux. Après un choc terrible, un an après, elle était décédée. Pendant la perquisition à mon domicile, le carnet militaire de mon mari, le carnet de pension et quatre médailles de la première Guerre Mondiale m'ont été dérobés. La maison a été entièrement saccagée. Un de mes fils, Hadj Ali Mouloud, a été embarqué par les militaires du lieutenant Le Pen, à la villa des Roses, à El-Biar (Alger). Après avoir subi des tortures, il a été lâchement assassiné. D'autres témoins qui étaient avec mon fils Hadj Ali Mouloud, à la villa des Roses, le centre de torture de Le Pen, m'ont confirmé que mon fils Hadj Ali a été lâchement assassiné, et que le Pen leur aurait dit : « Voilà ce qui arrive à ceux qui tentent de m'échapper, je suis prêt à me farcir un bougnoule à chaque petit déjeuner, vous les ratons, vous ne comprenez qu'un seul langage, l'insulte, les coups, et quand vous ne voulez pas comprendre que vous êtes à ma botte, je vous élimine. ». Mon fils Mustapha, alors âgé de 15 ans, quand le lieutenant Le Pen est venu chez moi, ayant appris que sa mère avait été tabassée et torturée, et que son frère Hadj Ali était mort sous les tortures, mon fils en a perdu la raison. Retrouvé errant près de la frontière tunisienne en 1963, il est décédé à l'hôpital psychiatrique de Blida en 1980, après 17 ans d'hospitalisation. Dire que ce tortionnaire de Le Pen est aujourd'hui un homme politique français influent, à tête d'un parti, et qu'il n'a jamais été jugé pour ses crimes racistes qui sont de véritables crimes contre l'humanité. Je suis en tout cas prête, de mon vivant, et bien que j'ai 70 ans et que je souffre encore des séquelles de la torture, à venir en France témoigner contre la barbarie de Le Pen et de ses comparses.
                    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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                    • #11
                      Alors, je voyais les parachutistes derrière les grilles qui venaient pour me reprendre. A l'hôpital, je n'ai pas vu le lieutenant Le Pen. Je l'ai vu le jour où ils sont venus me sortir, une fois qu'ils ont eu l'autorisation du professeur. C'était à peu près 25 ou 30 jours après l'opération. Ils m'ont emmené et là, ils ont essayé de pratiquer d'autres tortures sur moi : l'électricité encore. Le lieutenant Le Pen était là, ainsi que l'officier de la compagnie, qui était à l'époque, le capitaine Martin. Ils ont essayé, mais dès qu'ils ont vu que ma gorge commençait à saigner, le capitaine Martin a dit : « C'est pas la peine, arrêtez. ». Ma gorge n'était pas complètement guérie, j'avais des pansements. Ils ont arrêté et m'ont descendu avec le copain qui était en bas. Et là, nous avons rencontré pas mal de frères que nous n'avons plus revu depuis ce jour-là. C'est là, que j'ai rencontré Zouaoui Mokhtar, il dormait avec moi, c'est-à-dire le soir. Quand on dormait, il mettait sa tête contre ma poitrine. Et il était vraiment dans un état lamentable, il était très mal en point. Le soir, il ne faisait que tousser. Alors, le matin, quand on se levait, j'avais la chemise pleine de sang. En toussant, il crachait du sang. La dernière fois où j'ai vu Mokhtar, c'était le 12 avril, le jour où on m'a mis entre les mains de la police judiciaire, pour être placé en mandat de dépôt. Une fois l'interrogatoire terminé chez les parachutistes, on nous a remis, avec un autre camarade, Aissi, entre les mains de la police civile. Ils nous ont emmené au commissariat central. Là, ils ont préparé le procès-verbal et ils nous ont placés en mandat de dépôt, moi et Aissi. Et depuis ce jour-là, on ne les a plus revus, ni Mokhtar, ni Aissi. Il était acharné le lieutenant. Il est arrivé jusqu'à me dire : « Tu cracheras le morceau, sinon je ne m'appelle pas Le Pen. Je me souviens aussi qu'ils m'ont fait sortir à deux reprises de la villa, pour leur servir d'appât. Tout le groupe s'était habillé en civil. Ils m'ont fait marcher sur la rue Bab El Oued, la rue Bab Azzou, et je crois même vers l'avenue Bouzaréah. Il y avait deux parachutistes en civil devant, les autres derrière, et d'autres qui étaient sur d'autres trottoirs, et malheur à celui qui me touchait la main ou qui me disait bonjour, ou qui me faisait un signe. La seule personne que j'ai rencontrée le premier jour, c'était mon responsable, Ali Moulai. Mais lui ne m'a pas vu. Alors j'ai continué à marcher, comme si je ne l'avais pas vu. Lui, il s'était arrêté au square Bresson, il était en train d'attacher ses chaussures. Je suis passé. Et une autre fois, ils m'ont fait sortir avec la camion de mon patron. C'était marqué dessus « Piles Wonder ». Ils m'ont mis dans mon camion, et j'ai circulé dans la ville. Les paras étaient à l'intérieur et en civil, tous armés, mais en civil. Parmi eux, il y avait le lieutenant Le Pen. Mais là encore, personne ne m'a rencontré, heureusement.

                      Makhlouf ABDELBAKI
                      Né le 3 octobre 1934

                      J'ai été arrêté le 22 février 1957, vers minuit ou deux heures du matin. J'étais caché à la Casbah, 9 rue du Roc d'or. On a cassé la porte et on m'a arrêté. Les militaires m'ont couché dans un 4x4, ils ont mis leurs pieds sur moi et m'ont emmené dans un camp. Ça s'appelait Sdi-Ferruch. Il y avait une baraque et beaucoup de gens, là-bas. Ils m'ont laissé deux jours, sans rien me dire. Et un jour, ils m'ont appelé : « Allez , c'est à vous ». On m'a dit : « Vous avez jeté des grenades. ». c'est vrai, j'étais un terroriste. Je travaillais avec Yacef Saadi et Ali Moulai, c'étaient eux les responsables. Alors ils m'ont demandé : « Combien d'attentats avez-vous fait ? Où sont vos amis ? ». C'est le lieutenant Le Pen qui m'interrogeait. Moi j'ai dit : « Je ne connais pas. ». Ils m'ont déshabillé. Il y avait une table très grande, ils m'ont attaché les poignets et les jambes et ils m'ont enlevé le tricot de peau. Je me rappelle, ils l'ont mouillé, ils me l'ont mis sur les yeux, et ils ont commencé la gégène. C'était un soldat de Le Pen qui tournait la gégène. Le lieutenant recommençait : « Où sont tes amis ? . Moi je disais : « Je ne suis pas un terroriste ». en même temps que l'électricité, u militaire me frappait avec une brosse métallique. La deuxième fois, ils m'ont fait la baignoire. Le Pen, lui, commandait. Les soldats m'ont plongé la tête dans l'eau. Je levais le doigt, ils me sortaient la tête et je faisais ma prière : « Dieu est grand. ». Et ça recommençait, ils m'ont interrogé pendant dix-huit jours. Je crois que j'étais torturé pendant dix ou douze jours. Quand le lieutenant Le Pen a fait sortir tout le monde de la baraque, il a dit : « Vous allez voir une exécution . ». C'était la nuit, il devait être 22h, Il nous a fait mettre tous debout, et ils ont amené Moussa. Ils l'ont mis à genoux. Il avait été interrogé avant. Il était rouge, plein de sang sur la cage thoracique, sur la figure. Il a dit : « Moussa, tu as jeté des bombes, tu as fait le con, tu as menacé les camarades qui ne supportaient pas la torture.... ». Le Pen marchait de long en large devant Moussa à genoux, il a sorit son revolver de l'étui, il l'a mis sur la tempe de Moussa et il a tiré. Moussa est tombé, et Le Pen a crié : « Tout le monde dedans, allez, rentrez, c'est fini. ». Je vous jure, je l'ai vu de mes yeux. C'est la seule exécution que j'ai vu en dix-huit jours. Mais après, Le Pen m'a dit : « Si tu ne parles pas, je vais te tuer comme celui-là, je vais te tuer ! Il faut parler, où sont tes amis ? ». Après les 18 jours, on m'a emmené à Béni Messous, à Paul Cazelles, c'était un camp de concentration. J'ai été libéré le 12 novembre 1961.

                      Abdenour YAHIAOUI

                      Né le 2 juillet 1938 à Alger

                      J'ai été arrêté le 8 mars 1957 par des hommes du 1er régiment étranger de parachutistes. Ils recherchaient un de mes cousins, dont le frère avait été arrêté. A l'interrogatoire, il leur avait dit l : « Moi, je ne suis pas au courant de l'endroit où est mon frère, mais Abdenour le sait. »
                      Ils sont arrivés peut-être vers minuit. Nous habitions à Kouba, dans une villa. Cette nuit-là, je n'étais pas à la maison. Après qu'ils aient maltraité mes parents, l'un de mes frères les a accompagnés là où je me trouvais, à Notre Dame d'Afrique. C'est un quartier, et j'ai de la famille qui habitait là-bas. Ils sont venus avec trois voitures. Il y avait deux tractions et un Jeep. Dès que je suis monté dans la voiture, directement on m'a mis des pinces électriques aux oreilles ; il y avait un magnéto militaire dans la voiture. Sur le champ, je ne savais pas que l'officier qui menait l'opération était Le Pen. Après, j'ai eu le malheur de le connaître. Il a donc commencé l'interrogatoire dans la voiture. De là, il s'est dirigé vers Belcourt, dans l'espoir de trouver mon cousin dans l'endroit qu'ils pensaient être le bon. Ensuite, après on est entré à la villa des Roses. L'interrogatoire à commencé. Là, j'ai été plus ou moins maltraité, et puis ils m'ont mis dans le tombeau. Chez eux, il n'y avait pas de cachot, ni d'isolement. C'étaient des tombes creusées dans la terre sur lesquelles il y avait du fil barbelé, et on était mis à l'intérieur de la tombe. J'y ai passé 21 jours, dans la tombe. J'étais quand même assez grand, et dans le tombeau, je n'arrivais pas à me mettre debout, j'avais des fils barbelés qui me grattaient dans le dos. Je passais la journée assis, on avait un seul endroit pour sortir la tête, dans la journée. Les interrogatoires étaient menés le soir. Je peux même vous certifier que le lieutenant Le Pen s'est assis, avec ses 85 kilos, sur mes jambes. J'étais attaché sur un banc, un soldat m'avait mis le tuyau d'eau, et quand j'ai fait un soubressaut ou deux pour tomber avec le banc, Le Pen s'est assis carrément sur mes jambes pour me maintenir assis. Il était acharné, il voulait savoir où était mon cousin. Je me suis contenté de dire : « Mon cousin est venu me voir, il était sans travail, il m'a demandé de l'aider et je l'ai fait, mais je ne savais pas ce qu'il faisait ». C'est ça que j'ai répété pendant tout le temps. C'était le lieutenant qui menait les interrogatoires. Il leur ordonnait de continuer les tortures ou de les arrêter. A l'époque, les moyens qu'il utilisait étaient connus. Il y avait la gégène, le tuyau d'eau et la baignoire. Pour la gégène, ils me l'ont faite pendant toute la durée du 3 mars au 30 mars. Tous les soirs, tous les soirs, tous les soirs.... Le tuyau, peut-être sept ou huit fois. Et une fois, une série de coups de nerf de bœuf sur les jambes. Je suis arrivé à un moment où je ne réagissais plus ; j'avais les cuisses qui étaient bleues. Et ce qu'ils nous faisaient aussi, c'est que pendant la séance d'électricité, ils nous coupaient là, sur les bras, avec un couteau. Je ne sais pas à quoi ça servait, mais j'avais les bras tout striés. complètement...enfin, un jour ils m'ont coupé les cheveux et me les ont fait manger. Le Pen assistait à tous les interrogatoires. Ça se passait dans une buanderie, une chambre, il y avait un bureau, une chaise métallique, sur laquelle on était attachés, deux projecteurs et une machine à écrire. Dans un coin, il y avait un tuyau, un bac d'eau, plus un banc de bois d'à peu près deux mètres de long. Sur le banc, on était attachés ; soit, on vous mettait au tuyau directement, soit on vous amenait vers la baignoire, alors là, on vous attachait les jambes et les pieds en même temps, et on vous faisait basculer la tête dans la baignoire. Moi, je ne suis pas passé à la baignoire. Avec Le Pen, il y avait des légionnaires, un groupe de cinq ou six, spécialement attachés à cela, et en permanence, deux gardes mobiles ou quelque chose comme ça, pour le côté administratif. Ils assistaient aux tortures et ils faisaient les procès-verbaux. C'étaient eux l'administration : quand le procès-verbal était fait, l'interrogatoire était fini. Il y avait quand même des dossiers qui étaient établis. Je crois que le lieutenant Le Pen avait beaucoup de haine pour nous. Il était, si je puis dire, méchant, ou plutôt, agressif et hargneux. Le dernier jour de mon interrogatoire surtout. Il m'avait posé l'éternelle question : « Où est-ce qu'il se trouve ton cousin ? Quand est-ce qu'il est venu ? Qu'est-ce que tu a fait avec lui ? ...etc ». Et comme je ne répondais pas, il m'a ri au nez : « Tu sais où il est ? ». J'ai dit : « ça fait vingt jours que vous me posez la même question, et je réponds toujours la même chose. » Alors il a dit : « Et bien, moi je sais où il est. Il est au Djebel ». Là, j'ai répondu : « Du moment que vous le savez, pourquoi vous n'allez pas le chercher, vous qui avez tous les moyens.. ? ». Alors là, il a commencé par me gifler, puis il m'a frappé à grands coups de poing dans le ventre, et puis je suis tombé dans les pommes. D'habitude, les «tabassages », c'était avant chaque interrogatoire. Ils nous prenaient entre trois ou quatre militaires, et on était une poupée de chiffon au milieu. Chaque fois, c'étaient quelques claque, d'un côté ou de l'autre, ou des coups de poing, pour vous enlever un peu l'émotion, et après seulement, le courant électrique, et ça va progressivement. Le Pen, dans ses cas-là, il criait et il se vantait : « On vous écrasera, les fellouzes », ou encore : « Dis à ton FLN qu'il vienne te sortir de là. ». Après ça, on retournait dans les tombeaux. Ils avaient creusé huit ou dix tombes dans le jardin. Dans la journée, il y avait le soleil, mais en mars, vous savez, les nuits sont fraîches sans couverture. On descendait parfois mouillés. Après la baignoire ou le tuyau, ils nous remettaient dans cet état dans la tombe. Il y avait la sentinelle qui marchait au dessus, et de temps en temps, elle nous jetait un peu de terre. On n'avait pas le droit de communiquer entre nous. Le Pen, lui, il nous voyait de la terrasse parce qu'il y avait une terrasse en haut de la villa. Il ne descendait pas jusqu'aux tombes.
                      Pour manger, ils nous donnaient dans la tombe, et on dormait dans la tombe. On ne pouvait pas sortir sauf si on avait un besoin naturel. Alors, il fallait appeler la sentinelle et elle nous accompagnait jusqu'à la porte des toilettes et nous attendait, puis nous remettait dans la tombe. Je me souviens d'un homme qui a été fusillé comme ça. Il s'appelait El Hadj Ali Mouloud. On ne sait pas s'il s'est dirigé vers les toilettes ou s'il a voulu se rapprocher de la guérite pour fuir. La sentinelle lui a tiré dessus. Il a été abattu d'une rafale. Par la suite, le soldat nous a dit qu'il ne voulait pas le tuer. C'était un allemand, celui qui a tiré, il s'appelait Yalta. Martin et le lieutenant Le Pen, la majorité, c'étaient des Allemands, et deux Espagnols.
                      A la fin, le lieutenant Le Pen nous a pris en photo, - la majorité des détenus à la villa des Roses – et il nous avait même conviés, si on avait l'occasion de passer à Paris, de demander après M. Le Pen, à l'Assemblée nationale.
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                      The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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                      • #12
                        Moi dans mon Algérie indépendante, quelque part dans la région de Blida (je ne peut situer l'endroit avec exactitude)... Pour cause de revendication identitaire je me suis retrouvé dans une des geôles de Boumediene à l’époque...Dans l'une des cellules une inscription ma marqué à jamais.Il est graver dans le mur avec dessiné un bateau à voiles: "la seule différence entre une tombe et cette cellule, c'est que dans cette dernière on rentre vivant" ...
                        Dernière modification par infinite1, 01 septembre 2018, 21h52.

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                        • #13
                          "la seule différence entre une tombe et cette cellule, c'est que dans cette dernière on rentre vivant" ...

                          AS TU FINIS CHANTEUR CHEZ SPORT ET MUSIQUE

                          LE SUJET EN FILIGRANE PARLE DE CENTAINES DE MILLIERS DE TORTURES POUR L INDEPENDANCE DU PAYS

                          MON PERE ARRETE LE 27 MARS 1957 LIBERE LE 7 AVRIL 1962
                          The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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                          • #14
                            LE SUJET EN FILIGRANE PARLE DE CENTAINES DE MILLIERS DE TORTURES POUR L INDEPENDANCE DU PAYS
                            Les centaines de milliers torturés pour l’indépendance ne se sont pas sacrifiés pour qu'à l'indépendance on continu à torturer les Algériens (ne)

                            MON PERE ARRETE LE 27 MARS 1957 LIBERE LE 7 AVRIL 1962

                            Moi mon défunt père moudjahid à vécu l'affront et la douleur de devoir assister à l’incarcération arbitraire de son fils par les autorités du pays qu'il a aidé à se libéré .
                            Dernière modification par infinite1, 02 septembre 2018, 07h30.

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                            • #15
                              " Moi mon défunt père moudjahid à vécu l'affront et la douleur de devoir assister à l’incarcération arbitraire de son fils par les autorités du pays qu'il a aidé à se libéré ."

                              Il s'agissait certainement d'un délinquant sinon pourquoi il avait été incarcéré?

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