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Jules Roy : le mépris ne se pardonne pas

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  • Jules Roy : le mépris ne se pardonne pas

    Le « Club de la presse » TSF-« l'Humanité », animé par Alain Bascoulergue et Jean-Paul Piérot, était accueilli mardi en la demeure de l'écrivain Jules Roy, au pied de l'église de Vézelay, dans l'Yonne. Jules Roy vient de publier aux éditions Albin Michel « Adieu ma mère, adieu mon coeur ». Extraits d'une conversation.

    ALAIN BASCOULERGUE demande à l'écrivain ce qui l'a conduit à revenir en Algérie en ces temps si troublés, où règne partout la terreur islamiste. Jules Roy a dû être fortement protégé par les forces de sécurité pour se rendre au cimetière où est enterrée sa mère.

    Jules Roy :

    « J'avais une grande honte, depuis longtemps, de ne pas aller le 1er Novembre sur la tombe de ma mère, comme c'est la coutume. Alors, je me suis dit : il faut y aller. Ce fut un coup de colère. »



    Jean-Paul Piérot relève les conditions de l'arrivée, lorsque, à l'hôtel, Jules Roy apprend qu'une jeune journaliste, Malika, vient d'être assassinée. Le livre est un va-et-vient entre le passé colonial et la situation d'aujourd'hui.

    Jules Roy :

    « Cela ne pouvait pas être autre chose. A peine quitté l'aéroport, j'entrai dans la réalité. Ce va-et-vient me ramenait tout de suite sur la tombe de ma mère. Ma mère, c'était l'ancienne Algérie, la colonisation. Elle est née là-bas en 1871. »



    Alain Bascoulergue observe un autre va-et-vient. Entre la position de l'écrivain à l'époque où des choix ont dû être faits de se placer soit du côté de la légitimité du combat des Algériens, soit de leur être hostile. C'est aussi le va-et-vient avec la réflexion d'Albert Camus : entre ma mère et la justice, je choisis ma mère. Jules Roy s'interroge et choisit la justice. Jean-Paul Piérot cite des propos de la mère qui exprime une morgue terrible à l'égard des Arabes : « Nous avons eu tort de leur ouvrir les écoles dans l'espoir de leur enseigner la civilisation, etc. »

    Jules Roy : « Vers 1910, je suis un petit pied-noir. Je partage tout ce que dit ma mère, sa peur des Arabes. Je le partage en 1930, comme jeune officier, je le partage encore en 1940. Tout cela me paraît tellement normal. Je ne peux imaginer autre chose. Albert Camus est l'exception, avec quelques membres du Parti communiste et « Alger républicain ». Nous, on les considère comme des loups-garous. Il y a quelques centaines d'esprits libéraux en Algérie. Mais ce sont des gens qui comptent, que je retrouverai après, quand Jean Amrouche, le Kabyle, commencera à m'ouvrir les yeux en 1940. »



    Le livre est aussi un retour sur l'ambiguïté d'une origine personnelle avec une mère vénérée et qui elle-même subira les préjugés.

    Jules Roy :

    « Oui, mais ce problème est secondaire par rapport à l'idée qu'elle a de la vie. Que je sois un ******, et un enfant qui n'a pas été tout à fait désiré, cela a pesé dans sa vie. Mais sa grande peur, c'était les Arabes, au moins autant que mon propre avenir. C'était un sentiment commun. Nous vivons très reculés dans une petite ferme de la Mitidja, les « Dépêches algériennes » et « l'Echo d'Alger » qu'apporte le facteur sont les seules sources d'information. »



    Une présence transparente dans tout le livre, celle de l'homme de peine Meftah.

    Jules Roy :

    « Sa présence ne me marque pas dans mon enfance, il m'a marqué après, avec la prise de conscience, et sans que je m'en aperçoive. Il incarne toute la population indigène, comme on disait alors. Il était à peine perceptible, comme un bon chien fidèle, si je puis m'exprimer ainsi en m'excusant, et j'avais pour lui l'amour qu'on peut avoir pour un bon chien.

    Non, il n'y avait pas d'harmonie entre les communautés, ni d'indifférence chez les Arabes, car on n'est pas indifférent quand on est colonisé. C'est différent pour le colonisateur. C'est pourquoi j'étais, au début, indifférent à ce qui se passait autour de moi. »



    Une autre évolution aurait-elle été possible si la colonisation s'était déroulée autrement ? Une vie en commun pouvait-elle se refaire sur d'autres bases ?

    Jules Roy :

    « Qu'on me montre une colonisation qui a réussi ! Les Français d'Algérie ignoraient l'histoire de leur pays, comment ils étaient arrivés là. Ils ne savaient pas que leur présence avait été rendue possible par cinquante ans de sang, de massacres. Et jusqu'à l'indépendance, il y a eu des endroits où la France n'est jamais allée, et où la population vivait comme au temps des barbaresques. »



    Jean-Paul Piérot demande à Jules Roy de revenir sur ses rapports avec Jean Amrouche et Albert Camus.

    Jules Roy :

    « Amrouche et moi étions du même âge. Je l'ai rencontré pour la première fois à Paris près des « Deux-Magots ». Il fallait avoir des yeux du pays pour voir qu'il était kabyle. Il m'a tout appris de la France. Il connaissait mieux l'histoire de France que moi. Il connaissait mieux la langue française que moi, il m'a appris à écrire le français.

    J'ai connu Camus plus tard, en 1945. Camus était très en avance sur nous. Ses idées apparaissaient comme choquantes. La première fois qu'il m'a dit que les Arabes étaient comme moi, j'ai été choqué et je suis encore sous le choc, je ne peux rien considérer au monde en dehors de cela. Cela a changé ma vie du jour au lendemain. »



    « Mais vous auriez aimé qu'il allât plus loin dans son engagement », poursuit Alain Bascoulergue...

    Jules Roy :

    « Il aurait dû normalement aller plus loin. Mais il était philosophe. Pour lui, le oui n'était pas tout à fait un oui, mais peut être un non. Moi, je ne suis pas de cette école-là. Je suis plus brutal, je pense que le soleil ne brille pas la nuit. Ma vie n'a été faite que de combats et de protestations contre le mensonge, et nous vivions dans le mensonge là-bas. Un mensonge politique établi et accepté par tous avec naturel. »



    Jean-Paul Piérot évoque la guerre d'Indochine, où l'officier d'aviation Jules Roy avait été envoyé.

    Jules Roy :

    « La vérité, je l'ai vue en Indochine. Là-bas, c'était comme l'Algérie au moment de la conquête, mais la population s'était révoltée. Le Viêt-minh ne pouvait pas supporter le mépris. Ce mépris leur a fait prendre les armes. On nous disait qu'on se battait contre la Russie, l'hégémonie soviétique, contre le péril communiste, etc. C'est pour cela qu'on brûlait et rasait tout. Je n'ai pas pardonné la façon dont nous avons traité les villages. Je l'ai vu de mes yeux et je n'ai pas pu le supporter. Alors je suis parti, j'ai quitté l'armée. »



    Alain Bascoulergue souligne le regard fraternel que Jules Roy continue de porter sur les militaires. N'y a-t-il pas une ambiguïté ?

    Jules Roy :

    « C'est le même regard que je porte sur les pieds-noirs. Il faut comprendre, quand on fait tous la même chose, qu'on est courbé sous les mêmes servitudes, qu'on subit les mêmes dangers, on est frères et camarades, malgré tout. Mais j'ai appris ce qu'était la justice, eux ne le savaient pas. Dès que je ne suis plus de leur côté, je les quitte, sans les maudire, et même avec des larmes. Et je me suis senti seul. Naturellement, ils ne m'ont pas compris. »



    « Entre Français et Algériens, avec le temps, il s'était passé quelque chose qui ressemblait à un certain amour réciproque et y ressemble toujours », lit-on dans « Adieu ma mère, adieu mon coeur ».

    Jules Roy :

    « Je ne pense pas que cela se soit vu ailleurs que dans la colonisation française. Même dans les situations les plus dures, il y a eu chez des Français une attraction inconsciente avec le frère humilié. Il y eut de profondes amitiés. De quels frères humains la France pourrait-elle être plus proche que des Algériens ? Dans les relations que j'avais avec Amrouche ou lorsque j'allais en Kabylie pendant la guerre d'Algérie, les Algériens voyaient quelqu'un qui ne venait pas avec des armes, quelqu'un qui pensait qu'ils seraient indépendants, qu'ils auraient un nom ; j'étais leur frère. »



    Après Diên Biên Phu, l'heure approche du soulèvement en Algérie..

    Jules Roy :

    « J'avoue que nous nous sommes retournés vers Camus pour savoir ce qu'il pensait. C'est le côté un peu redoutable qu'a eu Camus. Il exerçait une sorte de dictature intellectuelle. On l'aimait, on l'admirait, il était notre gourou. Il pensait qu'il fallait attendre. Quelques années après, il a dénoncé les torts qu'avaient les Français et l'abomination de la guerre. Mais en 1954, quand j'ai dit que je plaignais mes camarades qui allaient faire le même travail qu'ils avaient fait en Indochine, il m'a blâmé.

    C'était aussi cruel qu'en Indochine, puisqu'on a utilisé le napalm contre les Arabes. On a exercé une répression féroce, épouvantable. A la mort de Camus, en 1960, j'ai écris ce livre - « la Guerre d'Algérie » -, qui m'a valu tant d'ennemis et beaucoup d'amis, sur la façon dont la guerre se faisait là-bas. A l'époque, on n'avait pas le droit d'employer le mot « guerre » pour qualifier ce qui se passait. »



    Au moment où Jules Roy effectuait cette sorte de pèlerinage dans l'Algérie de son enfance, le terrorisme intégriste venait, au cours de l'été, de frapper durement la France.

    Jules Roy :

    « Khaled Kelkal est un fils de la colonisation. Son histoire m'a beaucoup choqué. J'ai ressenti alors une grande douleur, mais je crois que nous aurons encore des Khaled Kelkal, chaque fois que nous humilions quelqu'un parce que c'est un « bronzé », un « bicot ». Chaque fois que nous humilions un de ces gosses qui vont à l'école, qui vivent dans les banlieues, nous fournissons de nouvelles générations de Khaled Kelkal. Le mépris ne se pardonne pas. Si on les considère comme nos frères, à la longue, ces jeunes iront à la Sorbonne. »
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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