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L'arrestation et l'assassinat de Larbi Ben M'hidi.

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  • L'arrestation et l'assassinat de Larbi Ben M'hidi.

    Vérités sur l'arrestation de Larbi Ben M'hidi




    Dans son ouvrage Mensonges et calomnies d'un tortionnaire devenu général de l'armée française à paraître prochainement aux Editions APIC, notre confrère d'El Moudjahid Mouloud Benmohamed évoque l'arrestation du chahid Larbi Ben M'hidi. Il a rencontré deux officiers parachutistes (le général Bigeard et le colonel Allaire) du 3e RPC, ainsi que Brahim Chergui, un militant de la cause nationale de la première heure accablé par la rumeur, qui ont vécu directement ou indirectement l'arrestation de ce héros national. Versions ou témoignages, leurs propos convergent ... Le Soir d'Algérie propose à la lecture ces bonnes feuilles avec l'aimable accord de l'auteur et de l'éditeur.


    Quarante-huit ans après, l'arrestation, le 23 février 1957, du martyr Larbi Ben M'hidi constitue encore une énigme qui continue à alimenter de vives polémiques, des spéculations fantaisistes, des allégations mensongères érigées en certitudes, des supputations malveillantes, de vieilles hypothèses jamais avérées, de machiavéliques extrapolations. Rien que par la rumeur, le ouï-dire, le dénigrement, la calomnie certains ont taillé des procès fallacieux tandis que d'autres jetaient la suspicion et l'opprobre sur un authentique militant de la cause nationale qui avait intégré les rangs du mouvement d'indépendance depuis belle lurette, pour ne pas dire avant que ces pourfendeurs ne prennent conscience de leur statut d'indigène. Règlement de compte ? Vengeance ? Quoiqu'il en soit, les versions contradictoires relatives à la capture de notre héros national qui a su résister pour ne rien divulguer aux parachutistes de la 10e DP commandée par Massu, ces versions donc ont donné plus de crédibilité à ceux qui accablent, depuis des années – exactement depuis son incarcération en 1957 à la prison de Serkadji – un seul homme : Brahim Chergui. Pourtant, ce patriote a été arrêté après Larbi Ben M'hidi et ne pouvait donc pas le dénoncer. Pourtant, trois militants plus proches de Ben M'hidi ont été arrêtés avant ce dernier et donc c'est sur eux que la suspicion aurait dû être concentrée d'autant plus qu'ils sont morts sous la torture et par conséquent, ils n'auraient pas pu se défendre. Pas un renseignement, pas un nom n'a été livré par ces martyrs. Pour quelques-uns, la capture de Ben M'hidi a été réussie “grâce aux limiers de la 10e DP.” Pour quelques rares personnages qui ont semé le ouï-dire depuis des années, cette arrestation a été conclue à la suite de la “traîtrise” de Chergui qui avait été responsable politique de la Zone autonome d'Alger et agent de liaison du CEE”. Dans leurs ouvrages, les historiens consignent son nom en gras même s'ils connaissent très peu de choses sur ses activités de militant. Tous croient savoir que c'était un étudiant alors que Brahim n'a jamais intégré l'université en relation directe avec Abane Ramdane, Benkhedda, Dahleb, Ben M'hidi, Chergui était bien informé en matière d'armements en provenance du Maroc, de refuges, de boîtes aux lettres, de militants à la tête des trois régions politiques... Pas un renseignement livré à l'adversaire. Pas un militant auquel il a été confronté devant les tortionnaires n'a révélé une attitude déplorable de la part de Chergui. Dans un témoignage publié il y a quelques années dans la revue du Centre national d'études historiques, le défunt Ben Youcef Benkhedda (membre du premier CEE) a réagi aux calomnies en écrivant (page 129) : “Je l'affirme avec la plus ferme certitude, Chergui ne savait où se cachait Ben M'hidi, pas plus avant que pendant la grève des 8 jours, et encore moins après.” En page 131, Benkhedda, très catégorique, souligne qu'«à aucun moment, cet homme qui s'est acquitté loyalement de ses obligations envers l'organisation, n'a fourni à ses bourreaux les adresses des appartements et pied-à-terres où j'avais l'habitude de le rencontrer et, moins encore, ne les a convoyés à travers ces mêmes adresses”. Pourquoi alors de telles calomnies ? Pourquoi Brahim Chergui s'est-il suffi de roter ces dernières sans réagir ? Jusqu'à ce jour encore, les nostalgiques de l'Algérie française alliés aux spécialistes de l'intox ne désarment pas sur le terrain de la désinformation. Récemment encore, lors du procès en diffamation que lui a intenté le militante Louisa Ighilahriz, le général Maurice Schmitt chef d'état-major des armées françaises et tortionnaire à l'ex-école Sarrouy, selon les témoignages de ses victimes rescapées, assimilait face aux magistrats les résistants algériens à des “criminels”. Lors de ma rencontre avec le général Bigeard, celui-ci reprochait aux Algériens (lire annexe) d'avoir “mis dehors les pieds-noirs”. La bleuite a la peau dure (...). Je voulais savoir davantage. Alors, j'ai décidé de rencontrer Brahim Chergui. Ainsi donc, l'arrestation de Larbi Ben M'hidi vous intéresse... Venez parlà, je vais vous montrer quelque chose, propose Brahim Chergui qui nous reçoit dans sa demeure à Kouba. Lui aussi, il n'a pas été aisé de le retrouver. Happé par l'anonymat, cet octogénaire s'est totalement retiré de la vie politique depuis 1962. A vrai dire, rien n'a été fait pour l'y ramener ainsi que ses compagnons de militantisme tels Sid-Ali Abdelhamid, Mahfoud Belouni, Hachem Malek, Mohamed Sahraoui, Abderrahmane Baha et autres “politiques” de la Zone autonome d'Alger qui se sont joués de la 10e division parachutistes commandée par Massu. Qui par une évasion spectaculaire, qui par une résistance infaillible face à leurs tortionnaires... Aujourd'hui, ce sont des anonymes inconsidérés et par l'histoire officielle – qui connaît Brahim Chergui ou Sid-Ali Abdelhamid ? – et par ceux qui prennent le soin et la précaution de ne pas les inviter aux commémorations officielles. De quelques organisateurs, ils sont la mauvaise conscience... Bien malin se croyait celui qui nous a découragés de nous entretenir avec Brahim Chergui. “C'est un malade”, prétendait-il. Entendre par-là une sorte d'affabulateur. Loin de cela, l'homme s'exprime preuves à l'appui. Il insiste dans ses démonstrations comme s'il craignait de ne pas être cru. Il traverse le salon en nous dirigeant vers un mur sur lequel est accroché, comme une toile exceptionnelle, une photo embellie par un encadrement rustique. Celle du chahid Larbi Ben M'hidi menotté et entravé, entouré de deux parachutistes et aux côtés d'un Algérien.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    – Voilà Ben M'hidi, semble indiquer Brahim comme s'il s'adressait à quelqu'un qui n'a jamais vu le visage fier de ce pur qui avait présidé en août 1956 le congrès de la Soummam. A peine quelques instants et Brahim pose la question-piège :

    – Savez-vous qui est l'homme qui se tient aux côtés de Ben M'hidi ? La question n'est pas embarrassante et je réponds instinctivement :

    – C'est, paraît-il, celui qui a permis l'arrestation de Ben M'hidi. Il a donné l'adresse de son refuge aux parachutistes. Certains disent que c'est un traître. Imperturbablement. Sereinement. Peut-être même par provocation ou défi, Brahim me fixe et me lance :

    – Ce “traître” comme vous dites, c'est moi. Interloqué. Ebahi. Confondu. Je viens de faire insulte à un octogénaire qui me reçoit chez lui. J'aimerais que le sol se fende pour m'y engouffrer (...) Brahim comprend que je suis gêné. Rouge de honte.

    – Ne vous en faites pas. J'ai pris l'habitude de ce genre de réflexions. Cela dure depuis mon incarcération à la prison de Serkadji en 1957. Des individus sans honneur, sans principe ont voulu se venger de moi parce que je ne voulais pas qu'ils salissent la Révolution. Jamais je n'ai voulu répondre à leurs calomnies. Mais aujourd'hui cela ne peut plus continuer. Ma fille, mes fils m'ont exigé de répondre à ces attaques... Lorsque je militais dans le mouvement national, mes pourfendeurs faisaient dans le proxénétisme à La Casbah. C'est tellement sale que je me suis abstenu de parler. Aujourd'hui, la goutte a débordé... Brahim ne s'exprime pas ainsi, il se “vide”. Offensé devant sa famille, touché dans son amour-propre, meurtri dans son âme, gêné face à ses compagnons de lutte qui lui vouent estime et considération en se rassemblant chaque jeudi autour de lui au café Tlemçani, il s'exprime crûment :

    – Mes calomniateurs allèguent depuis 1957 que j'ai donné aux parachutistes de Bigeard l'adresse du refuge de Larbi Ben M'hidi. C'est faux, Ben M'hidi a été arrêté avant moi le 23 février 1957 et moi le lendemain le 24 février 1957. Par conséquent, je ne pouvais ni le dénoncer ni donner son adresse. D'ailleurs je ne savais même pas où était situé son refuge... Qu'on aille lire mon procès-verbal d'audition toujours disponible dans les archives de la DGSN. Même pas deux pages. Pourtant, je connaissais beaucoup de secrets. Je n'ai divulgué ni noms ni adresses, aucune accusation, aucun aveu. Pour essayer de me faire parler, les parachutistes m'ont confronté à des responsables et des militants, il n'y en a pas un que j'ai dénoncé ou accablé. Nous, militants de la première heure, avons été formés pour résister, pour donner nos vies sans succomber. Un responsable doit donner l'exemple et ne jamais accabler ses subordonnés... Allez consulter Allaire, il vous dira si je suis à l'origine de l'arrestation de Ben M'hidi. Je le ferai quelques semaines plus tard. Exactement en octobre 2002. Grâce à son maison d'édition parisienne, j'arrive à joindre Marcel Bigeard “le militaire le plus décoré de France” qui me reçoit à Toul, pendant huit heures, en présence de son épouse (lire l'interview). Celui-ci me fournit les coordonnées téléphoniques du colonel Jacques Allaire. Formel et catégorique, il souligne que “Chergui n'a rien à voir avec l'arrestation de Larbi Ben M'hidi”. Il sera d'ailleurs plus loquace que Bigeard lequel préfère se cacher derrière ses livres. “Tous les détails sont dans mes livres”, m'indiquera-t-il (...).

    Le témoignage de Brahim Chergui

    [...] Quelles responsabilités assumiezvous au moment de votre arrestation ?

    J'étais déjà responsable de fait de l'Organisation politique d'Alger avant qu'elle ne devienne zone autonome d'Alger après les décisions du Congrès de la Soummam. A mon arrestation, j'étais le responsable politique de la Zone autonome d'Alger et j'assumais des responsabilités militaires en matière de groupes de choc, de réception d'armes en provenance du Maroc, de liaisons avec les wilayas, etc.

    Comment avez-vous été désigné à ces responsabilités ?

    J'ai été désigné par le Congrès de la Soummam qui avait désigné à l'époque le Comité de coordination et d'exécution, CCE, lequel avait procédé à la délimitation des wilayas et à la création effective de la Zone autonome d'Alger. [...]

    Dans quelles circonstances avez vous été arrêté ?

    J'étais recherché depuis fort longtemps, quasiment depuis 1948 après les élections à l'Assemblée algérienne. J'étais recherché aussi durant 1953 alors que j'assumais les fonctions de responsable de la wilaya de Constantine. J'étais aussi recherché à cause de mes activités dans l'OS dont j'étais le responsable dans le Nord constantinois et dans l'Oranie. J'étais pratiquement tout le temps recherché. A Alger, j'étais vainement recherché mais j'étais inconnu. Le police ne détenait aucune trace de moi ni photos, ni curriculum ... J'étais tout le temps recherché sous différents pseudonymes dont le dernier était “Ahmida”. J'ai été arrêté le dimanche 24 février 1957. J'avais rendezvous avec un responsable de l'UGTA. C'était vers midi, dans un restaurant situé à la rue des Tanneurs. C'était ce responsable qui avait ramené les parachutistes de Bigeard lesquels m'ont arrêté au restaurant.

    Donc vous avez été dénoncé ?

    Oui, j'ai été dénoncé sinon jamais je n'aurais été arrêté. Les parachutistes m'ont emmené dans une villa du quartier la Scala près d'El-Biar. Dès mon arrivée, les tortures ont commencé. Les séances de tortures se répétaient sans répit. J'ai été torturé à mort. La gégène, l'eau. C'était atroce. Le plus insupportable c'était l'eau lorsqu'ils me faisaient immerger la tête. C'était récurrent et insupportable. J'ai fini par perdre connaissance. Mon cœur était défaillant ... J'ai soudain entendu quelqu'un dire : “Arrêtez, “Arrêtez”. Plus tard j'ai su que c'était le lieutenant Allaire

    Qui vous appliquait les tortures ?

    Je ne connaissais pas leurs noms. Larbi Ben M'hidi était-il parmi vous ? A ce moment-là, je ne l'avais pas vu ... Après, je l'ai rencontré.

    Est-ce que les parachutistes savaient qui vous étiez ?

    Ils savaient que j'étais Ahmida. J'étais recherché sous ce pseudonyme. Mais ils ne savaient pas que j'étais Brahim Chergui. Ils ignoraient absolument mes responsabilités et mes activités précises. Et ensuite ... C'était atroce. J'ai perdu connaissance ... Je me suis réveillé nu, sur un lit de camp, avec une couverture mise sur moi, je haletais, j'ai vomi beaucoup de bile... Puis les parachutistes m'ont reconduit au bureau du lieutenant Allaire pour y être interrogé. Là, j'ai subi l'électricité dans les parties intimes, aux oreilles ... C'était le lieutenant Allaire

    qui vous torturait ?

    Lui et ses compagnons. Avant de subir ces tortures, ils m'ont laissé seul après un lavage de cerveau. Je me suis fait passer pour un élément quelconque. Un civil de la DST était venu m'interroger. J'ai répondu que j'étais un pauvre bougre qui a été trompé puisqu'on a abusé de ma bonne foi. J'ai prétendu que je devais remettre une lettre que m'avait donnée Benkhedda et destinée à quelqu'un d'autre. Cela m'a sauvé en persistant dans cette déclaration. Qui vous torturait précisément ? Le lieutenant Allaire ? Allaire ne torturait pas. Il donnait des ordres. Il y avait une équipe qui exerçait les tortures. Ce civil de la DST m'avait cité tous les pseudonymes que j'avais utilisés tout au long de mes activités militantes ; il m'a même déclaré que j'étais responsable de l'Organisation d'Alger depuis plus de neuf mois ; que mon pseudonyme était Ahmida, etc. A cet instant, j'ai compris que les parachutistes et la DST savaient tout. Il ne me restait qu'à mourir sans avouer afin d'éviter d'être confronté aux autres militants. J'ignorais à quoi allaient aboutir ces interrogatoires. Après le départ de cet élément de la DST, Bigeard était arrivé avec un capitaine. Le lieutenant Allaire les accompagnait. Ils m'ont bien fixé et regardé sans dire un mot. Après leur départ, Allaire a commencé à m'interroger. C'était un interrogatoire qui m'a permis de comprendre certaines choses. Allaire a tiré de son tiroir un document contenant l'aveu d'un militant, Abdelmadjid Bentchicou, qui avait déclaré que je lui avais remis une enveloppe contenant de l'argent. Cela m'a permis de comprendre qu'il n'y avait aucune collaboration entre la DST et l'armée, à vrai dire, chacun d'eux travaillait pour soi. Il existait même une zizanie entre eux pour des questions de prérogatives. La police a essayé de me prendre de chez les parachutistes, elle n'est pas arrivée à m'extraire. Je pense qu'elle n'a pas remis toutes les données aux parachutistes, d'ailleurs le procès a concerné uniquement l'enveloppe que j'avais remise à Bentchicou.

    Qui était avec vous au moment de votre arrestation ?

    J'étais seul. Au PC de Bigeard, à la Scala, j'ai été mis seul dans une cellule. Puis, après les interrogatoires, les parachutistes m'ont mis dans une cellule avec le bachagha Boutaleb. Il y avait aussi un individu qui portait la veste de Hachemi Hamoud. Hachemi Hamoud était un militant de l'indépendance nationale qui est mort sous les tortures. Par cette veste, j'ai compris que Hachemi était mort et que cet individu était une “taupe”. En me mettant avec lui, les parachutistes ont cru que j'allais me confier à lui, que j'allais parler de mes activités. Il était là pour recueillir des informations et les rapporter aux parachutistes. Je m'étais tu sans révéler quoi que ce soit. Plus tard, ils m'ont fait changer de cellule. C'était quelques jours après. Là, dans cette nouvelle cellule, je m'étais rendu compte qu'elle était attenante à une autre cellule où était détenu Larbi Ben M'hidi.

    Comment vous êtes-vous rendu compte de sa présence ?

    Boutaleb recevait de sa famille des couffins de nourriture. Je m'étais permis de lui prendre une boîte de confiture pour la remettre à Ben M'hidi dans sa cellule ...
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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    • #3
      Excusez-moi. Je vous demande dans quelles circonstances vous êtes vous rendu compte de la présence de Larbi Ben-M'hidi ?

      J'avais vu auparavant Ben M'hidi dans sa cellule. La porte était ouverte, il y avait une sentinelle. C'était lorsque j'avais vu Ben M'hidi dans sa cellule que je m'étais permis de lui prendre une boîte de confiture. Dans sa cellule, j'ai vu que ses mains étaient menottées, ses pieds entravés. Il y avait dans cette cellule une chaise, une table et un lit de camp ... Je lui ai remis la boîte tout en lui disant : “Tu ne me connais pas, je ne te connais pas. Laissemoi faire”. Nous nous étions mis d'accord, Ben M'hidi n'a jamais parlé de moi, et moi je n'ai jamais parlé de lui. C'est pour cela que nous n'avons jamais été confrontés ... Les images filmées qui ont été montrées et qui continuent quelquefois à être montées dans les chaînes TV étaient destinées à préparer les esprits à mort. Il y avait l'ordre de tuer tous les responsables FLN arrêtés. Quelques jours après, les parachutistes m'ont placé dans une autre cellule où il y avait Bentchicou, Skander, Sifaoui, et Saber Cherif. Les parachutistes savaient bien ce qu'ils faisaient, car certainement parmi notre groupe, il y avait quelqu'un qui les renseignait. Ils m'ont mis avec le groupe car ils croyaient que j'allais m'épancher, parler avec mes compagnons. J'ai adopté une attitude de réserve. Je n'avais confiance en personne. Durant tous les jours passés avec ce groupe, je m'étais abstenu de parler ... Les parachutistes n'ont pas su qui j'étais exactement. Je me faisais passer pour un bougre ... J'ai même contesté le pseudonyme de Ahmida ... Je subissais sans arrêt les tortures, je n'en pouvais plus. C'était le calvaire. Je ne pouvais plus supporter les tortures. Ils n'ont emmené chez un médecin. Au cours des soins, celui-ci s'est étalé en discussion avec moi. Il m'a interpellé sur notre combat, sur notre révolution. Le médecin prétendait que notre guerre d'indépendance était inspirée par Djamel Abdennacer. Je lui ai répliqué que je n'avais rien à faire avec Djamel Abdennacer et que notre pays était beaucoup plus tourné vers l'Occident que vers l'Orient. J'ai emprunté à Ferhat Abbas une phrase pour lui dire qu'il nous est plus facile de traverser la Méditerranée que le désert de Libye. Certainement que ce médecin a pensé que j'étais récupérable alors il a exigé d'Allaire de ne plus me torturer. Il l'a même prévenu qu'il ne me soignerait plus au cas où je serais torturé une nouvelle fois. Au retour, ils m'ont placé seul dans une cellule. Là, j'ai appris que j'étais corvéable, c'est-à-dire la mort. J'attendais la mort. Un jour ils ont mis avec moi deux personnes, soi-disant deux militants de Boufarik, pour me faire parler. Je leur ai dit que j'étais un simple citoyen sans dimension aucune que j'allais être tué pour rien, que j'allais laisser une femme et quatre enfants qui ne connaissaient même pas à Alger, j'avais laissé une consigne à Skander, à Sifaoui, pour faire part à Aïssat Idir, qui était au camp, que ma famille était seule. Mes compagnons Skander, Sifaoui, Bentchicou, Saber Cherif, et Bouayed, l'ophtalmologue devaient être transférés dans un camp. Je leur avais demandé de dire à Aïssat Idir, que j'a llais être exécuté. Je suis resté dans la cellule de la Scala jusqu'au jour où les parachutistes m'ont mis dans la cellule de Larbi Ben M'hidi. C'est le lieutenant Allaire qui m'a placé dans cette cellule tout en exigeant de moi que je lui remette les archives de l'Organisation. “Les archives sont en ta possession” m'at- il affirmé. Je ne sais pas qui le lui a révélé. “Je sais que tu as les archives. Sinon, ce soir tu y passeras” m'a laissé entendre Allaire. J'avais compris que j'étais sur le point d'être exécuté. Je me demandais qui a attiré leur attention sur les archives que je possédais. C'est vrai qu'en tant que responsable je disposais d'archives cachées dans différents lieux et entre autres dans l'appartement de Abdelmadjid Bentchicou. A vrai dire, à son arrestation, j'y ai retiré toutes les archives constituées de photos, de cachets, de documents, etc.

      A quelle date a été arrêté Bentchicou ?

      Une vingtaine de jours avant moi ... J'ai compris que quelqu'un a parlé de ces archives que je n'étais pas décidé à fournir. Mourir pour mourir, il fallait mourir sans succomber. Au sein de l'OS, nous avions appris à résister. Nous étions formés pour ne pas céder en cas de tortures. Nous avions appris à avoir une attitude digne, une attitude de responsable qui ne doit jamais “donner” ses subalternes. Un militant a le droit de céder, mais un responsable, jamais.

      Que savez-vous sur les circonstances de l'arrestation de Larbi Ben- M'hidi ?

      Je n'étais pas présent lors de son arrestation. J'ai été arrêté après lui, le lendemain. D'après mon analyse, il a été arrêté par hasard. Les parachutistes étaient à la recherche de Benyoucef Benkhedda. C'est Benkhedda qu'ils recherchaient.

      Pourquoi Benkhedda ?

      Je vais vous expliquer. Benkhedda était le seul qui s'occupait des locations et des achats d'appartements pour permettre aux membres du CCE (Comité de coordination et d'exécution) d'avoir des refuges dans des quartiers européens. Benkhedda était en contact avec un agent immobilier qui travaillait à l'agence immobilière Zanetaci. Quelques jours avant la grève des huit jours, pour des raisons de sécurité Ben M'hidi avait quitté La Casbah. Quelques jours plus tard, Benkhedda lui a cédé son refuge. Parmi les membres du CCE qui étaient à Alger, Ben M'hidi était le seul à ne pas avoir son propre refuge. Je vous précise, par ailleurs, que chaque membre du CCE ignorait les adresses des refuges de ses compagnons. Je vous disais donc que Benkhedda avait cédé sa planque à Ben M'hidi. Elle se trouvait dans une ruelle pas très loin du quartier Debussy. Je n'ai connu l'adresse de ce refuge qu'après l'indépendance contrairement aux allégations de mes calomniateurs. Ben M'hidi s'y est installé. Hélas l'agent immobilier qui avait procuré les appartements à Benkhedda a été arrêté et atrocement torturé. Il a résisté jusqu'au jour où son frère, agent d'assurance, a été arrêté à son tour. Celui-ci était marié à une Européenne. Les tortionnaires ont exercé des pressions sur l'agent immobilier qui craignait que son frère et son épouse soient torturés devant lui. Il se faisait passer pour un simple comparse. Sous les tortures, il a révélé qu'il louait des appartements à Benkhedda pour ses amis européens mais dont il ignorait l'appartenance au FLN. Torture après torture, il a livré la liste des appartements récemment loués par Benkhedda. Les parachutistes se sont immédiatement rendus à ces appartements. Là, ils sont tombés nez à nez avec Larbi Ben M'hidi. Personnellement je disposais de trois refuges : le premier à Hussein-Dey, le deuxième à la place Hoche et le troisième était l'appartement de Abdelmadjid Bentchicou que les paras n'ont jamais connu. A mon arrestation, j'ai préféré leur donner mon adresse personnelle à la rue Bourlon, car je devais préserver les archives. Avant que Benkhedda ne cède son refuge à Ben M'hidi, nous avions une planque lors de la grève des huit jours à la rue Roosvelt. Nous étions quatre : Benkhedda, Ben M'hidi, Hachemi Hamoud et moi-même. C'était dans l'immeuble de Zahar Cherif. A la fin de la grève, chacun de nous a rejoint son refuge. Benkhedda s'est donc occupé de Ben M'hidi comme je vous disais. Hachemi Hamoud est venu avec moi à la rue Auber dans l'appartement de Bentchicou où je l'ai laissé quelques heures pour aller au centre-ville. A mon retour, il n'y avait personne dans l'appartement. J'ai trouvé déposée sur la table l'enveloppe contenant l'argent que j'avais remise à Bentchicou. J'étais étonné. Comme Bentchicou avait un dépôt de tabac près de son appartement, je m'y suis rendu dans l'espoir d'y trouver Hachemi Hamoud. Surprise. Là, j'ai vu Hachemi Hamoud, Bentchicou et d'autres ouvriers les mains en l'air, le dos au mur. Je suis retourné immédiatement à l'appartement pour prendre les archives, les photos, les cachets, etc. Je suis ensuite sorti quelques mètres plus loin, le quartier était infesté de policiers et de parachutistes. J'ai rencontré Belaïd Abdeslem avec lequel j'avais rendez-vous. D'un signe de la main je lui ai fait comprendre le danger. Il a rebroussé chemin. Plus loin, je l'ai informé de ce qui se passait au dépôt de Bentchicou.
      The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

      Commentaire


      • #4
        Pourquoi aviez-vous rendez-vous avec Belaïd Abdeslem ?

        Belaïd Abdeslem avait des activités militantes en France parmi les étudiants dont il s'occupait de leur rassemblement et gérait leurs activités. Il m'a envoyé plusieurs étudiants que j'ai intégrés dans notre organisation, parmi eux Ali Lakhdari, Belaïd... La Zone autonome d'Alger était la cheville ouvrière de la Révolution dans tous les domaines sans compter la présence à Alger du CEE. Par conséquent, j'avais de très nombreuses activités, j'avais besoin d'être secondé. Le CEE a fait appel à Belaïd Abdeslem pour me remplacer dans certaines activités. J'avais même commencé quelques passations avec lui. Entre autres, je lui ai confié Zahia Khelfellah qui travaillait à la radio, rue Hoche, où d'ailleurs elle a posé une bombe.

        Comment avez-vous appris que Larbi Ben M'hidi avait été assassiné ?

        J'étais dans une cellule en compagnie de Bentchicou, Sifaoui, Skander et Saber. Chaque fois que Larbi Ben M'hidi était entré dans sa cellule, je l'entendais marcher à cause du bruit de ses entraves. Les parachutistes l'ont fait sortir une fois pour le soumettre au fameux sérum de vérité, ils l'ont remis dans sa cellule vers 1h du matin. Puis, c'était mon tour. Une fois, en haut dans la villa, j'avais compris qu'ils l'avaient soumis à cette épreuve. Ils m'ont soumis à ce sérum pour vérifier si je ne leur avais pas menti. Nous connaissions l'astuce, il fallait se concentrer sur les questions posées auparavant (...). Mon retour à la cellule, ils avaient constaté une grande présence de policiers venus nous filmer. Les images ont été filmées peu après le sérum de vérité. Contrairement aux images, je n'ai jamais été côte à côte avec Ben M'hidi. Ben M'hidi se trouvait dans le couloir contre le mur, et moi j'étais contre l'autre mur, nous étions l'un en face de l'autre. J'ai souvenance que j'étais fatigué des tortures, je ne pouvais plus rester debout aussi je me suis affalé sur le sol. Ben M'hidi leur a lancé à la figure : “Pourquoi l'avez-vous réduit à un état inhumain... Rappelezvous de la tanée que vous nous avez donnée au Djorf....” Après la séance de caméra, ils m'ont fait descendre à la cellule, Ben M'hidi était derrière moi. Le lendemain ou le surlendemain, j'ai relevé que la villa était devenue un tribunal. Ben M'hidi a été extrait de sa cellule et emmené à l'étage supérieur où il y avait Bigeard. Nous entendions des cris, des propos très forts. Les sentinelles nous avaient dit qu'il y avait là Massu, Bigeard et Max Lejeune. J'ai déduit qu'il s'agissait d'une cour martiale clandestine venue juger Ben M'hidi. Je précise qu'on avait demandé à Ben M'hidi de rencontrer Lacoste. Ben M'hidi avait refusé. Devant leur insistance, Ben M'hidi leur a dit : “Si vous m'amenez de force, je n'ai pas le choix. De mon propre gré, je n'ai pas à voir Lacoste, parce que dans notre éducation, il ne faut jamais rencontrer l'ennemi seul. Il faut au moins être deux.”

        Qui vous a rapporté ces propos ?

        Ben M'hidi lui-même. Durant la nuit, il a été ramené dans sa sellule. Le lendemain, Ben M'hidi a été pris, je ne sais pas où. C'était l'après-midi. Deux ou trois heures après, le lieutenant Allaire a fait irruption dans la cellule où il y avait avec moi Saber, Bentchicou, Sifaoui et Skander. Allaire était en tenue de combat, le pistolet à la hanche. Il était consterné, ému, pas du tout dans son assiette. Il s'est adressé à moi en ces termes : “Ahmida, avez-vous connu Ben M'hidi ?” J'ai répondu par la négative. Alors il a insisté ainsi : “Et autrefois, autrefois ?” “C'est possible”, ai-je rétorqué. “Quand ? Quand ?”, m'a-t-il demandé. “Dans un camp lors d'un jamborée peut-être, en 1944 à Tlemcen”, ai-je répondu. Puis, il m'a remis une montre de la part de Ben M'hidi. J'ai feint l'ignorant. Allaire m'a répondu ainsi : “Il paraît que cela ne lui sert plus à rien.” Evidemment j'avais compris mais je faisais l'ignorant. Mais j'ignorais le sort de Ben M'hidi... Pour moi, il a été fusillé. Pourquoi ? Parce que la consternation d'Allaire voulait tout dire. Il s'est même affalé par terre. Il était très touché. Pour moi, c'est lui qui a donné le coup de grâce en tirant sur la tête de Ben M'hidi. D'ailleurs plus tard on a parlé d'impacts de balles à sa tête et sur son corps. Pour moi, Ben M'hidi a été fusillé (...)

        Dans ces circonstances, Aussaresses a menti dans son ouvrage ?

        Pour moi Aussaresses était à la recherche d'un scoop. Jamais je n'admettrais que Ben M'hidi a été pendu. De même je refute toute allégation selon laquelle Ben M'hidi a été scalpé, torturé, étranglé ou pendu. Ben M'hidi est un homme de la révolution qui a connu les honneurs des armes présentés par Bigeard. C'était l'homme de la révolution qui aurait pu se trouver à la table de négociations.

        Étiez-vous présent au moment où Bigeard lui a fait rendre les honneurs ?

        Je n'étais pas un témoin visuel. Je dis que Ben M'hidi a été pris de sa cellule, qu'il a été amené je ne sais où. Je sais que Allaire est venu, qu'il lui a présenté les armes puisque c'est lui-même qui en a parlé.
        The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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