"J'ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s'exerce aveuglément dans les rues d'Alger par exemple, et qui peut un jour frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice."
Albert Camus
Oui, il faut que cela se sache, j'ai été un dangereux révolutionnaire ! Oh, il y a bien longtemps, et je ne risque rien à avouer maintenant ce qui est couvert depuis des années par la prescription trentenaire (de trente jours !).
Si Edwy Plenel, éminent journaliste au Monde et l'un de mes anciens condisciples au lycée Victor Hugo et mon Co-rédacteur du journal du lycée en 1968-69, rappelle ses souvenirs de 1968 dans un livre qui a eu les honneurs de la critique de El Watan en septembre 2001, je peux bien moi aussi rappeler les différentes étapes de mon parcours combattant.
Ah, la vie n'était pas rose tous les jours pour nous, fils de bourgeois installés dans le confort de nos appartements avec vue sur la mer et sans chauffage l'hiver, elle n'était rose que lorsque le vent avait soufflé du bon côté et que le soleil se couchait rose dans la mer.
En ces temps là, l'Algérie était le phare du Monde (oui, pas seulement du Tiers-Monde, pourquoi les deux autres morceaux n'auraient-ils pas profité des lumières nocturnes de tous les phares qui bordent nos 1200 km de côtes superbes ?), en ces temps là l'Algérie avait depuis longtemps jeté l'égoïsme par la fenêtre, et se posait en modèle universel ; que cette époque était belle !
Cela avait commencé en 1968, pas en mai comme dans certains pays retardataires mais volontiers donneurs de leçon à la Terre entière ; non, chez nous en Algérie (le plus beau pays du monde, je vous l'ai déjà dit ?), 1968 a commencé en février. Pourquoi février ? Simplement parce que dans notre beau pays (l'Algérie, bessah), nous n'attendons pas le mois de mai pour voir les amandiers en fleurs, le printemps chez nous commence en février, il n'est pas fainéant comme dans le Nord. Alors en février 1968, les étudiants de la Fac' d'Alger (je vous ai déjà expliqué qu'à Alger, on n'avait pas d'Université, mais des Facultés, c'est à la fois la même chose et pas pareil du tout, c'est une question de nuances, et la langue algéroise pour les nuances elle reçoit de leçon de personne, voilà) ont commencé à faire parler d'eux, à se promener rue Michelet au lieu d'aller en cours, à faire la course entre le Trou des Facs et la Poste avec des hommes dans une forme athlétique et un uniforme bleu, à essayer de ne pas prendre une douche à l'eau bleue, à coller des papiers pleins de choses écrites dessus en dehors des espaces réservés pour ça, en évitant qu'une nuée de photographes amateurs et alpinistes ne leur tirent le portrait de loin. Ah, quelle belle époque tout de même, et pour que tout le monde comprenne bien ce dont je parle, je vais quand même traduire.
En février 1968, pour des raisons que j'ai heureusement oubliées depuis longtemps, les étudiants de la Fac' d'Alger ont commencé à faire grève, ce qui ne pouvait pas passer inaperçu vu la situation de la Fac' en plein centre de madinat el djezaïr. Pour expliquer au passant ignorant le pourquoi et le comment, et afin que ce genre d'expression ne reste pas indéfiniment du chinois (!), ils apposèrent des dazibaos sur les murs de l'entrée monumentale de la Fac' rue Edouard Cat, et des Facs de Droit et de Lettres ; étant donné le nombre de lecteurs avides qui se pressaient pour lire ces journaux spontanés constamment mis à jour, il était facile pour des policiers armés d'appareils photo et de téléobjectifs de capturer le portrait de ceux qui n'avaient d'autre but que de se tenir au courant des derniers développements de l'actualité, et qui se retrouvaient souvent au Commissariat Central pour des interviews et des séances photo supplémentaires.
De temps à autres, des étudiants se défoulaient en organisant une petite manifestation assez bon enfant en ville ; mais comme à Alger les manifestations d'étudiants qui partent de la Fac' rue Charles Péguy n'ont pas toujours laissé de bons souvenirs aux responsables du maintien de l'ordre (ça c'est pour tester vos connaissances en Histoire, c'est facile on parle beaucoup de cette période en ce moment, surtout fi frança d'ailleurs), la Police faisait alors prendre l'air à ses camions Mercedes tout neufs, équipés de belles lances à inonder les manifestants et dont les cuves étaient remplies d'eau au bleu de méthylène pour éviter sans doute d'arroser deux fois les mêmes coureurs à pied, certainement par souci d'économie (quand on voit la situation “hydrique” actuelle comme disent les journaux, on apprécie ce souci d'économie) ; certains à l'époque pensaient que c'était pour mieux repérer les coureurs mouillés parmi les manifestants et leur chatouiller le dos avec un bâton, mais moi je suis sûr que c'était pour économiser l'eau.
Bon, donc en février 1968 fi dzaïr (la plus belle ville du monde, ouallahi), je ne rentrais pas du lycée à la maison par le bus T qui passait par la rue Michelet et la Poste, mais par le bus du bas, qui portait un numéro en souvenir de l'ancienne RDTA, et que je prenais en bas du lycée ; petite cause, grands effets, comme je dis toujours.
Ce qui est bien avec l'avion, c'est que de Alger (la plus belle ...) à Paris, on va vite ; ya3ni on va vite passer quelques jours à Paris, et puis on revient encore plus vite passque Alger (... du monde) elle vous manque tellement que ma parole la vérité la vie elle est plus possibe, encore un jour ma parole je meurs. Quel rapport avec la révolution mondiale ? astenna seulement je finis je vous esplique bien : des fronçais de fronce qu'ils travaillaient coopérants fi d'zaïr (ça veut dire i zapprenaient le boulot, i zétaient apprentis), quand i zont eu fini qu'i sont rentrés en France (les pôvres, rentrer en France ! Moi je pars en France, je rentre à Alger, enfin bon passons je m'égare), rien qu'i croyaient que c'était comme ça la vie des étudiants, i zont montré pareil à Cohn-Bendit et Sauvageot, et voilà comment mai 1968 il est né, pas à cause que les étudiants rijaloun de Nanterre i voulaient entrer aouf la nuit dans le dortoir des étudiantes îmra3atoun comme les jaridat françaouiat qu'i z'y connaissent rien i zécrivaient. Ouf, je suis quand bien content d'avoir rétabli la vérité Historique (avec un H majuscule, bessah).
Albert Camus
Oui, il faut que cela se sache, j'ai été un dangereux révolutionnaire ! Oh, il y a bien longtemps, et je ne risque rien à avouer maintenant ce qui est couvert depuis des années par la prescription trentenaire (de trente jours !).
Si Edwy Plenel, éminent journaliste au Monde et l'un de mes anciens condisciples au lycée Victor Hugo et mon Co-rédacteur du journal du lycée en 1968-69, rappelle ses souvenirs de 1968 dans un livre qui a eu les honneurs de la critique de El Watan en septembre 2001, je peux bien moi aussi rappeler les différentes étapes de mon parcours combattant.
Ah, la vie n'était pas rose tous les jours pour nous, fils de bourgeois installés dans le confort de nos appartements avec vue sur la mer et sans chauffage l'hiver, elle n'était rose que lorsque le vent avait soufflé du bon côté et que le soleil se couchait rose dans la mer.
En ces temps là, l'Algérie était le phare du Monde (oui, pas seulement du Tiers-Monde, pourquoi les deux autres morceaux n'auraient-ils pas profité des lumières nocturnes de tous les phares qui bordent nos 1200 km de côtes superbes ?), en ces temps là l'Algérie avait depuis longtemps jeté l'égoïsme par la fenêtre, et se posait en modèle universel ; que cette époque était belle !
Cela avait commencé en 1968, pas en mai comme dans certains pays retardataires mais volontiers donneurs de leçon à la Terre entière ; non, chez nous en Algérie (le plus beau pays du monde, je vous l'ai déjà dit ?), 1968 a commencé en février. Pourquoi février ? Simplement parce que dans notre beau pays (l'Algérie, bessah), nous n'attendons pas le mois de mai pour voir les amandiers en fleurs, le printemps chez nous commence en février, il n'est pas fainéant comme dans le Nord. Alors en février 1968, les étudiants de la Fac' d'Alger (je vous ai déjà expliqué qu'à Alger, on n'avait pas d'Université, mais des Facultés, c'est à la fois la même chose et pas pareil du tout, c'est une question de nuances, et la langue algéroise pour les nuances elle reçoit de leçon de personne, voilà) ont commencé à faire parler d'eux, à se promener rue Michelet au lieu d'aller en cours, à faire la course entre le Trou des Facs et la Poste avec des hommes dans une forme athlétique et un uniforme bleu, à essayer de ne pas prendre une douche à l'eau bleue, à coller des papiers pleins de choses écrites dessus en dehors des espaces réservés pour ça, en évitant qu'une nuée de photographes amateurs et alpinistes ne leur tirent le portrait de loin. Ah, quelle belle époque tout de même, et pour que tout le monde comprenne bien ce dont je parle, je vais quand même traduire.
En février 1968, pour des raisons que j'ai heureusement oubliées depuis longtemps, les étudiants de la Fac' d'Alger ont commencé à faire grève, ce qui ne pouvait pas passer inaperçu vu la situation de la Fac' en plein centre de madinat el djezaïr. Pour expliquer au passant ignorant le pourquoi et le comment, et afin que ce genre d'expression ne reste pas indéfiniment du chinois (!), ils apposèrent des dazibaos sur les murs de l'entrée monumentale de la Fac' rue Edouard Cat, et des Facs de Droit et de Lettres ; étant donné le nombre de lecteurs avides qui se pressaient pour lire ces journaux spontanés constamment mis à jour, il était facile pour des policiers armés d'appareils photo et de téléobjectifs de capturer le portrait de ceux qui n'avaient d'autre but que de se tenir au courant des derniers développements de l'actualité, et qui se retrouvaient souvent au Commissariat Central pour des interviews et des séances photo supplémentaires.
De temps à autres, des étudiants se défoulaient en organisant une petite manifestation assez bon enfant en ville ; mais comme à Alger les manifestations d'étudiants qui partent de la Fac' rue Charles Péguy n'ont pas toujours laissé de bons souvenirs aux responsables du maintien de l'ordre (ça c'est pour tester vos connaissances en Histoire, c'est facile on parle beaucoup de cette période en ce moment, surtout fi frança d'ailleurs), la Police faisait alors prendre l'air à ses camions Mercedes tout neufs, équipés de belles lances à inonder les manifestants et dont les cuves étaient remplies d'eau au bleu de méthylène pour éviter sans doute d'arroser deux fois les mêmes coureurs à pied, certainement par souci d'économie (quand on voit la situation “hydrique” actuelle comme disent les journaux, on apprécie ce souci d'économie) ; certains à l'époque pensaient que c'était pour mieux repérer les coureurs mouillés parmi les manifestants et leur chatouiller le dos avec un bâton, mais moi je suis sûr que c'était pour économiser l'eau.
Bon, donc en février 1968 fi dzaïr (la plus belle ville du monde, ouallahi), je ne rentrais pas du lycée à la maison par le bus T qui passait par la rue Michelet et la Poste, mais par le bus du bas, qui portait un numéro en souvenir de l'ancienne RDTA, et que je prenais en bas du lycée ; petite cause, grands effets, comme je dis toujours.
Ce qui est bien avec l'avion, c'est que de Alger (la plus belle ...) à Paris, on va vite ; ya3ni on va vite passer quelques jours à Paris, et puis on revient encore plus vite passque Alger (... du monde) elle vous manque tellement que ma parole la vérité la vie elle est plus possibe, encore un jour ma parole je meurs. Quel rapport avec la révolution mondiale ? astenna seulement je finis je vous esplique bien : des fronçais de fronce qu'ils travaillaient coopérants fi d'zaïr (ça veut dire i zapprenaient le boulot, i zétaient apprentis), quand i zont eu fini qu'i sont rentrés en France (les pôvres, rentrer en France ! Moi je pars en France, je rentre à Alger, enfin bon passons je m'égare), rien qu'i croyaient que c'était comme ça la vie des étudiants, i zont montré pareil à Cohn-Bendit et Sauvageot, et voilà comment mai 1968 il est né, pas à cause que les étudiants rijaloun de Nanterre i voulaient entrer aouf la nuit dans le dortoir des étudiantes îmra3atoun comme les jaridat françaouiat qu'i z'y connaissent rien i zécrivaient. Ouf, je suis quand bien content d'avoir rétabli la vérité Historique (avec un H majuscule, bessah).
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