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Les 7 plaies de 2008 dix ans après

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  • Les 7 plaies de 2008 dix ans après

    Challenges
    Grégoire Pinson


    Le 15 septembre 2008, Lehman Brothers se déclarait en faillite, victime de la crise des subprimes. Dans sa chute, la banque entraîne toutes les Bourses mondiales. Créant la panique. Le cauchemar est encore présent dans l’esprit des épargnants et des investisseurs. Aujourd’hui, au vu des incertitudes économiques, des tensions commerciales, de l’excès de liquidités, l’histoire peut-elle se répéter ? Une décennie plus tard, qu’est-ce qui a changé sur la planète fi nance ?
    1. Les produits toxiques ont-ils été éradiqués ?
    Dix ans après, l’histoire semble toujours aussi incroyable. Comment une poignée de foyers américains incapables de régler leurs crédits hypothécaires ont-ils pu déclencher la pire crise depuis 1929 ? Réponse : grâce à l’inventivité débordante des financiers. Les créances titrisées et les dérivés de crédits avaient été éparpillés façon puzzle tout au long des années 2000, dans tous les établissements de la planète. De 800 milliards de dollars en 2000, ces dérivés de crédit étaient ainsi passés à 70 000 milliards mi- 2007 !

    Pas certain que ce goût discutable pour l’innovation se soit calmé depuis. Les ETF, ces produits cotés répliquant des indices boursiers, et les fonds monétaires provoquent aujourd’hui quelques inquiétudes. Une idée qui circule, notamment chez Attac, pour éviter une nouvelle intoxication de la finance : créer une agence publique chargée de véri er la dangerosité des produits - nanciers, à l’image des agences contrôlant les médicaments.

    “La titrisation aujourd’hui n’a rien de comparable avec ce qu’elle était il y a dix ans. En quantité, d’abord, puisque ce procédé est moins utilisé. Par ailleurs, des gardefous ont été créés, notamment en Europe, en créant une titrisation dite simple, transparente et standardisée. Les produits dérivés, eux, doivent en principe passer par des chambres de compensation. Ces organisations permettent une plus grande sécurité des échanges en jouant le rôle de coupe-feu en cas de crise. Pour autant, une question demeure essentielle : quelle est la part des produits nanciers qui participe réellement à l’économie productive ? Eviter la répétition des crises est fondamental, mais favoriser une nance qui alloue le capital à l’économie productive en temps normal est tout aussi important. Or, à ce niveau, beaucoup reste à faire. »



    2. Les banques sont-elles plus solides ?
    Depuis dix ans, les banques sont dans le collimateur. A l’origine de la crise des subprimes, nombre d’entre elles (BNP Paribas, RBS, ABN Amro...) n’ont dû leur salut qu’à une mobilisation massive d’argent public – 40 milliards d’euros rien qu’en France. Pour éviter la réédition d’un tel épisode, les établissements ont été soumis à une avalanche de stress-tests et à autant de textes réglementaires. Objectif : renforcer la solvabilité et la liquidité des bilans. La Banque de France vient encore de demander aux banques, en juin, de se doter d’ici un an d’un nouveau « coussin » de sécurité pour les crédits qu’elles octroient. Et pour protéger les contribuables, l’Union européenne a même édicté que créanciers et actionnaires seront désormais sollicités en priorité, en cas de faillite. Trop lourde pour les banques, cette montagne de règles ? C’est ce que pense Donald Trump, qui a entamé, avant l’été, la déconstruction des règles anti-spéculations, mises en place après 2008... Mais le plus grand danger est peut-être ailleurs : dans le Far West du shadow banking. En Chine, selon l’agence Moody’s, le montant des crédits accordés hors des circuits bancaires, et donc sans surveillance, s’élevait à 62 900 milliards de yuans (7 900 milliards d’euros) n juin.


    L’ANALYSE DEDominique Plihon Professeur à Paris XIII et membre du conseil d’administration d’Attac
    B. Delessard/Challenges
    “La régulation bancaire a connu des avancées depuis dix ans, par exemple avec le nouvel accord de Bâle III ou avec l’union bancaire mise en place dans l’Union européenne. Pour autant, malgré les af rmations de Pierre Moscovici, ministre de l’Economie en 2013, la séparation des activités entre banque de détail et banque de marché n’a pas eu lieu. Le système reste donc particulièrement fragile. En France en particulier, les banques dites systémiques, c’est-à-dire susceptibles d’emporter dans leur chute des pans entiers de l’économie, détiennent 80 % de part de marché. Quant au business model des banques, il n’a pas non plus évolué : il consiste toujours à utiliser l’argent des dépôts, celui con é par les citoyens, pour mener des activités nancières à risque de manière discrétionnaire et opaque. »

    3. Les liaisons dangereuses entre finance et régulation ont-elles cessé ?
    18 septembre 2008 : trois jours après la chute de Lehman, Henry Paulson, secrétaire américain au Trésor, annonce la mobilisation de 700 milliards de dollars pour racheter ses créances douteuses. La mesure calme les marchés. Pas les politiques : la rapidité et la puissance de cette réaction pour sauver les banques ne s’expliquentelles pas par la proximité de Paulson avec les milieux nanciers ? Avant de rejoindre l’administration Bush, Paulson a passé plus de trente ans chez Goldman Sachs.

    Dix ans après, les liens entre régulateurs et nance ne sont pas distendus. Un autre ex- Goldman Sachs, Mario Draghi, est à la tête de la Banque centrale européenne, et un ex-BNP Paribas, François Villeroy de Galhau, gouverne la Banque de France. Le système fonctionne dans les deux sens, puisque Jose-Manuel Barroso, ex-président de la Commission européenne, a rejoint Goldman Sachs (toujours !) et Xavier Musca, secrétaire général de l’Elysée sous Sarkozy, oeuvre au Crédit agricole.


    L’ANALYSE DEJézabel Couppey-Soubeyran Maître de conférences à Paris 1, auteur de Blabla banque : le discours de l’inaction (éd. Michalon)
    Hamilton/Réa
    “Le système de revolving door, de passage du public au privé et vice-versa, entre la banque et les autorités de régulation, s’est accentué depuis dix ans. Tout le monde semble s’en réjouir, au nom du pragmatisme. Pourtant, cela pose un vrai problème, moins en termes de con it d’intérêts qu’en raison de la culture dans laquelle ont baigné ces régulateurs venant d’établissements nanciers. Une étude publiée en mai par des chercheurs du FMI et de la Paris School of Economics montre que les gouverneurs de banques centrales venant de la nance privée mènent une politique plus libérale à l’égard du secteur bancaire que ceux qui sont issus d’organismes publics. Les anciens banquiers sont inévitablement imprégnés des valeurs du secteur où ils ont exercé. »
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    4. Les dettes publiques sous contrôle ?
    Pour les Etats, la crise de 2008 a déclenché une mécanique infernale. Ils ont mis la main à la poche pour sauver leurs banques. Dans le même temps, leurs recettes se sont amenuisées avec la crise. Résultat : les dé cits et la dette ont filé et nombre de pays, dont la France, se sont retrouvés dans le collimateur des marchés nanciers – alors qu’ils venaient de contribuer à stabiliser ces derniers !

    Depuis, de la Grèce à l’Italie, la dette publique fait régulièrement trembler l’économie européenne. Et ce n’est pas ni. Même si Athènes vient de percevoir, cet été, son ultime tranche de nancement provenant de l’UE et du FMI, son endettement pèse 188 % de son PIB. L’UE va donc devoir continuer à vivre sur le long terme avec cette dette des Etats. Faut-il imaginer Sisyphe heureux ?


    L’ANALYSE DEHubert Rodarie Auteur de La pente despotique de l’économie mondiale (éd. Salvator)
    SP
    “Il faut dédramatiser le problème de la dette publique. Nous avons un problème de représentation scienti que de ce sujet. Nos responsables politiques et économiques demeurent gés sur deux idées : primo, la dette publique est de même nature que celle des ménages, en avoir trop est toujours mauvais ; secundo, l’accroissement de la dette crée de l’in ation. Or, ces deux idées sont inexactes. Car la dette publique n’est pas que de la dette, c’est aussi de la monnaie. Elle constitue une manière pour les Etats d’agir pour fournir aux économies la monnaie dont elles ont besoin. Et ce, à rebours de la pratique des quarante dernières années, où la création monétaire fut d’abord dévolue aux banques par le crédit. Quant à l’in ation, depuis trente ans ce n’est plus un sujet et malgré les hausses de dettes elle n’est pas arrivée. Il faut donc conclure que la dette publique est aussi une représentation comptable. Conserver ou supprimer la dette sans dommage, c’est possible. Le vrai sujet, on en parle peu, c’est la monnaie et ses pénuries ou ses excès. Nous avons donc des vaches sacrées à abattre pour progresser ! »

    5. Les agences de notation sont-elles indépendantes ?
    Les agences de notation ont tissé, dans les années précédant la crise, un rideau de fumée qui a trompé les investisseurs. S&P et Moody’s ont ainsi accordé de généreuses notations aux fonds de titrisation – ces créances douteuses qui ont fragilisé les comptes des banques. Et ce n’est pas tout : ces mêmes agences ont jeté, quelques mois plus tard, de l’huile sur le feu en dégradant la note des Etats-Unis (le pays accroît alors ses dé - cits précisément pour faire face à la crise) et en faisant chuter brutalement la notation de la Grèce, en 2009. Depuis, pas une année sans qu’un responsable politique européen n’appelle de ses voeux la création d’une agence de notation proprement européenne : Merkel, Barroso, Barnier... Le cabinet Roland Berger s’y est essayé. En vain. Les américains S&P, Moody’s et Fitch détiennent toujours plus 90 % de part de marché en Europe.


    L’ANALYSE DERama Cont Directeur de recherche au CNRS et président de MSI (ONG spécialisée dans les normes de certi cation)
    SP
    “La baisse d’activité dans les produits nanciers structurés, depuis la crise, a naturellement conduit les agences de notation à moins s’occuper de ce domaine. Mais pour le reste, rien n’a vraiment changé. Il n’existe toujours pas d’organisme de régulation spéci que. Et le marché est toujours entre les mains d’un nombre trop limité d’acteurs. Le problème d’indépendance des évaluations demeure également, puisque ces agences doivent, d’un côté, délivrer une notation à leur client, et de l’autre les ménager commercialement, puisqu’ils payent leur propre notation. Je considère en outre que les méthodologies des agences de notation, qui évoluent en fonction de leurs objets d’étude, n’ont pas gagné en transparence. Preuve de la limite de leur exercice : lorsque des procès ont été engagés contre elles aux Etats-Unis, après la crise, elles ont invoqué le premier amendement, soulignant que la notation qu’elles avaient publiée n’était qu’une opinion et relevait de la liberté d’expression. »

    6. Les vannes du crédit sont-elles trop ouvertes ?
    Fin 2006, les subprimes, ces crédits hypothécaires à risque accordés aux foyers américains, pesaient 12 % des prêts. Comment les banques ont-elles pu ignorer les dangers d’une telle situation ? En se rassurant avec la hausse continue des prix immobiliers, qui mettait selon elles hors de danger emprunteurs et créanciers. La simple revalorisation des biens absorbait à elle seule une partie de la dette. Naturellement, cette forme de pyramide de Ponzi s’est effondrée au premier coup de frein sur le marché de l’immobilier !

    Les banques françaises ne sont-elles pas embarquées dans le même type de raisonnement, aujourd’hui, en ouvrant les vannes du crédit aux entreprises ? Fin juin, les encours ont ainsi bondi de 6 % en rythme annuel.

    La situation a attiré l’attention de la Banque de France. Son Haut conseil de la stabilité nancière exige, depuis juillet, que les expositions des grandes banques aux entreprises les plus endettées ne dépassent pas plus de 5 % de leurs fonds propres éligibles.


    L’ANALYSE DEPatrick Artus Directeur de la recherche de Natixis
    Bruno Levy/Challenges
    “La situation est parfaitement saine en France : les banques françaises prêtent aux entreprises qui ont des projets et des moyens. Il s’agit pour ces dernières d’un endettement long, à taux xe et bas, et qui ne vise pas à nancer des fonds de roulement, mais bien des investissements destinés à accroître la production. Ces prêts bancaires ne sont donc pas dangereux. Que dirait-on, à l’inverse, si les banques refusaient de faire crédit aux entreprises ! En tout cas, la France n’est pas dans la situation des Etats-Unis, où les entreprises s’endettent par émissions obligataires pour réaliser des rachats d’action. Un phénomène qui est, pour le coup, assez malsain. »

    7. La fièvre des bonus estelle retombée ?
    Certes, les salles de marché ont perdu de leur superbe. Et les golden boys n’ont plus la cote. Les banques ne sont pas pour autant devenues plus raisonnables en matière de rémunération. En 2017, BNP Paribas, Société générale et Natixis comptaient un total de cent banquiers millionnaires. Et encore, les établissements français jouent très « petit bras » : le britannique HSBC dénombre 376 de ces banquiers gagnant plus d’un million d’euros par an et Deutsche Bank, pourtant en pleine crise existentielle, en compte 705. Entre 2010 et 2016, en Europe, le nombre de ces très chers salariés a grimpé de plus d’un tiers, pour atteindre près de 4 600 personnes au total, selon l’Autorité bancaire européenne (ABE). Ces chiffres, qui donnent le vertige, soulignent l’agilité des nanciers pour exploiter les failles des règles européennes encadrant les bonus. L’ABE cite l’exemple d’un gestionnaire d’actifs qui a gagné 33 millions d’euros au total pour trois millions d’euros de salaire xe.


    L’ANALYSE DEBenoît Lallemand Secrétaire général de Finance Watch
    SP
    “La croissance du nombre de banquiers millionnaires est un symptôme des plus inquiétants : ces chiffres soulignent que, en dix ans, la tendance à la nanciarisation de l’économie n’a pas été inversée. Les rémunérations des banquiers montrent l’importance qu’on leur prête toujours. Ce rôle primordial a même été encore renforcé par la Banque centrale européenne (BCE) elle-même. L’institution a déversé des quantités de liquidités en laissant le soin aux banques de jouer les courroies de transmission avec l’économie. Ce qu’elles ne font d’ailleurs que très imparfaitement, car le système demeure vicieux : l’importance de ces rémunérations incite à la réalisation de pro ts à court terme, plutôt qu’à la réalisation de véritables projets économiques. Il faudrait un puissant volontarisme politique pour mettre un terme à cette nanciarisation. Or, force est de constater qu’en la matière la dynamique qui a existé juste après la crise est aujourd’hui perdue. »
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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