Depuis trois mois, Bassora, l’une des principales villes irakiennes, est en état de révolte. Les habitants protestent contre la dégradation de leurs conditions de vie et de leur environnement, contre le gouvernement central corrompu et incompétent et les milices prédatrices.
L’Irak dépend totalement du pétrole et du gaz extraits des très riches gisements de Bassora pour financer son budget dont 17 % sont alloués à la région kurde (cette part a été réduite à 12,6 % dans le budget 2018, ce qui en a fait un obstacle à la constitution d’un nouveau gouvernement irakien). Celle de Bassora (où vivent 2 972 000 habitants, selon les estimations du ministère du plan en 2017) ne dépassait pas 5 % par an dans le meilleur des cas. Des fonds qui vont pour la plupart dans des projets de pure propagande sans lendemain destinés à servir de couverture au pillage de ces fonds par des groupes politiques influents agissant pour la plupart à Bagdad et liés d’une manière ou d’une autre à Téhéran.
Malgré l’effondrement des infrastructures urbaines, le gouvernement fédéral a suspendu depuis quelques années la part de 5 % qui revenait à Bassora des revenus de l’extraction, de l’exportation et du raffinage du pétrole et du gaz, et dont le versement devait être fait par semestre. Alors que ces sommes sont absolument nécessaires pour la reconstruction d’une ville dépourvue de vrais services dans les domaines de l’électricité, de l’eau, des réseaux de communication, d’assainissement et de santé publique.
PLUS DE CANCERS, MOINS DE TERRES AGRICOLES
Depuis son arrivée à la tête du gouvernement, Haïder Al-Abadi mène une politique de grande austérité financière qui a aggravé l’état d’abandon de Bassora et exacerbé les problèmes en matière de services rendus à la population. Le chef du gouvernement avance l’argument qu’il « a coupé les fonds aux corrompus » alors que les habitants de Bassora subissent des hausses de température à des niveaux mortels avec une pénurie d’eau, une hausse du niveau de salinité de l’eau quand elle est disponible ainsi que sa pollution.
Bassora connaît en outre un accroissement du nombre des malades du cancer et une régression de l’agriculture en raison de la mainmise des sociétés pétrolières étrangères sur un nombre croissant de surfaces agricoles en tant que « réserves pétrolières » (réservées aux investissements dans les hydrocarbures). Sans compter l’absence de nouveaux projets pouvant résorber le nombre important de chômeurs dans la région.
Avec la baisse des fonds destinés à ce gouvernorat du sud (situé à 550 km de la capitale) et une explosion imprévue de la croissance démographique, Bassora est devenue un immense réservoir de chômeurs qui ne pensent plus qu’à se venger du gouvernement et du système politique. Selon les rapports officiels, le taux de chômage est de 7,8 %, mais des médias et des travaux académiques affirment que le taux réel est très au-dessus de celui annoncé par le gouvernement. Autre signe inquiétant à relever, l’extension massive de l’analphabétisme.
Quand les contestations ont débuté, il y a près de trois mois, le premier ministre s’est aventuré à nouveau à faire des promesses aux habitants de Bassora. Il a ainsi annoncé la création de 10 000 nouveaux emplois et du coup 300 000 jeunes se sont portés candidats. Très rapidement, le ministère des finances a fait marche arrière en indiquant que ces emplois étaient illusoires, car il n’était pas possible de les financer à partir du budget 2018, lequel n’avait pas prévu de fonds pour la création de nouveaux emplois. La promesse ne serait donc applicable que dans le cadre du budget 2019. Une autre fausse annonce qui a eu pour effet d’exacerber davantage la colère des jeunes de Bassora.
L’Irak exporte 4,3 millions de barils/jour dont 3,5 millions proviennent des gisements de Bassora à travers ses ports et ses plateformes pétrolières flottantes donnant sur le Golfe. Il n’en demeure pas moins que la ville est négligée, tel un misérable village crevant de soif où les gens se suicident pour cause de pauvreté, meurent de cancers causés par la pollution ou périssent dans des affrontements tribaux.
UNE RICHESSE TRÈS TOXIQUE
Le gouvernorat compte 15 gisements pétroliers géants, dont dix productifs en attente de développement. Les réserves attestées sont de 65 milliards de barils, soit 59 % de l’ensemble des réserves irakiennes. Le coût de découverte d’un baril de brut y est estimé entre 0,1 et 0,4 cents (0,09 à 0,34 euros), suivant la nature du gisement pétrolier. Pour les gisements d’Al-Zubair et de Rumaila et les champs pétroliers proches, ce coût est estimé à 1,550 dollars (1,334 euros) le baril. D’une manière globale, Bassora produit l’équivalent de 60 millions de dollars (52 millions d’euros) par jour.
Cette extraordinaire richesse qui distille chaque jour des tonnes mortelles d’émissions noires toxiques dans le ciel de la ville n’est pas la bienvenue pour les habitants qui souffrent de différents types de cancers. On enregistre chaque jour entre 15 et 20 cas de cancer chez les enfants, selon l’administration de l’hôpital oncologique des enfants construit sur subvention des États-Unis, mais sans aucune participation des fonds pétroliers de Bassora. Le centre de dépistage et de traitement du cancer souffre d’une pénurie aiguë de médicaments et n’arrive pas à prendre en charge le nombre croissant de malades. Il indique avoir accueilli près de 9 000 cas depuis 2005. Cela représente huit fois plus de cas de cancers que dans les années 1990 alors que l’Irak était sous l’effet d’un terrible embargo international. On n’avait enregistré à cette époque, selon le centre, que 1160 cas. Mais les doutes persistent aujourd’hui sur la fiabilité des chiffres (émanant du gouvernement) autour de l’ampleur de la catastrophe subie par la ville, sachant que les habitants ont tendance à aller se faire soigner à l’étranger pour échapper à des délais d’attente qui peuvent durer de longs mois.
La population est répartie sur une superficie de 19 070 km2. C’est la superficie d’une ville dont les frontières connaissent des tensions avec trois États : l’Iran, l’Arabie saoudite et le Koweït.
L’EMPRISE DES GROUPES ARMÉS LIÉS À L’IRAN
Alors que les villes les plus proches dans ces pays jouissent d’une meilleure qualité de vie, Bassora s’enfonce dans les sables de la désertification, des problèmes sécuritaires, de la prolifération des drogues, de l’effondrement des services, de la généralisation de la corruption et de la domination de milices endoctrinées fortement liées au système du velayat al-faqih (« gouvernement du docte ») de Téhéran1. Ces groupes armés, qui disposent de façades politiques et s’affrontent pour gérer les ressources de la ville et y prendre le pouvoir, ont créé des réseaux de clientèle pour faire face à toute tentative de remettre en cause leurs intérêts. Ils dominent dans les administrations des établissements publics — qui gèrent des fonds importants, comme les ports — ou des institutions sécuritaires sur la base de quotas déterminés par les rapports de force. Ces groupes attirent de plus en plus de jeunes chômeurs qui sont enrôlés comme combattants. Ils se dotent ainsi d’un réservoir humain important de gens disposés à mourir ou à se suicider pour fuir la misère économique et un avenir désespérant.
Bassora dispose avec l’Iran d’un débouché terrestre et commercial et d’une frontière longue et compliquée à travers laquelle passent toutes sortes de drogues, thérapeutiques ou nocives, les dernières étant les plus nombreuses, notamment la « crystal meth » (méthamphétamine) très addictive, qui conduit au suicide après quelques mois de prise.
Bassora est souvent décrite dans le discours de ces milices, dont certaines combattent en Syrie pour soutenir le régime de Bachar Al-Assad, comme « la ville des martyrs » qui a fourni environ 10 000 morts et des dizaines de milliers de personnes blessées handicapées. Ces milices affirment qu’elles font face à un plan « perfide » destiné à éliminer les chiites pauvres. En réalité, ce sont elles qui aggravent la pauvreté des familles chiites de Bassora. Elles entravent le développement ainsi que les services rendus à la population, volent l’argent public et s’impliquent dans la contrebande des armes et des drogues ; elles poussent des adolescents et de nouveaux diplômés vers des zones de combat éloignées avant que leurs corps ne soient rapatriés dans leur ville. Leurs photos affichées dans les rues — ils semblent sourire avec amertume — ont été souvent prises en des moments où ils espéraient encore une vie plus équitable et plus juste.
Les gens de Bassora ont pris l’habitude durant la brûlante saison estivale, quand la température atteint les 60 ° couplée à une humidité étouffante dépassant les 80 %, à manifester contre le gouvernement arrogant de Bagdad et celui, faible, de leur province — les deux étant considérés comme corrompus — sans que les choses ne changent jamais. La situation, au contraire, ne fait que s’aggraver et devenir plus périlleuse. À chaque fois, les forces de sécurité ont fait face à ces manifestations avec une violence démesurée sous prétexte de défendre les bâtiments publics et de préserver la stabilité. Mais le but est bien de terroriser les gens et de les confiner dans des maisons qui ressemblent à des fours de pierre sans qu’ils puissent exprimer leur ressentiment.
PREMIER « MORT POUR L’ÉLECTRICITÉ »
La plupart des habitants souffrent de troubles psychiques aigus en raison de cette accumulation de problèmes et d’un profond sentiment d’oppression qui pousse en définitive au suicide directement ou à aller dans les manifestations et faire face aux balles réelles.
Haïder Al-Maliki, 27 ans, marié, père de trois enfants est le premier mort « pour l’électricité ». Il est tombé en juin 2010. En juillet 2015, c’est un adolescent de 17 ans, Mountadhar Al-Halfi, qui est tué dans une petite agglomération au nord de la ville qui baigne dans une mer de pétrole géante. Quand les protestations se sont renouvelées en juillet dernier, ce fut au tour de Saad Al-Mansouri (26 ans, marié, trois enfants) de tomber, dans la même agglomération, devant le portail d’un immense gisement pétrolier.
Les autorités ont mésestimé la nouvelle vague de manifestations, elles ont cru qu’elle finirait, comme les précédentes, par s’essouffler sous l’effet de la répression des services de sécurité. Mais la situation a pris une tournure explosive et sanglante. Depuis le mois de juillet dernier (et jusqu’au 7 septembre), 25 personnes ont été tuées à Bassora et des centaines d’autres blessées. Le plus triste est que les gaz lacrymogènes qui provoquent des asphyxies et d’autres équipements répressifs sont importés de France et de l’Union européenne avec l’argent du pétrole de Bassora.
La crise à Bassora a explosé d’une manière inquiétante, au point de menacer d’effondrement le fragile système politique irakien. Tandis que les partis corrompus ont dévoilé, après la farce électorale du mois de mai dernier largement boycottée par la population, à quel point le régime se décomposait dans la quête d’intérêts particuliers, Bassora mourait de soif, de pollution toxique de l’eau et de privation d’électricité pendant près de 15 heures par jour.
La Commission irakienne des droits humains (Iraqi High Commission For Human Rights, IHCHR) a recensé près de 20 000 cas d’empoisonnement dus à la salinité et la pollution de l’eau. Avec l’arrivée de près de 1000 cas par jour dans les rares hôpitaux de la ville, les services de santé se sont effondrés et se sont retrouvés dans l’incapacité de prendre en charge les malades.
Bassora souffre d’un problème éternel de salinité de l’eau. Il atteint désormais des niveaux affolants. Nombre de facteurs y ont contribué notamment un système politique défaillant, un système de rapine des fonds publics ainsi que les politiques de l’Iran, voisine de Bassora.
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L’Irak dépend totalement du pétrole et du gaz extraits des très riches gisements de Bassora pour financer son budget dont 17 % sont alloués à la région kurde (cette part a été réduite à 12,6 % dans le budget 2018, ce qui en a fait un obstacle à la constitution d’un nouveau gouvernement irakien). Celle de Bassora (où vivent 2 972 000 habitants, selon les estimations du ministère du plan en 2017) ne dépassait pas 5 % par an dans le meilleur des cas. Des fonds qui vont pour la plupart dans des projets de pure propagande sans lendemain destinés à servir de couverture au pillage de ces fonds par des groupes politiques influents agissant pour la plupart à Bagdad et liés d’une manière ou d’une autre à Téhéran.
Malgré l’effondrement des infrastructures urbaines, le gouvernement fédéral a suspendu depuis quelques années la part de 5 % qui revenait à Bassora des revenus de l’extraction, de l’exportation et du raffinage du pétrole et du gaz, et dont le versement devait être fait par semestre. Alors que ces sommes sont absolument nécessaires pour la reconstruction d’une ville dépourvue de vrais services dans les domaines de l’électricité, de l’eau, des réseaux de communication, d’assainissement et de santé publique.
PLUS DE CANCERS, MOINS DE TERRES AGRICOLES
Depuis son arrivée à la tête du gouvernement, Haïder Al-Abadi mène une politique de grande austérité financière qui a aggravé l’état d’abandon de Bassora et exacerbé les problèmes en matière de services rendus à la population. Le chef du gouvernement avance l’argument qu’il « a coupé les fonds aux corrompus » alors que les habitants de Bassora subissent des hausses de température à des niveaux mortels avec une pénurie d’eau, une hausse du niveau de salinité de l’eau quand elle est disponible ainsi que sa pollution.
Bassora connaît en outre un accroissement du nombre des malades du cancer et une régression de l’agriculture en raison de la mainmise des sociétés pétrolières étrangères sur un nombre croissant de surfaces agricoles en tant que « réserves pétrolières » (réservées aux investissements dans les hydrocarbures). Sans compter l’absence de nouveaux projets pouvant résorber le nombre important de chômeurs dans la région.
Avec la baisse des fonds destinés à ce gouvernorat du sud (situé à 550 km de la capitale) et une explosion imprévue de la croissance démographique, Bassora est devenue un immense réservoir de chômeurs qui ne pensent plus qu’à se venger du gouvernement et du système politique. Selon les rapports officiels, le taux de chômage est de 7,8 %, mais des médias et des travaux académiques affirment que le taux réel est très au-dessus de celui annoncé par le gouvernement. Autre signe inquiétant à relever, l’extension massive de l’analphabétisme.
Quand les contestations ont débuté, il y a près de trois mois, le premier ministre s’est aventuré à nouveau à faire des promesses aux habitants de Bassora. Il a ainsi annoncé la création de 10 000 nouveaux emplois et du coup 300 000 jeunes se sont portés candidats. Très rapidement, le ministère des finances a fait marche arrière en indiquant que ces emplois étaient illusoires, car il n’était pas possible de les financer à partir du budget 2018, lequel n’avait pas prévu de fonds pour la création de nouveaux emplois. La promesse ne serait donc applicable que dans le cadre du budget 2019. Une autre fausse annonce qui a eu pour effet d’exacerber davantage la colère des jeunes de Bassora.
L’Irak exporte 4,3 millions de barils/jour dont 3,5 millions proviennent des gisements de Bassora à travers ses ports et ses plateformes pétrolières flottantes donnant sur le Golfe. Il n’en demeure pas moins que la ville est négligée, tel un misérable village crevant de soif où les gens se suicident pour cause de pauvreté, meurent de cancers causés par la pollution ou périssent dans des affrontements tribaux.
UNE RICHESSE TRÈS TOXIQUE
Le gouvernorat compte 15 gisements pétroliers géants, dont dix productifs en attente de développement. Les réserves attestées sont de 65 milliards de barils, soit 59 % de l’ensemble des réserves irakiennes. Le coût de découverte d’un baril de brut y est estimé entre 0,1 et 0,4 cents (0,09 à 0,34 euros), suivant la nature du gisement pétrolier. Pour les gisements d’Al-Zubair et de Rumaila et les champs pétroliers proches, ce coût est estimé à 1,550 dollars (1,334 euros) le baril. D’une manière globale, Bassora produit l’équivalent de 60 millions de dollars (52 millions d’euros) par jour.
Cette extraordinaire richesse qui distille chaque jour des tonnes mortelles d’émissions noires toxiques dans le ciel de la ville n’est pas la bienvenue pour les habitants qui souffrent de différents types de cancers. On enregistre chaque jour entre 15 et 20 cas de cancer chez les enfants, selon l’administration de l’hôpital oncologique des enfants construit sur subvention des États-Unis, mais sans aucune participation des fonds pétroliers de Bassora. Le centre de dépistage et de traitement du cancer souffre d’une pénurie aiguë de médicaments et n’arrive pas à prendre en charge le nombre croissant de malades. Il indique avoir accueilli près de 9 000 cas depuis 2005. Cela représente huit fois plus de cas de cancers que dans les années 1990 alors que l’Irak était sous l’effet d’un terrible embargo international. On n’avait enregistré à cette époque, selon le centre, que 1160 cas. Mais les doutes persistent aujourd’hui sur la fiabilité des chiffres (émanant du gouvernement) autour de l’ampleur de la catastrophe subie par la ville, sachant que les habitants ont tendance à aller se faire soigner à l’étranger pour échapper à des délais d’attente qui peuvent durer de longs mois.
La population est répartie sur une superficie de 19 070 km2. C’est la superficie d’une ville dont les frontières connaissent des tensions avec trois États : l’Iran, l’Arabie saoudite et le Koweït.
L’EMPRISE DES GROUPES ARMÉS LIÉS À L’IRAN
Alors que les villes les plus proches dans ces pays jouissent d’une meilleure qualité de vie, Bassora s’enfonce dans les sables de la désertification, des problèmes sécuritaires, de la prolifération des drogues, de l’effondrement des services, de la généralisation de la corruption et de la domination de milices endoctrinées fortement liées au système du velayat al-faqih (« gouvernement du docte ») de Téhéran1. Ces groupes armés, qui disposent de façades politiques et s’affrontent pour gérer les ressources de la ville et y prendre le pouvoir, ont créé des réseaux de clientèle pour faire face à toute tentative de remettre en cause leurs intérêts. Ils dominent dans les administrations des établissements publics — qui gèrent des fonds importants, comme les ports — ou des institutions sécuritaires sur la base de quotas déterminés par les rapports de force. Ces groupes attirent de plus en plus de jeunes chômeurs qui sont enrôlés comme combattants. Ils se dotent ainsi d’un réservoir humain important de gens disposés à mourir ou à se suicider pour fuir la misère économique et un avenir désespérant.
Bassora dispose avec l’Iran d’un débouché terrestre et commercial et d’une frontière longue et compliquée à travers laquelle passent toutes sortes de drogues, thérapeutiques ou nocives, les dernières étant les plus nombreuses, notamment la « crystal meth » (méthamphétamine) très addictive, qui conduit au suicide après quelques mois de prise.
Bassora est souvent décrite dans le discours de ces milices, dont certaines combattent en Syrie pour soutenir le régime de Bachar Al-Assad, comme « la ville des martyrs » qui a fourni environ 10 000 morts et des dizaines de milliers de personnes blessées handicapées. Ces milices affirment qu’elles font face à un plan « perfide » destiné à éliminer les chiites pauvres. En réalité, ce sont elles qui aggravent la pauvreté des familles chiites de Bassora. Elles entravent le développement ainsi que les services rendus à la population, volent l’argent public et s’impliquent dans la contrebande des armes et des drogues ; elles poussent des adolescents et de nouveaux diplômés vers des zones de combat éloignées avant que leurs corps ne soient rapatriés dans leur ville. Leurs photos affichées dans les rues — ils semblent sourire avec amertume — ont été souvent prises en des moments où ils espéraient encore une vie plus équitable et plus juste.
Les gens de Bassora ont pris l’habitude durant la brûlante saison estivale, quand la température atteint les 60 ° couplée à une humidité étouffante dépassant les 80 %, à manifester contre le gouvernement arrogant de Bagdad et celui, faible, de leur province — les deux étant considérés comme corrompus — sans que les choses ne changent jamais. La situation, au contraire, ne fait que s’aggraver et devenir plus périlleuse. À chaque fois, les forces de sécurité ont fait face à ces manifestations avec une violence démesurée sous prétexte de défendre les bâtiments publics et de préserver la stabilité. Mais le but est bien de terroriser les gens et de les confiner dans des maisons qui ressemblent à des fours de pierre sans qu’ils puissent exprimer leur ressentiment.
PREMIER « MORT POUR L’ÉLECTRICITÉ »
La plupart des habitants souffrent de troubles psychiques aigus en raison de cette accumulation de problèmes et d’un profond sentiment d’oppression qui pousse en définitive au suicide directement ou à aller dans les manifestations et faire face aux balles réelles.
Haïder Al-Maliki, 27 ans, marié, père de trois enfants est le premier mort « pour l’électricité ». Il est tombé en juin 2010. En juillet 2015, c’est un adolescent de 17 ans, Mountadhar Al-Halfi, qui est tué dans une petite agglomération au nord de la ville qui baigne dans une mer de pétrole géante. Quand les protestations se sont renouvelées en juillet dernier, ce fut au tour de Saad Al-Mansouri (26 ans, marié, trois enfants) de tomber, dans la même agglomération, devant le portail d’un immense gisement pétrolier.
Les autorités ont mésestimé la nouvelle vague de manifestations, elles ont cru qu’elle finirait, comme les précédentes, par s’essouffler sous l’effet de la répression des services de sécurité. Mais la situation a pris une tournure explosive et sanglante. Depuis le mois de juillet dernier (et jusqu’au 7 septembre), 25 personnes ont été tuées à Bassora et des centaines d’autres blessées. Le plus triste est que les gaz lacrymogènes qui provoquent des asphyxies et d’autres équipements répressifs sont importés de France et de l’Union européenne avec l’argent du pétrole de Bassora.
La crise à Bassora a explosé d’une manière inquiétante, au point de menacer d’effondrement le fragile système politique irakien. Tandis que les partis corrompus ont dévoilé, après la farce électorale du mois de mai dernier largement boycottée par la population, à quel point le régime se décomposait dans la quête d’intérêts particuliers, Bassora mourait de soif, de pollution toxique de l’eau et de privation d’électricité pendant près de 15 heures par jour.
La Commission irakienne des droits humains (Iraqi High Commission For Human Rights, IHCHR) a recensé près de 20 000 cas d’empoisonnement dus à la salinité et la pollution de l’eau. Avec l’arrivée de près de 1000 cas par jour dans les rares hôpitaux de la ville, les services de santé se sont effondrés et se sont retrouvés dans l’incapacité de prendre en charge les malades.
Bassora souffre d’un problème éternel de salinité de l’eau. Il atteint désormais des niveaux affolants. Nombre de facteurs y ont contribué notamment un système politique défaillant, un système de rapine des fonds publics ainsi que les politiques de l’Iran, voisine de Bassora.
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