Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Concernant l’Amérique, Malcom X avait raison, par Chris Hedges

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Concernant l’Amérique, Malcom X avait raison, par Chris Hedges

    NEW YORK – Malcolm X, contrairement à Martin Luther King Jr. ne croyait pas que l’Amérique avait une conscience. Pour lui, il n’y avait pas de grand malaise entre les nobles idéaux de la nation – qu’il disait être une imposture – et l’incapacité à rendre justice aux Noirs. Peut-être mieux que King, il comprenait les rouages internes de l’empire. Il n’avait aucun espoir que ceux qui dirigeaient l’empire entreraient un jour en contact avec le meilleur d’eux-mêmes afin de construire un pays libéré de l’exploitation et de l’injustice. Il a soutenu qu’à partir de l’arrivée du premier navire négrier jusqu’à l’apparition de notre vaste archipel de prisons et de nos colonies urbaines internes sordides, où les pauvres sont emprisonnés et maltraités, l’empire américain était implacablement hostile à ceux que Frantz Fanon a appelés « les damnés de la terre ». Malcolm savait que cela ne changerait pas tant que l’empire ne serait pas détruit.

    « Il est impossible pour le capitalisme de survivre, principalement parce que le système du capitalisme a besoin de sang à sucer », a dit Malcolm. « Le capitalisme était comme un aigle, mais maintenant il est plutôt comme un vautour. Avant, il était assez fort pour aller sucer le sang de n’importe qui, qu’il soit fort ou non. Mais maintenant il est devenu plus lâche, comme le vautour, et il ne peut que sucer le sang des sans défense. Au fur et à mesure que les nations du monde se libèrent, le capitalisme a moins de victimes à sa merci, moins à sucer, et il devient de plus en plus faible. Ce n’est qu’une question de temps, à mon avis, avant qu’il ne s’effondre complètement. »

    King a pu remporter une victoire juridique grâce au mouvement des droits civiques, représenté dans le nouveau film Selma. Mais il n’a pas réussi à instaurer la justice économique et à contrecarrer l’appétit rapace de la machine de guerre dont il savait pertinemment qu’elle était responsable des abus de l’empire à l’égard des opprimés dans le pays et à l’étranger. Et 50 ans après l’assassinat de Malcolm X dans la salle de bal Audubon à Harlem par des tueurs à gages de Nation of Islam [organisation politico-religieuse américaine, à l’origine de la plupart des organisations musulmanes actuelles de la communauté afro-américaine, NdT], il est clair que c’était lui qui avait raison, et non pas King. Nous sommes la nation que Malcolm connaissait pour ce qu’elle était. Les êtres humains peuvent être rachetés. Les empires ne le peuvent pas. Notre refus de faire face à la vérité sur l’empire, notre refus de nous dresser contre les multiples crimes et atrocités de l’empire, a entraîné le cauchemar prédit par Malcolm. Et comme l’ère numérique et notre société post-alphabétisée implantent une terrifiante amnésie historique, ces crimes sont effacés aussi rapidement qu’ils sont commis.

    « Parfois, j’ai osé rêver… qu’un jour, l’histoire pourrait même dire que ma voix – qui a perturbé la suffisance de l’homme blanc, son arrogance et son autosatisfaction – que ma voix a aidé à sauver l’Amérique d’une catastrophe grave, voire fatale », a écrit Malcolm.

    L’intégration des élites de couleur, y compris Barack Obama, aux échelons supérieurs des structures institutionnelles et politiques n’a rien fait pour atténuer la nature prédatrice de l’empire. La politique de l’identité et du genre – on est sur le point de nous vendre une femme présidente sous la forme d’Hillary Clinton – ont favorisé, comme Malcolm l’a compris, la fraude et le vol par Wall Street, l’éviscération de nos libertés civiles, la misère d’une classe inférieure dans laquelle la moitié des enfants de toutes les écoles publiques vivent dans la pauvreté, l’expansion de nos guerres impériales et l’exploitation acharnée et peut-être fatale de l’écosystème. Et tant que nous ne tiendrons pas compte de Malcolm X, tant que nous ne nous attaquerons pas à la vérité sur l’autodestruction qui se trouve au cœur de l’empire, les victimes, dans le pays et à l’étranger, seront de plus en plus nombreuses. Malcolm, comme James Baldwin, a compris que ce n’est qu’en faisant face à la vérité sur ce que nous sommes en tant que membres d’une puissance impériale, que les gens de couleur, avec les Blancs, peuvent être libérés. Cette vérité est amère et douloureuse. Elle exige la reconnaissance de notre aptitude au mal, à l’injustice et à l’exploitation, et elle exige la repentance. Mais nous nous accrochons comme des enfants étourdis aux mensonges que nous nous racontons sur nous-mêmes. Nous refusons de grandir. Et à cause de ces mensonges, perpétrés à travers le spectre culturel et politique, la libération n’a pas eu lieu. L’Empire nous dévore tous.

    « Nous sommes contre le mal, contre l’oppression, contre le lynchage », a dit Malcolm. « Vous ne pouvez pas être contre ces choses à moins d’être aussi contre l’oppresseur et contre le lyncheur. Vous ne pouvez pas être anti-esclavagiste et pro-maître d’esclave ; vous ne pouvez pas être anti-crime et pro-criminel. En fait, M. Muhammad enseigne que si la génération actuelle des Blancs étudiait leur propre race à la lumière de la vraie histoire, ils seraient eux-mêmes anti-blancs ».

    Malcolm a dit un jour que s’il avait été un Noir de la classe moyenne encouragé à faire des études de droit, plutôt qu’un enfant pauvre dans une maison de détention qui a abandonné l’école à 15 ans, « je serais probablement aujourd’hui parmi l’élite bourgeoise noire de quelque ville, sirotant des cocktails et me faisant passer pour le porte-parole d’une communauté et leader des masses noires dans la souffrance, alors que mon principal souci serait de ramasser quelques miettes supplémentaires dans les réceptions des blancs hypocrites auprès de qui ils “quémandent de s’intégrer” ». La famille de Malcolm, pauvre et en difficulté, a été brutalement déchirée par les organismes d’État selon un modèle qui demeure inchangé. Les tribunaux, les écoles inférieures aux normes, les appartements remplis de cafards, la peur, l’humiliation, le désespoir, la pauvreté, les banquiers avides, les employeurs abusifs, la police, les prisons et les agents de probation ont fait leur travail comme ils le font aujourd’hui. Malcolm voyait l’intégration raciale comme un jeu politiquement stérile, joué par une classe moyenne noire soucieuse de vendre son âme comme auxiliaire de l’empire et du capitalisme. « L’homme qui jette des vers dans la rivière », dit Malcolm, « n’est pas nécessairement un ami des poissons. Tous les poissons qui le prennent pour un ami, qui pensent que le ver n’a pas d’hameçon, finissent généralement dans la poêle à frire ». Il s’est référé aux batailles apocalyptiques dans le livre de l’Apocalypse où les persécutés se révoltent contre les méchants.

    « Martin [Luther King Jr.] n’a pas le feu révolutionnaire que Malcolm a eu jusqu’à la toute fin de sa vie », dit Cornel West dans son livre coécrit avec Christa Buschendorf, Black Prophetic Fire [Le feu prophétique noir, NdT]. « Et par feu révolutionnaire, je veux dire comprendre le système dans lequel nous vivons, le système capitaliste, les tentacules impériaux, l’empire américain, le mépris de la vie, la volonté de violer le droit, qu’il s’agisse du droit international ou du droit intérieur. Malcolm l’a compris très tôt, et ceci a frappé Martin si fort qu’il est devenu un révolutionnaire à sa propre manière morale plus tard dans sa courte vie, alors que Malcolm a eu le feu révolutionnaire très tôt dans sa vie ».
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Il y a trois grands livres sur Malcolm X : The Autobiography of Malcolm X : As told to Alex Haley [traduit sous le titre « l’autobiographie de Malcom X », NdT], The Death and Life of Malcolm X [Vie et mort de Malcolm X, NdT], de Peter Goldman, et Martin & Malcolm & America : A Dream or a Nightmare [Martin et Malcolm et l’Amérique: rêve ou cauchemar, NdT] par James H. Cone.

    Vendredi, j’ai rencontré Goldman – qui, en tant que journaliste pour un journal de Saint-Louis et plus tard pour Newsweek, connaissait et couvrait Malcolm – dans un café de New York. Goldman faisait partie d’un petit cercle de reporters blancs que Malcolm respectait, y compris Charles Silberman de Fortune et M.S. « Mike » Handler du New York Times, dont Malcolm a dit un jour qu’il n’avait « aucun des préjugés ou des sentiments habituels à l’égard des Noirs ».

    Goldman et son épouse, Helen Dudar, qui était également reporter, ont rencontré Malcolm pour la première fois en 1962 au Shabazz Frosti Kreem, une cantine musulmane noire dans le ghetto nord de Saint-Louis. Lors de cette réunion, Malcolm a versé de la crème dans son café. « Le café est la seule chose que j’aimais mélangée », commenta-t-il. Il a continué : « Le Noir moyen ne laisse même pas un autre Noir savoir ce qu’il pense, il se méfie tellement. C’est un acrobate. Il devait l’être pour survivre dans cette civilisation. Mais en tant que musulman, je suis d’abord noir – mes sympathies sont noires, mon allégeance est noire, tous mes objectifs sont noirs. En tant que musulman, cela ne m’intéresse pas d’être américain, parce que l’Amérique ne s’est jamais intéressée à moi. »

    Il l’a dit à Goldman et Dudar : « Nous n’avons pas de haine. L’homme blanc a un complexe de culpabilité – il sait qu’il a mal agi. Il sait que s’il avait subi de notre part ce que nous avons subi de la sienne, il nous détesterait ». Quand Goldman a dit à Malcolm qu’il croyait en une société unique dans laquelle la race n’avait pas d’importance, Malcolm a dit sèchement: « Vous fantasmez. Vous devez tenir compte des faits. »

    Goldman se souvient : « Il était le messager qui nous apportait les mauvaises nouvelles, et personne ne voulait l’entendre ». Malgré les « mauvaises nouvelles » de cette première rencontre, Goldman a continué à avoir plusieurs autres entrevues avec lui, entrevues qui ont souvent duré deux ou trois heures. L’écrivain attribue maintenant à Malcolm le mérite de sa « rééducation ».

    Goldman a été frappé dès le début par la courtoisie sans faille de Malcolm, son sourire éblouissant, sa probité morale, son courage et, étonnamment, sa douceur. Goldman mentionne le jour où le psychologue et écrivain Kenneth B. Clark et son épouse ont escorté un groupe d’élèves du secondaire, la plupart blancs, pour rencontrer Malcolm. Quand ils sont arrivés ils l’ont trouvé entouré de journalistes. Mme Clark, estimant que la rencontre avec les journalistes était probablement plus importante, a dit à Malcolm que les adolescents attendraient. « L’important, ce sont ces enfants », a dit Malcolm aux Clark en demandant aux élèves de s’approcher. « Il ne faisait pas de différence entre les enfants blancs et les enfants en général », comme le dit Kenneth Clark dans le livre de Goldman.

    James Baldwin a aussi écrit sur la profonde sensibilité de Malcolm. Lui et Malcolm participaient à une émission de radio en 1961 avec un jeune militant des droits civiques qui revenait tout juste du Sud. Baldwin s’est souvenu de Malcolm demandant au jeune homme : « Si tu es un citoyen américain, pourquoi dois-tu te battre pour tes droits en tant que citoyen ? Être citoyen signifie que tu as les droits d’un citoyen. Si tu n’as pas les droits d’un citoyen, alors tu n’es pas un citoyen ». « Ce n’est pas aussi simple que ça », a répondu le jeune homme. « Et pourquoi non ? » a demandé Malcolm.

    Baldwin a écrit que pendant l’échange : « Malcolm comprenait ce jeune et lui parlait comme s’il parlait à un jeune frère, et avec la même attention vigilante. Ce qui m’a le plus frappé, c’est qu’il n’essayait pas du tout de faire du prosélytisme auprès du jeune homme : il essayait de le faire réfléchir. … Je n’oublierai jamais Malcolm et ce jeune qui se faisaient face, et l’extraordinaire douceur de Malcolm. Et c’est la vérité sur Malcolm : c’était l’une des personnes les plus gentilles que j’aie jamais rencontrées », a dit Goldman. « Ce qu’il voulait dire par là, c’est que si tu me frappais, je te frapperais en retour. Mais pendant la période où je l’ai connu j’en suis venu à croire que cela signifiait aussi que si tu me respectes, je te respecterai à mon tour ».

    Cone développe ce point dans Martin & Malcolm & America :

    « Malcolm X est le meilleur remède contre le génocide. Il nous a montré par l’exemple et la prédication prophétique qu’il n’est pas nécessaire de rester dans la boue. Nous pouvons nous réveiller ; nous pouvons nous lever ; et nous pouvons entreprendre cette longue marche vers la liberté. La liberté c’est d’abord et avant tout une reconnaissance intérieure du respect de soi, une connaissance qu’on n’a pas été mis sur cette terre pour n’être personne. L’usage de drogues et le fait de s’entre-tuer sont les pires formes de négation de la personne. Nos ancêtres se sont battus contre vents et marées (esclavage, lynchage et ségrégation), mais ils ne se sont pas autodétruits. Certains sont morts au combat, et d’autres, inspirés par leur exemple, ont continué à se diriger vers la terre promise de la liberté, en chantant “nous ne laisserons personne nous faire faire demi-tour”. Les Afro-Américains peuvent faire de même aujourd’hui. Nous pouvons nous battre pour notre dignité et notre respect de soi. Être fier d’être noir ne signifie pas être contre les blancs, à moins que les blancs ne soient contre le respect de l’humanité des noirs. Malcolm n’était pas contre les Blancs ; il était pour les Noirs et contre leur exploitation. »

    Goldman a déploré la perte de voix comme celle de Malcolm, des voix imprégnées d’une compréhension de nos vérités historiques et culturelles et dotées du courage de dire ces vérités en public.

    « Nous ne lisons plus », a dit Goldman. « Nous n’apprenons plus. L’histoire est en train de disparaître. Les gens parlent de vivre l’instant présent comme s’il s’agissait d’une vertu. C’est un horrible vice. Entre la twittosphère et le cycle de nouvelles de 24 heures du câble, notre histoire ne cesse de disparaître. L’histoire est quelque chose d’ennuyeux que vous avez dû supporter au lycée et vous en êtes débarrassé. Ensuite, vous allez à l’université et étudiez la finance, la comptabilité, la gestion des affaires ou l’informatique. Il reste fichtrement peu de diplômés en littérature et sciences humaines. Et cela a effacé notre histoire. Le personnage le plus éminent dans les années 60 était, bien sûr, King. Mais ce que l’immense majorité des Américains savent de King, c’est [seulement] qu’il a prononcé un discours dans lequel il a dit “J’ai fait un rêve” et que son nom est attaché à un jour de congé ».

    Malcolm, comme King, comprenait le coût d’être prophète. Les deux hommes ont dû faire face quotidiennement à ce coût.

    Malcolm, comme l’écrit Goldman, a rencontré le journaliste Claude Lewis peu de temps avant son assassinat le 21 février 1965. Il avait déjà fait l’expérience de plusieurs tentatives d’assassinat.

    « C’est une ère d’hypocrisie », a-t-il dit à Lewis. « Quand les Blancs prétendent qu’ils veulent que les Noirs soient libres, et que les Noirs affirment aux Blancs qu’ils croient vraiment que les Blancs veulent qu’ils soient libres, c’est une ère d’hypocrisie, mon frère. Tu me trompes et je te trompe. Tu prétends que tu es mon frère, et je prétends que je crois vraiment que tu crois que tu es mon frère. »

    Il a dit à Lewis qu’il n’atteindrait jamais la vieillesse. « Si vous lisez, vous verrez que très peu de gens qui pensent comme moi vivent assez longtemps pour vieillir. Quand je dis par tous les moyens nécessaires, je le pense de tout mon cœur, mon esprit et mon âme. Un homme noir devrait donner sa vie pour être libre, et il devrait aussi être capable, être prêt à prendre la vie de ceux qui veulent prendre la sienne. Quand on pense vraiment comme ça, on ne vit pas longtemps. »

    Lewis lui a demandé comment il voulait que l’on se souvienne de lui. « Sincère », a dit Malcolm. « Dans tout ce que j’ai fait ou fais. Même si j’ai fait des erreurs, elles ont été faites avec sincérité. Si j’ai tort, j’ai tort avec sincérité. Je pense que la meilleure chose qu’une personne puisse être c’est sincère. »

    « Le prix de la liberté », disait Malcolm peu avant d’être tué, « c’est la mort ».

    Source : Truthdig, Chris Hedges, 02-02-2015

    Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

    Commentaire

    Chargement...
    X