Paris Match
Samy Abtroun, à Alger
Des nouveaux mariés, au jardin d’Essai du Hamma, à Alger, en août 2017.
Louisa Seddiki
Arrivés en masse en Algérie pour travailler, les expatriés chinois font de plus en plus entendre leur cœur.
« Certains sont partis en laissant leur femme en Chine et communiquent via Internet ; d’autres sont arrivés ici en famille et ont réussi à acheter un appart’ après des années de boulot. Moi, j’ai parcouru 10 000 bornes pour trouver mon étoile, alors je la mérite, non ? » D’autant que Heng, ce jeune banlieusard pékinois d’une trentaine d’années, a tout pour plaire. Depuis qu’il a posé le pied à Alger, il bosse, est ambitieux, rêve d’avoir des enfants et se dit prêt à se convertir à l’islam, condition indispensable pour convoler avec une Algérienne. Prêt à tout, donc ? « Oui », promet-il… Puis, l’air grave : « Mais c’est vrai ce qu’on dit, on doit le couper ? – Couper ? – Oui, vous savez, le truc… »
Tel est le tableau d’une diaspora chinoise qui étend délicatement sa soie sur la laine algérienne, deux étoffes qu’on voudrait tisser sur le même métier, pour le plus beau des ouvrages. Des nouveaux couples d’un bout à l’autre du monde séduisent forcément quand ils n’émeuvent pas. En 2013, la télévision algérienne diffusait même, la larme à l’œil, une cérémonie de mariage collectif, en parlant d’« intégration à la chinoise ». Mais comment se passe réellement la cohabitation entre ces deux communautés si éloignées ? Heng, Wang Lu, Latifa ou Dalila se racontent, sous l’œil de leur alter ego.
Il y a un an, Heng a fini par trouver chaussure à son pied dans l’Ouest algérien. L’heureuse élue porte le doux prénom de Latifa (« gentille » en arabe). « Un signe, dit-il, car moi aussi je suis un gentil… Nous, les Chinois, on est tous des oreillers en mousse. Nous n’avons pas le sang chaud des Algériens. » Rougeur sur le visage de Latifa : « Tout le monde est froid, au départ, c’est après que ça chauffe… » La gêne est perceptible, car les promis n’en sont précisément… qu’aux promesses : Heng est en effet forcé de retarder le mariage parce que sa belle-famille n’est pas au courant. « Je ne sais pas comment leur dire, c’est difficile », reconnaît Latifa. En Algérie, la religion n’est pas le seul problème rencontré par ces couples mixtes : « Annoncer à mes parents que je vais me marier avec un Chinois, c’est quand même quelque chose, surtout à Tlemcen. Chez nous, un Algérois est déjà perçu comme un étranger. Vous imaginez alors un Chinois : c’est plus qu’un étranger, c’est un étrange ! »
Pour Zhi Zhou, il est plus facile pour un Chinois d’apprendre l’arabe que pour une Algérienne d’apprendre le chinois
Visage plus serein, Dalila, 32 ans, a épousé Wang Lu, du même âge, arrivé de son Fujian natal il y a quatre ans. Leur foyer est décoré de draperies chinoises et de tapis algériens. « On marie les couleurs comme on peut, se moque l’épouse. Un jour, on finira par manger du couscous cantonais ! » Pour le couple, le repas est tout un symbole : les deux trentenaires se sont rencontrés en 2012, lors d’un dîner chez des amis communs. « Il y avait du monde, raconte Dalila. On parlait de religion. Lui ne disait rien, il passait son temps à bouffer, j’ai tilté… » Du tilt au mariage, moins d’un an s’est écoulé. Ils vivent aujourd’hui à Bab Ezzouar, ville-cité, à une quinzaine de kilomètres de la capitale, qui abrite le premier Chinatown du pays, tout près de l’aéroport Houari-Boumédiène. « Mon homme me dit qu’il est content d’habiter là parce que les avions ne sont pas loin. » Eclat de rire de Wang Lu : « Oui, comme ça, je pourrai me sauver en cas de danger ! » Devant un thé dont on ne sait plus très bien l’origine, l’Algérienne, en kimono, distille enfin : « Les Chinois sont respectueux et tolérants, comme tous les Asiatiques, d’ailleurs. Ils font mieux que s’adapter à nous : ils prennent le meilleur et rejettent le pire. On dit que l’amour n’a pas de frontières : ce que je peux dire, c’est que l’amour qui a passé ma frontière existe vraiment. » Wang Lu et Dalila ont eu de la chance : ils parlaient tous deux français et ont pu communiquer. Faute de quoi, selon eux, ils n’auraient « jamais partagé le dessert ».
Pourtant la langue n’est pas une barrière, loin de là. Zhi Zhou et Hassina ont célébré leurs noces en juillet. Lui ne parle pas l’arabe et elle pas plus le chinois, mais le langage du cœur a su s’exprimer ! « Quand on ne comprend pas, on apprend à se comprendre », résume la jeune Algéroise. Avec le temps, la langue se lit aussi bien de haut en bas que de gauche à droite, le « chinarabe », comme on dit. « Un jour, j’ai dit quelques phrases à une Chinoise et elle a eu cette réponse : “Ah toi, tu nous as pris un de nos hommes !” Preuve que les jalouses, ça existe des deux côtés ! » Reste que, pour Zhi Zhou, « il est plus facile pour un Chinois d’apprendre l’arabe que pour une Algérienne d’apprendre le chinois » ! Et l’épouse de rétorquer aussi sec : « Peut-être, mais ce n’est pas parce que tu apprends plus vite que moi, c’est juste que l’arabe est une langue universelle ! »
Je m’inquiétais des différences de culture : le bouddhisme, l’acupuncture, les caractères d’écriture…, explique-Farid. Alors j’ai été sur Google, c’est comme cela que je me suis éduqué aux chinoiseries.
En arrivant sur le sol algérien, les Chinois ne pensent pas mariage mais travail. Quoique… « Ces dernières années, même le téléphone arabe est devenu chinois, sourit Zhi Zhou. Vous voyez, chez nous, les réseaux fonctionnent très bien et tout se sait rapidement. En plus, nous ne sommes pas très grands et, chez vous, les filles sont petites aussi. Même taille, même vie. » Hassina dit connaître le grand amour avec son « poupon chinois » ou son « Zizou », le surnom que ses collègues de travail lui ont donné, en référence au grand Zidane. Son mari est employé sur le chantier de la Grande Mosquée d’Alger, mais Hassina précise : « Les Chinois ne viennent pas en Algérie que pour bâtir des tours, ils viennent aussi construire un avenir. »
Dernière rencontre, l’Algérien Farid qui a pris Ming Yue pour femme. « Je m’inquiétais des différences de culture : le bouddhisme, l’acupuncture, les caractères d’écriture…, explique-t-il. Alors j’ai été sur Google, c’est comme cela que je me suis éduqué aux chinoiseries. » Le couple n’a pas encore d’enfants, « mais ça viendra ». « Je suis zen, assure Farid. Ming Yue, c’est ma Grande Muraille, comme je l’appelle. » Son bébé, il le voit vivre dans les deux pays : un grand écart, certes, « mais on est souple, c’est ça notre secret. Mon enfant sera algérien et chinois. Pas deux moitiés : pleinement algérien et pleinement chinois ! ». Ont-ils l’intention de rester en Algérie ou de partir en Chine ? « Beaucoup de Chinois viennent dans l’idée de rentrer un jour au pays, mais finalement ils restent ici, explique Farid. Ils apprennent l’arabe, le kabyle, la langue populaire, ils apprennent même nos gestes, nos façons de fonctionner… Alors, je me dis que, lorsque j’irai là-bas, pourquoi ne pas tenter d’y vivre… » Voyage prévu au printemps prochain.
Samy Abtroun, à Alger
Des nouveaux mariés, au jardin d’Essai du Hamma, à Alger, en août 2017.
Louisa Seddiki
Arrivés en masse en Algérie pour travailler, les expatriés chinois font de plus en plus entendre leur cœur.
« Certains sont partis en laissant leur femme en Chine et communiquent via Internet ; d’autres sont arrivés ici en famille et ont réussi à acheter un appart’ après des années de boulot. Moi, j’ai parcouru 10 000 bornes pour trouver mon étoile, alors je la mérite, non ? » D’autant que Heng, ce jeune banlieusard pékinois d’une trentaine d’années, a tout pour plaire. Depuis qu’il a posé le pied à Alger, il bosse, est ambitieux, rêve d’avoir des enfants et se dit prêt à se convertir à l’islam, condition indispensable pour convoler avec une Algérienne. Prêt à tout, donc ? « Oui », promet-il… Puis, l’air grave : « Mais c’est vrai ce qu’on dit, on doit le couper ? – Couper ? – Oui, vous savez, le truc… »
Tel est le tableau d’une diaspora chinoise qui étend délicatement sa soie sur la laine algérienne, deux étoffes qu’on voudrait tisser sur le même métier, pour le plus beau des ouvrages. Des nouveaux couples d’un bout à l’autre du monde séduisent forcément quand ils n’émeuvent pas. En 2013, la télévision algérienne diffusait même, la larme à l’œil, une cérémonie de mariage collectif, en parlant d’« intégration à la chinoise ». Mais comment se passe réellement la cohabitation entre ces deux communautés si éloignées ? Heng, Wang Lu, Latifa ou Dalila se racontent, sous l’œil de leur alter ego.
Il y a un an, Heng a fini par trouver chaussure à son pied dans l’Ouest algérien. L’heureuse élue porte le doux prénom de Latifa (« gentille » en arabe). « Un signe, dit-il, car moi aussi je suis un gentil… Nous, les Chinois, on est tous des oreillers en mousse. Nous n’avons pas le sang chaud des Algériens. » Rougeur sur le visage de Latifa : « Tout le monde est froid, au départ, c’est après que ça chauffe… » La gêne est perceptible, car les promis n’en sont précisément… qu’aux promesses : Heng est en effet forcé de retarder le mariage parce que sa belle-famille n’est pas au courant. « Je ne sais pas comment leur dire, c’est difficile », reconnaît Latifa. En Algérie, la religion n’est pas le seul problème rencontré par ces couples mixtes : « Annoncer à mes parents que je vais me marier avec un Chinois, c’est quand même quelque chose, surtout à Tlemcen. Chez nous, un Algérois est déjà perçu comme un étranger. Vous imaginez alors un Chinois : c’est plus qu’un étranger, c’est un étrange ! »
Pour Zhi Zhou, il est plus facile pour un Chinois d’apprendre l’arabe que pour une Algérienne d’apprendre le chinois
Visage plus serein, Dalila, 32 ans, a épousé Wang Lu, du même âge, arrivé de son Fujian natal il y a quatre ans. Leur foyer est décoré de draperies chinoises et de tapis algériens. « On marie les couleurs comme on peut, se moque l’épouse. Un jour, on finira par manger du couscous cantonais ! » Pour le couple, le repas est tout un symbole : les deux trentenaires se sont rencontrés en 2012, lors d’un dîner chez des amis communs. « Il y avait du monde, raconte Dalila. On parlait de religion. Lui ne disait rien, il passait son temps à bouffer, j’ai tilté… » Du tilt au mariage, moins d’un an s’est écoulé. Ils vivent aujourd’hui à Bab Ezzouar, ville-cité, à une quinzaine de kilomètres de la capitale, qui abrite le premier Chinatown du pays, tout près de l’aéroport Houari-Boumédiène. « Mon homme me dit qu’il est content d’habiter là parce que les avions ne sont pas loin. » Eclat de rire de Wang Lu : « Oui, comme ça, je pourrai me sauver en cas de danger ! » Devant un thé dont on ne sait plus très bien l’origine, l’Algérienne, en kimono, distille enfin : « Les Chinois sont respectueux et tolérants, comme tous les Asiatiques, d’ailleurs. Ils font mieux que s’adapter à nous : ils prennent le meilleur et rejettent le pire. On dit que l’amour n’a pas de frontières : ce que je peux dire, c’est que l’amour qui a passé ma frontière existe vraiment. » Wang Lu et Dalila ont eu de la chance : ils parlaient tous deux français et ont pu communiquer. Faute de quoi, selon eux, ils n’auraient « jamais partagé le dessert ».
Pourtant la langue n’est pas une barrière, loin de là. Zhi Zhou et Hassina ont célébré leurs noces en juillet. Lui ne parle pas l’arabe et elle pas plus le chinois, mais le langage du cœur a su s’exprimer ! « Quand on ne comprend pas, on apprend à se comprendre », résume la jeune Algéroise. Avec le temps, la langue se lit aussi bien de haut en bas que de gauche à droite, le « chinarabe », comme on dit. « Un jour, j’ai dit quelques phrases à une Chinoise et elle a eu cette réponse : “Ah toi, tu nous as pris un de nos hommes !” Preuve que les jalouses, ça existe des deux côtés ! » Reste que, pour Zhi Zhou, « il est plus facile pour un Chinois d’apprendre l’arabe que pour une Algérienne d’apprendre le chinois » ! Et l’épouse de rétorquer aussi sec : « Peut-être, mais ce n’est pas parce que tu apprends plus vite que moi, c’est juste que l’arabe est une langue universelle ! »
Je m’inquiétais des différences de culture : le bouddhisme, l’acupuncture, les caractères d’écriture…, explique-Farid. Alors j’ai été sur Google, c’est comme cela que je me suis éduqué aux chinoiseries.
En arrivant sur le sol algérien, les Chinois ne pensent pas mariage mais travail. Quoique… « Ces dernières années, même le téléphone arabe est devenu chinois, sourit Zhi Zhou. Vous voyez, chez nous, les réseaux fonctionnent très bien et tout se sait rapidement. En plus, nous ne sommes pas très grands et, chez vous, les filles sont petites aussi. Même taille, même vie. » Hassina dit connaître le grand amour avec son « poupon chinois » ou son « Zizou », le surnom que ses collègues de travail lui ont donné, en référence au grand Zidane. Son mari est employé sur le chantier de la Grande Mosquée d’Alger, mais Hassina précise : « Les Chinois ne viennent pas en Algérie que pour bâtir des tours, ils viennent aussi construire un avenir. »
Dernière rencontre, l’Algérien Farid qui a pris Ming Yue pour femme. « Je m’inquiétais des différences de culture : le bouddhisme, l’acupuncture, les caractères d’écriture…, explique-t-il. Alors j’ai été sur Google, c’est comme cela que je me suis éduqué aux chinoiseries. » Le couple n’a pas encore d’enfants, « mais ça viendra ». « Je suis zen, assure Farid. Ming Yue, c’est ma Grande Muraille, comme je l’appelle. » Son bébé, il le voit vivre dans les deux pays : un grand écart, certes, « mais on est souple, c’est ça notre secret. Mon enfant sera algérien et chinois. Pas deux moitiés : pleinement algérien et pleinement chinois ! ». Ont-ils l’intention de rester en Algérie ou de partir en Chine ? « Beaucoup de Chinois viennent dans l’idée de rentrer un jour au pays, mais finalement ils restent ici, explique Farid. Ils apprennent l’arabe, le kabyle, la langue populaire, ils apprennent même nos gestes, nos façons de fonctionner… Alors, je me dis que, lorsque j’irai là-bas, pourquoi ne pas tenter d’y vivre… » Voyage prévu au printemps prochain.
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