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La justice n’a pas oublié Saïd Bourarach, le vigile noyé dans le canal de l’Ourcq

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  • La justice n’a pas oublié Saïd Bourarach, le vigile noyé dans le canal de l’Ourcq

    La cour d’appel de Paris a renvoyé aux assises quatre hommes avec lesquels il avait eu, en 2010, une violente altercation avant de sauter à l’eau.

    Un mur couvert de graffitis longe le canal de l'Ourcq. Sur la berge opposée courent les rails de la ligne 5. Station Bobigny-Pablo Picasso. Entre les bariolages multicolores qui se reflètent dans l'eau verte, un visage peint de trois-quarts, les yeux clos, se découpe sur fond noir, accompagné d'une épitaphe en lettres blanches : « A la mémoire de Saïd Bourarach, assassiné lâchement ». A côté du portrait s'étire, sur plusieurs mètres en lettres capitales, le mot « justice ».

    Quatre ans après la mort de ce vigile d'un magasin de bricolage de Seine-Saint-Denis, la justice réclamée sur les murs du canal de l'Ourcq a tranché. Mercredi 26 mars, la cour d'appel de Paris a décidé de renvoyer ses quatre agresseurs devant une cour d'assises pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner avec usage ou menace d'une arme », un crime passible de quinze ans de prison.

    Saïd Bourarach n'a pas été « assassiné ». Il s'est noyé. Mais les circonstances de sa mort ont fait de lui une icône. Le 30 mars 2010, ce père de famille marocain de 35 ans, musulman non pratiquant et analphabète, avait sauté dans le canal en tentant d'échapper à un groupe de jeunes – de confession juive – qui l'avait pris en chasse. Son corps a été repêché le lendemain quelques mètres plus loin, à trois mètres de profondeur.

    CHARGE SYMBOLIQUE

    Sa mort avait réveillé un profond sentiment d'injustice dans certaines couches de la population. Sur des sites d'information communautaire, (oumma.com, islametinfo.fr, panamza.com…), l'origine des agresseurs – et leur sympathie supposée pour la Ligue de défense juive (LDJ) – suffisait à établir la dimension raciste de son « meurtre ». La très discrète couverture médiatique de son destin tragique – souvent comparée à l'émoi suscité par la mort de Clément Méric ou de Ilan Halimi – a alimenté le sentiment d'une indignation à géométrie variable.

    Deux morceaux de rap (à écouter ici et ici), écrits à la mémoire du vigile, témoignent de la charge symbolique de ce fait-divers, au prix parfois de quelques erreurs factuelles. L'un affirme, contre la vérité du dossier, que le vigile a été « jeté » dans le canal parce qu'il était arabe ; l'autre dénonce, avant même la tenue du procès, « une justice à deux vitesses » soupçonnée de couvrir les « milices protégées par Manuel Valls ». Tous les ingrédients étaient réunis pour que Dieudonné s'empare de l'affaire : une vidéo postée sur Internet montre la veuve du vigile, se voyant remettre le fruit d'un appel aux dons par le polémiste et essayiste d'extrême droite Alain Soral.

    Aucun des témoignages recueillis durant l'instruction n'a permis d'asseoir la motivation ethnique ou religieuse de l'altercation qui a conduit à la mort de Saïd Bourarach. Faute d'une véritable enquête de personnalité, les relations des agresseurs avec la LDJ n'ont pas davantage pu être établies. La circonstance aggravante de crime « raciste » n'a pas été retenue par la justice. « La seule appartenance des mis en examen, à la supposer établie, à un groupuscule politique de quelque nature qu'il soit ne saurait emporter présomption d'un mobile au moment des faits », argumente le juge d'instruction.

    COUPS AU VISAGE

    Que dit le dossier ? Le 30 mars 2010, Dan L., 19 ans à l'époque des faits, dreadlocks blondes nouées dans la nuque, se rend avec sa petite amie au magasin de bricolage Batkor de Bobigny pour y acheter un pot de peinture et un pinceau. Il est un peu plus de 19 heures. Le magasin est en train de fermer ses portes. Devant l'entrée principale, Saïd Bourarach, le vigile, refuse de le laisser entrer. Le ton monte. Les deux hommes s'insultent copieusement.

    Alertés par les cris, plusieurs collègues du vigile accourent. Tous témoigneront devant les enquêteurs de l'extrême nervosité de ce jeune client, « excité », voire « enragé ». Aucun ne fera cependant état d'insultes à caractère racial. Ils aperçoivent alors Saïd Bourarach, bombe lacrymogène en avant, tenant son chien en laisse, lancé à la poursuite de Dan L.. Ce dernier regagne en courant sa voiture, où l'attend sa petite amie. Un témoin l'entend lancer : « Là, je les appelle, on va te niquer ta mère, on va te tuer, j'habite la cité d'à côté. » Le jeune se met torse nu et se saisit d'une manivelle de cric dans le coffre de sa Clio.

    Quelques minutes plus tard, le grand frère de Dan L., accompagné de quelques amis, arrive sur place. Le groupe fond sur le vigile. Dan L. reconnaîtra lui avoir porté au moins un coup au visage. Un témoin fait état de plusieurs coups échangés (l'autopsie constatera de nombreux hématomes, dont l'origine n'a pas pu être déterminée avec certitude par l'enquête). Le vigile fait alors usage de sa gazeuse, aspergeant copieusement le groupe tandis que ses collègues se replient dans le magasin. Selon des témoignages concordants, il lâche également son chien, sans muselière, sur ses agresseurs.

    PRIS EN CHASSE

    A cet instant, le système automatique de fermeture des portes se déclenche, et la situation dégénère. Un chef de secteur du magasin tente de faire entrer Saïd Bourarach par la porte de service. Il aperçoit alors Dan L., faisant tournoyer son cric, et un de ses amis brandissant une grosse pierre au-dessus de sa tête. Selon plusieurs témoins, l'un des agresseurs aurait alors menacé de tuer le chien. Le vigile, qui refuse d'abandonner la bête, renonce à se mettre à l'abri dans le magasin et repart en direction du groupe en vidant le contenu de sa gazeuse. Ses collègues ne le reverront plus vivant.

    Saïd Bourarach dévale la cote qui sépare le magasin du canal de l'Ourcq et court le long de la berge, pris en chasse par ses agresseurs. Ce sont deux agents de la SNCF, travaillant sur l'autre rive du canal, large d'environ 18 mètres, qui racontent la suite aux enquêteurs. Manifestement à bout de souffle, sur le point d'être rattrapé par ses poursuivants, le vigile se débarrasse de sa veste et se jette dans le canal. Les deux cheminots affirment avoir vu le groupe de poursuivants jeter des pierres dans l'eau, tandis que le vigile nageait énergiquement vers l'autre berge.

    Le groupe de jeunes décide alors de rebrousser chemin, non sans avoir récupéré un paquet de cigarettes dans la veste du futur noyé. La police les retrouvera peu après dans une maison de Pantin, l'un faisant semblant de dormir, un autre enfoui sous un tas de linge tandis qu'un troisième s'était caché dans le placard. L'enquête établira que le vigile est mort par noyade. A cause d'un pot de peinture.

    Par Soren Seelow
    Le Monde
    Dernière modification par zek, 14 septembre 2018, 16h12.
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin
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