Ali Kahlane : «Il faut sortir le numérique de la gestion bureaucratique»
L’ONU vient de publier l’EGDI, son classement 2018 sur l’e-gouvernement. L’Algérie occupe la 130e place sur 196…
Ali Kahlane : Dans les années 60-70 et jusqu’au milieu des années 80, l’Algérie était le premier pays de la région MENA en matière d’informatique. Elle était même le seul pays de toute la région, Afrique comprise, à avoir une Ecole supérieure en informatique (l’actuelle ESI, Ecole nationale supérieure en informatique fondée en 1969) qui formait des techniciens et des ingénieurs dans ce domaine. Elle avait aussi formé bon nombre d’ingénieurs africains.
A partir de la fin des années 90, l’Algérie a largement perdu sa place au profit de ses voisins marocain et tunisien. Pourtant, malgré ses mauvais classements, l’Algérie est globalement en train de reprendre doucement les places qui devraient normalement être les siennes. C’est ainsi qu’elle a été classée 117e sur 139 pays par le World Economic Forum pour le Networked Readiness Index (NRI) alors que dans ce même classement, l’Algérie a gagné trois places depuis, tandis que ses deux voisins ont plus ou moins stagné dans leurs positions, 78e pour le Maroc et 81e pour la Tunisie.
En ce qui concerne le classement sur l’e-gouvernement dont il est question, il semble aller dans le sens de la dynamique dans laquelle s’est inscrite l’Algérie depuis une dizaine d’années. En effet, l’Algérie n’a réellement commencé à communiquer sur ses actions de développement et d’utilisation du numérique que depuis peu. Cela explique en grande partie ce saut de 20 places en 2 ans (l’EGDI est biennal), de la 150e place à la 130e.
Cette double performance, avoir communiqué utilement sur ses actions et avoir réussi ce saut appréciable dans le classement, ne doit pas nous faire oublier d’où vient le pays et surtout comment il se compare aux autres et en particulier à ceux qui lui sont comparables.
L’EGDI est l’indice de développement de l’e-gouvernement qui est, en fait, une moyenne pondérée de trois autres sous-indices.
Chacun de ces indices est en soi une mesure composite pouvant être extraite et analysée indépendamment. La valeur de chaque indice est ensuite normalisée pour se situer entre 0 et 1. L’EGDI global est obtenu en prenant la moyenne arithmétique de ces trois indices.
Les 196 pays qui apparaissent dans l’EGDI sont classés en quatre groupes selon leur score : le «très haut niveau» quand le score va de 0.75 à 1.00, le «haut niveau» de 0.50 à 0.75, le «moyen niveau» de 0.25 à 0.50 et enfin le «bas niveau» pour les pays dont l’EGDI est moins de 0.25. L’Algérie a encore beaucoup d’efforts à faire pour quitter le groupe «moyen niveau» qu’elle occupe actuellement avec le score de 0.42.
Notre pays revient quand même de loin, en passant du score de 0.29, qui était le sien en 2016, à celui de 0.42 en 2018 et sachant que l’EGDI de Namibie est à 0.45, l’Algérie a manqué de peu d’être dans le top 10 africain de l’e-gouvernement.
Nous trouvons dans ce top 10, dans le groupe «haut niveau» l’Ile Maurice avec 0.66, l’Afrique du Sud, la Tunisie, les Seychelles, le Ghana, le Maroc, et dans le groupe «moyen niveau», le Gabon, les Iles du Cap vert, l’Egypte, le Rwanda et la Namibie. Cela donne une autre grande opportunité à l’Algérie pour progresser. Elle a toutes les capacités pour y parvenir dans les deux années qui la séparent du prochain EGDI.
Quelles sont les raisons qui bloqueraient la transition numérique en Algérie ?
L’enquête EGDI a fait apparaître clairement une corrélation négative entre l’utilisation du numérique et l’exclusion sociale. C’est justement le point faible de l’Algérie. L’utilisation en ligne offre une possibilité à cette inclusion numérique, mais elle risque également de créer une nouvelle fracture numérique, en raison notamment d’un accès insuffisant dans les régions à faible revenu, qu’elle soit par manque de disponibilité de bande passante ou de débit.
Les bonnes performances algériennes toutes relatives dans cet EGDI sont essentiellement dues à un honorable indice de capital humain (HCI) qui est de 0.66. Ce qui la classe beaucoup mieux que le Maroc avec 0.52 et, pratiquement ex æquo avec la Tunisie (0.66) et l’Egypte avec 0.60. Nous voyons par ailleurs que l’index des infrastructures télécoms (TII) de 0.39, est certes moyen mais bien meilleur que ceux du Maroc de 0.36 et de l’Egypte de 0.32.
Par contre, notre pays fait un très mauvais score dans l’indice des services en ligne (OSI) avec 0.21. Ce qui le classe dans le groupe «bas niveau» de l’EGDI. Rappelons que ce dernier indice évalue et note le développement et la prise en charge des services en ligne. Nous remarquons que le plus mauvais de nos voisins, avec un OSI de 0.63, fait exactement trois fois mieux que nous. Autrement dit, il ne suffit pas de déployer de la fibre optique sur des milliers kilomètres, même si cela est aussi nécessaire, et augmenter la bande passante ADSL pour améliorer notre score dans l’e-gouvernement.
Est-ce à dire qu’il suffirait à l’Algérie d’améliorer son OSI, ses services en ligne pour gagner de nouvelles places et se propulser dans le top 10 africain et peut être même le dominer ?
Il est vrai que le pouvoir de transformation et de facilitation des TIC passe par des services en ligne visibles, utiles et accessibles à tous les citoyens. Ce qui devrait alors créer mécaniquement un changement de paradigme dans le secteur public. Dans ce cas, trois tendances seraient alors possibles.
La première est la nécessité de relever des défis sociétaux toujours plus nombreux et complexes que l’inclusion numérique des services en ligne devrait faciliter et simplifier.
La seconde est la compréhension selon laquelle bien que le secteur public soit le plus grand et le plus puissant des acteurs, il n’a pas le monopole des
ressources. Parce qu’il n’a ni les moyens ni la capacité d’innover. En effet, l’Etat doit conserver la responsabilité globale de la qualité, des normes et de l’éthique – de la sécurité aussi. L’Etat doit veiller à ce que personne ne soit laissé pour compte. Il doit veiller au partage de l’information et à sa transparence telle que définie dans le programme 2030 de l’ONU pour le développement durable.
Et, enfin, la troisième tendance va concerner la capacité accrue de tous les autres pans de la société qu’ils soient étatiques ou privés, de participer aux côtés du secteur public pour que les données publiques disponibles puissent augmenter la transparence du gouvernement. Ce qui induirait une responsabilisation et une confiance accrues dans ce même gouvernement et dans les institutions publiques.
Les données disponibles et réutilisables qui sont accessibles au public permettraient et faciliteraient la participation et la collaboration entre tous les acteurs cités. A ce propos, nous pourrions suggérer une piste pour améliorer notre OSI. Il serait bon de commencer par publier les textes de loi avant qu’ils soient débattus par les députés et les mettre en ligne. Cela va justement grandement améliorer quelques sous-indices, en particulier celui l’e-participation citoyenne (EPI) qui est de 0.21 pour l’Algérie. Celui de l’Egypte est à 0.53, le Maroc 0.77 et la Tunisie 0.79, alors que le meilleur score mondial est celui de la Corée du Nord qui est à 1.00.
Cela irait aussi dans le sens d’un meilleur sous-indice qui concerne l’Open Government Data (OGD), qui in fine impacterait directement l’OSI, et c’est justement là où l’Algérie marque ses plus mauvais points.
L’ONU vient de publier l’EGDI, son classement 2018 sur l’e-gouvernement. L’Algérie occupe la 130e place sur 196…
Ali Kahlane : Dans les années 60-70 et jusqu’au milieu des années 80, l’Algérie était le premier pays de la région MENA en matière d’informatique. Elle était même le seul pays de toute la région, Afrique comprise, à avoir une Ecole supérieure en informatique (l’actuelle ESI, Ecole nationale supérieure en informatique fondée en 1969) qui formait des techniciens et des ingénieurs dans ce domaine. Elle avait aussi formé bon nombre d’ingénieurs africains.
A partir de la fin des années 90, l’Algérie a largement perdu sa place au profit de ses voisins marocain et tunisien. Pourtant, malgré ses mauvais classements, l’Algérie est globalement en train de reprendre doucement les places qui devraient normalement être les siennes. C’est ainsi qu’elle a été classée 117e sur 139 pays par le World Economic Forum pour le Networked Readiness Index (NRI) alors que dans ce même classement, l’Algérie a gagné trois places depuis, tandis que ses deux voisins ont plus ou moins stagné dans leurs positions, 78e pour le Maroc et 81e pour la Tunisie.
En ce qui concerne le classement sur l’e-gouvernement dont il est question, il semble aller dans le sens de la dynamique dans laquelle s’est inscrite l’Algérie depuis une dizaine d’années. En effet, l’Algérie n’a réellement commencé à communiquer sur ses actions de développement et d’utilisation du numérique que depuis peu. Cela explique en grande partie ce saut de 20 places en 2 ans (l’EGDI est biennal), de la 150e place à la 130e.
Cette double performance, avoir communiqué utilement sur ses actions et avoir réussi ce saut appréciable dans le classement, ne doit pas nous faire oublier d’où vient le pays et surtout comment il se compare aux autres et en particulier à ceux qui lui sont comparables.
L’EGDI est l’indice de développement de l’e-gouvernement qui est, en fait, une moyenne pondérée de trois autres sous-indices.
- Le premier est la portée et la qualité des services en ligne, défini par l’OSI (Online Service Index), qui est basé sur les données collectées à partir d’un questionnaire d’enquête indépendant. Il est mené par l’Undesa, le Département des affaires économiques et sociales de l’ONU.
- Le deuxième concerne l’importance des infrastructures de télécommunication, le TII (Telecommunications Infrastructure Index). Il est basé sur des données fournies par l’UIT.
- Le troisième concerne le capital humain, le HCI (Human Capital Index) qui est basé sur des données fournies directement par l’Unesco.
Chacun de ces indices est en soi une mesure composite pouvant être extraite et analysée indépendamment. La valeur de chaque indice est ensuite normalisée pour se situer entre 0 et 1. L’EGDI global est obtenu en prenant la moyenne arithmétique de ces trois indices.
Les 196 pays qui apparaissent dans l’EGDI sont classés en quatre groupes selon leur score : le «très haut niveau» quand le score va de 0.75 à 1.00, le «haut niveau» de 0.50 à 0.75, le «moyen niveau» de 0.25 à 0.50 et enfin le «bas niveau» pour les pays dont l’EGDI est moins de 0.25. L’Algérie a encore beaucoup d’efforts à faire pour quitter le groupe «moyen niveau» qu’elle occupe actuellement avec le score de 0.42.
Notre pays revient quand même de loin, en passant du score de 0.29, qui était le sien en 2016, à celui de 0.42 en 2018 et sachant que l’EGDI de Namibie est à 0.45, l’Algérie a manqué de peu d’être dans le top 10 africain de l’e-gouvernement.
Nous trouvons dans ce top 10, dans le groupe «haut niveau» l’Ile Maurice avec 0.66, l’Afrique du Sud, la Tunisie, les Seychelles, le Ghana, le Maroc, et dans le groupe «moyen niveau», le Gabon, les Iles du Cap vert, l’Egypte, le Rwanda et la Namibie. Cela donne une autre grande opportunité à l’Algérie pour progresser. Elle a toutes les capacités pour y parvenir dans les deux années qui la séparent du prochain EGDI.
Quelles sont les raisons qui bloqueraient la transition numérique en Algérie ?
L’enquête EGDI a fait apparaître clairement une corrélation négative entre l’utilisation du numérique et l’exclusion sociale. C’est justement le point faible de l’Algérie. L’utilisation en ligne offre une possibilité à cette inclusion numérique, mais elle risque également de créer une nouvelle fracture numérique, en raison notamment d’un accès insuffisant dans les régions à faible revenu, qu’elle soit par manque de disponibilité de bande passante ou de débit.
Les bonnes performances algériennes toutes relatives dans cet EGDI sont essentiellement dues à un honorable indice de capital humain (HCI) qui est de 0.66. Ce qui la classe beaucoup mieux que le Maroc avec 0.52 et, pratiquement ex æquo avec la Tunisie (0.66) et l’Egypte avec 0.60. Nous voyons par ailleurs que l’index des infrastructures télécoms (TII) de 0.39, est certes moyen mais bien meilleur que ceux du Maroc de 0.36 et de l’Egypte de 0.32.
Par contre, notre pays fait un très mauvais score dans l’indice des services en ligne (OSI) avec 0.21. Ce qui le classe dans le groupe «bas niveau» de l’EGDI. Rappelons que ce dernier indice évalue et note le développement et la prise en charge des services en ligne. Nous remarquons que le plus mauvais de nos voisins, avec un OSI de 0.63, fait exactement trois fois mieux que nous. Autrement dit, il ne suffit pas de déployer de la fibre optique sur des milliers kilomètres, même si cela est aussi nécessaire, et augmenter la bande passante ADSL pour améliorer notre score dans l’e-gouvernement.
Est-ce à dire qu’il suffirait à l’Algérie d’améliorer son OSI, ses services en ligne pour gagner de nouvelles places et se propulser dans le top 10 africain et peut être même le dominer ?
Il est vrai que le pouvoir de transformation et de facilitation des TIC passe par des services en ligne visibles, utiles et accessibles à tous les citoyens. Ce qui devrait alors créer mécaniquement un changement de paradigme dans le secteur public. Dans ce cas, trois tendances seraient alors possibles.
La première est la nécessité de relever des défis sociétaux toujours plus nombreux et complexes que l’inclusion numérique des services en ligne devrait faciliter et simplifier.
La seconde est la compréhension selon laquelle bien que le secteur public soit le plus grand et le plus puissant des acteurs, il n’a pas le monopole des
ressources. Parce qu’il n’a ni les moyens ni la capacité d’innover. En effet, l’Etat doit conserver la responsabilité globale de la qualité, des normes et de l’éthique – de la sécurité aussi. L’Etat doit veiller à ce que personne ne soit laissé pour compte. Il doit veiller au partage de l’information et à sa transparence telle que définie dans le programme 2030 de l’ONU pour le développement durable.
Et, enfin, la troisième tendance va concerner la capacité accrue de tous les autres pans de la société qu’ils soient étatiques ou privés, de participer aux côtés du secteur public pour que les données publiques disponibles puissent augmenter la transparence du gouvernement. Ce qui induirait une responsabilisation et une confiance accrues dans ce même gouvernement et dans les institutions publiques.
Les données disponibles et réutilisables qui sont accessibles au public permettraient et faciliteraient la participation et la collaboration entre tous les acteurs cités. A ce propos, nous pourrions suggérer une piste pour améliorer notre OSI. Il serait bon de commencer par publier les textes de loi avant qu’ils soient débattus par les députés et les mettre en ligne. Cela va justement grandement améliorer quelques sous-indices, en particulier celui l’e-participation citoyenne (EPI) qui est de 0.21 pour l’Algérie. Celui de l’Egypte est à 0.53, le Maroc 0.77 et la Tunisie 0.79, alors que le meilleur score mondial est celui de la Corée du Nord qui est à 1.00.
Cela irait aussi dans le sens d’un meilleur sous-indice qui concerne l’Open Government Data (OGD), qui in fine impacterait directement l’OSI, et c’est justement là où l’Algérie marque ses plus mauvais points.
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