ENQUÊTE. L'arrestation et l'inculpation devant le tribunal militaire de Blida de ces cinq ex-généraux que leurs anciennes responsabilités dans la hierarchie militaire auraient dû mettre à l'abri de toute déconvenue continue d'interroger. Explication sur la manière dont tout cela s'est noué.
Au tribunal militaire de Blida, à une trentaine de kilomètres au sud d'Alger, il est 2 h du matin, ce 14 octobre. Des gendarmes d'élite escortent cinq civils, menottés, qui viennent de sortir d'un long interrogatoire. Les jeunes soldats en faction n'arrivent pas à croire ce qu'ils voient devant leurs yeux rougis par la nuit et l'attente : cinq généraux-majors, dont leur ancien chef, Lahbib Chentouf, patron de la 1e Région militaire (tout le centre du pays y compris Alger), sont transférés en détention préventive ! « Enrichissement illégal, abus de poste, corruption, etc. », les chefs d'inculpation cités par le jeune procureur militaire lors de la présentation des prévenus sont nombreux. « Leurs proches aussi sont concernés, les enquêtes ont été très complexes », précise-t-on.
Des questions, des questions, des questions
L'Algérie se réveille donc sur ce fait inédit : l'emprisonnement de puissants ex-hauts gradés : les ex-généraux-majors, fraîchement mis à la retraite en août, Lahbib Chentouf, ex-chef de la 1e Région militaire, Saïd Bey, ex-chef de la 2e RM (ouest), Cherif Abderrazak, ex-chef de la 4e RM (sud-est), Menad Nouba, ex-commandant de la gendarmerie nationale, Boudjemaa Boudouaouar, ex-directeur des finances au ministère de la Défense nationale. Un colonel de la Sécurité de l'armée a lui aussi était emprisonné la même nuit, mais son identité reste secrète pour le moment. Alger, ses médias et ses cafés bruissent alors de mille rumeurs : réaction contre un éventuel putsch ? Coup de grâce contre les militaires réfractaires au cinquième mandat de Bouteflika qui se profile ? Contre-feu pour étouffer des scandales plus importants côté état-major ou Présidence ? Ou tout cela à la fois ?
Purges en série
Depuis le début de l'été, et en l'absence d'une communication officielle, plus d'une vingtaine de généraux et de généraux-majors ont été relevés de leurs fonctions. En cet été torride, mutations, mises à la retraites ou limogeages pleuvaient sur l'organigramme de l'Armée nationale populaire (ANP). Avant cette moisson de têtes galonnées, c'est la police qui a payé les frais d'une gigantesque purge, à commencer par son propre patron, l'influent (et très proche du cercle présidentiel) général-major Abdelghani Hamel, sur fond de scandale d'une saisie de 701 kilos de cocaïne au large d'Oran (ouest) par les troupes spéciales de la Marine, le 29 mai. Du chef des Renseignements généraux à la quasi-totalité des directeurs départementaux de la police, en passant par le patron de la Police des frontières, des officiers de transmissions, certains commissaires même au niveau local ou de quartier, etc. : la purge a été violente, expéditive et massive.
Menées conjointement par les services de police judiciaire de la Coordination des services de sécurité, de la gendarmerie et de la direction centrale de la Sécurité de l'armée, les enquêtes à ce palier-là (police) se sont attaquées « aux jointures entre certains services de sécurité et la criminalité organisée, notamment internationales », selon un officier de la PJ.
Cocaïne, pots-de-vin, transferts d'argent
Selon nos interlocuteurs à Alger, l'affaire de la saisie record de la cocaïne fin mai et le scandale politico-financier qui s'en est suivi aurait « accéléré des enquêtes déjà en cours sur des accointances entre des politiques, des responsables de services de sécurité et des sphères mafieuses ». Le principal accusé de l'affaire de la cocaïne est l'importateur de viande d'Alger, Kamel Chikhi, « El Bouchi » (le boucher) – qui fournit aussi aux cantines de l'armée, sa viande. Un nouveau riche qui investira rapidement dans l'immobilier haut standing avec une liberté d'action absolue. Des riverains ont même été embarqués par la police et condamnés par la justice pour avoir manifesté contre l'un de ses projets immobiliers qui allait détruire tout un quartier !
Les perquisitions dans le bureau d'El Bouchi ont mis à jour une formidable machine à chantage. Kamel Chikhi enregistrait tous ses rendez-vous avec ses « facilitateurs » (responsables locaux, magistrats, des ''fils de'', etc.) et tenait à jour des carnets contenant le détails des pots-de-vin et des « services rendus ». Une mine d'or pour les enquêteurs qui planchent depuis des mois sur quatre gros carnets croustillants de révélations, le contenu des disques durs d'El Bouchi et d'interminables heures d'enregistrement.
Mais l'affaire « El Bouchi » ne serait pas, malgré son impact politico-judiciaire, seul accélérateur des événements de ces derniers mois. Le ministre de la Justice lui-même, Tayeb Louh, avait déclaré qu'avant que l'affaire de la cocaïne n'éclate, des investigations suivaient déjà le fil de transferts d'argents colossaux vers des banques à l'étranger. « Au sud de l'Europe et dans des pays du Golfe », précise une source proche de l'enquête. « El Bouchi était pisté à cause de ses transferts en milliards vers un pays européen. On avait, des mois avant l'affaire de la cocaïne, gardé un œil sur lui – et sur ses complicités à l'aéroport d'Alger et ailleurs – et on avait compris qu'il ne transférait pas que son argent… ».
L'alerte donnée par des services européens
Trois services d'intelligence européens avaient, l'an dernier, averti leurs homologues à Alger, que des « comptes en banque garnis en sommes importantes étaient ouverts aux noms de personnes dont les postes en Algérie semblent sensibles ». « Nous étions sur des pistes sérieuses d'enrichissement illégal et de transferts illégaux de capitaux. Comment le fils d'un général-major, qui n'a pas 30 ans, peut avoir sur son compte plus quarante millions d'euros ? », explique-t-on du côté de la « judiciaire ». « Le souci, c'est que des « Bouchi » il y en a partout à travers le pays, dans toutes les wilayas [départements], à tous les niveaux. Mais cette affaire était importante parce que l'alarme a été donné sur la possibilité que des responsables sécuritaires soient mouillés dans le crime organisé et les grands réseaux de corruption. Cela touche la sécurité nationale », poursuivent nos sources.
Remonter aux années 2008
« Bien avant l'affaire de ce "Bouchi", cela fait des années que des enquêtes sont diligentées, mais les manipulations des uns et des autres paralysent toute issue judicaire », admet un ancien cadre à la présidence de la République. Là, il faut remonter à ces épisodes troubles des années 2008 - 2013 et à l'éclatement de l'affaire Sonatrach, un des plus importants scandales politico-financiers de l'Algérie contemporaine.
La suite...............
Au tribunal militaire de Blida, à une trentaine de kilomètres au sud d'Alger, il est 2 h du matin, ce 14 octobre. Des gendarmes d'élite escortent cinq civils, menottés, qui viennent de sortir d'un long interrogatoire. Les jeunes soldats en faction n'arrivent pas à croire ce qu'ils voient devant leurs yeux rougis par la nuit et l'attente : cinq généraux-majors, dont leur ancien chef, Lahbib Chentouf, patron de la 1e Région militaire (tout le centre du pays y compris Alger), sont transférés en détention préventive ! « Enrichissement illégal, abus de poste, corruption, etc. », les chefs d'inculpation cités par le jeune procureur militaire lors de la présentation des prévenus sont nombreux. « Leurs proches aussi sont concernés, les enquêtes ont été très complexes », précise-t-on.
Des questions, des questions, des questions
L'Algérie se réveille donc sur ce fait inédit : l'emprisonnement de puissants ex-hauts gradés : les ex-généraux-majors, fraîchement mis à la retraite en août, Lahbib Chentouf, ex-chef de la 1e Région militaire, Saïd Bey, ex-chef de la 2e RM (ouest), Cherif Abderrazak, ex-chef de la 4e RM (sud-est), Menad Nouba, ex-commandant de la gendarmerie nationale, Boudjemaa Boudouaouar, ex-directeur des finances au ministère de la Défense nationale. Un colonel de la Sécurité de l'armée a lui aussi était emprisonné la même nuit, mais son identité reste secrète pour le moment. Alger, ses médias et ses cafés bruissent alors de mille rumeurs : réaction contre un éventuel putsch ? Coup de grâce contre les militaires réfractaires au cinquième mandat de Bouteflika qui se profile ? Contre-feu pour étouffer des scandales plus importants côté état-major ou Présidence ? Ou tout cela à la fois ?
Purges en série
Depuis le début de l'été, et en l'absence d'une communication officielle, plus d'une vingtaine de généraux et de généraux-majors ont été relevés de leurs fonctions. En cet été torride, mutations, mises à la retraites ou limogeages pleuvaient sur l'organigramme de l'Armée nationale populaire (ANP). Avant cette moisson de têtes galonnées, c'est la police qui a payé les frais d'une gigantesque purge, à commencer par son propre patron, l'influent (et très proche du cercle présidentiel) général-major Abdelghani Hamel, sur fond de scandale d'une saisie de 701 kilos de cocaïne au large d'Oran (ouest) par les troupes spéciales de la Marine, le 29 mai. Du chef des Renseignements généraux à la quasi-totalité des directeurs départementaux de la police, en passant par le patron de la Police des frontières, des officiers de transmissions, certains commissaires même au niveau local ou de quartier, etc. : la purge a été violente, expéditive et massive.
Menées conjointement par les services de police judiciaire de la Coordination des services de sécurité, de la gendarmerie et de la direction centrale de la Sécurité de l'armée, les enquêtes à ce palier-là (police) se sont attaquées « aux jointures entre certains services de sécurité et la criminalité organisée, notamment internationales », selon un officier de la PJ.
Cocaïne, pots-de-vin, transferts d'argent
Selon nos interlocuteurs à Alger, l'affaire de la saisie record de la cocaïne fin mai et le scandale politico-financier qui s'en est suivi aurait « accéléré des enquêtes déjà en cours sur des accointances entre des politiques, des responsables de services de sécurité et des sphères mafieuses ». Le principal accusé de l'affaire de la cocaïne est l'importateur de viande d'Alger, Kamel Chikhi, « El Bouchi » (le boucher) – qui fournit aussi aux cantines de l'armée, sa viande. Un nouveau riche qui investira rapidement dans l'immobilier haut standing avec une liberté d'action absolue. Des riverains ont même été embarqués par la police et condamnés par la justice pour avoir manifesté contre l'un de ses projets immobiliers qui allait détruire tout un quartier !
Les perquisitions dans le bureau d'El Bouchi ont mis à jour une formidable machine à chantage. Kamel Chikhi enregistrait tous ses rendez-vous avec ses « facilitateurs » (responsables locaux, magistrats, des ''fils de'', etc.) et tenait à jour des carnets contenant le détails des pots-de-vin et des « services rendus ». Une mine d'or pour les enquêteurs qui planchent depuis des mois sur quatre gros carnets croustillants de révélations, le contenu des disques durs d'El Bouchi et d'interminables heures d'enregistrement.
Mais l'affaire « El Bouchi » ne serait pas, malgré son impact politico-judiciaire, seul accélérateur des événements de ces derniers mois. Le ministre de la Justice lui-même, Tayeb Louh, avait déclaré qu'avant que l'affaire de la cocaïne n'éclate, des investigations suivaient déjà le fil de transferts d'argents colossaux vers des banques à l'étranger. « Au sud de l'Europe et dans des pays du Golfe », précise une source proche de l'enquête. « El Bouchi était pisté à cause de ses transferts en milliards vers un pays européen. On avait, des mois avant l'affaire de la cocaïne, gardé un œil sur lui – et sur ses complicités à l'aéroport d'Alger et ailleurs – et on avait compris qu'il ne transférait pas que son argent… ».
L'alerte donnée par des services européens
Trois services d'intelligence européens avaient, l'an dernier, averti leurs homologues à Alger, que des « comptes en banque garnis en sommes importantes étaient ouverts aux noms de personnes dont les postes en Algérie semblent sensibles ». « Nous étions sur des pistes sérieuses d'enrichissement illégal et de transferts illégaux de capitaux. Comment le fils d'un général-major, qui n'a pas 30 ans, peut avoir sur son compte plus quarante millions d'euros ? », explique-t-on du côté de la « judiciaire ». « Le souci, c'est que des « Bouchi » il y en a partout à travers le pays, dans toutes les wilayas [départements], à tous les niveaux. Mais cette affaire était importante parce que l'alarme a été donné sur la possibilité que des responsables sécuritaires soient mouillés dans le crime organisé et les grands réseaux de corruption. Cela touche la sécurité nationale », poursuivent nos sources.
Remonter aux années 2008
« Bien avant l'affaire de ce "Bouchi", cela fait des années que des enquêtes sont diligentées, mais les manipulations des uns et des autres paralysent toute issue judicaire », admet un ancien cadre à la présidence de la République. Là, il faut remonter à ces épisodes troubles des années 2008 - 2013 et à l'éclatement de l'affaire Sonatrach, un des plus importants scandales politico-financiers de l'Algérie contemporaine.
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