par Entretien Réalisé Par Omar Merzoug
Le Quotidien d'Oran : Vous avez une longue et riche carrière politique derrière vous, diriez-vous que l'avez réussie ?
Roland Dumas : Je l'ai réussie parce que je n'ai pas fait la sottise de me mêler de ce qui ne me regardait pas. Dans les années 1950, il y avait la guerre d'Algérie, les Algériens faisaient leur travail de militants. Il y avait donc ce que les Algériens pouvaient faire et ce que l'on ne pouvait pas faire pour eux, il ne fallait pas s'en mêler. Cela a été le choix un peu difficile que l'on a fait avec Jacques Vergès. J'étais anticolonialiste avant que la guerre d'Algérie n'éclate. Et, de ce fait, j'ai rencontré le problème algérien, comme on disait à l'époque. On ne peut nier que l'Algérie était un pays où sévissait un système colonial bien connu, bien organisé. J'ai très tôt pris position pour les Algériens, et j'ai été très tôt partisan du soutien aux Algériens dans leur combat contre le système colonial en vigueur là-bas. J'ai moi-même, avec d'autres, pris pas mal de risques
Q.O. : On reviendra dans le cours de l'entretien sur la guerre d'Algérie. Vous dites dans vos mémoires que vous vouliez être président de la République ?
R.D. : C'est François Mitterrand qui me l'a suggéré. C'était à la fin de son second mandat, un jour que Mitterrand était en verve, ça lui arrivait d'être très aimable, très direct. C'était au cours d'un déjeuner, il me dit : " Roland, il faut que vous vous prépariez à me succéder. " A quoi j'ai répondu : " En serais-je capable ? ". Il m'a alors expliqué qu'il m'avait choisi pour être le patron de la diplomatie française, que j'étais tout à fait dans la ligne, qu'il m'a donné le plus beau ministère du gouvernement, les affaires étrangères, qu'il a une totale confiance en moi. En effet, c'était exact, je le lui ai prouvé sur le plan de ses affaires personnelles, j'ai été son avocat pendant fort longtemps, et sur sa fille et tout ça, de sorte que sur le plan personnel, il n'avait rien à me reprocher, bien au contraire. Cette idée de président m'a trotté quelque temps dans la tête, et puis je me suis dit que ce n'était peut-être pas possible, de toute façon, je suis quelque peu fataliste, car il y a les événements que l'on peut maîtriser et il y a ceux sur lesquels on ne peut rien.
Q.O. : Vous avez publié récemment deux livres " Coups et blessures, cinquante ans de secrets partagés avec François Mitterrand " et " Politiquement incorrect " (éditions du Cherche-Midi).
R.D. : Je lis toujours, je rencontre beaucoup de gens, tous ceux qui demandent à me voir, je les rencontre et je continue à agir. Quand on me sollicite, je réponds et je dis ce que je pense et les événements qui se succèdent et que je suis dans les média m'amènent à des réflexions personnelles
Q.O. : Au-delà de ça, vouliez-vous, à travers ces deux livres, livrer un témoignage personnel, donner votre vision des choses, décrire votre action politique ?
R.D. : Dans le secteur que je connais bien, les affaires étrangères, puisque j'ai été pendant dix ans le chef de la diplomatie française, c'est dans ce domaine que je travaille, j'ai constitué avec des juristes de politique internationale, le groupe des 22, qui publie régulièrement des communiqués où nous réagissons sur la politique française stricto sensu. C'est comme ça que j'ai été amené à me maintenir dans ce courant et en même temps ça me permet de réfléchir. L'avantage au point où j'en suis maintenant de ma vie, c'est qu'on a du temps pour réfléchir, analyser et exprimer les choses.
Q.O. : Quand vous étiez ministre en pleine action c'était plus difficile ?
R.D. : Oui, quand on gère un ministère, on est obligé de faire face aux problèmes qui se posent au quotidien, de communiquer, de recevoir et pour la politique globale vous êtres dans un gouvernement, solidaire d'une équipe, vous n'avez le choix de la libre discussion sur tous les sujets
Q.O. : Vous dites dans votre livre : " La société française est frappée d'un curieux mal qu'il est convenu d'appeler le " politiquement correct " qui a tôt fait de contaminer classe politique et medias, les maux constamment minimisés et les mots vidés de leur sens ont contribué à rendre femmes et hommes politiques inaudibles et suspects ", comment en est-on arrivé là ?
R.D. : C'est une réflexion parmi celles que me permet ma situation, le monde où je me trouve parmi d'autres comme tout citoyen. Je considère que certains aspects de la politique étrangère actuelle du gouvernement français et aussi autour du gouvernement français, les autres dirigeants, la politique étrangère telle qu'elle est menée, est frappée à mes yeux des maux les plus sévères dans mon esprit.
Q.O. : Prenons l'affaire des migrants, comment la voyez-vous ?
R.D. : Je pars de l'idée qu'il s'agit d'un faux problème que l'on est en train de laisser pourrir alors qu'il suffirait de réunir des gens intelligents et raisonnables, des responsables aux affaires ou dans l'opposition pour trouver des solutions, car je pense qu'on ne saurait admettre dans le contexte où nous sommes, riche comme l'est le monde, qu'on ne puisse pas intégrer une population, malgré tout limitée, surtout en opérant un tri et en faisant le nécessaire. J'étais tout jeune au moment de la guerre civile espagnole(1), l'armée républicaine a été battue et l'on a ouvert les frontières dans la précipitation et on a laissé passer les troupes en déroute. Je me souviens moi que tous les syndicats français de l'époque et le PS qui était influent
Q.O. : C'était le parti de Léon Blum(2).
R.D. : Oui, Léon Blum avait décrété la non-intervention, mais sur le plan humanitaire, il était d'accord pour que l'on prenne des initiatives en faveur des gens qui fuyaient l'Espagne. Mon père qui était secrétaire du syndicat de l'administration publique avait réuni les syndicats et ils avaient décidé d'aller accueillir les réfugiés et les enfants de réfugiés orphelins pour la plupart. La France avait à ce moment-là fait face à un afflux de population. Savez-vous qu'on a été obligé de mobiliser l'armée et on a résolu le problème. Et beaucoup de réfugiés sont restés et certains ont fait carrière en France. Anne Hidalgo, la maire de Paris en est un exemple.
Q.O. : Vous pensez, si je vous comprends bien, qu'on se devrait en France et en Europe se montrer plus solidaire avec les migrants.
R.D. : On devrait. Aujourd'hui il y a assez de gens, assez de richesses, notre monde est un monde riche
Q.O : Pourquoi ne le fait-on pas d'après vous ?
R.D. : Par crainte d'une montée du Rassemblement national(3), par crainte d'une sorte de révolution intérieure, par calcul politique. Observez Mme Merkel, qui a une autre politique dans l'esprit, pas totalement désintéressée, mais elle fait quelque chose, elle ne laisse pas les choses dégénérer. On accueille les migrants en Allemagne, on leur assure une formation. En Europe il y en a qui accueillent les migrants et il y en a qui leur ferment les portes. C'est juste une question de volonté politique. Je pense que Macron qui s'occupe de beaucoup de choses, il ne sait pas très bien où il en est du reste, il a dit oui, puis non, en attendant il ne fait rien, c'est flottant.
Q.O. : Venons-en à vos rapports avec l'Afrique et notamment avec l'Algérie. Vous écrivez dans votre livre : " Les bombardements de Sétif par l'aviation française ont été une monstruosité " et vous ajoutez : " On ne le dit pas assez, c'est le général de Gaulle qui était au pouvoir " en 1945.
R.D. : C'est assez dire que De Gaulle n'a pas toutes les vertus républicaines qu'on croit, Sétif c'est, tout de même, des massacres terribles
Q.O. : Est-ce que d'après vous De Gaulle pensait déjà en 1945 que la France ne pouvait pas garder l'Algérie ?
R.D.: Je pense qu'immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, De Gaulle n'avait pas encore fait sa mue politique. Il pensait qu'en " serrant les boulons ", qu'en matraquant un peu, en bombardant comme à Sétif, on avait des chances de garder l'Empire. Pourtant de Gaulle en 1945, avec le prestige qu'il avait aurait pu déjà faire évoluer les choses. Il a fait la politique inverse. Il est donc dommage que De Gaulle n'ait pas entrepris une politique d'émancipation
Q.O. : A son retour aux affaires, la guerre d'Algérie prend, avec le plan Challe, un tour plus cruel encore.
R.D. : C'est ce qui montre qu'au fond l'Algérie en tant que telle a toujours été une colonie au sens le plus cruel du terme. Il ne faut pas nous raconter d'histoires et dire que les Français voulaient à tout prix faire évoluer les choses, amener les médecins, créer des journaux, tout ça, c'est faux.
Q.O. : Vous vous inscrivez donc en faux contre les bienfaits supposés de la colonisation ?
R.D. : Puisque ce débat est toujours pendant entre Algériens et Français, je suis pour qu'on dise la vérité. Si on dit la vérité, on se met à dos toute une partie de la droite française, " comment ! Vous trahissez nos soldats, vous leur tirez dans la nuque ! etc. "
Q.O. : Cela dit Macron a déjà fait un geste quand il est allé en Algérie avant son élection, c'est la première fois qu'un candidat à la présidentielle parle en ces termes de la colonisation.
R.D. : C'est vrai, il a osé le dire(4). Il faut qu'il continue sur cette lancée, qu'il donne à ses diplomates des instructions en ce sens.
Q.O.: Est-ce qu'il faudrait faire avec les Algériens ce que vous-même vous avez fait avec les Allemands, vous étiez très hostile aux Allemands ?
R.D.: Et vous savez pourquoi. Mon père a été fusillé par les Allemands. J'ai beaucoup réfléchi à ça. Un jour de 1982 ou 1983 Mitterrand m'a appelé, j'étais parlementaire et il m'a dit : " Roland, le moment est venu pour vous d'entrer au gouvernement. " et Mitterrand d'ajouter : " Je sais que je vais vous faire souffrir, ça va être difficile pour vous, mais je vous le demande comme un service, service que vous rendrez à la République, c'est d'accepter d'être ministre des affaires étrangères, et vous allez avoir affaire inévitablement aux Allemands. Je sais ce qui est arrivé à votre père ". J'y ai réfléchi toute la nuit et j'ai accepté. Je suis tombé sur un homme très intelligent, mon homologue de l'époque, M. Genscher(5), qui m'a facilité les choses. Nous sommes devenus très amis et nous avons pu réaliser tout ce que nous avions entrepris.
Q.O. : Le FLN reproche toujours à François Mitterrand sa position sur la guerre d'Algérie. Vous étiez l'ami de Mitterrand, membre du parti politique qu'il animait et vous votiez contre votre propre formation politique ?
R.D. : A cette époque, à chaque fois que le gouvernement auquel appartenait Mitterrand faisait voter quelque projet de loi, moi je votais contre
Le Quotidien d'Oran : Vous avez une longue et riche carrière politique derrière vous, diriez-vous que l'avez réussie ?
Roland Dumas : Je l'ai réussie parce que je n'ai pas fait la sottise de me mêler de ce qui ne me regardait pas. Dans les années 1950, il y avait la guerre d'Algérie, les Algériens faisaient leur travail de militants. Il y avait donc ce que les Algériens pouvaient faire et ce que l'on ne pouvait pas faire pour eux, il ne fallait pas s'en mêler. Cela a été le choix un peu difficile que l'on a fait avec Jacques Vergès. J'étais anticolonialiste avant que la guerre d'Algérie n'éclate. Et, de ce fait, j'ai rencontré le problème algérien, comme on disait à l'époque. On ne peut nier que l'Algérie était un pays où sévissait un système colonial bien connu, bien organisé. J'ai très tôt pris position pour les Algériens, et j'ai été très tôt partisan du soutien aux Algériens dans leur combat contre le système colonial en vigueur là-bas. J'ai moi-même, avec d'autres, pris pas mal de risques
Q.O. : On reviendra dans le cours de l'entretien sur la guerre d'Algérie. Vous dites dans vos mémoires que vous vouliez être président de la République ?
R.D. : C'est François Mitterrand qui me l'a suggéré. C'était à la fin de son second mandat, un jour que Mitterrand était en verve, ça lui arrivait d'être très aimable, très direct. C'était au cours d'un déjeuner, il me dit : " Roland, il faut que vous vous prépariez à me succéder. " A quoi j'ai répondu : " En serais-je capable ? ". Il m'a alors expliqué qu'il m'avait choisi pour être le patron de la diplomatie française, que j'étais tout à fait dans la ligne, qu'il m'a donné le plus beau ministère du gouvernement, les affaires étrangères, qu'il a une totale confiance en moi. En effet, c'était exact, je le lui ai prouvé sur le plan de ses affaires personnelles, j'ai été son avocat pendant fort longtemps, et sur sa fille et tout ça, de sorte que sur le plan personnel, il n'avait rien à me reprocher, bien au contraire. Cette idée de président m'a trotté quelque temps dans la tête, et puis je me suis dit que ce n'était peut-être pas possible, de toute façon, je suis quelque peu fataliste, car il y a les événements que l'on peut maîtriser et il y a ceux sur lesquels on ne peut rien.
Q.O. : Vous avez publié récemment deux livres " Coups et blessures, cinquante ans de secrets partagés avec François Mitterrand " et " Politiquement incorrect " (éditions du Cherche-Midi).
R.D. : Je lis toujours, je rencontre beaucoup de gens, tous ceux qui demandent à me voir, je les rencontre et je continue à agir. Quand on me sollicite, je réponds et je dis ce que je pense et les événements qui se succèdent et que je suis dans les média m'amènent à des réflexions personnelles
Q.O. : Au-delà de ça, vouliez-vous, à travers ces deux livres, livrer un témoignage personnel, donner votre vision des choses, décrire votre action politique ?
R.D. : Dans le secteur que je connais bien, les affaires étrangères, puisque j'ai été pendant dix ans le chef de la diplomatie française, c'est dans ce domaine que je travaille, j'ai constitué avec des juristes de politique internationale, le groupe des 22, qui publie régulièrement des communiqués où nous réagissons sur la politique française stricto sensu. C'est comme ça que j'ai été amené à me maintenir dans ce courant et en même temps ça me permet de réfléchir. L'avantage au point où j'en suis maintenant de ma vie, c'est qu'on a du temps pour réfléchir, analyser et exprimer les choses.
Q.O. : Quand vous étiez ministre en pleine action c'était plus difficile ?
R.D. : Oui, quand on gère un ministère, on est obligé de faire face aux problèmes qui se posent au quotidien, de communiquer, de recevoir et pour la politique globale vous êtres dans un gouvernement, solidaire d'une équipe, vous n'avez le choix de la libre discussion sur tous les sujets
Q.O. : Vous dites dans votre livre : " La société française est frappée d'un curieux mal qu'il est convenu d'appeler le " politiquement correct " qui a tôt fait de contaminer classe politique et medias, les maux constamment minimisés et les mots vidés de leur sens ont contribué à rendre femmes et hommes politiques inaudibles et suspects ", comment en est-on arrivé là ?
R.D. : C'est une réflexion parmi celles que me permet ma situation, le monde où je me trouve parmi d'autres comme tout citoyen. Je considère que certains aspects de la politique étrangère actuelle du gouvernement français et aussi autour du gouvernement français, les autres dirigeants, la politique étrangère telle qu'elle est menée, est frappée à mes yeux des maux les plus sévères dans mon esprit.
Q.O. : Prenons l'affaire des migrants, comment la voyez-vous ?
R.D. : Je pars de l'idée qu'il s'agit d'un faux problème que l'on est en train de laisser pourrir alors qu'il suffirait de réunir des gens intelligents et raisonnables, des responsables aux affaires ou dans l'opposition pour trouver des solutions, car je pense qu'on ne saurait admettre dans le contexte où nous sommes, riche comme l'est le monde, qu'on ne puisse pas intégrer une population, malgré tout limitée, surtout en opérant un tri et en faisant le nécessaire. J'étais tout jeune au moment de la guerre civile espagnole(1), l'armée républicaine a été battue et l'on a ouvert les frontières dans la précipitation et on a laissé passer les troupes en déroute. Je me souviens moi que tous les syndicats français de l'époque et le PS qui était influent
Q.O. : C'était le parti de Léon Blum(2).
R.D. : Oui, Léon Blum avait décrété la non-intervention, mais sur le plan humanitaire, il était d'accord pour que l'on prenne des initiatives en faveur des gens qui fuyaient l'Espagne. Mon père qui était secrétaire du syndicat de l'administration publique avait réuni les syndicats et ils avaient décidé d'aller accueillir les réfugiés et les enfants de réfugiés orphelins pour la plupart. La France avait à ce moment-là fait face à un afflux de population. Savez-vous qu'on a été obligé de mobiliser l'armée et on a résolu le problème. Et beaucoup de réfugiés sont restés et certains ont fait carrière en France. Anne Hidalgo, la maire de Paris en est un exemple.
Q.O. : Vous pensez, si je vous comprends bien, qu'on se devrait en France et en Europe se montrer plus solidaire avec les migrants.
R.D. : On devrait. Aujourd'hui il y a assez de gens, assez de richesses, notre monde est un monde riche
Q.O : Pourquoi ne le fait-on pas d'après vous ?
R.D. : Par crainte d'une montée du Rassemblement national(3), par crainte d'une sorte de révolution intérieure, par calcul politique. Observez Mme Merkel, qui a une autre politique dans l'esprit, pas totalement désintéressée, mais elle fait quelque chose, elle ne laisse pas les choses dégénérer. On accueille les migrants en Allemagne, on leur assure une formation. En Europe il y en a qui accueillent les migrants et il y en a qui leur ferment les portes. C'est juste une question de volonté politique. Je pense que Macron qui s'occupe de beaucoup de choses, il ne sait pas très bien où il en est du reste, il a dit oui, puis non, en attendant il ne fait rien, c'est flottant.
Q.O. : Venons-en à vos rapports avec l'Afrique et notamment avec l'Algérie. Vous écrivez dans votre livre : " Les bombardements de Sétif par l'aviation française ont été une monstruosité " et vous ajoutez : " On ne le dit pas assez, c'est le général de Gaulle qui était au pouvoir " en 1945.
R.D. : C'est assez dire que De Gaulle n'a pas toutes les vertus républicaines qu'on croit, Sétif c'est, tout de même, des massacres terribles
Q.O. : Est-ce que d'après vous De Gaulle pensait déjà en 1945 que la France ne pouvait pas garder l'Algérie ?
R.D.: Je pense qu'immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, De Gaulle n'avait pas encore fait sa mue politique. Il pensait qu'en " serrant les boulons ", qu'en matraquant un peu, en bombardant comme à Sétif, on avait des chances de garder l'Empire. Pourtant de Gaulle en 1945, avec le prestige qu'il avait aurait pu déjà faire évoluer les choses. Il a fait la politique inverse. Il est donc dommage que De Gaulle n'ait pas entrepris une politique d'émancipation
Q.O. : A son retour aux affaires, la guerre d'Algérie prend, avec le plan Challe, un tour plus cruel encore.
R.D. : C'est ce qui montre qu'au fond l'Algérie en tant que telle a toujours été une colonie au sens le plus cruel du terme. Il ne faut pas nous raconter d'histoires et dire que les Français voulaient à tout prix faire évoluer les choses, amener les médecins, créer des journaux, tout ça, c'est faux.
Q.O. : Vous vous inscrivez donc en faux contre les bienfaits supposés de la colonisation ?
R.D. : Puisque ce débat est toujours pendant entre Algériens et Français, je suis pour qu'on dise la vérité. Si on dit la vérité, on se met à dos toute une partie de la droite française, " comment ! Vous trahissez nos soldats, vous leur tirez dans la nuque ! etc. "
Q.O. : Cela dit Macron a déjà fait un geste quand il est allé en Algérie avant son élection, c'est la première fois qu'un candidat à la présidentielle parle en ces termes de la colonisation.
R.D. : C'est vrai, il a osé le dire(4). Il faut qu'il continue sur cette lancée, qu'il donne à ses diplomates des instructions en ce sens.
Q.O.: Est-ce qu'il faudrait faire avec les Algériens ce que vous-même vous avez fait avec les Allemands, vous étiez très hostile aux Allemands ?
R.D.: Et vous savez pourquoi. Mon père a été fusillé par les Allemands. J'ai beaucoup réfléchi à ça. Un jour de 1982 ou 1983 Mitterrand m'a appelé, j'étais parlementaire et il m'a dit : " Roland, le moment est venu pour vous d'entrer au gouvernement. " et Mitterrand d'ajouter : " Je sais que je vais vous faire souffrir, ça va être difficile pour vous, mais je vous le demande comme un service, service que vous rendrez à la République, c'est d'accepter d'être ministre des affaires étrangères, et vous allez avoir affaire inévitablement aux Allemands. Je sais ce qui est arrivé à votre père ". J'y ai réfléchi toute la nuit et j'ai accepté. Je suis tombé sur un homme très intelligent, mon homologue de l'époque, M. Genscher(5), qui m'a facilité les choses. Nous sommes devenus très amis et nous avons pu réaliser tout ce que nous avions entrepris.
Q.O. : Le FLN reproche toujours à François Mitterrand sa position sur la guerre d'Algérie. Vous étiez l'ami de Mitterrand, membre du parti politique qu'il animait et vous votiez contre votre propre formation politique ?
R.D. : A cette époque, à chaque fois que le gouvernement auquel appartenait Mitterrand faisait voter quelque projet de loi, moi je votais contre
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