Le spectacle est affligeant : une décharge sauvage qui s’étend à perte de vue, et, au milieu des déchets, des ânes qui cherchent de quoi se nourrir. La vidéo a été filmée le 20 août près d’El Meghaier, commune du Sahara, où se trouve l’une des plus grandes nappes d’eau douce au monde. Entre manque d’infrastructure et laisser-aller, les déchets ternissent le paysage algérien.
"Quelle catastrophe !", s’exclame Amar Adjili, militant écologiste qui a parcouru l’Algérie pour rendre compte de la gravité de la situation des décharges dans son pays. Il a lancé une pétition en ligne pour appeler les autorités à prendre toute une série de mesures afin de protéger l’environnement.
Salaheddine, un habitant de la ville d’El Meghaier, dans la wilaya d’El Oued, dans le sud-est, aux portes du Sahara, où Amar Adjili a tourné ses images. Il témoigne en effet d’une absence d’une prise en charge :
"Les autorités ne se posent pas de questions car il y aura toujours assez de place pour stocker des déchets"
Dans tout le Sahara, nous avons toujours eu des décharges sauvages, à l’instar de celle d’El Meghaier, sans contrôle et qui n’est même pas protégée par un mur. Celle-ci est située à une distance d’à peu près 5 kilomètres de la ville, les camions de l’APC [Assemblée populaire communale, le conseil municipal en Algérie, NDLR] y déposent les poubelles ramassées en ville. Depuis plus de vingt ans, on déplace le problème : les autorités communales changent l’endroit de la décharge au bout de quelques années, car la ville s’agrandit et il faut éloigner à nouveau les déchets. C’est le provisoire qui dure. Mais cela n’empêche pas les animaux appartenant aux nomades qui vivent dans les environs de s’y aventurer. Je pense que les autorités ne se posent pas de questions car c’est le désert ici, il y aura toujours assez de place pour stocker des déchets. La mairie se contente de les brûler, le soir, plusieurs fois par semaine.
"Les animaux peuvent mourir en mangeant du plastique"
Cette situation n’est pas une exception dit Amar Adjili. Mais ce sont justement les conséquences sur l’environnement, plus encore dans le Sahara, qui l’inquiètent :
Je visite des décharges depuis 2015. J’en ai visité à peu près trois par wilaya [l’équivalent algérien des départements, il y en a 48 en Algérie, NDLR]. Les déchets sont rarement traités, ils sont juste déposés à un endroit éloigné de la ville, en pleine nature, parfois même au milieu de la forêt, comme dans celle de lièges, de Yakouren, [commune de la wilaya de Tizi Ouzou]. Ils sont également régulièrement brûlés, dès qu’ils commencent à s’amonceler, pour réduire le volume. Donc ces déchets, notamment ceux en plastique, finissent en particules fines qui vont s’intégrer au sol et contaminer jusqu’aux nappes phréatiques. Or, pour prendre l’exemple de la décharge d’El Meghaier, celle-ci se trouve sur une partie de la nappe d’Albien, qui est la plus grande réserve d’eau douce au monde [70 % de la nappe se trouve dans le sud-est algérien, le reste entre la Tunisie et la Libye, NDLR]. C’est un vrai désastre. Sans parler des animaux qui errent à cet endroit et qui peuvent mourir en mangeant du plastique.
J’ai été invité au ministère de l’Environnement il y a deux ans en tant que militant écologiste. J’ai discuté avec le ministre, je lui ai décrit l’état des décharges, des oueds [nom donné aux fleuves d’Afrique du nord, NDLR] dans le pays. Il m’a promis qu’il y aurait du changement. Depuis, une nouvelle ministre est arrivée, et nous, on attend toujours que les choses changent.
Ce déséquilibre entre une richesse environnementale et l’absence de moyens de traitement est notamment une conséquence du développement urbain du Sahara, impulsé et voulu par l’État depuis les années 1970. Résultat : une grande concentration de la population dans les chefs-lieux des wilayas, devenues des villes hypertrophiées, mais sans l'infrastructure qu'elle requiert. Salaheddine affirme en effet :"Rien n’est fait pour un véritable traitement des déchets ici. Les grandes wilayas ont leurs centres d’enfouissement ou de recyclage, mais pas dans le Sahara." Une situation qu’explique et relativise toutefois un autre militant écologiste, Karim Tedjani, administrateur du site Nouara Algérie, qui suit de près l’actualité écologique dans le pays.
"C’est à la fois un problème de gouvernance et de mentalité"
Il serait faux de dire qu’il n’y a aucune politique de traitement des déchets en Algérie, puisqu’il y a l’Agence nationale des déchets (AND) [fondée en 2002, NDLR]. Indéniablement, la politique qui est mise en place ne suffit pas. Mais il faut aussi être conscient des nouvelles habitudes de consommation introduites en Algérie, où l’on est passé au jetable, comme les emballages et les sachets en plastique, depuis une vingtaine d’années tout au plus. La gestion des déchets qui va avec est en train de se construire, de même que le changement de comportement. Après tout, en Europe, où le plastique jetable a été introduit depuis les années 1960, on a mis du temps avant de prendre conscience de la nécessité du tri sélectif.
Il y a bel et bien des centres d’enfouissement technique dans le pays, mais comme bien d’autres domaines, les infrastructures sont souvent saturées. La saturation de ces centres vient entre autres du fait qu’ils sont systématiquement utilisés pour tous les déchets, et pas seulement pour ceux qu’on ne peut pas traiter ou recyclés, comme cela devrait être le cas. On ne recycle qu’environ 7 % de ce qui est jeté [10 % au meilleur des cas, NDLR]. Pourtant, plus de la moitié des déchets en Algérie sont organiques, on devrait encourager davantage le compostage.
Et cette saturation conduit à un travail bâclé : vu la quantité de déchets accumulés, parce qu’il n’y a pas assez de centres on ne veillera plus à la mise en place d’une membrane pour isoler ces déchets des sols et ne pas les contaminer. L’amoncellement des déchets contribue également au regroupement d’une faune et à la perturbation des comportements des animaux.
"C’est le défi de notre siècle, pas seulement pour l’Algérie"
Le changement du mode de vie et l’urbanisation ont aussi contribué à ce déséquilibre entre volume de la population et manque d’infrastructure, notamment avec les exodes ruraux qui ont eu lieu durant la décennie noire [la guerre civile algérienne, 1991-2002, NDLR] et qui ont vu des villages se vider de leur population pour arriver en masse dans les villes.
Quant au cas particulier du Sahara, on peut certes s’étonner d’un tel laisser-aller, connaissant le rapport des gens du désert à la nature. Mais là aussi, les gens se retrouvent démunis face à l’urbanisation et le changement du mode de vie. Ils ne savent pas toujours comment gérer ces déchets, sans parler du tourisme saharien qui revient en force depuis quelques années.
Toutefois, il y a une certaine prise de conscience que l’on commence à remarquer. On voit de plus en plus de campagnes encourageant les gens à nettoyer l’espace public,à faire attention à ne pas jeter les déchets en plastique partout. De même que l’on commence à intégrer doucement le recyclage et le tri sélectif.
Le principal problème est que le temps de gestion des déchets est plus long que celui de la consommation. Et c’est le défi de notre siècle, pour tous les pays, pas seulement pour l’Algérie. Il faut que les gens se réapproprient l’espace public et qu’il y ait une évolution au niveau des politiques. Tout en étant conscient de la difficulté de la situation, je reste optimiste.
France 24
"Quelle catastrophe !", s’exclame Amar Adjili, militant écologiste qui a parcouru l’Algérie pour rendre compte de la gravité de la situation des décharges dans son pays. Il a lancé une pétition en ligne pour appeler les autorités à prendre toute une série de mesures afin de protéger l’environnement.
Salaheddine, un habitant de la ville d’El Meghaier, dans la wilaya d’El Oued, dans le sud-est, aux portes du Sahara, où Amar Adjili a tourné ses images. Il témoigne en effet d’une absence d’une prise en charge :
"Les autorités ne se posent pas de questions car il y aura toujours assez de place pour stocker des déchets"
Dans tout le Sahara, nous avons toujours eu des décharges sauvages, à l’instar de celle d’El Meghaier, sans contrôle et qui n’est même pas protégée par un mur. Celle-ci est située à une distance d’à peu près 5 kilomètres de la ville, les camions de l’APC [Assemblée populaire communale, le conseil municipal en Algérie, NDLR] y déposent les poubelles ramassées en ville. Depuis plus de vingt ans, on déplace le problème : les autorités communales changent l’endroit de la décharge au bout de quelques années, car la ville s’agrandit et il faut éloigner à nouveau les déchets. C’est le provisoire qui dure. Mais cela n’empêche pas les animaux appartenant aux nomades qui vivent dans les environs de s’y aventurer. Je pense que les autorités ne se posent pas de questions car c’est le désert ici, il y aura toujours assez de place pour stocker des déchets. La mairie se contente de les brûler, le soir, plusieurs fois par semaine.
"Les animaux peuvent mourir en mangeant du plastique"
Cette situation n’est pas une exception dit Amar Adjili. Mais ce sont justement les conséquences sur l’environnement, plus encore dans le Sahara, qui l’inquiètent :
Je visite des décharges depuis 2015. J’en ai visité à peu près trois par wilaya [l’équivalent algérien des départements, il y en a 48 en Algérie, NDLR]. Les déchets sont rarement traités, ils sont juste déposés à un endroit éloigné de la ville, en pleine nature, parfois même au milieu de la forêt, comme dans celle de lièges, de Yakouren, [commune de la wilaya de Tizi Ouzou]. Ils sont également régulièrement brûlés, dès qu’ils commencent à s’amonceler, pour réduire le volume. Donc ces déchets, notamment ceux en plastique, finissent en particules fines qui vont s’intégrer au sol et contaminer jusqu’aux nappes phréatiques. Or, pour prendre l’exemple de la décharge d’El Meghaier, celle-ci se trouve sur une partie de la nappe d’Albien, qui est la plus grande réserve d’eau douce au monde [70 % de la nappe se trouve dans le sud-est algérien, le reste entre la Tunisie et la Libye, NDLR]. C’est un vrai désastre. Sans parler des animaux qui errent à cet endroit et qui peuvent mourir en mangeant du plastique.
J’ai été invité au ministère de l’Environnement il y a deux ans en tant que militant écologiste. J’ai discuté avec le ministre, je lui ai décrit l’état des décharges, des oueds [nom donné aux fleuves d’Afrique du nord, NDLR] dans le pays. Il m’a promis qu’il y aurait du changement. Depuis, une nouvelle ministre est arrivée, et nous, on attend toujours que les choses changent.
Ce déséquilibre entre une richesse environnementale et l’absence de moyens de traitement est notamment une conséquence du développement urbain du Sahara, impulsé et voulu par l’État depuis les années 1970. Résultat : une grande concentration de la population dans les chefs-lieux des wilayas, devenues des villes hypertrophiées, mais sans l'infrastructure qu'elle requiert. Salaheddine affirme en effet :"Rien n’est fait pour un véritable traitement des déchets ici. Les grandes wilayas ont leurs centres d’enfouissement ou de recyclage, mais pas dans le Sahara." Une situation qu’explique et relativise toutefois un autre militant écologiste, Karim Tedjani, administrateur du site Nouara Algérie, qui suit de près l’actualité écologique dans le pays.
"C’est à la fois un problème de gouvernance et de mentalité"
Il serait faux de dire qu’il n’y a aucune politique de traitement des déchets en Algérie, puisqu’il y a l’Agence nationale des déchets (AND) [fondée en 2002, NDLR]. Indéniablement, la politique qui est mise en place ne suffit pas. Mais il faut aussi être conscient des nouvelles habitudes de consommation introduites en Algérie, où l’on est passé au jetable, comme les emballages et les sachets en plastique, depuis une vingtaine d’années tout au plus. La gestion des déchets qui va avec est en train de se construire, de même que le changement de comportement. Après tout, en Europe, où le plastique jetable a été introduit depuis les années 1960, on a mis du temps avant de prendre conscience de la nécessité du tri sélectif.
Il y a bel et bien des centres d’enfouissement technique dans le pays, mais comme bien d’autres domaines, les infrastructures sont souvent saturées. La saturation de ces centres vient entre autres du fait qu’ils sont systématiquement utilisés pour tous les déchets, et pas seulement pour ceux qu’on ne peut pas traiter ou recyclés, comme cela devrait être le cas. On ne recycle qu’environ 7 % de ce qui est jeté [10 % au meilleur des cas, NDLR]. Pourtant, plus de la moitié des déchets en Algérie sont organiques, on devrait encourager davantage le compostage.
Et cette saturation conduit à un travail bâclé : vu la quantité de déchets accumulés, parce qu’il n’y a pas assez de centres on ne veillera plus à la mise en place d’une membrane pour isoler ces déchets des sols et ne pas les contaminer. L’amoncellement des déchets contribue également au regroupement d’une faune et à la perturbation des comportements des animaux.
"C’est le défi de notre siècle, pas seulement pour l’Algérie"
Le changement du mode de vie et l’urbanisation ont aussi contribué à ce déséquilibre entre volume de la population et manque d’infrastructure, notamment avec les exodes ruraux qui ont eu lieu durant la décennie noire [la guerre civile algérienne, 1991-2002, NDLR] et qui ont vu des villages se vider de leur population pour arriver en masse dans les villes.
Quant au cas particulier du Sahara, on peut certes s’étonner d’un tel laisser-aller, connaissant le rapport des gens du désert à la nature. Mais là aussi, les gens se retrouvent démunis face à l’urbanisation et le changement du mode de vie. Ils ne savent pas toujours comment gérer ces déchets, sans parler du tourisme saharien qui revient en force depuis quelques années.
Toutefois, il y a une certaine prise de conscience que l’on commence à remarquer. On voit de plus en plus de campagnes encourageant les gens à nettoyer l’espace public,à faire attention à ne pas jeter les déchets en plastique partout. De même que l’on commence à intégrer doucement le recyclage et le tri sélectif.
Le principal problème est que le temps de gestion des déchets est plus long que celui de la consommation. Et c’est le défi de notre siècle, pour tous les pays, pas seulement pour l’Algérie. Il faut que les gens se réapproprient l’espace public et qu’il y ait une évolution au niveau des politiques. Tout en étant conscient de la difficulté de la situation, je reste optimiste.
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