Ci dessous, un article intéressant de Libération sur le procès Khalifa. L'analyse du journaliste me semble pertinente et cite le commentaire du Quotidien d'Oran : «Quelle crédibilité peut avoir un pays avec un tel déballage d'incompétence, de complicité et de corruptibilité. [...] L'argent est gratuit pour les uns, inaccessible pour les autres. En Algérie, il faut prendre l'argent, pas le gagner».
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Le grand bluff du procès Khalifa
Personne avant Abdelmoumen Rafik Khalifa * «Moumen» pour les intimes * n'eut droit à tant d'éloges. «Meilleur manager de l'année», «symbole d'une Algérie ouverte sur le monde et qui gagne»... Une ivresse telle que l'appellation golden boy en perdait toute connotation ironique. C'était en 1998, autant dire il y a un siècle. Une période noire où le régime algérien, empêtré dans une très sale guerre contre les islamistes, tentait désespérément de redorer son image et de faire taire les accusations portées contre ses services de sécurité, coupables, eux aussi, de terribles exactions contre les civils.
La formidable réussite de Rafik Khalifa, 40 ans, allait tomber à point pour balayer la menace d'enquête internationale relancée un an plus tôt par les grands massacres aux portes d'Alger. Peu importait dès lors que Moumen et son groupe aient surgi du néant, ou plutôt du trou noir où s'élaborent les basses oeuvres comme les grands «coups» d'un régime qui se confond depuis toujours avec ses services secrets. Le «premier empire privé diversifié du pays» affichait de quoi écarter toutes les interrogations : une banque, la Khalifa Bank (700 000 clients, 130 agences, quand la Banque d'Algérie n'en comptait qu'une centaine), une compagnie aérienne, le sponsoring maillot de l'Olympique de Marseille, une chaîne de télévision... Sans parler de l'indispensable clinquant people : somptueuses fêtes dans une villa cannoise et virées en jet privé à Alger avec Catherine Deneuve et Gérard Depardieu.
Un trou de 1,3 milliard de dollars
La faillite frauduleuse de Khalifa exigeait un procès à la mesure du «scandale du siècle», comme l'appela le Premier ministre algérien de l'époque, Ahmed Ouyahia. Restait à savoir comment faire un tel procès * celui d'un trou de 1,3 milliard de dollars (1 milliard d'euros) * pour en cacher un autre parfaitement tabou : celui de la minuscule poignée de «décideurs» qui autorisa cette réussite mirifique avant de sonner l'hallali contre Moumen.
C'est cette extraordinaire partition qui se joue depuis deux mois devant le tribunal criminel de Blida, à une cinquantaine de kilomètres d'Alger, où le jugement de la faillite de la Khalifa Bank tire désormais à sa fin. Le 8 janvier, l'ouverture du procès, «après trois ans et demi d'instruction», aura été aussi spectaculaire que l'exigent la solennité du moment et la gravité du préjudice : imposant dispositif de sécurité, foule agglutinée à l'entrée du tribunal, 150 avocats, 300 témoins et 104 personnes accusées d' «association de malfaiteurs, escroquerie, abus de confiance, falsification de documents officiels, transferts de fonds illicites...», parmi lesquelles des hauts fonctionnaires, des responsables d'entreprises publiques, des ministres de second rang ou l'ancien sélectionneur de l'équipe nationale de football. On en aurait oublié que sept des accusés sont en fuite. A commencer par Rafik Khalifa, réfugié à Londres, dont l'Algérie a rédigé la demande d'extradition de manière si approximative qu'elle était sûre que Londres ne pourrait y répondre favorablement.
«Procès de lampistes»
La presse privée algérienne a bien noté qu'on risquait d'assister à un «procès de lampistes» (le Quotidien d'Oran), et que «tout le monde fait semblant de ne pas voir que les ultrapuissants qui ont trempé dans l'affaire ne sont pas à la barre» (le Soir d'Algérie). Mais, dans ce pays dont l'architecture institutionnelle, politique et judiciaire, a tout du décor en trompe-l'oeil, ce procès aura été un formidable vrai faux procès. Il a réussi à sauver les apparences en ne craignant pas de dérouler pendant deux mois le récit hallucinant d'une arnaque financière qui a ruiné des centaines de milliers de petits et moyens épargnants algériens et mis des milliers de salariés au chômage.
Mais jamais les audiences n'auront touché à l'essentiel : les responsabilités au plus haut niveau de l'Etat. Le talent de la présidente de la cour, Fatiha Brahimi, qui a malmené des accusés à la mémoire qui flanche et tancé des ministres, y est pour beaucoup. Sa pugnacité a enraciné l'image d'une juge intègre et assuré la crédibilité des débats. Mais cette magistrate a montré une connaissance si pointue du dossier qu'elle n'a jamais laissé les débats déborder l'évidente ligne rouge fixée à ce procès. Une ligne rouge qui se résume, aujourd'hui comme du temps de la splendeur de Moumen, à une seule mais lancinante question : qui ?
Quel appui a-t-il fallu en effet à Rafik Khalifa pour bâtir cette success story qu'il jure «partie de rien» dans un pays où obtenir la moindre autorisation officielle relevait de l'exploit en cette fin de décennie 90 ? «L'opération relevait plus d'un blanchiment d'image que d'argent dans un système où les circuits de corruption n'ont pas attendu Khalifa pour fonctionner à plein. Les "décideurs" avaient en outre besoin d'une modernisation de façade de l'économie pour pouvoir continuer à détourner les richesses du pays», note Amid Lartane dans l'Envol du faucon vert, une fiction sur l'affaire Khalifa. Une analyse que n'a pas démentie le réquisitoire du procureur général à Blida. «C'était, a-t-il expliqué, l'ouverture du marché économique. Elle coïncidait avec l'apparition d'un terrorisme aveugle qui a isolé le pays sur la scène internationale. Cette situation a poussé les dirigeants de l'époque à encourager l'investissement privé étranger et surtout local [...].»
Tout fut donc accordé au jeune Moumen. A commencer par l'agrément mystérieux de sa banque. Le tribunal le qualifie aujourd'hui d' «acte criminel». Mais seul un des sept membres de l'institution habilitée à accorder cet agrément est inculpé : Abdelwahab Keramane, l'ex-gouverneur de la Banque centrale d'Algérie, qui a été à l'origine du premier couac retentissant du procès en refusant de se présenter au tribunal. «Mon inculpation avant toute audition [...] montre qu'il s'agit de désigner le coupable et de verrouiller l'instruction afin de protéger les vrais coupables», explique-t-il dans un long communiqué.
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Le grand bluff du procès Khalifa
Personne avant Abdelmoumen Rafik Khalifa * «Moumen» pour les intimes * n'eut droit à tant d'éloges. «Meilleur manager de l'année», «symbole d'une Algérie ouverte sur le monde et qui gagne»... Une ivresse telle que l'appellation golden boy en perdait toute connotation ironique. C'était en 1998, autant dire il y a un siècle. Une période noire où le régime algérien, empêtré dans une très sale guerre contre les islamistes, tentait désespérément de redorer son image et de faire taire les accusations portées contre ses services de sécurité, coupables, eux aussi, de terribles exactions contre les civils.
La formidable réussite de Rafik Khalifa, 40 ans, allait tomber à point pour balayer la menace d'enquête internationale relancée un an plus tôt par les grands massacres aux portes d'Alger. Peu importait dès lors que Moumen et son groupe aient surgi du néant, ou plutôt du trou noir où s'élaborent les basses oeuvres comme les grands «coups» d'un régime qui se confond depuis toujours avec ses services secrets. Le «premier empire privé diversifié du pays» affichait de quoi écarter toutes les interrogations : une banque, la Khalifa Bank (700 000 clients, 130 agences, quand la Banque d'Algérie n'en comptait qu'une centaine), une compagnie aérienne, le sponsoring maillot de l'Olympique de Marseille, une chaîne de télévision... Sans parler de l'indispensable clinquant people : somptueuses fêtes dans une villa cannoise et virées en jet privé à Alger avec Catherine Deneuve et Gérard Depardieu.
Un trou de 1,3 milliard de dollars
La faillite frauduleuse de Khalifa exigeait un procès à la mesure du «scandale du siècle», comme l'appela le Premier ministre algérien de l'époque, Ahmed Ouyahia. Restait à savoir comment faire un tel procès * celui d'un trou de 1,3 milliard de dollars (1 milliard d'euros) * pour en cacher un autre parfaitement tabou : celui de la minuscule poignée de «décideurs» qui autorisa cette réussite mirifique avant de sonner l'hallali contre Moumen.
C'est cette extraordinaire partition qui se joue depuis deux mois devant le tribunal criminel de Blida, à une cinquantaine de kilomètres d'Alger, où le jugement de la faillite de la Khalifa Bank tire désormais à sa fin. Le 8 janvier, l'ouverture du procès, «après trois ans et demi d'instruction», aura été aussi spectaculaire que l'exigent la solennité du moment et la gravité du préjudice : imposant dispositif de sécurité, foule agglutinée à l'entrée du tribunal, 150 avocats, 300 témoins et 104 personnes accusées d' «association de malfaiteurs, escroquerie, abus de confiance, falsification de documents officiels, transferts de fonds illicites...», parmi lesquelles des hauts fonctionnaires, des responsables d'entreprises publiques, des ministres de second rang ou l'ancien sélectionneur de l'équipe nationale de football. On en aurait oublié que sept des accusés sont en fuite. A commencer par Rafik Khalifa, réfugié à Londres, dont l'Algérie a rédigé la demande d'extradition de manière si approximative qu'elle était sûre que Londres ne pourrait y répondre favorablement.
«Procès de lampistes»
La presse privée algérienne a bien noté qu'on risquait d'assister à un «procès de lampistes» (le Quotidien d'Oran), et que «tout le monde fait semblant de ne pas voir que les ultrapuissants qui ont trempé dans l'affaire ne sont pas à la barre» (le Soir d'Algérie). Mais, dans ce pays dont l'architecture institutionnelle, politique et judiciaire, a tout du décor en trompe-l'oeil, ce procès aura été un formidable vrai faux procès. Il a réussi à sauver les apparences en ne craignant pas de dérouler pendant deux mois le récit hallucinant d'une arnaque financière qui a ruiné des centaines de milliers de petits et moyens épargnants algériens et mis des milliers de salariés au chômage.
Mais jamais les audiences n'auront touché à l'essentiel : les responsabilités au plus haut niveau de l'Etat. Le talent de la présidente de la cour, Fatiha Brahimi, qui a malmené des accusés à la mémoire qui flanche et tancé des ministres, y est pour beaucoup. Sa pugnacité a enraciné l'image d'une juge intègre et assuré la crédibilité des débats. Mais cette magistrate a montré une connaissance si pointue du dossier qu'elle n'a jamais laissé les débats déborder l'évidente ligne rouge fixée à ce procès. Une ligne rouge qui se résume, aujourd'hui comme du temps de la splendeur de Moumen, à une seule mais lancinante question : qui ?
Quel appui a-t-il fallu en effet à Rafik Khalifa pour bâtir cette success story qu'il jure «partie de rien» dans un pays où obtenir la moindre autorisation officielle relevait de l'exploit en cette fin de décennie 90 ? «L'opération relevait plus d'un blanchiment d'image que d'argent dans un système où les circuits de corruption n'ont pas attendu Khalifa pour fonctionner à plein. Les "décideurs" avaient en outre besoin d'une modernisation de façade de l'économie pour pouvoir continuer à détourner les richesses du pays», note Amid Lartane dans l'Envol du faucon vert, une fiction sur l'affaire Khalifa. Une analyse que n'a pas démentie le réquisitoire du procureur général à Blida. «C'était, a-t-il expliqué, l'ouverture du marché économique. Elle coïncidait avec l'apparition d'un terrorisme aveugle qui a isolé le pays sur la scène internationale. Cette situation a poussé les dirigeants de l'époque à encourager l'investissement privé étranger et surtout local [...].»
Tout fut donc accordé au jeune Moumen. A commencer par l'agrément mystérieux de sa banque. Le tribunal le qualifie aujourd'hui d' «acte criminel». Mais seul un des sept membres de l'institution habilitée à accorder cet agrément est inculpé : Abdelwahab Keramane, l'ex-gouverneur de la Banque centrale d'Algérie, qui a été à l'origine du premier couac retentissant du procès en refusant de se présenter au tribunal. «Mon inculpation avant toute audition [...] montre qu'il s'agit de désigner le coupable et de verrouiller l'instruction afin de protéger les vrais coupables», explique-t-il dans un long communiqué.
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