Redressement de l’économie algérienne : Par où commencer ?
El Watan - ABDELHAK LAMIRI 19 NOVEMBRE 2018
Lorsqu’on analyse des sociétés économiquement bloquées, on s’aperçoit d’une chose : ce sont tous les secteurs qui subissent les affres de la bureaucratie, du sous-management, du laisser-aller et des faiblesses de performances. Il est rare d’identifier un secteur qui fonctionnerait et serait proche de l’optimum.
Nous avons comme une épidémie qui s’empare des champs les plus reculés des formations sociales. Se pose alors la question lors des processus de remise en route de l’économie sur les priorités : où faut-il mettre les ressources d’abord ? Nous lisons beaucoup de commentaires et de solutions d’experts sur les différentes facettes de notre économie. Il y a tellement de recommandations que les pouvoirs publics ne savent plus où donner de la tête. Car chaque secteur connaît des difficultés profondes qui nécessitent des mutations radicales de notre manière de réfléchir et de faire.
Il y a des leçons que l’on peut tirer des processus de redressement des entreprises. Mais la méthode a des limites. Pour une entreprise, on a une batterie de simulations à faire pour déterminer si elle est «redressable» ou pas. En cas de réponse négative, on la met en faillite. Un pays ne peut pas connaître une faillite à la manière d’une entreprise.
Auquel cas, on essaye toujours et toujours de le redresser. Les spécialistes en management ont développé des savoirs-faire impressionnants pour redresser des entreprises : ré-ingénierie, downsizing, recentrage plus poussé sur les marchés et les clients. Des apports souvent efficaces mais pas toujours !
Le succès ou l’échec dépendent de nombreux paramètres : délai de réaction, implication de la direction générale, degré de mobilisation de l’intelligence que recèle l’entreprise, méthodologie suivie, etc. Cependant, d’année en année, les performances en matière de redressement d’entreprises s’améliorent dans le monde. Et il y a des processus transférables pour des nations. L’exemple des pays qui émergent le montre adéquatement.
Problèmes majeurs
Lorsqu’on analyse en profondeur les forces et les faiblesses des différents secteurs de notre économie, on est interpellé par la profondeur et l’étendue des problèmes auxquels on fait face. En effet, tous les secteurs sont concernés. L’agriculture, l’industrie, la santé, l’éducation, le logement et le reste connaissent quelques avancées, mais sont plombés par leur histoire et leurs interactions avec le reste des institutions.
Le degré de performance est dérisoire par rapport aux ressources injectées. L’Etat a fait des efforts considérables en matière de mobilisation et d’injection de ressources pour booster l’activité principale. Mais il a failli là où la vaste majorité des pays du tiers-monde a également échoué : faire fonctionner efficacement les institutions afin de rentabiliser ses ressources.
Le mode de fonctionnement des institutions est la variable d’ajustement-clé des pays en voie de développement. Dès lors qu’on ne la maîtrise pas, les ressources sont de peu d’utilité à un pays. Lorsqu’un objectif de redressement économique est fixé, alors se pose la question de l’ordonnancement des réformes.
Par où commencer devient la question la plus importante et la plus pertinente. Une erreur dans les priorités se paye cher et cash. N’est pas spécialiste des redressements qui veut. Toute erreur a un effet multiplicateur et parfois dévastateur. Prenons un seul exemple. Selon de nombreuses sources, nous aurions mobilisé plus de 800 milliards de dollars pour booster le développement les deux dernières décennies. Nous avons surtout boosté les investissements publics dans les infrastructures.
Que dit la théorie économique à ce sujet ? Les faiblesses institutionnelles concernent les insuffisances de performance des entreprises et des administrations publiques. Dans le cas de leur existence avéré, il faut les corriger d’abord avant de s’engager dans des dépenses coûteuses. Dans une situation de persistance des faiblesses institutionnelles, lorsqu’on leur injecte 800 milliards de dollars, seule une faible fraction se transforme en infrastructures sur notre sol. C’est-à-dire on aura quelque chose comme 150 à 200 milliards de dollars d’infrastructures.
Le reste ira en retards, restes à réaliser, surcoûts, malfaçons, corruption et autres. Par contre, si on améliore les institutions d’abord, le coût serait d’une centaine de milliards de dollars. On aura alors des institutions de haut niveau : universités, centres de recherche, administrations biens gérées, entreprises de classe mondiale ; on y injecte 700 milliards pour développer les infrastructures, on aura pour 700 milliards de dollars d’équipements sur notre sol. Une erreur d’ordonnancement des réformes induit donc des conséquences énormes.
Par où commencer ?
On remarque que pour les redressements d’entreprises, la plupart des histoires de réussite consistent à développer une vision, constituer un comité d’experts pour travailler avec tous les membres de l’entreprise afin de tirer le maximum d’idées pour concevoir un plan de sortie de crise qui s’intègre dans un plan stratégique. Dans le cas de notre pays, de nombreux analystes parlent, à juste titre, de réformer la fiscalité, réduire les intérêts pour les prêts agricoles, abolir la loi des 51/49 pour la plupart des secteurs et le reste. Beaucoup de ces décisions sont correctes. Mais qui va les prendre et pour quel contexte ?
Un pays a besoin d’abord d’une vision dans laquelle s’insèrent les différentes mesures qui visent à redresser un à un les secteurs défaillants. Mahathir, Premier ministre de Malaisie, avait résumé cela pour son pays à la fin des années 80’ par la formule «2020 Malaisie pays développé». Par la suite, le comité stratégique, mis en place au sein du Premier ministère, s’était chargé de consulter l’ensemble des institutions et a développé les mesures sectorielles.
Lee Myung-Bak, président de la Corée du Sud de 2008-2013, avait résumé la vision ainsi : économie coréenne 2040 pays 747 (septième puissance économique, 40 000 dollars de revenu par habitant, et 7% de croissance annuelle). Lorsque le plan fut annoncé, l’institut coréen de développement a joué le même rôle que le comité stratégique de Malaisie.
La théorie économique et les meilleures pratiques des pays sont tout à fait d’accord. Le redressement d’un pays commence par la clarification d’une vision, mais surtout par la réorganisation de l’Etat. On revient toujours à cette institution-cerveau qui dialogue avec le reste des institutions et des centres d’intelligence pour préparer un plan cohérent, ouvert et réaliste.
Bien sûr qu’il y a des milliers de correctifs à faire dans la santé, l’éducation, les entreprises, les administrations et le reste. Mais l’urgence est à ce niveau-là. On ne peut pas continuer à avoir 25 plans sectoriels avec peu de cohérence entre eux qui régissent l’économie de notre pays.
Nous avons payé trop cher un mauvais ordonnancement des réformes. Les qualifications humaines et institutionnelles doivent être conçues avant le boom des investissements publics et pas en même temps ou après. Une institution d’intelligence n’aurait pas fait cette erreur fatale et pourtant facile à éviter. C’est par son instauration qu’il faut commencer.
El Watan - ABDELHAK LAMIRI 19 NOVEMBRE 2018
Lorsqu’on analyse des sociétés économiquement bloquées, on s’aperçoit d’une chose : ce sont tous les secteurs qui subissent les affres de la bureaucratie, du sous-management, du laisser-aller et des faiblesses de performances. Il est rare d’identifier un secteur qui fonctionnerait et serait proche de l’optimum.
Nous avons comme une épidémie qui s’empare des champs les plus reculés des formations sociales. Se pose alors la question lors des processus de remise en route de l’économie sur les priorités : où faut-il mettre les ressources d’abord ? Nous lisons beaucoup de commentaires et de solutions d’experts sur les différentes facettes de notre économie. Il y a tellement de recommandations que les pouvoirs publics ne savent plus où donner de la tête. Car chaque secteur connaît des difficultés profondes qui nécessitent des mutations radicales de notre manière de réfléchir et de faire.
Il y a des leçons que l’on peut tirer des processus de redressement des entreprises. Mais la méthode a des limites. Pour une entreprise, on a une batterie de simulations à faire pour déterminer si elle est «redressable» ou pas. En cas de réponse négative, on la met en faillite. Un pays ne peut pas connaître une faillite à la manière d’une entreprise.
Auquel cas, on essaye toujours et toujours de le redresser. Les spécialistes en management ont développé des savoirs-faire impressionnants pour redresser des entreprises : ré-ingénierie, downsizing, recentrage plus poussé sur les marchés et les clients. Des apports souvent efficaces mais pas toujours !
Le succès ou l’échec dépendent de nombreux paramètres : délai de réaction, implication de la direction générale, degré de mobilisation de l’intelligence que recèle l’entreprise, méthodologie suivie, etc. Cependant, d’année en année, les performances en matière de redressement d’entreprises s’améliorent dans le monde. Et il y a des processus transférables pour des nations. L’exemple des pays qui émergent le montre adéquatement.
Problèmes majeurs
Lorsqu’on analyse en profondeur les forces et les faiblesses des différents secteurs de notre économie, on est interpellé par la profondeur et l’étendue des problèmes auxquels on fait face. En effet, tous les secteurs sont concernés. L’agriculture, l’industrie, la santé, l’éducation, le logement et le reste connaissent quelques avancées, mais sont plombés par leur histoire et leurs interactions avec le reste des institutions.
Le degré de performance est dérisoire par rapport aux ressources injectées. L’Etat a fait des efforts considérables en matière de mobilisation et d’injection de ressources pour booster l’activité principale. Mais il a failli là où la vaste majorité des pays du tiers-monde a également échoué : faire fonctionner efficacement les institutions afin de rentabiliser ses ressources.
Le mode de fonctionnement des institutions est la variable d’ajustement-clé des pays en voie de développement. Dès lors qu’on ne la maîtrise pas, les ressources sont de peu d’utilité à un pays. Lorsqu’un objectif de redressement économique est fixé, alors se pose la question de l’ordonnancement des réformes.
Par où commencer devient la question la plus importante et la plus pertinente. Une erreur dans les priorités se paye cher et cash. N’est pas spécialiste des redressements qui veut. Toute erreur a un effet multiplicateur et parfois dévastateur. Prenons un seul exemple. Selon de nombreuses sources, nous aurions mobilisé plus de 800 milliards de dollars pour booster le développement les deux dernières décennies. Nous avons surtout boosté les investissements publics dans les infrastructures.
Que dit la théorie économique à ce sujet ? Les faiblesses institutionnelles concernent les insuffisances de performance des entreprises et des administrations publiques. Dans le cas de leur existence avéré, il faut les corriger d’abord avant de s’engager dans des dépenses coûteuses. Dans une situation de persistance des faiblesses institutionnelles, lorsqu’on leur injecte 800 milliards de dollars, seule une faible fraction se transforme en infrastructures sur notre sol. C’est-à-dire on aura quelque chose comme 150 à 200 milliards de dollars d’infrastructures.
Le reste ira en retards, restes à réaliser, surcoûts, malfaçons, corruption et autres. Par contre, si on améliore les institutions d’abord, le coût serait d’une centaine de milliards de dollars. On aura alors des institutions de haut niveau : universités, centres de recherche, administrations biens gérées, entreprises de classe mondiale ; on y injecte 700 milliards pour développer les infrastructures, on aura pour 700 milliards de dollars d’équipements sur notre sol. Une erreur d’ordonnancement des réformes induit donc des conséquences énormes.
Par où commencer ?
On remarque que pour les redressements d’entreprises, la plupart des histoires de réussite consistent à développer une vision, constituer un comité d’experts pour travailler avec tous les membres de l’entreprise afin de tirer le maximum d’idées pour concevoir un plan de sortie de crise qui s’intègre dans un plan stratégique. Dans le cas de notre pays, de nombreux analystes parlent, à juste titre, de réformer la fiscalité, réduire les intérêts pour les prêts agricoles, abolir la loi des 51/49 pour la plupart des secteurs et le reste. Beaucoup de ces décisions sont correctes. Mais qui va les prendre et pour quel contexte ?
Un pays a besoin d’abord d’une vision dans laquelle s’insèrent les différentes mesures qui visent à redresser un à un les secteurs défaillants. Mahathir, Premier ministre de Malaisie, avait résumé cela pour son pays à la fin des années 80’ par la formule «2020 Malaisie pays développé». Par la suite, le comité stratégique, mis en place au sein du Premier ministère, s’était chargé de consulter l’ensemble des institutions et a développé les mesures sectorielles.
Lee Myung-Bak, président de la Corée du Sud de 2008-2013, avait résumé la vision ainsi : économie coréenne 2040 pays 747 (septième puissance économique, 40 000 dollars de revenu par habitant, et 7% de croissance annuelle). Lorsque le plan fut annoncé, l’institut coréen de développement a joué le même rôle que le comité stratégique de Malaisie.
La théorie économique et les meilleures pratiques des pays sont tout à fait d’accord. Le redressement d’un pays commence par la clarification d’une vision, mais surtout par la réorganisation de l’Etat. On revient toujours à cette institution-cerveau qui dialogue avec le reste des institutions et des centres d’intelligence pour préparer un plan cohérent, ouvert et réaliste.
Bien sûr qu’il y a des milliers de correctifs à faire dans la santé, l’éducation, les entreprises, les administrations et le reste. Mais l’urgence est à ce niveau-là. On ne peut pas continuer à avoir 25 plans sectoriels avec peu de cohérence entre eux qui régissent l’économie de notre pays.
Nous avons payé trop cher un mauvais ordonnancement des réformes. Les qualifications humaines et institutionnelles doivent être conçues avant le boom des investissements publics et pas en même temps ou après. Une institution d’intelligence n’aurait pas fait cette erreur fatale et pourtant facile à éviter. C’est par son instauration qu’il faut commencer.
Commentaire