La malédiction algérienne
El Watan - 28 NOVEMBRE 2018 À 11 H 01 MIN 313
Une grande incertitude plane sur le pays. L’impasse est réelle et se manifeste désormais par des faits d’une rare gravité. A quelques mois de l’élection présidentielle, scandales et coups de force se multiplient et se croisent au rythme d’une logique insaisissable défiant les observateurs les plus avisés. L’opinion est totalement désemparée. L’inquiétude est grande et palpable. Qui est qui et qui fait quoi ? Difficile d’y répondre.
Les grands bavards ne disent rien et ceux qui savent ne parlent pas. Une chose est cependant certaine, ce bruit est celui d’une grande discorde. Le bloc au pouvoir ne joue plus la même partition et les chasseurs de son sont à l’affût de la moindre fausse note. Les différents segments du sérail s’abandonnent à leurs vils instincts et se livrent à un spectacle d’une violence sans précédent.
OÙ VA L’ALGÉRIE ?
Autoritarisme et capitalisme ont ceci de commun qu’en période de crise, ils recourent à l’automutilation dans l’espoir de régénérer. Dans le cas de l’Algérie, la ressemblance va au-delà de ce trait commun. En effet, dans son fondement, la crise du système politique algérien est celle d’un capitalisme sans capitalistes et sans les instruments de la médiation démocratique. Un capitalisme dégénéré, désincarné et totalement dépendant, inséré à l’économie mondialisée par la seule industrie extractive.
La caste de nouveaux riches apparue ces dernières années n’a pas les caractéristiques d’une classe au sens sociologique et idéologique. Ayant émergé dans le sillage d’une transition bricolée, perfide et désinstituée, elle en porte les stigmates. En effet, cette caste est dans une totale dépendance du régime et n’est porteuse d’aucun projet universel. Elle sert d’interface économique pour une portion de l’establishment politique. Sans culture ni autonomie, elle consent souvent aux sacrifices les plus avilissants. C’est la rançon du ventre.
Certes, une expérience de modernisation autoritaire fut entreprise au lendemain de l’indépendance. Sans grand succès. L’échec était déjà inscrit dans le choix de l’option développementaliste, la croyance dans un progrès par ordonnance, par simple injection de capital et d’idéologie, sans la participation du citoyen.
En dépit des crises répétées et des drames successifs qui ont secoué notre pays, le pouvoir ne semble pas disposé à se départir de l’impératif autoritaire et rentier. Il refuse de se mettre au diapason des attentes citoyennes et des bouleversements profonds survenus dans le monde.
L’accumulation du capital continue de se faire principalement par l’appropriation autoritaire et la redistribution inégale des revenus d’une ressource naturelle, propriété de toute la nation. La rente pétrolière est mobilisée dans le seul but de sanctuariser le système, enrichir ses dignitaires et entretenir ses différentes clientèles. Le gouvernement s’apprête d’ailleurs à réviser la loi sur les hydrocarbures afin d’attirer davantage d’investissements étrangers dans ce secteur. Il est même envisagé d’étendre les domaines d’exploitation aux ressources non conventionnelles. C’est-à-dire le gaz de schiste et, pourquoi pas, l’uranium. Le but inavoué est de se prémunir contre les fluctuations des cours du pétrole par une plus grande production. Il adopte la politique de la quantité et s’aligne, par là même, sur la stratégie saoudienne. Accroître le volume de la rente est pour le pouvoir en place un argument de survie.
Il a fait du Sud sa vache à lait et du Nord, un grand dortoir. Le dépeuplement du sud est un drame. Il est porteur d’un risque stratégique. La présence massive et permanente des populations sur l’ensemble du territoire est le meilleur garant de la sécurité nationale. Grand territoire plein de ressources et d’esprit, le Sud peut constituer une perspective pour l’ensemble du pays. Hélas, ce n’est pas l’avis de nos gouvernants.
Alors que l’urgence consiste à soustraire notre économie de la dépendance aux hydrocarbures, le gouvernement fait exactement le contraire. Il l’accentue. Ce choix a néanmoins le mérite de démystifier, si besoin est, le discours officiel sur les vertus de la diversification. Une pure supercherie. La diversification est synonyme de libération des énergies et d’explosion des talents. Mode d’émancipation s’il en est, la diversification ne peut dès lors avoir les faveurs d’un pouvoir autoritaire attaché aux monopoles par simple souci de durer.
La preuve est la guerre déclarée aux rares créateurs de richesses et le blocage systématique de toute initiative allant dans le sens de la substitution aux importations.
Le cas du groupe Cevital en témoigne. C’est le crime économique flagrant. Il révèle la volonté de maintenir le pays dans le tout-import, terrain de prédilection des prédateurs d’ici et d’ailleurs. Le tout-import ne développe jamais un pays. Il le détruit. Et le résultat est là. Notre pays concentre toutes sortes de vulnérabilités. Il est en proie au chaos.
Il ne faut pas voir dans ce propos quelque inclination pour la thèse de la malédiction du pétrole. Je ne souscris pas au paradigme rentier. La rente ne crée pas l’autoritarisme et l’autoritarisme n’a pas forcément comme base matérielle une rente. En revanche, la conjonction des deux contextes, autoritarisme et rente, est source de tous les périls. C’est le cas de l’Algérie.
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El Watan - 28 NOVEMBRE 2018 À 11 H 01 MIN 313
Une grande incertitude plane sur le pays. L’impasse est réelle et se manifeste désormais par des faits d’une rare gravité. A quelques mois de l’élection présidentielle, scandales et coups de force se multiplient et se croisent au rythme d’une logique insaisissable défiant les observateurs les plus avisés. L’opinion est totalement désemparée. L’inquiétude est grande et palpable. Qui est qui et qui fait quoi ? Difficile d’y répondre.
Les grands bavards ne disent rien et ceux qui savent ne parlent pas. Une chose est cependant certaine, ce bruit est celui d’une grande discorde. Le bloc au pouvoir ne joue plus la même partition et les chasseurs de son sont à l’affût de la moindre fausse note. Les différents segments du sérail s’abandonnent à leurs vils instincts et se livrent à un spectacle d’une violence sans précédent.
OÙ VA L’ALGÉRIE ?
Autoritarisme et capitalisme ont ceci de commun qu’en période de crise, ils recourent à l’automutilation dans l’espoir de régénérer. Dans le cas de l’Algérie, la ressemblance va au-delà de ce trait commun. En effet, dans son fondement, la crise du système politique algérien est celle d’un capitalisme sans capitalistes et sans les instruments de la médiation démocratique. Un capitalisme dégénéré, désincarné et totalement dépendant, inséré à l’économie mondialisée par la seule industrie extractive.
La caste de nouveaux riches apparue ces dernières années n’a pas les caractéristiques d’une classe au sens sociologique et idéologique. Ayant émergé dans le sillage d’une transition bricolée, perfide et désinstituée, elle en porte les stigmates. En effet, cette caste est dans une totale dépendance du régime et n’est porteuse d’aucun projet universel. Elle sert d’interface économique pour une portion de l’establishment politique. Sans culture ni autonomie, elle consent souvent aux sacrifices les plus avilissants. C’est la rançon du ventre.
Certes, une expérience de modernisation autoritaire fut entreprise au lendemain de l’indépendance. Sans grand succès. L’échec était déjà inscrit dans le choix de l’option développementaliste, la croyance dans un progrès par ordonnance, par simple injection de capital et d’idéologie, sans la participation du citoyen.
En dépit des crises répétées et des drames successifs qui ont secoué notre pays, le pouvoir ne semble pas disposé à se départir de l’impératif autoritaire et rentier. Il refuse de se mettre au diapason des attentes citoyennes et des bouleversements profonds survenus dans le monde.
L’accumulation du capital continue de se faire principalement par l’appropriation autoritaire et la redistribution inégale des revenus d’une ressource naturelle, propriété de toute la nation. La rente pétrolière est mobilisée dans le seul but de sanctuariser le système, enrichir ses dignitaires et entretenir ses différentes clientèles. Le gouvernement s’apprête d’ailleurs à réviser la loi sur les hydrocarbures afin d’attirer davantage d’investissements étrangers dans ce secteur. Il est même envisagé d’étendre les domaines d’exploitation aux ressources non conventionnelles. C’est-à-dire le gaz de schiste et, pourquoi pas, l’uranium. Le but inavoué est de se prémunir contre les fluctuations des cours du pétrole par une plus grande production. Il adopte la politique de la quantité et s’aligne, par là même, sur la stratégie saoudienne. Accroître le volume de la rente est pour le pouvoir en place un argument de survie.
Il a fait du Sud sa vache à lait et du Nord, un grand dortoir. Le dépeuplement du sud est un drame. Il est porteur d’un risque stratégique. La présence massive et permanente des populations sur l’ensemble du territoire est le meilleur garant de la sécurité nationale. Grand territoire plein de ressources et d’esprit, le Sud peut constituer une perspective pour l’ensemble du pays. Hélas, ce n’est pas l’avis de nos gouvernants.
Alors que l’urgence consiste à soustraire notre économie de la dépendance aux hydrocarbures, le gouvernement fait exactement le contraire. Il l’accentue. Ce choix a néanmoins le mérite de démystifier, si besoin est, le discours officiel sur les vertus de la diversification. Une pure supercherie. La diversification est synonyme de libération des énergies et d’explosion des talents. Mode d’émancipation s’il en est, la diversification ne peut dès lors avoir les faveurs d’un pouvoir autoritaire attaché aux monopoles par simple souci de durer.
La preuve est la guerre déclarée aux rares créateurs de richesses et le blocage systématique de toute initiative allant dans le sens de la substitution aux importations.
Le cas du groupe Cevital en témoigne. C’est le crime économique flagrant. Il révèle la volonté de maintenir le pays dans le tout-import, terrain de prédilection des prédateurs d’ici et d’ailleurs. Le tout-import ne développe jamais un pays. Il le détruit. Et le résultat est là. Notre pays concentre toutes sortes de vulnérabilités. Il est en proie au chaos.
Il ne faut pas voir dans ce propos quelque inclination pour la thèse de la malédiction du pétrole. Je ne souscris pas au paradigme rentier. La rente ne crée pas l’autoritarisme et l’autoritarisme n’a pas forcément comme base matérielle une rente. En revanche, la conjonction des deux contextes, autoritarisme et rente, est source de tous les périls. C’est le cas de l’Algérie.
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