Une grande incertitude plane sur le pays. L’impasse est réelle et se manifeste désormais par des faits d’une rare gravité. A quelques mois de l’élection présidentielle, scandales et coups de force se multiplient et se croisent au rythme d’une logique insaisissable défiant les observateurs les plus avisés. L’opinion est totalement désemparée. L’inquiétude est grande et palpable. Qui est qui et qui fait quoi ? Difficile d’y répondre.
Les grands bavards ne disent rien et ceux qui savent ne parlent pas. Une chose est cependant certaine, ce bruit est celui d’une grande discorde. Le bloc au pouvoir ne joue plus la même partition et les chasseurs de son sont à l’affût de la moindre fausse note. Les différents segments du sérail s’abandonnent à leurs vils instincts et se livrent à un spectacle d’une violence sans précédent.
OÙ VA L’ALGÉRIE ?
Autoritarisme et capitalisme ont ceci de commun qu’en période de crise, ils recourent à l’automutilation dans l’espoir de régénérer. Dans le cas de l’Algérie, la ressemblance va au-delà de ce trait commun. En effet, dans son fondement, la crise du système politique algérien est celle d’un capitalisme sans capitalistes et sans les instruments de la médiation démocratique. Un capitalisme dégénéré, désincarné et totalement dépendant, inséré à l’économie mondialisée par la seule industrie extractive.
La caste de nouveaux riches apparue ces dernières années n’a pas les caractéristiques d’une classe au sens sociologique et idéologique. Ayant émergé dans le sillage d’une transition bricolée, perfide et désinstituée, elle en porte les stigmates. En effet, cette caste est dans une totale dépendance du régime et n’est porteuse d’aucun projet universel. Elle sert d’interface économique pour une portion de l’establishment politique. Sans culture ni autonomie, elle consent souvent aux sacrifices les plus avilissants. C’est la rançon du ventre.
Certes, une expérience de modernisation autoritaire fut entreprise au lendemain de l’indépendance. Sans grand succès. L’échec était déjà inscrit dans le choix de l’option développementaliste, la croyance dans un progrès par ordonnance, par simple injection de capital et d’idéologie, sans la participation du citoyen.
En dépit des crises répétées et des drames successifs qui ont secoué notre pays, le pouvoir ne semble pas disposé à se départir de l’impératif autoritaire et rentier. Il refuse de se mettre au diapason des attentes citoyennes et des bouleversements profonds survenus dans le monde.
L’accumulation du capital continue de se faire principalement par l’appropriation autoritaire et la redistribution inégale des revenus d’une ressource naturelle, propriété de toute la nation. La rente pétrolière est mobilisée dans le seul but de sanctuariser le système, enrichir ses dignitaires et entretenir ses différentes clientèles. Le gouvernement s’apprête d’ailleurs à réviser la loi sur les hydrocarbures afin d’attirer davantage d’investissements étrangers dans ce secteur. Il est même envisagé d’étendre les domaines d’exploitation aux ressources non conventionnelles. C’est-à-dire le gaz de schiste et, pourquoi pas, l’uranium. Le but inavoué est de se prémunir contre les fluctuations des cours du pétrole par une plus grande production. Il adopte la politique de la quantité et s’aligne, par là même, sur la stratégie saoudienne. Accroître le volume de la rente est pour le pouvoir en place un argument de survie.
Il a fait du Sud sa vache à lait et du Nord, un grand dortoir. Le dépeuplement du sud est un drame. Il est porteur d’un risque stratégique. La présence massive et permanente des populations sur l’ensemble du territoire est le meilleur garant de la sécurité nationale. Grand territoire plein de ressources et d’esprit, le Sud peut constituer une perspective pour l’ensemble du pays. Hélas, ce n’est pas l’avis de nos gouvernants.
Alors que l’urgence consiste à soustraire notre économie de la dépendance aux hydrocarbures, le gouvernement fait exactement le contraire. Il l’accentue. Ce choix a néanmoins le mérite de démystifier, si besoin est, le discours officiel sur les vertus de la diversification. Une pure supercherie. La diversification est synonyme de libération des énergies et d’explosion des talents. Mode d’émancipation s’il en est, la diversification ne peut dès lors avoir les faveurs d’un pouvoir autoritaire attaché aux monopoles par simple souci de durer.
La preuve est la guerre déclarée aux rares créateurs de richesses et le blocage systématique de toute initiative allant dans le sens de la substitution aux importations.
Le cas du groupe Cevital en témoigne. C’est le crime économique flagrant. Il révèle la volonté de maintenir le pays dans le tout-import, terrain de prédilection des prédateurs d’ici et d’ailleurs. Le tout-import ne développe jamais un pays. Il le détruit. Et le résultat est là. Notre pays concentre toutes sortes de vulnérabilités. Il est en proie au chaos.
Il ne faut pas voir dans ce propos quelque inclination pour la thèse de la malédiction du pétrole. Je ne souscris pas au paradigme rentier. La rente ne crée pas l’autoritarisme et l’autoritarisme n’a pas forcément comme base matérielle une rente. En revanche, la conjonction des deux contextes, autoritarisme et rente, est source de tous les périls. C’est le cas de l’Algérie.
L’INDÉPENDANCE CONFISQUÉE
L’autoritarisme algérien est antérieur à la rente. Il est né d’une contingence historique particulière, la guerre de Libération nationale. Sous la colonisation, les nationalistes assimilaient à juste titre la souveraineté à une situation, à savoir la fin de la tutelle coloniale. Une fois l’indépendance recouvrée, cette vision totalement inadaptée devait être naturellement abandonnée au profit de la souveraineté comme prérogative, c’est-à-dire la capacité inaliénable du corps des citoyens de décider librement de son destin. C’est l’esprit même du combat libérateur. Or, ce passage n’a pas eu lieu. Le phénomène de privatisation et de militarisation de l’Etat, déjà en gestation dans le mouvement national, a fait barrage à ce transfert de souveraineté. Elle est à ce jour confisquée. Mieux encore, des groupes informels, souvent maffieux, infiltrent les institutions, les satellisent et les détournent de leur mission républicaine. Ils arrivent même à peser sur le processus de décision et inspirer les politiques publiques.
Sinon, comment un homme, boucher de son état, est-il parvenu à provoquer un tel désordre au point de mettre en péril tout un Etat ? Il a failli réussir là où le terrorisme a échoué. La question est d’importance. Elle ne saurait être évacuée par l’arrestation rocambolesque de quelques responsables, aussi puissants soient-ils. Il ne faut pas se laisser voler ses colères et ses espoirs par des mesures spectaculaires sans grand effet sur la situation du pays et, probablement, non dépourvues d’arrière-pensées politiciennes.
La responsabilité des individus ne doit pas masquer la responsabilité politique. Car il s’agit d’un scandale d’Etat. Un scandale rendu possible par tous les scandales non punis, étouffés ou pardonnés.
Parler de corruption est un euphémisme. Elle ne peut rendre compte de la nature réelle du phénomène. Ce à quoi nous assistons est un pillage organisé, bénéficiant d’un feu vert politique.
La tendance effrénée au gain facile et à la réussite rapide, a fini par effacer toute trace de vertu civique. L’érosion des valeurs détruit lentement et en silence les fondements du vivre-ensemble. C’est la dictature du tag ala men tag. Le pays plonge dans quelque chose d’effrayant autrement plus inquiétant que l’obsession pour la chose matérielle. C’est le déferlement de la violence, le resurgissement de l’instinct humain le plus primaire, le retour aux ténèbres des temps lointains. Tuer pour un ticket de parking ne peut se lire par le seul attrait de l’argent. Il y a plus profond. C’est le naufrage d’une certaine idée de l’Algérie et de l’Algérien. De l’humain.
Cette situation d’échec intégral et de menace réelle sur le pays ne semble nullement préoccuper nos dirigeants. Ils sont absorbés par l’échéance présidentielle et se préparent à nous infliger un énième coup de force en reconduisant le président. Pourtant, le 5e mandat est doublement inconstitutionnel.
Les grands bavards ne disent rien et ceux qui savent ne parlent pas. Une chose est cependant certaine, ce bruit est celui d’une grande discorde. Le bloc au pouvoir ne joue plus la même partition et les chasseurs de son sont à l’affût de la moindre fausse note. Les différents segments du sérail s’abandonnent à leurs vils instincts et se livrent à un spectacle d’une violence sans précédent.
OÙ VA L’ALGÉRIE ?
Autoritarisme et capitalisme ont ceci de commun qu’en période de crise, ils recourent à l’automutilation dans l’espoir de régénérer. Dans le cas de l’Algérie, la ressemblance va au-delà de ce trait commun. En effet, dans son fondement, la crise du système politique algérien est celle d’un capitalisme sans capitalistes et sans les instruments de la médiation démocratique. Un capitalisme dégénéré, désincarné et totalement dépendant, inséré à l’économie mondialisée par la seule industrie extractive.
La caste de nouveaux riches apparue ces dernières années n’a pas les caractéristiques d’une classe au sens sociologique et idéologique. Ayant émergé dans le sillage d’une transition bricolée, perfide et désinstituée, elle en porte les stigmates. En effet, cette caste est dans une totale dépendance du régime et n’est porteuse d’aucun projet universel. Elle sert d’interface économique pour une portion de l’establishment politique. Sans culture ni autonomie, elle consent souvent aux sacrifices les plus avilissants. C’est la rançon du ventre.
Certes, une expérience de modernisation autoritaire fut entreprise au lendemain de l’indépendance. Sans grand succès. L’échec était déjà inscrit dans le choix de l’option développementaliste, la croyance dans un progrès par ordonnance, par simple injection de capital et d’idéologie, sans la participation du citoyen.
En dépit des crises répétées et des drames successifs qui ont secoué notre pays, le pouvoir ne semble pas disposé à se départir de l’impératif autoritaire et rentier. Il refuse de se mettre au diapason des attentes citoyennes et des bouleversements profonds survenus dans le monde.
L’accumulation du capital continue de se faire principalement par l’appropriation autoritaire et la redistribution inégale des revenus d’une ressource naturelle, propriété de toute la nation. La rente pétrolière est mobilisée dans le seul but de sanctuariser le système, enrichir ses dignitaires et entretenir ses différentes clientèles. Le gouvernement s’apprête d’ailleurs à réviser la loi sur les hydrocarbures afin d’attirer davantage d’investissements étrangers dans ce secteur. Il est même envisagé d’étendre les domaines d’exploitation aux ressources non conventionnelles. C’est-à-dire le gaz de schiste et, pourquoi pas, l’uranium. Le but inavoué est de se prémunir contre les fluctuations des cours du pétrole par une plus grande production. Il adopte la politique de la quantité et s’aligne, par là même, sur la stratégie saoudienne. Accroître le volume de la rente est pour le pouvoir en place un argument de survie.
Il a fait du Sud sa vache à lait et du Nord, un grand dortoir. Le dépeuplement du sud est un drame. Il est porteur d’un risque stratégique. La présence massive et permanente des populations sur l’ensemble du territoire est le meilleur garant de la sécurité nationale. Grand territoire plein de ressources et d’esprit, le Sud peut constituer une perspective pour l’ensemble du pays. Hélas, ce n’est pas l’avis de nos gouvernants.
Alors que l’urgence consiste à soustraire notre économie de la dépendance aux hydrocarbures, le gouvernement fait exactement le contraire. Il l’accentue. Ce choix a néanmoins le mérite de démystifier, si besoin est, le discours officiel sur les vertus de la diversification. Une pure supercherie. La diversification est synonyme de libération des énergies et d’explosion des talents. Mode d’émancipation s’il en est, la diversification ne peut dès lors avoir les faveurs d’un pouvoir autoritaire attaché aux monopoles par simple souci de durer.
La preuve est la guerre déclarée aux rares créateurs de richesses et le blocage systématique de toute initiative allant dans le sens de la substitution aux importations.
Le cas du groupe Cevital en témoigne. C’est le crime économique flagrant. Il révèle la volonté de maintenir le pays dans le tout-import, terrain de prédilection des prédateurs d’ici et d’ailleurs. Le tout-import ne développe jamais un pays. Il le détruit. Et le résultat est là. Notre pays concentre toutes sortes de vulnérabilités. Il est en proie au chaos.
Il ne faut pas voir dans ce propos quelque inclination pour la thèse de la malédiction du pétrole. Je ne souscris pas au paradigme rentier. La rente ne crée pas l’autoritarisme et l’autoritarisme n’a pas forcément comme base matérielle une rente. En revanche, la conjonction des deux contextes, autoritarisme et rente, est source de tous les périls. C’est le cas de l’Algérie.
L’INDÉPENDANCE CONFISQUÉE
L’autoritarisme algérien est antérieur à la rente. Il est né d’une contingence historique particulière, la guerre de Libération nationale. Sous la colonisation, les nationalistes assimilaient à juste titre la souveraineté à une situation, à savoir la fin de la tutelle coloniale. Une fois l’indépendance recouvrée, cette vision totalement inadaptée devait être naturellement abandonnée au profit de la souveraineté comme prérogative, c’est-à-dire la capacité inaliénable du corps des citoyens de décider librement de son destin. C’est l’esprit même du combat libérateur. Or, ce passage n’a pas eu lieu. Le phénomène de privatisation et de militarisation de l’Etat, déjà en gestation dans le mouvement national, a fait barrage à ce transfert de souveraineté. Elle est à ce jour confisquée. Mieux encore, des groupes informels, souvent maffieux, infiltrent les institutions, les satellisent et les détournent de leur mission républicaine. Ils arrivent même à peser sur le processus de décision et inspirer les politiques publiques.
Sinon, comment un homme, boucher de son état, est-il parvenu à provoquer un tel désordre au point de mettre en péril tout un Etat ? Il a failli réussir là où le terrorisme a échoué. La question est d’importance. Elle ne saurait être évacuée par l’arrestation rocambolesque de quelques responsables, aussi puissants soient-ils. Il ne faut pas se laisser voler ses colères et ses espoirs par des mesures spectaculaires sans grand effet sur la situation du pays et, probablement, non dépourvues d’arrière-pensées politiciennes.
La responsabilité des individus ne doit pas masquer la responsabilité politique. Car il s’agit d’un scandale d’Etat. Un scandale rendu possible par tous les scandales non punis, étouffés ou pardonnés.
Parler de corruption est un euphémisme. Elle ne peut rendre compte de la nature réelle du phénomène. Ce à quoi nous assistons est un pillage organisé, bénéficiant d’un feu vert politique.
La tendance effrénée au gain facile et à la réussite rapide, a fini par effacer toute trace de vertu civique. L’érosion des valeurs détruit lentement et en silence les fondements du vivre-ensemble. C’est la dictature du tag ala men tag. Le pays plonge dans quelque chose d’effrayant autrement plus inquiétant que l’obsession pour la chose matérielle. C’est le déferlement de la violence, le resurgissement de l’instinct humain le plus primaire, le retour aux ténèbres des temps lointains. Tuer pour un ticket de parking ne peut se lire par le seul attrait de l’argent. Il y a plus profond. C’est le naufrage d’une certaine idée de l’Algérie et de l’Algérien. De l’humain.
Cette situation d’échec intégral et de menace réelle sur le pays ne semble nullement préoccuper nos dirigeants. Ils sont absorbés par l’échéance présidentielle et se préparent à nous infliger un énième coup de force en reconduisant le président. Pourtant, le 5e mandat est doublement inconstitutionnel.
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