Traces de présence humaine de 2,4 millions d’années découvertes en Algérie
- The conversation Journal - 29 Nov 2018
L’étude des premiers peuplements humains préhistoriques du pourtour méditerranéen fait l’objet d’intenses recherches depuis de nombreuses décennies.
Dans un article publié jeudi 29 novembre dans la revue américaine Science, nous apportons un nouvel éclairage sur cette question : des traces de présence humaine datées de 2,4 millions d’années ont été découvertes dans le nord de l’Algérie. Que révèlent-elles ? L’utilisation d’outils lithiques taillés (lithique signifie en pierre), dont on distingue les marques sur certains ossements fossiles. Un travail de boucherie a été opéré sur ces os. Ces traces d’activité sont les plus anciennes découvertes à ce jour sur tout le pourtour méditerranéen. Il aura fallu plusieurs années d’efforts de chercheurs de plusieurs disciplines (archéologie, géologie, paléontologie, géochronologie, taphonomie et archéozoologie) pour que ce travail puisse aboutir à cette publication. Des chercheurs issus de différentes institutions en Algérie, Espagne, France et Australie en sont les auteurs.
Le site d’Ain Boucherit en Algérie
Ain Boucherit est situé au Nord de la ville d’El Eulma, dans la wilaya de Sétif, à quelques centaines de mètres du fameux site archéologique d’Ain Hanech, découvert à la fin des années 1940 par le paléontologue Camille Arambourg, et daté d’environ 1,8 million d’années. Les fouilles archéologiques et recherches associées menées par Mohamed Sahnouni et son équipe dans le secteur depuis 1992 ont permis de mettre au jour de nombreux gisements archéologiques et paléontologiques dont celui d’Ain Boucherit.
Le gisement d’Ain Boucherit est composé de deux niveaux archéologiques différents appelés niveaux inférieur (AB-Lw) et supérieur (AB-Up). Dans les deux, on a trouvé des outils en pierre et des ossements fossiles. L’assemblage lithique est composé de plus de 250 pièces réalisées en calcaire ou en silex. Il s’agit de galets taillés (choppers, polyèdres et subspheroides), nucleus, éclats (dont certains sont retouchés) et autres fragments indéterminés. L’ensemble présente une unité technologique cohérente qui permet de le caractériser comme oldowayen (les spécialistes parlent aussi de Mode 1) : le terme désigne un ensemble d’outils lithiques relativement peu élaborés caractéristiques du Paléolithique inférieur.
Quant à l’assemblage fossile, il est composé de presque 600 ossements issus principalement d’éléphants, d’hippopotames, de rhinocéros, d’équidés et bovidés de petite et moyenne taille. Certains os présentent des traces de découpes par des éléments tranchants ou de percussion par un percuteur en pierre. Ce sont là des activités typiques de dépeçage, d’éviscération ou d’extraction de moelle. Ces éléments montrent qu’il y a plus de 2 millions d’années, les hominidés avaient déjà accès aux carcasses animales pour en extraire la viande et la moelle.
Comment Ain Bouherit a-t-il été daté ?
L’absence de minéraux et dépôts volcaniques empêche l’utilisation de méthodes de datations très précises telles que l’Argon-Argon ou la téphrochronologie couramment utilisée pour les sites du rift est-africain. Du coup, nous avons dû employer une autre approche, basée sur la combinaison de quatre différentes méthodes : la stratigraphie, le paléomagnétisme, la résonance paramagnétique électronique (RPE) et la biochronologie.
Chaque méthode apporte des informations complémentaires. Il nous a ainsi été possible de construire un cadre chronologique relativement cohérent et solide pour les niveaux archéologiques inférieur et supérieur d’Ain Boucherit. En particulier, le niveau supérieur a notamment pu être positionné au sein d’un intervalle de polarité magnétique normale identifié comme étant l’épisode Olduvai.
Quelques éléments d’explication à ce propos. L’orientation et l’amplitude du champ magnétique de la Terre à un endroit particulier varient avec le temps, et peuvent ainsi être utilisées pour dater des matériaux, des sédiments, des objets… Grâce à la chronologie de ces variations, nous savons que nous sommes, depuis 780 000 ans dans une période magnétique de polarité principalement positive (ou normale). La période précédente était caractérisée par une inversion de la polarité. Elle a commencé il y a 2,6 millions d’années mais elle a été entrecoupée par plusieurs brefs épisodes de polarité normale, dont Olduvai, qui est daté entre 1,78 et 1,94 million d’années (Ma).
Si l’on revient au site d’Ain Boucherit, le niveau archéologique inférieur étant situé plusieurs mètres en dessous au sein d’un intervalle de polarité inverse antérieur à Olduvai, il est donc plus ancien que 1,94 Ma. À partir de la position stratigraphique des niveaux supérieur et inférieur et en partant de l’hypothèse d’un taux de sédimentation constant, nous avons pu estimer des âges respectifs pour ces deux niveaux archéologiques d’environ 1,9 et 2,4 Ma.
- The conversation Journal - 29 Nov 2018
Preuve de l'activité des hominines dans les assemblages fauniques d'Ain Boucherit.
(A et B) Repère de coupe sur un corps d’humérus bovidés de taille moyenne de AB-Lw (A) avec détail de micrographie SEM (B).
(C et D) Équidal calcanéum taillé de AB-Lw (C) avec détail micrographique SEM (D).
(E) Os long de taille moyenne percutant Hammerstone de AB-Lw.
(F) Flocon d'os de AB-Up.
(G) Le tibia équide de AB-Up présentant une entaille de percussion corticale.
(A et B) Repère de coupe sur un corps d’humérus bovidés de taille moyenne de AB-Lw (A) avec détail de micrographie SEM (B).
(C et D) Équidal calcanéum taillé de AB-Lw (C) avec détail micrographique SEM (D).
(E) Os long de taille moyenne percutant Hammerstone de AB-Lw.
(F) Flocon d'os de AB-Up.
(G) Le tibia équide de AB-Up présentant une entaille de percussion corticale.
L’étude des premiers peuplements humains préhistoriques du pourtour méditerranéen fait l’objet d’intenses recherches depuis de nombreuses décennies.
Dans un article publié jeudi 29 novembre dans la revue américaine Science, nous apportons un nouvel éclairage sur cette question : des traces de présence humaine datées de 2,4 millions d’années ont été découvertes dans le nord de l’Algérie. Que révèlent-elles ? L’utilisation d’outils lithiques taillés (lithique signifie en pierre), dont on distingue les marques sur certains ossements fossiles. Un travail de boucherie a été opéré sur ces os. Ces traces d’activité sont les plus anciennes découvertes à ce jour sur tout le pourtour méditerranéen. Il aura fallu plusieurs années d’efforts de chercheurs de plusieurs disciplines (archéologie, géologie, paléontologie, géochronologie, taphonomie et archéozoologie) pour que ce travail puisse aboutir à cette publication. Des chercheurs issus de différentes institutions en Algérie, Espagne, France et Australie en sont les auteurs.
Exemple de traces d’activité anthropique trouvées sur le site d’Ain Boucherit (Algérie) : un os de bovidé avec des traces de découpes réalisées avec un outil lithique tranchant. I. Caceres, Author provided
Le site d’Ain Boucherit en Algérie
Ain Boucherit est situé au Nord de la ville d’El Eulma, dans la wilaya de Sétif, à quelques centaines de mètres du fameux site archéologique d’Ain Hanech, découvert à la fin des années 1940 par le paléontologue Camille Arambourg, et daté d’environ 1,8 million d’années. Les fouilles archéologiques et recherches associées menées par Mohamed Sahnouni et son équipe dans le secteur depuis 1992 ont permis de mettre au jour de nombreux gisements archéologiques et paléontologiques dont celui d’Ain Boucherit.
Le gisement d’Ain Boucherit est composé de deux niveaux archéologiques différents appelés niveaux inférieur (AB-Lw) et supérieur (AB-Up). Dans les deux, on a trouvé des outils en pierre et des ossements fossiles. L’assemblage lithique est composé de plus de 250 pièces réalisées en calcaire ou en silex. Il s’agit de galets taillés (choppers, polyèdres et subspheroides), nucleus, éclats (dont certains sont retouchés) et autres fragments indéterminés. L’ensemble présente une unité technologique cohérente qui permet de le caractériser comme oldowayen (les spécialistes parlent aussi de Mode 1) : le terme désigne un ensemble d’outils lithiques relativement peu élaborés caractéristiques du Paléolithique inférieur.
Quant à l’assemblage fossile, il est composé de presque 600 ossements issus principalement d’éléphants, d’hippopotames, de rhinocéros, d’équidés et bovidés de petite et moyenne taille. Certains os présentent des traces de découpes par des éléments tranchants ou de percussion par un percuteur en pierre. Ce sont là des activités typiques de dépeçage, d’éviscération ou d’extraction de moelle. Ces éléments montrent qu’il y a plus de 2 millions d’années, les hominidés avaient déjà accès aux carcasses animales pour en extraire la viande et la moelle.
Comment Ain Bouherit a-t-il été daté ?
L’absence de minéraux et dépôts volcaniques empêche l’utilisation de méthodes de datations très précises telles que l’Argon-Argon ou la téphrochronologie couramment utilisée pour les sites du rift est-africain. Du coup, nous avons dû employer une autre approche, basée sur la combinaison de quatre différentes méthodes : la stratigraphie, le paléomagnétisme, la résonance paramagnétique électronique (RPE) et la biochronologie.
Chaque méthode apporte des informations complémentaires. Il nous a ainsi été possible de construire un cadre chronologique relativement cohérent et solide pour les niveaux archéologiques inférieur et supérieur d’Ain Boucherit. En particulier, le niveau supérieur a notamment pu être positionné au sein d’un intervalle de polarité magnétique normale identifié comme étant l’épisode Olduvai.
Quelques éléments d’explication à ce propos. L’orientation et l’amplitude du champ magnétique de la Terre à un endroit particulier varient avec le temps, et peuvent ainsi être utilisées pour dater des matériaux, des sédiments, des objets… Grâce à la chronologie de ces variations, nous savons que nous sommes, depuis 780 000 ans dans une période magnétique de polarité principalement positive (ou normale). La période précédente était caractérisée par une inversion de la polarité. Elle a commencé il y a 2,6 millions d’années mais elle a été entrecoupée par plusieurs brefs épisodes de polarité normale, dont Olduvai, qui est daté entre 1,78 et 1,94 million d’années (Ma).
Si l’on revient au site d’Ain Boucherit, le niveau archéologique inférieur étant situé plusieurs mètres en dessous au sein d’un intervalle de polarité inverse antérieur à Olduvai, il est donc plus ancien que 1,94 Ma. À partir de la position stratigraphique des niveaux supérieur et inférieur et en partant de l’hypothèse d’un taux de sédimentation constant, nous avons pu estimer des âges respectifs pour ces deux niveaux archéologiques d’environ 1,9 et 2,4 Ma.
Le gisement archéo-paléontologique d’Ain Boucherit en Algérie. Au premier plan, la fouille du niveau archéologique supérieur daté d’environ 1,9 million d’années ; au deuxième plan, le niveau archéologique inférieur (flèche rouge a la base de l’arbre) daté d’environ 2,4 millions d’années
Commentaire