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Vénus rustique

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  • Vénus rustique



    Guy de Maupassant

    Les Dieux sont éternels. Il en naît parmi nous
    Autant qu’il en naissait dans l’antique Italie,
    Mais on ne reste plus des siècles à genoux,
    Et, sitôt qu’ils sont morts, le peuple les oublie.
    Il en naîtra toujours, et les derniers venus
    Régneront malgré tout sur la foule incrédule :
    Tous les héros sont faits de la race d’Hercule,
    La vieille terre enfante encore des Vénus.


    I

    Un jour de grand soleil, sur une grève immense,
    Un pêcheur qui suivait, la hotte sur le dos,
    Cette ligne d’écume où l’Océan commence,
    Entendit à ses pieds quelques frêles sanglots.
    Une petite enfant gisait, abandonnée,
    Toute nue, et jetée en proie au flot amer,
    Au flot qui monte et noie ; à moins qu’elle fût née
    De l’éternel baiser du sable et de la mer.


    Il essuya son corps et la mit dans sa hotte,
    Couchée en ses filets l’emporta triomphant,
    Et, comme au bercement d’une barque qui flotte,
    Le roulis de son dos fit s’endormir l’enfant.
    Bientôt il ne fut plus qu’un point insaisissable,
    Et le vaste horizon se referma sur lui,
    Tandis que se déroule au bord de l’eau qui luit
    Le chapelet sans fin de ses pas sur le sable.

    Tout le pays aima l’enfant trouvée ainsi ;
    Et personne n’avait de plus grave souci
    Que de baiser son corps mignon, rose de vie,
    Et son ventre à fossette, et ses petits bras nus.
    Elle tendait les mains, par les baisers ravie,
    Et sa joie éclatait en rires continus.

    Quand elle put enfin s’en aller par les rues.
    Posant l’un devant l’autre, avec de grands efforts,
    Ses pieds sur qui roulait et chancelait son corps,
    Les femmes l’acclamaient, pour la voir accourues.
    Plus tard, vêtue à peine avec de courts haillons,
    Montrant sa jambe fine en ses élans de chèvre,
    A travers l’herbe haute au niveau de sa lèvre
    Elle courut la plaine après les papillons,
    Et sa joue attirait tous les baisers des bouches,
    Comme une fleur séduit le peuple ailé des mouches.
    Quand ils la rencontraient dans les champs, les garçons
    L’embrassaient follement de la tête aux chevilles,
    Avec la même ardeur et les mêmes frissons
    Qu’en caressant le col charnu des grandes filles.
    Les vieillards la faisaient danser sur leurs genoux ;
    Ils enfermaient sa taille en leurs mains amaigries,
    Et pleins des souvenirs de l’ancien temps si doux,
    Effleuraient ses cheveux de leurs lèvres flétries.


    Bientôt, quand elle alla rôder par les chemins,
    Elle eut à ses côtés un troupeau de gamins
    Qui fuyaient le logis ou désertaient la classe.
    D’un signe elle domptait les petits et les grands,
    Et du matin au soir, sans être jamais lasse,
    Elle traîna partout ces amoureux errants.
    Leurs coeurs, pour la séduire, inventaient mainte fraude.
    Les uns, la nuit venue, allaient à la maraude,
    Sautant les murs, volant des fruits dans les jardins,
    Et ne redoutant rien, gardes, chiens ou gourdins ;
    D’autres, pour lui trouver de mignonnes fauvettes,
    Des merles au bec jaune, ou des chardonnerets,
    Grimpaient de branche en branche au sommet des forêts.

    Quelquefois on allait à la pêche aux crevettes.
    Elle, la jambe nue et poussant son filet,
    Cueillait la bête alerte avec un coup rapide ;
    Eux regardaient trembler, à travers l’eau limpide,
    Les contours incertains de son petit mollet.
    Puis, lorsqu’on retournait, le soir, vers le village,
    Ils s’arrêtaient parfois au milieu de la plage,
    Et se pressant contre elle, émus, tremblant beaucoup,
    La mangeaient de baisers en lui serrant le cou,
    Tandis que grave et fière, et sans trouble, et sans crainte,
    Muette, elle tendait la joue à leur étreinte.

    ...
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  • #2
    II

    Elle grandit, toujours plus belle, et sa beauté
    Avait l’odeur d’un fruit en sa maturité.
    Ses cheveux étaient blonds, presque roux. Sur sa face
    Le dur soleil des champs avait marqué sa trace :
    Des petits grains de feu, charmant et clairsemés.
    Le doux effort des seins en sa robe enfermés
    Gonflait l’étoffe, usant aux sommets son corsage.
    Tout vêtement semblait taillé pour son usage,
    Tant on la sentait souple et superbe dedans.
    Sa bouche était fendue et montrait bien ses dents,
    Et ses yeux bleus avaient une profondeur claire.
    Les hommes du pays seraient morts pour lui plaire ;
    En la voyant venir ils couraient au-devant.
    Elle riait, sentant l’ardeur de leurs prunelles,
    Puis passait son chemin, tranquille, et soulevant,
    Au vent de ses jupons, les passions charnelles.
    Sa grâce enguenillée avait l’air d’un défi,
    Et ses gestes étaient si simples et si justes,
    Que mettant sa noblesse en tout, quoi qu’elle fît,
    Ses besognes les plus humbles semblaient augustes.

    Et l’on disait au loin, qu’après avoir touché
    Sa main, on lui restait pour la vie attaché.
    Pendant les durs hivers, quand l’âpre froid pénètre
    Les murs de la chaumière et les gens dans leurs lits,
    Lorsque les chemins creux sont par la neige emplis,
    Des ombres s’approchaient, la nuit, de sa fenêtre,
    Et, tachant la pâleur morne de l’horizon,
    Rôdaient comme des loups autour de sa maison.


    Puis, dans les clairs étés, lorsque les moissons mûres
    Font venir les faucheurs aux bras noirs dans les blés,
    Lorsque les lins en fleur, au moindre vent troublés,
    Ondulent comme un flot, avec de longs murmures,
    Elle allait ramassant la gerbe qui tombait.
    Le soleil dans un ciel presque jaune flambait,
    Versant une chaleur meurtrière à la plaine ;
    Les travailleurs courbés se taisaient, hors d’haleine.
    Seules les larges faux, abattant les épis,
    Traînaient leur bruit rythmé par les champs assoupis ;
    Mais elle, en jupon rouge, et la poitrine à l’aise
    Dans sa chemise large et nouée à son col,
    Ne semblait point sentir ces ardeurs de fournaise
    Qui faisaient se faner les herbes sur le sol.
    Elle marchait alerte et portait à l’épaule
    La gerbe de froment ou la botte de foin.
    Les hommes se dressaient en la voyant de loin,
    Frissonnant comme on fait quand un désir vous frôle,
    Et semblaient aspirer avec des souffles forts
    La troublante senteur qui venait de son corps,
    Le grand parfum d’amour de cette fleur humaine !

    Puis, voilà qu’au déclin d’un long jour de moisson,
    Quand l’Astre rouge allait plonger à l’horizon,
    On vit soudain, dressés au sommet de la plaine
    Comme deux géants noirs, deux moissonneurs rivaux,
    Debout dans le soleil, se battre à coups de faux !


    Et l’ombre ensevelit la campagne apaisée.
    L’herbe rase sua des gouttes de rosée ;
    Le couchant s’éteignit, tandis qu’à l’orient
    Une étoile mettait au ciel un point brillant.
    Les derniers bruits, lointains et confus, se calmèrent :
    Le jappement d’un chien, le grelot des troupeaux ;
    La terre s’endormit sous un pesant repos,
    Et dans le ciel tout noir les astres s’allumèrent.

    Elle prit un chemin s’enfonçant dans un bois,
    Et se mit à danser en courant, affolée
    Par la puissante odeur des feuilles, et parfois
    Regardant, à travers les arbres de l’allée,
    Le clair miroitement du ciel poudré de feu.
    Sur sa tête planait comme un silence bleu,
    Quelque chose de doux, ainsi qu’une caresse
    De la nuit, la subtile et si molle langueur
    De l’ombre tiède qui fait défaillir le coeur,
    Et qui vous met à l’âme une vague détresse
    D’être seul. – Mais des pas voilés, des bonds craintifs,
    Ces bruits légers et sourds que font les marches douces
    Des bêtes de la nuit sur le tapis des mousses,
    Emplirent les taillis de frôlements furtifs.
    D’invisibles oiseaux heurtaient leur vol aux branches.
    Elle s’assit, sentant un engourdissement
    Qui, du bout de ses pieds, lui montait jusqu’aux hanches,
    Un besoin de jeter au loin son vêtement,
    De se coucher dans l’herbe odorante, et d’attendre
    Ce baiser inconnu qui flottait dans l’air tendre.
    Et parfois elle avait de rapides frissons,
    Une chaleur courant de la peau jusqu’aux moelles.



    Les points de feu des vers luisants dans les buissons
    Mettaient à ses côtés comme un troupeau d’étoiles.
    Mais un corps tout à coup s’abattit sur son corps ;
    Des lèvres qui brûlaient tombèrent sur sa bouche,
    Et dans l’épais gazon, moelleux comme une couche,
    Deux bras d’homme crispés lièrent ses efforts.
    Puis soudain un nouveau choc étendit cet homme
    Tout du long sur le sol, comme un boeuf qu’on assomme ;
    Un autre le tenait couché sous son genou
    Et le faisait râler en lui serrant le cou.
    Mais lui-même roula, la face martelée
    Par un poing furieux. – A travers les halliers
    On entendait venir des pas multipliés. –
    Alors ce fut, dans l’ombre, une opaque mêlée,
    Un tas d’hommes en rut luttant, comme des cerfs
    Lorsque la blonde biche a fait brâmer les mâles.
    C’étaient des hurlements de colère, des râles,
    Des poitrines craquant sous l’étreinte des nerfs,
    Des poings tombant avec des lourdeurs de massue,
    Tandis qu’assise au pied d’un vieux arbre écarté,
    Et suivant le combat d’un oeil plein de fierté,
    De la lutte féroce elle attendait l’issue.
    Or quand il n’en resta qu’un seul, le plus puissant,
    Il s’élança vers elle, ivre et couvert de sang ;
    Et sous l’arbre touffu qui leur servait d’alcôve
    Elle reçut sans peur ses caresses de fauve !

    ...
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    • #3
      III

      Quand le feu prend soudain dans un village, on voit
      L’incendie égrener, ainsi qu’une semence,
      Ses flammes à travers le pays ; chaque toit
      S’allume à son voisin comme une torche immense,
      Et l’horizon entier flamboie. Un feu d’amour
      Qui ravageait les coeurs, brûlait les corps, et, comme
      L’incendie, emportait sa flamme d’homme en homme,
      Eut bientôt embrasé le pays d’alentour.
      Par les chemins des bois, par les ravines creuses,
      Où la poussait, le soir, un instinct hasardeux,
      Son pied semblait tracer des routes amoureuses,
      Et ses amants luttaient sitôt qu’ils étaient deux.
      Elle s’abandonnait sans résistance, née
      Pour cette oeuvre charnelle, et le jour ou la nuit,
      Sans jamais un soupir de bonheur ou d’ennui,
      Acceptait leurs baisers comme une destinée.
      Quiconque avait suivi de la bouche ou des yeux
      Tous les sentiers perdus de son corps merveilleux,
      Cueillant ce fruit d’ivresse éternelle que sème
      La Beauté dans ces flancs de déesse qu’elle aime,
      Gardait au fond du coeur un long frémissement
      Et, grelottant d’amour comme on tremble de fièvre,
      Il la cherchait sans cesse avec acharnement,
      Laissant tomber des mots éperdus de sa lèvre.

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      • #4
        IV

        Les animaux aussi l’aimaient étrangement.
        Elle avait avec eux des caresses humaines,
        Et près d’elle ils prenaient des allures d’amant.
        Ils frottaient à son corps ou leurs poils ou leurs laines ;
        Les chiens la poursuivaient en léchant ses talons ;
        Elle faisait, de loin, hennir les étalons,
        Se cabrer les taureaux comme auprès des génisses,
        Et l’on voyait, trompé par ces ardeurs factices,
        Les coqs battre de l’aile et les boucs s’attaquer
        Front contre front, dressés sur leurs jambes de faunes.
        Les frelons bourdonnants et les abeilles jaunes
        Voyageaient sur sa peau sans jamais la piquer.
        Tous les oiseaux du bois chantaient à son passage,
        Ou parfois d’un coup d’aile errant la caressaient,
        Nourrissant leurs petits cachés en son corsage.
        Elle emplissait d’amour des troupeaux qui passaient,
        Et les graves béliers aux cornes recourbées,
        N’écoutant plus l’appel chevrotant du berger,
        Et les brebis, poussant un bêlement léger,
        Suivaient, d’un trot menu, ses grandes enjambées.

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        • #5
          V

          Certains soirs, échappant à tous, elle partait
          Pour aller se baigner dans l’eau fraîche. La lune
          Illuminait le sable et la mer qui montait.
          Elle hâtait le pas, et sur la blonde dune
          Aux lointains infinis et sans rien de vivant,
          Sa grande ombre rampait très vite en la suivant.
          En un tas sur la plage elle posait ses hardes,
          S’avançait toute nue et mouillait son pied blanc
          Dans le flot qui roulait des écumes blafardes,
          Puis, ouvrant les deux bras, s’y jetait d’un élan.
          Elle sortait du bain heureuse et ruisselante,
          Se couchait tout du long sur la dune, enfonçant
          Dans le sable son corps magnifique et puissant,
          Et, quand elle partait d’une marche plus lente,
          Son contour demeurait près du flot incrusté.
          On eût dit à le voir qu’une haute statue
          De bronze avait été sur la grève abattue,
          Et le ciel contemplait ce moule de Beauté
          Avec ses milliers d’yeux. – Puis la vague furtive
          L’atteignant refaisait toute plate la rive !

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          • #6
            VI

            C’était l’Etre absolu, créé selon les lois
            Primitives, le type éternel de la race
            Qui dans le cours des temps reparaît quelquefois,
            Dont la splendeur est reine ici-bas, et terrasse
            Tous les vouloirs humains, et dont l’Art saint est né.
            Ainsi que l’Homme aima Cléopâtre et Phryné
            On l’aimait ; et son coeur répandait, comme une onde,
            Sa tendresse abondante et sereine sur tous.
            Elle ne détestait qu’un être par le monde :
            C’était un vieux berger perfide à qui les loups
            Obéissaient.
            Jadis une Bohémienne
            Le jeta tout petit dans le fond d’un fossé.
            Un pâtre du pays qui l’avait ramassé
            L’éleva, puis mourut, lui laissant une haine
            Pour quiconque était riche ou paraissait heureux,
            Et, disait-on, beaucoup de secrets ténébreux.

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            • #7
              L’enfant grandit tout seul sans famille et sans joies,
              Menant paître au hasard des chèvres ou des oies,
              Et tout le jour debout sur le flanc du coteau,
              Sous la pluie et le vent et l’injure des bouches.
              Alors qu’il s’endormait roulé dans son manteau,
              Il songeait à ceux-là qui dorment dans leurs couches ;
              Puis, quand le clair soleil baignait les horizons,
              Il mangeait son pain noir en guettant par la plaine
              Ce filet de fumée au-dessus des maisons
              Qui dit la soupe au feu dans la ferme lointaine.

              Il vieillit. – Un effroi grandit à ses côtés.
              On en parlait, le soir, dans les longues veillées,
              Et d’étranges récits à son nom chuchotés
              Tenaient jusqu’au matin les femmes réveillées.
              A son gré, disait-on, il guidait les destins,
              Sur les toits ennemis faisait choir des désastres,
              Et, déchiffrant ces mots de feu qui sont les astres,
              Épelait l’avenir au fond des cieux lointains.
              Tout le jour il roulait sa hutte vagabonde,
              Ne se mêlant jamais aux hommes et souvent,
              Quand il jetait des cris inconnus dans le vent,
              Des voix lui répondaient qui n’étaient point du monde.
              On lui croyait encore un pouvoir dans les yeux,
              Car il savait dompter les taureaux furieux.

              ...
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