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Abdesselam Ali Rachedi. Ancien ministre : «Le pouvoir est acculé et n’a pas de solution»

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    Abdesselam Ali Rachedi. Ancien ministre : «Le pouvoir est acculé et n’a pas de solution»

    El Watan - MADJID MAKEDHI 19 DÉCEMBRE 2018

    Abdesselam Ali Rachedi livre, ici, son analyse de la situation politique du pays, caractérisée par une multiplication des scénarios en prévision de la prochaine présidentielle .«Tous ces scénarios se fondent sur des rumeurs savamment distillées, tournant autour de l’aspect formel des choses et font l’impasse totale sur le changement», explique-t-il . Selon lui, les trois pôles du pouvoir algérien, en l’occurrence la Présidence, l’état-major et les Services, espèrent conserver leur influence . Actuellement, dit-il, le pôle le plus actif dans ce rôle semble être la Présidence en prônant un 5e mandat ou le report de l’élection.

    A moins d’un mois de la convocation du corps électoral en prévision de l’élection présidentielle, la situation politique est confuse. Plusieurs scénarios sont avancés, dont notamment l’idée du report du scrutin. A quoi rime tout cela, selon vous ?

    Plusieurs scénarios sont en effet avancés par des porte-parole officieux du pouvoir.

    Mais ils ont tous pour finalité la reconduction du statu quo. Tous ces scénarios se fondent sur des rumeurs savamment distillées, tournant autour de l’aspect formel des choses et font l’impasse totale sur le changement. En fait, dans les circonstances actuelles, l’élection présidentielle n’a d’intérêt que pour ceux qui s’inscrivent dans la logique du système et qui se soucient surtout de continuer à bénéficier de la rente.

    Dans ces conditions, le report du scrutin, voire son annulation ne change rien à la question. Le pouvoir se donne l’apparence d’un Etat de droit, régi par une Constitution et des institutions, mais on sait bien que tout cela est factice et sert surtout à la consommation extérieure. Pour sortir de ce système, il faut comprendre comment il fonctionne et pourquoi il faut un changement de paradigme, pas seulement de Président ou de dispositions constitutionnelles.

    Le régime algérien est un régime national-populiste, héritier du populisme du Mouvement national. L’idéologie populiste ne reconnaît que le peuple, vu comme une masse unique, et pas l’individu citoyen. Au-dessus, on trouve un zaïm charismatique avec un lien direct quasi mystique ou quasi magique avec le peuple (d’où les «fakhamatouhou» à profusion). Dans cette idéologie, nul besoin d’institutions ou de corps intermédiaires, tels les partis ou les associations. Entre le peuple et le zaïm existe un contrat implicite au terme duquel le peuple renonce à ses droits politiques en contrepartie de droits sociaux généreusement accordés par le zaïm.

    Tous les régimes populistes sont autoritaires par nature et le régime algérien ne fait pas exception. L’autoritarisme algérien n’est que la conséquence de sa nature populiste. Bouteflika étant le dernier des dirigeants issus du Mouvement national, personne ne pourra plus jouer ce rôle de zaïm après lui. C’est pourquoi il faut un changement de paradigme : abandonner la légitimité du national-populisme au profit de la légitimité démocratique.

    Qui est derrière la multiplication de ces scénarios et pour quels objectifs ?

    Le pouvoir algérien est partagé entre trois pôles : la Présidence, l’état-major et les Services. Chacun de ces pôles espère au moins conserver son influence, sinon l’augmenter. A priori, chacun de ces pôles peut imaginer des scénarios dans cet objectif. Actuellement, le pôle le plus actif dans ce rôle semble être la Présidence en prônant un 5e mandat ou le report de l’élection. D’autres cercles font la promotion d’Ahmed Ouyahia pour succéder à Bouteflika. L’état-major a aussi son agenda, comme en témoigne la médiatisation quasi-quotidienne d’Ahmed Gaïd Salah dans les médias lourds, sans parler de ceux qui pressent ouvertement Ahmed Gaïd Salah de déposer Bouteflika. Il est clair que la multiplication des scénarios traduit l’absence de consensus au sein du pouvoir.

    Les partis proches du pouvoir parlent de la «continuité». Cela veut-il dire que le scrutin n’aura pas lieu en 2019 ?

    Encore une fois, ce ne sont que des questions formelles qui n’ont d’intérêt que pour ceux qui s’inscrivent dans la logique du pouvoir. Est-il besoin de rappeler que Bouteflika a été intronisé par l’armée et que tous les scrutins n’ont servi qu’à lui conférer une fausse légitimité démocratique. De fait, aucun des fondamentaux d’un scrutin libre et démocratique n’a jamais été réuni. Ils parlent de continuité, d’autres de consensus, toutes ces choses n’ayant rien à voir avec la démocratie qui implique l’alternance au pouvoir et exige des scrutins libres et disputés dont les résultats ne peuvent être connus d’avance. Ce qu’ils veulent dire, c’est la continuité du consensus populiste. Or, il s’agit justement d’en sortir

    Contrairement aux précédents scrutins, le pouvoir maintient le suspense cette fois-ci. Qu’est-ce qui justifie cette hésitation ? L’option du 5e mandat sera-t-elle abandonnée ?

    Le pouvoir ne maintient pas le suspense : il est acculé et n’a pas de solution. Personne pour jouer le rôle de zaïm d’un régime national-populiste. On imagine alors tous les replâtrages possibles et imaginables : 5e mandat, report de l’élection, dissolution de l’APN, remake du Haut Comité d’Etat… Les partisans du statu quo ont une imagination très fertile.

    Certains avancent même le nom du Premier ministre, Ahmed Ouyahia, comme étant le successeur du président Bouteflika. Cette piste est-elle sérieuse ?

    Oui. Il est de notoriété publique qu’Ahmed Ouyahia, épaulé par ses sponsors de l’ombre, aspire à succéder à Bouteflika à la magistrature suprême. Dans l’esprit des décideurs, cette piste est sérieuse. Mais ces décideurs de l’ombre ne voient même pas l’énorme erreur de casting. Ouyahia, né dix ans avant l’indépendance, ne peut se prévaloir d’aucune légitimité nationaliste et donc ne peut recourir aux recettes du national-populisme pour asseoir sa légitimité.

    Par ailleurs, au titre de la légitimité démocratique, il ne dispose d’aucune crédibilité, ayant été depuis 30 ans un soutien zélé de l’autoritarisme. C’est le cas d’ailleurs de tous les anciens cadres s’étant découvert sur le tard une vocation d’opposants.

    Dans tout ce débat, les partis d’opposition sont pratiquement absents. Pourquoi ?

    Quelle opposition ? Dans un pays normal, ceux qui auront gagné les élections constituent la majorité, les perdants se retrouvent dans l’opposition. Tel n’est pas le cas chez nous. Pis encore, les pratiques au sein des partis, y compris ceux de la mouvance démocratique, n’ont rien à envier à celles du pouvoir. Le populisme autoritaire règne au sein des partis comme au sein du pouvoir. En guise de multipartisme, on a fabriqué une multitude de partis «uniques». Fondamentalement, dans un régime populiste, il n’y a nul besoin de partis politiques. Un parti unique suffit comme instrument de mobilisation des masses. Pour répondre à votre question, on peut dire que les partis sont absents parce qu’ils n’ont aucun rôle à jouer dans un système populiste, sauf à en devenir des auxiliaires et des soutiens.

    Sur le plan économique, la situation ne connaît pas d’amélioration. La planche à billets n’a fait finalement qu’aggraver la crise…

    Imaginez un instant un salarié qui consomme totalement son revenu et dépense beaucoup plus qu’il ne gagne. Il est donc obligé de s’endetter. Au bout d’un moment, plus personne ne veut lui prêter d’argent, car il ne rembourse pas. Alors, il rembourse avec des chèques sans provision !

    C’est ça, le financement non conventionnel. C’est de la fausse monnaie. Depuis 2013, et alors que le baril dépassait les 100 dollars, je n’ai cessé d’attirer l’attention sur les risques d’une impasse budgétaire. Contrairement à ce qui se dit, le problème n’est pas financier prétendument à cause de la chute du prix du baril. C’est un problème éminemment politique.

    Comme expliqué plus haut, il résulte du fait que le régime est tenu d’acheter la paix sociale, faute d’une légitimité démocratique incontestable. Il ne peut donc diminuer ses dépenses pour équilibrer le budget. Au lieu de jeter les bases d’une économie créatrice de richesses, le pouvoir ne fait que redistribuer la rente pétrolière, en entretenant au passage, sous couvert de transferts sociaux, les réseaux de prédation et de corruption.

    Quelle est la solution envisageable pour sortir de ce tunnel ?

    Il faut un changement de paradigme : sortir d’un populisme autoritaire irrationnel pour entrer dans la légitimité démocratique rationnelle. Le changement implique en particulier l’ouverture du champ politique par le rétablissement du droit de manifester sur simple déclaration, la liberté de créer des partis et syndicats sans autorisation de l’administration, le respect plein et entier des droits de la personne humaine, l’égalité en droit des femmes dans tous les domaines, la liberté de conscience et d’expression.

    Une mesure impérative est la séparation du politique et du religieux, avec comme corollaire l’interdiction des partis religieux dont les fondements sont populistes et incompatibles avec la démocratie. Bien entendu, cette liste n’est pas limitative.
    Othmane BENZAGHOU
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