Ali Benflis. Président de Talaie El Hourriyet
«Il faut résoudre la crise politique»
El Watan - SAID RABIA 26 DÉCEMBRE 2018
Report de l’élection, continuité, consultations entre partis politiques… Dans cet entretien, le président de Talaie El Hourriyet s’exprime sur les événements marquants de l’actualité nationale. L’ancien candidat à la présidentielle de 2014 ne veut pas prendre position quant au report de l’échéance électorale d’avril prochain, tant que la proposition n’est pas exprimée officiellement. Mais d’ores et déjà, il affirme n’avoir fait part «à personne» d’une prétendue approbation pour le report. Pour lui, «la Loi fondamentale ne peut être transgressée au gré des conjonctures politiques». Ali Benflis n’y voit aujourd’hui aucune raison pertinente. «Qu’on n’attende pas de nous que nous apportions notre caution à toute violation de la Constitution qui ouvrirait la voie à de nouvelles perturbations politiques qui viendraient éloigner davantage les chances d’une solution consensuelle à la crise dont souffre notre pays.» Pour sa participation à l’élection présidentielle, il souligne qu’il prendrait «ses responsabilités au moment voulu».
– On est à quatre mois de l’élection présidentielle et les derniers développements sur la scène politique jettent le doute sur la tenue de ce rendez-vous politique décisif pour le pays. Quelle est l’analyse que vous faites de cette situation et des évolutions qu’elle peut connaître dans un avenir proche ?
L’approche de l’élection présidentielle a exacerbé la lutte entre cercles du pouvoir, créant une confusion qui rend encore plus illisibles les grilles de lecture de la scène politique nationale.
Dans cette confusion où chaque groupe d’intérêt avance ses pions pour pouvoir influer, d’une façon ou d’une autre, sur l’échéance électorale, avec toutefois la même finalité, à savoir le souci de sauver le régime politique actuel, des scénarios sèment le doute sur la tenue de l’élection présidentielle à l’échéance fixée par la Constitution. Pour le moment, les véritables commanditaires de ces idées avancent masqués et leurs objectifs sont inavoués, et en l’absence d’annonce officielle, il est difficile de prévoir avec précision l’évolution de la situation dans un avenir proche. Ce que je peux dire, c’est que cela n’augure rien de bon pour le pays.
– L’idée du report de l’élection présidentielle est promue par un parti dit de l’opposition, celle de la «continuité» par les partis de «l’alliance présidentielle». Avez-vous eu à discuter de ces questions avec des responsables de parti qui ont déclaré que vous leur avez donné votre approbation ?
Je n’ai donné à personne une prétendue approbation pour le report de l’élection présidentielle. Et à ce que je sache, il n’y a eu aucune annonce officielle du report de ces élections. Cela étant, Talaie El Hourriyet demeure attaché au respect de la Constitution et des lois de la République. La Loi fondamentale ne peut être transgressée au gré des conjonctures politiques. Elle est le socle sur lequel doit reposer la stabilité du pays.
– Le président de Taj, Amar Ghoul, dit que vous n’êtes pas contre la tenue d’une conférence nationale…
Je ne voudrais polémiquer avec personne. Je tiens cependant à affirmer que l’initiative de TAJ ne m’a jamais été soumise. J’en ai pris connaissance par la presse. Comment voulez-vous que je sois pour ou contre une initiative dont j’ignore totalement les tenants et aboutissants ? J’ai, par contre, reçu une invitation pour prendre part à la cérémonie de clôture du congrès de ce parti. Je me suis excusé. Talaie El Hourriyet n’y était pas représenté.
– Etes-vous d’accord avec l’idée du report de l’élection présidentielle ou sa tenue dans les délais ?
De prime abord, je ne vois aucune raison pertinente, ni aucune justification, ni aucun fondement constitutionnel ou légal pour le report de la prochaine élection présidentielle. Je me prononcerai sur cette question lorsqu’il y aura une proposition ou une décision officielle à ce sujet. Et qu’on n’attende pas de nous que nous apportions notre caution à toute violation de la Constitution qui ouvrirait la voie à de nouvelles perturbations politiques qui viendraient éloigner davantage les chances d’une solution consensuelle à la crise dont souffre notre pays.
– Allez-vous vous porter candidat à la prochaine élection présidentielle, si elle se tient dans les délais ?
Ce n’est pas une décision que je pourrai prendre à la légère dans un contexte politique enveloppé par une opacité épaisse et chargé d’incertitudes.
Il est sûr, néanmoins, que je prendrai mes responsabilités le moment venu, lorsque les choses seront plus claires, en accord avec les structures compétentes du parti.
– Devant toutes les hypothèses et les différents scénarios possibles, quelle serait la proposition de votre parti, Talaie El Hourriyet, pour une sortie de crise ?
Talaie El Hourriyet a une proposition de sortie de crise avalisée par le congrès constitutif du parti, déjà en juin 2015, et que j’ai exposée à plusieurs occasions. Je suis un homme de dialogue. Je l’ai toujours été et je le serai toujours. Ces dernières années, la crise que traverse notre pays s’aggravant, je n’ai eu de cesse d’appeler au dialogue. Un dialogue national pour un nouveau projet unificateur et rassembleur !
Pas un dialogue pour la forme qui consacrerait le statu quo et qui servirait de faire-valoir au régime politique actuel. Un dialogue dont les modalités, l’ordre du jour, le format, le calendrier et la liste des participants sont définis par voie consensuelle et dont la finalité est l’instauration progressive d’un Etat de droit qui seul peut assurer la pleine citoyenneté, la légitimité et le fonctionnement harmonieux des institutions de la République.
Notre proposition de sortie de crise s’articule autour de 5 axes :
1)- le retour à la souveraineté du peuple à travers des élections libres, organisées par une instance réellement indépendante et souveraine ;
2)- la formation d’un gouvernement d’union nationale constitué des principales forces politiques qui auront émergé de ces élections ;
3)- l’élaboration d’un «pacte de la transition» ;
4)- l’élaboration d’une nouvelle Constitution de la République qui sera soumise au suffrage populaire ;
5)- l’accompagnement et la garantie de la transition démocratique par l’Armée nationale populaire.
Dans ce contexte de crise, l’organisation de l’élection présidentielle libre, transparente et régulière à l’échéance électorale prévue par la Constitution, en donnant la parole au peuple pour qu’il s’exprime souverainement, est de nature à sortir notre pays de l’impasse actuelle.
– Les prix du pétrole dégringolent, le ministre de l’Energie annonce que dans deux ou trois ans l’Algérie n’exportera plus de gaz, la moitié de ses recettes se volatiliseront, sans parler de la planche à billets qui finira par produire de l’inflation, ainsi que l’amenuisement des réserves de change. C’est un tableau sombre qu’on présente de l’Algérie dans les toutes prochaines années. Etes-vous de ceux qui pensent qu’il y a toujours une possibilité de redresser la situation ou de ceux qui s’inquiètent d’un total effondrement ?
Autant je partage les inquiétudes de ceux qui craignent l’effondrement, autant je suis convaincu qu’il y a des possibilités de redressement de la situation.
Le statu quo mènera inéluctablement à l’effondrement. C’est l’avis quasi unanime des experts. Toutes les prévisions sérieuses vont dans ce sens. Les indicateurs économiques sont au rouge.
Le redressement est possible mais il est lié au changement. Le pouvoir politique en place n’a ni la crédibilité ni la volonté politique pour mener les réformes nécessaires afin d’engager la transition d’une économie de rente à une économie de production de richesses.
Notre pays a encore des ressorts pour rebondir ; il a d’importantes ressources humaines à valoriser, d’importants réservoirs de productivité à libérer, de ressources naturelles à exploiter. Mais il faut d’abord résoudre la crise politique globale. Il faut que le pouvoir en place abandonne ses prétentions à la pérennité et place les intérêts de la nation au-dessus de toute autre considération. Il faut que soit rétablie la légitimité populaire et que le pays s’engage sur la voie de la démocratie et de l’instauration de l’Etat de droit.
Sinon, le pouvoir politique actuel continuera à scruter les fluctuations des cours du brut sur les marchés internationaux, à tirer sur la corde de la planche à billets jusqu’à l’extrême limite avant de recourir, pieds et mains liés, à un endettement massif à des conditions draconiennes.
«Il faut résoudre la crise politique»
El Watan - SAID RABIA 26 DÉCEMBRE 2018
Report de l’élection, continuité, consultations entre partis politiques… Dans cet entretien, le président de Talaie El Hourriyet s’exprime sur les événements marquants de l’actualité nationale. L’ancien candidat à la présidentielle de 2014 ne veut pas prendre position quant au report de l’échéance électorale d’avril prochain, tant que la proposition n’est pas exprimée officiellement. Mais d’ores et déjà, il affirme n’avoir fait part «à personne» d’une prétendue approbation pour le report. Pour lui, «la Loi fondamentale ne peut être transgressée au gré des conjonctures politiques». Ali Benflis n’y voit aujourd’hui aucune raison pertinente. «Qu’on n’attende pas de nous que nous apportions notre caution à toute violation de la Constitution qui ouvrirait la voie à de nouvelles perturbations politiques qui viendraient éloigner davantage les chances d’une solution consensuelle à la crise dont souffre notre pays.» Pour sa participation à l’élection présidentielle, il souligne qu’il prendrait «ses responsabilités au moment voulu».
– On est à quatre mois de l’élection présidentielle et les derniers développements sur la scène politique jettent le doute sur la tenue de ce rendez-vous politique décisif pour le pays. Quelle est l’analyse que vous faites de cette situation et des évolutions qu’elle peut connaître dans un avenir proche ?
L’approche de l’élection présidentielle a exacerbé la lutte entre cercles du pouvoir, créant une confusion qui rend encore plus illisibles les grilles de lecture de la scène politique nationale.
Dans cette confusion où chaque groupe d’intérêt avance ses pions pour pouvoir influer, d’une façon ou d’une autre, sur l’échéance électorale, avec toutefois la même finalité, à savoir le souci de sauver le régime politique actuel, des scénarios sèment le doute sur la tenue de l’élection présidentielle à l’échéance fixée par la Constitution. Pour le moment, les véritables commanditaires de ces idées avancent masqués et leurs objectifs sont inavoués, et en l’absence d’annonce officielle, il est difficile de prévoir avec précision l’évolution de la situation dans un avenir proche. Ce que je peux dire, c’est que cela n’augure rien de bon pour le pays.
– L’idée du report de l’élection présidentielle est promue par un parti dit de l’opposition, celle de la «continuité» par les partis de «l’alliance présidentielle». Avez-vous eu à discuter de ces questions avec des responsables de parti qui ont déclaré que vous leur avez donné votre approbation ?
Je n’ai donné à personne une prétendue approbation pour le report de l’élection présidentielle. Et à ce que je sache, il n’y a eu aucune annonce officielle du report de ces élections. Cela étant, Talaie El Hourriyet demeure attaché au respect de la Constitution et des lois de la République. La Loi fondamentale ne peut être transgressée au gré des conjonctures politiques. Elle est le socle sur lequel doit reposer la stabilité du pays.
– Le président de Taj, Amar Ghoul, dit que vous n’êtes pas contre la tenue d’une conférence nationale…
Je ne voudrais polémiquer avec personne. Je tiens cependant à affirmer que l’initiative de TAJ ne m’a jamais été soumise. J’en ai pris connaissance par la presse. Comment voulez-vous que je sois pour ou contre une initiative dont j’ignore totalement les tenants et aboutissants ? J’ai, par contre, reçu une invitation pour prendre part à la cérémonie de clôture du congrès de ce parti. Je me suis excusé. Talaie El Hourriyet n’y était pas représenté.
– Etes-vous d’accord avec l’idée du report de l’élection présidentielle ou sa tenue dans les délais ?
De prime abord, je ne vois aucune raison pertinente, ni aucune justification, ni aucun fondement constitutionnel ou légal pour le report de la prochaine élection présidentielle. Je me prononcerai sur cette question lorsqu’il y aura une proposition ou une décision officielle à ce sujet. Et qu’on n’attende pas de nous que nous apportions notre caution à toute violation de la Constitution qui ouvrirait la voie à de nouvelles perturbations politiques qui viendraient éloigner davantage les chances d’une solution consensuelle à la crise dont souffre notre pays.
– Allez-vous vous porter candidat à la prochaine élection présidentielle, si elle se tient dans les délais ?
Ce n’est pas une décision que je pourrai prendre à la légère dans un contexte politique enveloppé par une opacité épaisse et chargé d’incertitudes.
Il est sûr, néanmoins, que je prendrai mes responsabilités le moment venu, lorsque les choses seront plus claires, en accord avec les structures compétentes du parti.
– Devant toutes les hypothèses et les différents scénarios possibles, quelle serait la proposition de votre parti, Talaie El Hourriyet, pour une sortie de crise ?
Talaie El Hourriyet a une proposition de sortie de crise avalisée par le congrès constitutif du parti, déjà en juin 2015, et que j’ai exposée à plusieurs occasions. Je suis un homme de dialogue. Je l’ai toujours été et je le serai toujours. Ces dernières années, la crise que traverse notre pays s’aggravant, je n’ai eu de cesse d’appeler au dialogue. Un dialogue national pour un nouveau projet unificateur et rassembleur !
Pas un dialogue pour la forme qui consacrerait le statu quo et qui servirait de faire-valoir au régime politique actuel. Un dialogue dont les modalités, l’ordre du jour, le format, le calendrier et la liste des participants sont définis par voie consensuelle et dont la finalité est l’instauration progressive d’un Etat de droit qui seul peut assurer la pleine citoyenneté, la légitimité et le fonctionnement harmonieux des institutions de la République.
Notre proposition de sortie de crise s’articule autour de 5 axes :
1)- le retour à la souveraineté du peuple à travers des élections libres, organisées par une instance réellement indépendante et souveraine ;
2)- la formation d’un gouvernement d’union nationale constitué des principales forces politiques qui auront émergé de ces élections ;
3)- l’élaboration d’un «pacte de la transition» ;
4)- l’élaboration d’une nouvelle Constitution de la République qui sera soumise au suffrage populaire ;
5)- l’accompagnement et la garantie de la transition démocratique par l’Armée nationale populaire.
Dans ce contexte de crise, l’organisation de l’élection présidentielle libre, transparente et régulière à l’échéance électorale prévue par la Constitution, en donnant la parole au peuple pour qu’il s’exprime souverainement, est de nature à sortir notre pays de l’impasse actuelle.
– Les prix du pétrole dégringolent, le ministre de l’Energie annonce que dans deux ou trois ans l’Algérie n’exportera plus de gaz, la moitié de ses recettes se volatiliseront, sans parler de la planche à billets qui finira par produire de l’inflation, ainsi que l’amenuisement des réserves de change. C’est un tableau sombre qu’on présente de l’Algérie dans les toutes prochaines années. Etes-vous de ceux qui pensent qu’il y a toujours une possibilité de redresser la situation ou de ceux qui s’inquiètent d’un total effondrement ?
Autant je partage les inquiétudes de ceux qui craignent l’effondrement, autant je suis convaincu qu’il y a des possibilités de redressement de la situation.
Le statu quo mènera inéluctablement à l’effondrement. C’est l’avis quasi unanime des experts. Toutes les prévisions sérieuses vont dans ce sens. Les indicateurs économiques sont au rouge.
Le redressement est possible mais il est lié au changement. Le pouvoir politique en place n’a ni la crédibilité ni la volonté politique pour mener les réformes nécessaires afin d’engager la transition d’une économie de rente à une économie de production de richesses.
Notre pays a encore des ressorts pour rebondir ; il a d’importantes ressources humaines à valoriser, d’importants réservoirs de productivité à libérer, de ressources naturelles à exploiter. Mais il faut d’abord résoudre la crise politique globale. Il faut que le pouvoir en place abandonne ses prétentions à la pérennité et place les intérêts de la nation au-dessus de toute autre considération. Il faut que soit rétablie la légitimité populaire et que le pays s’engage sur la voie de la démocratie et de l’instauration de l’Etat de droit.
Sinon, le pouvoir politique actuel continuera à scruter les fluctuations des cours du brut sur les marchés internationaux, à tirer sur la corde de la planche à billets jusqu’à l’extrême limite avant de recourir, pieds et mains liés, à un endettement massif à des conditions draconiennes.
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