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Une psychanalyse est une opération vérité. En principe, ou dans son intention.

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  • Une psychanalyse est une opération vérité. En principe, ou dans son intention.

    Une psychanalyse est une opération vérité. En principe, ou dans son intention.
    par Marc-Alain Descamps

    Tout commence avec le pacte initial, dès le premier entretien. Freud lui-même le formule ainsi « franchise totale » contre « stricte discrétion » (Abrégé de psychanalyse p. 40), la vérité contre le secret. Le premier niveau de l’analyse est de tout dire et cela commence par ne rien cacher à son analyste. Pourtant que de fois avons-nous rencontré des personnes qui après dix ou quinze ans d’analyse avaient gardé des secrets, des zones d’ombre, des thèmes inabordés, un point aveugle (punctum remotum). Curieusement il ne s’agissait pas tellement de la sexualité, du plaisir ou des fantasmes intimes. Le plus souvent il avait été question de spiritualité au sens le plus large, ou même du divin ou de la religion : « Je ne pouvais pas lui en parler. Cela ne l’intéressait pas. Je l’ai dit, mais il ne m’a pas entendu, je n’y suis pas revenu. Soudain il ne comprenait plus. Cela avait l’air de l’agacer … ».

    Puis on commence à entrer dans l’association libre en situation allongée sur le divan. Et là, la seule règle initiale est très simple « penser tout haut ». Plus facile à formuler qu’à réaliser. Car cela suppose, cesser de discuter, de plaider, de vouloir avoir raison, de chercher à paraître à son avantage : poli, disert, beau causeur, brillant, intelligent, cultivé … La vérité n’est plus seulement dans le domaine conscient, mais elle cherche à entrer dans l’inconscient. La vérité c’est dire tout ce que l’on a soigneusement refoulé pendant toute une vie, ou être ce que l’on s’est toujours refusé à être.


    .../...
    Après être sorti de la mauvaise foi première et avoir vaincu les oublis, les dénégations et les refoulements, on découvre que la vérité ce n’est pas seulement la franchise, mais aussi la sincérité et la loyauté. Freud reconnaît que : « être tout à fait honnête avec soi-même, c’est le plus bel effort qu’un homme puisse faire ». A la franchise avec le psychanalyste succède le fait d’être au clair avec soi-même.

    Lacan en demande plus, tout en étant résigné par avance : « je vous laisse la parole, tâchez de dire la vérité. C’est sans espoir, on n’arrive jamais à dire la vérité. Mais si vous faites un effort, ce ne sera pas plus mal » (Allouch, p.92). On semble déjà loin du désarroi de Ponce Pilate « mais qu’est-ce que la vérité ? ». La vérité se fonde de ce qu’elle parle et qu’elle n’a pas d’autre moyen pour ce faire. La cure est ainsi structurée pour permettre à l’inconscient de dire le vrai sur le vrai. « Ce manque du vrai sur le vrai, qui nécessite toutes les chutes que constitue le métalangage en ce qu’il y a de faux-semblant » (Ecrits p.868). C’est à partir des exceptions que s’articule la vérité. Lacan l’affirme mais sur le mode interrogatif : « est-ce là le procédé de l’analyse : un progrès de la vérité ? » (p.616). Non seulement il l’affirme, mais il nous en dévoile le mécanisme secret : « l’analyse est cette relation dialectique où le non-agir de l’analyste guide le discours du sujet vers la réalisation de
    sa vérité » (p.308). On ne peut pas être plus franc dans l’aveu et plus clair dans le procédé. Il n’est qu’à se référer au séminaire de Lacan sur la conduite de la cure. C’est sans aucune directivité, par l’écoute et le silence, que l’analyste facilite la découverte par le patient de sa propre vérité intérieure longtemps refusée, déniée puis oubliée. C’est à partir des exceptions que s’articule la vérité, ajoute Lacan. « Faut-il admettre qu’il nous faille renoncer dans la psychanalyse à ce qu’à chaque vérité réponde son savoir ? » (Ecrits p. 868)

    .../...


    LA PSYCHOLOGIE DES MYSTIQUES



    A. Le rêve éveillé expliqué par les mystiques



    Rien ne fait mieux comprendre ce qu’est la psychanalyse que l’expérience des mystiques. Robert Desoille a été très tôt passionné par les mystiques. Les rêves éveillés que l’on faisait en sa présence ne correspondaient pas du tout à ce que décrivaient les freudiens. Rien de ce qui était écrit ne pouvait l’aider dans ce qu’il explorait. Pour trouver une aide et une équivalence, il a été obligé de s’adresser aux mystiques, dont il a lu et relu les œuvres. Aussi son curieux livre de 1938 est composé de deux parties : d’abord il décrit toutes ces facettes singulières des rêves éveillés, puis il étudie les grands mystiques avec lesquels il établit des correspondances. « Devons-nous pour autant renoncer à scruter les sentiments des mystiques ? Nullement. Nous aurons d’abord la ressource d’essayer de vivre, sinon « l’expérience privilégiée » qui a été la leur, tout au moins une expérience voisine ; la méthode décrite ici est, sinon la seule, du moins celle qui paraît la plus rationnelle pour faire cette expérience » (p. 246). Donc Desoille, faute de pouvoir revivre l’expérience mystique, reconnaît que la méthode du rêve éveillé est faite pour en donner une expérience proche. Bien entendu, rien n’est vécu dans une ambiance religieuse, mais l’équivalant est possible dans un ordre transcendant : « le sentiment éprouvé est, non pas d’un contact direct avec Dieu (aucun de nos sujets entraînés ne nous a dit cela), mais d’une prise de conscience d’un ordre transcendant échappant à toute analyse » (p.255). Cela peut être la découverte de l’amour, un sentiment de présence, de sécurité, d’infini, de paix profonde et pas seulement la vision de la lumière blanche.

    Cela correspond à ce que nous avons nommé « l’expérience mutative » qui peut se dérouler pendant quelques instants, pendant toute une séance ou toute une série de séances. Généralement ceci se situe à la fin d’une cure et contraste avec le faux mysticisme, purement intellectuel, présenté dès le début de la cure.

    « Le mysticisme débouche en effet sur une fusion avec l’univers qui ôte toute angoisse spatiale, sur un éclatement de l’instant qui enlève toute angoisse temporelle, sur une paix avec soi et avec les autres qui constitue à mes yeux le seul fondement possible de la morale, sur une vision élargie de l’humanité qui dépasse la peur de la mort », (J-C. Bologne p. 44)



    B. Brève histoire des mystiques



    Les mystiques sont les éclaireurs des religions. Ils prétendent réaliser pleinement ce dont ne font que parler les religieux. Pour rester libres, ils se situent dans les marges des religions et sont donc très souvent persécutés par ces mêmes religions. Nous ne parlons ici que des mystiques célèbres qui ont écrit des livres, les autres, bien plus nombreux, nous restent inconnus.

    Selon Schopenhauer le mysticisme « tend à donner le sentiment direct de ce que la perception, le concept et toute connaissance en général sont impuissants à atteindre ». Le problème est de savoir s’il s’agit de s’unir à un Etre personnel (ou même tri-personnel) ou de retourner dans la conscience cosmique. Donc plutôt que de parler de présence divine, on préfère dire « entrer en contact avec l’Absolu, quelque nom qu’on lui donne ». Comment le fini peut-il se joindre à l’infini ?

    Le mysticisme semble avoir débuté chez les Grecs, hors de toute religion, dans la philosophie. Après Platon, Plotin (205-270) décrit ses trois extases et forme ses disciples Porphyre, Proclus, Jamblique. Philon d’Alexandrie dit se tenir debout face à Dieu, regardant et regardé (horosa te kaï horoménè). Et Denys l’Aéropagite fera le lien avec les chrétiens et Nicolas de Cues.

    Les premiers chrétiens vont dans le désert pour être plus près de Dieu : Antoine, Jean Chrysostome, Jérôme, Grégoire le Sinaïte, Jean Damascène et toutes les nones … Chez Augustin (354-430) l’évêque polémiste n’a pas tué le mystique. Benoît (480-547) fonde le premier ordre monastique des Bénédictins.



    D. Les phénomènes physiques des mystiques



    On peut dire que les visions des mystiques sont des hallucinations et les dialogues amoureux des délires. Le malheur est que tout ceci s’accompagne de phénomènes physiques qu’il n’est pas possible d’expliquer scientifiquement. Le plus simple est donc de nier tous ces phénomènes physiques en bloc à travers les millénaires et les religions sur tous les continents. Comme l’écrit Olivier Leroy « Mais la crédulité des sceptiques, des négateurs n’a pas de limites. A leurs yeux une foule de témoignages sérieux, et respectables … ne comptent pour rien. Mais qu’un farceur anonyme … s’avise de dénoncer une prétendue fraude ou erreur dans le miracle, aussitôt il est cru sur parole, sans investigations, sans preuves, aveuglément » (p.264).

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    On peut contester tout ce que disent les mystiques, mais leur corps participe et parle et cela on ne peut pas le nier. On peut récuser que ces personnes vivent une joie à nulle autre pareille et que leur extase les ait ravi au ciel pendant des heures. Mais pendant ce temps leur corps est resté rigoureusement immobile, comme paralysé. Dans les cas classiques de Samâdhi hindou, les yogis se mettent en posture de lotus les yeux clos, sans bouger pendant dix jours et surtout sans manger ni boire, ni évacuer, ce qui est vérifiable et indéniable.

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    La position de Freud a le mérite d’être claire : « Mysticisme : l’auto-perception obscure du règne au-delà du Moi, du ça ». C’est sa position définitive, celle de son dernier livre de 1938, pourtant il avait bien reconnu dans sa lettre à Romain Rolland du 20-7-1929 : « Combien me sont étrangers les mondes dans lesquels vous évoluez ! La mystique m’est aussi fermée que la musique ».

    Au contraire, Lacan sait fort bien (comme Desoille) que l’on ne peut comprendre profondément la psychanalyse qu’à partir des mystiques. Car fondamentalement ils parlent de la même chose. Et il les appelle constamment à son aide dans ses Séminaires : Plotin, Hadewijch d’Anvers, Maître Eckhart, Angelus Silésius, Jakob Böhme, Thérèse d’Avila, Jean de la Croix, Marguerite-Marie Alacoque, Simone Weil. Plus tous les Troubadours, le Fin’ Amor, les Cathares, Jan Hus … Ce n’est pas qu’une question de style si Lacan use sans cesse de la poétique et de la rhétorique des mystiques. Il leur emprunte la musique silencieuse des oxymores et les chants poétiques pour qualifier l’indicible du réel et de la jouissance. Le désir vient de cette partie de l’être qui nous manque et que nous croyons toujours combler par l’amour d’un être, alors que le mystique est celui qui, par-dessus les êtres, s’adresse directement à l’Etre, source de tout. Le néant a toujours faim de Quelque Chose. La pensée croit suppléer à l’être, mais Lacan a appris des mystiques que là où je pense, je ne suis pas et que je suis là où çà pense pour moi, ce qui est le désaveu du cogito cartésien. « Je ne sais pas ce que je dis » ajoute Thérèse, car ce que je cherche est au-delà du langage, de même qu’il existe une jouissance au-delà de la jouissance phallique.

    Cette question essentielle a littéralement obsédé Jean-Noël Vuarnet, qui a passé sa vie à étudier les Extases féminines. L’énorme erreur est de confondre l’extase et l’orgasme, comme le fait notre société occidentale qui, à la place du mysticisme, a installé une vraie religion du sexe, avec la permission de Freud. Dans tous les romans et les films l’intrigue s’achève par un long coït filmé ou décrit comme l’extase suprême. L’amour dans la jouissance sexuelle a remplacé le sacrifice de la messe. C’était déjà, en réalité, le projet du seul Tantrisme et sans s’en rendre compte toute notre société post-chrétienne est donc devenue tantrique. Faute de grives, on mange des merles et faute de vie mystique, on se contente de l’orgasme quotidien, quand on a la chance d’y arriver. Mais l’extase donne une frutio qu’on ne devrait pas appeler jouissance, mais ananda, allégria ou élatio, le retour dans sa nature divine de joie sacrée, sans barre et sans castration. Et ceci se centre sur la découverte (ou la redécouverte pour les Hindous) du plaisir féminin, l’énigme fondamentale de la psychanalyse de Freud à Lacan. Il est une œuvre d’art car il est gratuit et ne se sert à rien, contrairement au plaisir masculin, fort différent et peu comparable. Vuarnet convoque l’expérience théâtrale des extatiques et va de saintes pâmées en martyres abîmées dans la liquéfaction spirituelle. Il fait entendre les cris de la sainte et les hurlements de la fée dans ce paroxysme infini qui a atteint le fond, le tréfonds et l’abyme.

    Le recours de Lacan aux mystiques n’est pas fortuit parce qu’ils parlent le même langage, en fait ils sont plutôt parlés. Le grand secret est que du défaut de l’univers procède un discours qui se veut un dire. « Je vis déjà hors de moi, depuis que je meurs d’amour » avoue Thérèse. Et c’est absolument nécessaire et indispensable, selon la découverte de Maître Eckhart : « Si je te fuis tu viens à moi, si je me perds Toi je te trouve».

    Marc-Alain Descamps
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