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L’hémorragie du capital humain de l’Algérie devient un risque systémique

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  • L’hémorragie du capital humain de l’Algérie devient un risque systémique

    EL KADI IHSANE 21 JANVIER 2019

    La campagne électorale qui va démarrer les prochaines semaines aura du mal à traiter du cœur des enjeux économiques. Elle sera plus centrée sur le chaos institutionnel dans lequel l’Algérie s’est enfoncée, avec le projet d’assurer à Abdelaziz Bouteflika une présidence à vie hors légalité constitutionnelle. Toutefois un thème, aux confins du politique et de l’économique, mérite que l’on s’y arrête.

    Il est déjà en filigrane dans toutes les prises de parole publiques, c’est celui du thème de l’exil. Dans le discours politique, il est surtout abordé par ce côté le plus dramatique, celui de la harga et des disparitions en mer des jeunes candidats à l’émigration clandestine. L’ampleur des tentatives de harga est un indicateur de la qualité des perspectives de vie dans un pays. De ce point de vue, il est en train d’empirer en Algérie.

    Mais, cyniquement, ce n’est pas l’indicateur le plus pertinent pour évaluer la performance d’un pays. La capacité à garder in-shore le capital humain domestique et à attirer le capital humain des autres pays (indice IMD) est, bien sûr, beaucoup plus parlante sur la trajectoire du pays. De ce point de vue, l’Algérie a subi un gigantesque préjudice dans les années 90, avec l’accélération de la migration de ses élites. Effet de dépression économique dopée par l’insécurité dans le pays.

    Les années post-guerre civile auraient dû ralentir le flux sortant, à défaut de stopper l’hémorragie. En fait, non. C’est assurément le plus grand échec du modèle de gouvernance autoritaire rentier redistributeur et clientéliste : il n’y a pas d’agenda pour les talents. Il émarge donc en pays provider des flux mondiaux de capitaux humains. De 5 à 10 millions de cerveaux migrants par an profitent en priorité aux 25 pays les plus attractifs de talents.

    La géographie de la performance économique recoupe à s’y méprendre celle de l’attractivité des talents. La Suisse en assure le leadership, et des pays comme le Qatar ou les Emirats ont réussi à s’y faufiler ces dernières années. Les pays les plus mal classés subissent jusqu’à plus de 50% de départs parmi la population des éduqués de plus de deux ans dans le cycle tertiaire (définition onusienne des cerveaux).

    L’Algérie est bien sûr dans le troisième tiers du tableau, et, en dépit d’un modèle social plus généreux que celui de ses voisins, se classe derrière le Maroc et la Tunisie dans sa capacité à retenir son capital humain. La thèse existe que la fuite des cerveaux n’a pas que de mauvais côtés. Les diasporas instruites et entreprenantes aident leurs pays d’origine par l’envoi de fonds et par le transfert de savoir.

    Elles sont battues en brèche par la comparaison avec les préjudices au développement intégré localement que provoque la déperdition des ressources humaines de qualité. En outre, le taux de retour dans le cas de l’Algérie reste l’un des plus faibles pour des pays dans sa catégorie de revenus (plus de 200 milliards de dollars de PIB). L’Algérie n’a pas en outre une politique de compensation des départs des talents par l’attraction de talents de pays moins riches qui pourraient développer leur compétences en s’installant en Algérie.

    L’approche des autres pays est toujours ainsi faite en termes de balance. De nouveaux entrants maghrébins ou asiatiques en France remplacent des Français partant pour la City à Londres, ou pour la Silicon Valley, en Californie. L’Algérie ne connaît que la perte sèche de sa meilleure ressource humaine. Elle peut enfin commencer à s’en alarmer sérieusement. La «harga » des cerveaux tue le pays.

    En quoi la capacité pour un pays de garder ses talents et d’en attirer d’autres est-elle aux confins du politique et de l’économique ? Sur les 25 premiers pays les plus attractifs de talents dans le monde, il n’existe que trois Etats autocratiques. Tous les autres assurent un fonctionnement plus ou moins consolidé de formalisme du droit et de la protection des libertés.

    Ce sont des Etats de sécurité juridique. Les talents ne migrent pas dans le monde uniquement en fonction de critères de rémunération. Ils aspirent à construire leur avenir à l’abri de l’arbitraire que souvent ils fuient dans leur pays d’origine. Le débat académique existe bien sûr pour savoir si c’est le respect des libertés démocratiques qui est le facteur de succès économique des pays qui ont décollé, ou si, à l’inverse, c’est leur développement économique qui a été couronné par une extension des libertés démocratiques et de leur consolidation.

    Une chose est acquise. Là où un seuil minimal de garanties des droits et des libertés n’est pas assuré, l’attractivité des revenus est rarement décisive. Autre critère de la performance dans l’indice IMD, la qualité de l’éducation. Plus elle est élevée, plus elle est susceptible de produire des élites de qualité et peut espérer les fixer par leur reproduction. Beaucoup d’Algériens des couches moyennes supérieures invoquent l’éducation de leurs enfants comme premier critère qui les incite à construire un projet de départ en exil.

    «Je veux leur donner les meilleures chances pour qu’ils réussissent partout dans le monde». Cette possibilité de donner les meilleures chances par la qualité de l’éducation est un choix stratégique de politique publique. Il vise à fixer les talents nationaux et à en attirer de l’étranger. Ainsi, par exemple, le critère d’implémentation des investissements étrangers au Maghreb arbitre aussi par des comparaisons de qualité de vie à Alger, Casablanca, ou Tunis, où la qualité de l’offre éducative pour les enfants d’expatriés pèse aussi dans la décision. La balance du capital humain d’un pays, entrant, sortant est d’abord une affaire de modèle politique et sociétal.

    La banque d’Algérie continue de pourchasser en justice les exportateurs algériens. La dépénalisation de l’acte d’exporter, une vieille revendication des organisations patronales, des think tank d’entreprises et des associations dédiées à l’exportation n’a jamais débouché. Seule concession de l’administration, le rallongement du délai octroyé à l’exportateur algérien pour rapatrier ses devises.

    Mais, s’il manque le moindre dollar sur le virement du client étranger vers son fournisseur exportateur algérien, c’est la procédure en pénal immédiatement. Une mesure albanaise de l’avant-chute du mur de Berlin, qui fait de la résistance au premier quart du 21e siècle, dans un pays qui a décidé de faire des exportations hors hydrocarbures son nouveau cap économique. Pourquoi ce thème dans la chronique de cette semaine ?

    Ennahar, le journal aussi connu pour son éthique professionnelle que la TV éponyme, a dénoncé dans un article flamboyant un laboratoire privé algérien qui exporte des médicaments vers 7 pays africains et qui est poursuivi pour un différentiel de 500 millions de centimes en équivalent dinars non rapatriés, en fait (il suffisait de poser la question) pour cause de remise sur facture.

    5 millions de dinars qui manquent à l’appel du rapatriement sur plusieurs millions de dollars d’exportation qui aideront un jour la balance devise du pays à peut-être envisager de sortir du stress du brent à Londres. Montrer la lune à Ennahar. Il voit le doigt. Et l’utilise pour se crever un œil.
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