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Orient et Occident : terreurs chimériques et dangers réels .7eme et dernière partie.

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  • Orient et Occident : terreurs chimériques et dangers réels .7eme et dernière partie.

    Orient et Occident : terreurs chimériques et dangers réels .7eme et dernière partie.

    Ces conditions, nous l’avons dit sont avant tout intellectuelles, et elles sont à la fois négatives et positives : d’abord détruire tout les préjugés qui sont autant d’obstacles, et c’est à quoi tendent essentiellement toutes les considérations que nous avons exposées jusqu’ici ; ensuite, restaurer la véritable intellectualité, que l’Occident a perdue, et que l’étude de la pensée orientale, pour peu qu’elle soit entreprise comme elle doit l’être, peut l’aider puissamment à retrouver. Il s’agit là en fait d’une réforme complète de l’esprit occidental ; tel est, du moins, le but final à atteindre ; mais cette réforme, au début, ne pourrait évidemment être réalisée que dans une élite restreinte, ce qui serait d’ailleurs suffisant pour qu’elle porte ses fruits à une échéance plus ou moins lointaine, par l’action que cette élite ne manquerait pas d’exercer, même sans le rechercher expressément sur tout le milieu occidental.



    Ce serait, selon toute vraisemblance, le seul moyen d’épargner à l’Occident les dangers très réels qui ne sont point ceux auxquels il croit, et qui le menaceront de plus en plus s’il continue à suivre ses voies actuelles ; et ce serait aussi le seul moyen de sauver de la civilisation occidentale, au moment voulu, tout ce qui pourrait être conservé, c’est-à-dire tout ce qu’elle peut avoir d’avantageux sous quelques rapport et de compatible avec l’intellectualité normale, au lieu de la laisser disparaître totalement dans quelqu’un de ces cataclysmes dont nous indiquions la possibilité au début du présent chapitre, sans d’ailleurs vouloir risquer en cela la moindre prédiction. Surtout, si une telle éventualité venait à se réaliser, la constitution d’une élite intellectuelle au vrai sens de ce mot pourrait seule empêcher le retour à la barbarie ; et même, si cette élite avait eu le temps d’agir assez profondément sur la mentalité générale, elle éviterait l’absorption ou l’assimilation de l’occident par d’autres civilisations, hypothèse beaucoup moins redoutable que la précédente, mais qui présenterait cependant quelques inconvénients au moins transitoires, en raison des révolutions ethniques qui précéderaient nécessairement cette assimilation.



    A ce propos, et avant d’aller plus loin, nous tenons à préciser nettement notre attitude : nous n’attaquons point l’Occident en lui-même, mais seulement, ce qui est tout différent, l’esprit moderne, dans laquelle nous voyons la déchéance intellectuelle de l’Occident ; rien ne serait plus souhaitable, à notre avis, que la reconstitution d’une civilisation proprement occidentale sur des bases normales, car la diversité des civilisations, qui a toujours existé, est la conséquence naturelle des différences mentales qui caractérisent les races. Mais la diversité dans les formes n’exclut aucunement l’accord sur les principes ; entente et harmonie ne veulent point dire uniformité, et penser le contraire serait sacrifier à ces utopies égalitaires contre lesquelles nous nous élevons précisément. Une civilisation normale, au sens où nous l’entendons, pourra toujours se développer sans être un danger pour les autres civilisations ; ayant conscience de la place exacte qu’elle doit occuper dans l’ensemble de l’humanité terrestre, elle saura s’y tenir et ne créera aucun antagonisme, parce qu’elle n’aura aucune prétention à l’hégémonie, et parce qu’elle s’abstiendra de tout prosélytisme.



    Nous n’oserions pas affirmer, cependant, qu’une civilisation qui serait purement occidentale pourrait avoir, intellectuellement, l’équivalent de tout ce que possèdent les civilisations orientales ; dans le passé de l’Occident, en remontant aussi loin que l’histoire nous le fait connaître, on ne trouve pas pleinement cet équivalent (sauf peut-être dans certaines écoles extrêmement fermées, et dont, pour cette raison, il est difficile de parler avec certitude) ; mais il s’y trouve néanmoins, à cet égard, des choses qui ne sont nullement négligeables, et que nos contemporains ont le plus grand tort d’ignorer systématiquement. En outre, si l’Occident arrive un jour à entretenir des relations intellectuelles avec l’Orient, nous ne voyons pas pourquoi il n’en profiterait pas pour suppléer à ce qui lui manquerait encore ; on peut prendre des leçons ou des inspirations chez les autres sans abdiquer son indépendance, surtout si, au lieu de se contenter d’emprunts purs et simples, on sait adapter ce qu’on acquiert de la façon la plus conforme à sa propre mentalité.



    Mais encore une fois, ce sont là des possibilités lointaines ; et, en attendant que l’Occident soit revenu à ses propres traditions, il n’est peut-être pas d’autre moyen, pour préparer ce retour et pour en retrouver les éléments, que de procéder par analogie avec les formes traditionnelles qui, existant encore actuellement, peuvent être étudiées d’une manière directe. Ainsi, la compréhension des civilisations orientales pourrait contribuer à ramener l’Occident aux voies traditionnelles hors desquelles il s’est jeté inconsidérément, tandis que, d’un autre côté, le retour à cette tradition réaliserait par lui-même un rapprochement effectif avec l’Orient : ce sont là deux choses qui sont intimement liées, de quelque façon qu’on les envisage et qui nous apparaissent comme également utiles, voire même nécessaires. Tout cela pourrait être mieux par ce que nous avons encore à dire ; mais on doit voir déjà que nous ne critiquons pas l’Occident pour le vain plaisir de le critiquer, ni même pour faire ressortir son infériorité intellectuelle par rapport à l’Orient ; si le travail par lequel il faut commencer paraît surtout négatif, c’est qu’il est indispensable, comme nous le disions au début, de déblayer le terrain tout d’abord pour pouvoir ensuite y construire.



    En fait, si l’Occident renonçait à ses préjugés, la tâche serait à moitié accomplie, et même plus qu’à moitié peut-être, car rien ne s’opposerait plus à la constitution d’une élite intellectuelle, et ceux qui possèdent les facultés requises pour en faire partie, ne voyant plus se dresser devant eux les barrières presque infranchissables que créent les conditions actuelles, trouveraient dès lors facilement le moyen d’exercer et de développer ces facultés, au lieu qu’elles sont comprimées et étouffées par la formation ou plutôt la déformation mentale qui est imposée présentement à quiconque n’a pas le courage de se placer résolument en dehors des cadres conventionnels. Du reste, pour se rendre vraiment compte de l’inanité de ces préjugés dont nous parlons, il faut déjà un certain degré de compréhension positive, et, pour certains tout au moins, il est peut-être plus difficile d’atteindre ce degré que d’aller plus loin lorsqu’ils y sont parvenus ; pour une intelligence bien constituée, la vérité, si haute soit-elle, doit être plus assimilable que toutes les subtilités oiseuses où se complaît la « sagesse profane » du monde occidental.



    (René Guénon, Orient et occident, 1924, Ed. Vega 1976-2006, chap.IV : Terreurs chimériques et dangers réels, p.97-117)
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