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“Les pays de l’Opep traversent une nouvelle crise”

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  • “Les pays de l’Opep traversent une nouvelle crise”

    LAOUSSINE, ANCIEN MINISTRE DE L’ÉNERGIE, À “LIBERTÉ”
    “Les pays de l’Opep traversent une nouvelle crise”
    © D. R.



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    L’ancien ministre de l’Énergie explique dans cet entretien que la tendance à la hausse des cours du pétrole ne pourrait être maintenue qu’au prix d’une modulation permanente du niveau de la production Opep, notamment celle de l’Arabie saoudite.

    Liberté : Depuis quelques semaines, le baril de Brent de la mer du Nord s’est repris pour atteindre 61 dollars. Comment expliquez-vous cette tendance à la hausse ? Et quels éléments stratégiques sont de nature à maintenir cette tendance ?
    Nordine Aït Laoussine : Le cours du Brent s’est redressé pour les raisons suivantes : Les données récentes relatives à la production Opep du dernier trimestre 2018 et plus particulièrement celles du mois de décembre font état d’un niveau inférieur à ce qui était prévu par la majorité des analystes. La perspective d’une application rigoureuse des nouvelles limites de production Opep/non-Opep, convenues lors de la dernière réunion de décembre à Vienne, selon les déclarations ou intentions des pays concernés. L’activisme des acteurs financiers à terme qui avaient massivement liquidé leurs positions spéculatives au cours du 4e trimestre 2018 et qui tentent de se refaire à la faveur de leur nouvelle perception du marché. Cette tendance ne pourrait être maintenue qu’au prix d’une modulation permanente du niveau de la production Opep, notamment celle de l’Arabie Saoudite.

    Les pays Opep et non-Opep ont décidé, début décembre 2018, de réduire l’offre pétrolière de 1,2 million de barils par jour. Cette baisse est-elle suffisante pour arrêter, à court terme, le surplus des stocks mondiaux qui est, de nouveau, en hausse après avoir été ramené à un niveau normal l’été dernier ?
    Les statistiques publiées récemment sur l’évolution des stocks mondiaux font état, en effet, d’une nouvelle augmentation du surplus de l’offre globale, pratiquement éliminé l’été dernier. Cette augmentation est due à l’abandon des limites de production décidé en juin 2018 qui a joué essentiellement en faveur de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de l’Irak et de la Russie qui ont été les principaux bénéficiaires de la baisse de la production vénézuélienne et des exportations iraniennes. En ce qui concerne les perspectives à court terme, les analystes sont unanimes sur un point : l’évolution des fondamentaux du marché pétrolier nous conduit irrémédiablement à une baisse de l’appel en pétrole Opep (le niveau nécessaire à l’équilibre du marché global). Cette baisse est due au ralentissement du taux de croissance de la demande (consécutive à l’affaiblissement de l’économie mondiale) et à l’augmentation toujours soutenue de la production non-Opep, notamment des États-Unis et du Brésil. Cette perspective implique pour l’Opep, outre le respect rigoureux des nouvelles limites de production, une veille permanente sur l’équilibre entre l’offre et la demande, compte tenu de l’incertitude qui règne sur l’évolution de la production de l’Iran, du Venezuela et de la Libye qui ne sont pas concernés par ces limites. La baisse décidée le mois dernier pourrait, dans le meilleur des cas, freiner l’augmentation du surplus de stocks et donc maintenir grosso modo le Brent à son niveau actuel de l’ordre de 60 dollars le baril. Elle ne pourrait cependant pas arrêter le gonflement des stocks et ne serait donc pas en mesure d’amorcer un redressement significatif des cours sans une réduction plus importante de la production saoudienne.

    À plus long terme, l’Opep, avec un chef de file (Arabie saoudite) impulsif, sera-t-elle en mesure de mettre un terme à l’intense volatilité des cours depuis 2014 ?
    Le rôle de leader implicite de l’Arabie saoudite au sein de l’Opep tirait sa légitimité non seulement du niveau dominant de sa capacité de production mais aussi de l’esprit de conciliation, de compromis et de sacrifice qui animait le royaume wahhabite dans ses rapports avec les pays membres. Cet esprit s’est considérablement affaibli depuis 2014 suite au limogeage de l’ancien ministre Ali al-Naïmi et à la nomination d’un nouveau ministre du Pétrole (Khaled al-Faleh). L’esprit de conciliation et de compromis qui prévalait jusqu’alors a laissé la place à l’imposition de mesures unilatérales, à la coercition, voire à l’intimidation. Au lieu de jouer, tant bien que mal, le rôle de “swing producer” (variable d’ajustement), l’Arabie saoudite s’est engagée dans une stratégie de production à outrance pour peser sur les cours, chaque fois que ses propositions, sur la manière de rétablir la stabilité du marché, étaient contrariées par la majorité des pays membres.

    Les sanctions américaines à l’encontre de l’Iran n’ont pas influencé notablement les marchés. Comment cette donnée évolue-t-elle avec le temps ?
    Les marchés ont été indirectement affectés par les sanctions américaines à l’encontre de l’Iran suite à l’ambiguïté de la position de l’administration américaine qui a déclenché le déclin des prix à partir d’octobre 2018. Après avoir catégoriquement refusé d’accorder des dérogations à l’application des sanctions, le président Trump a subitement suspendu l’interdiction d’importer du pétrole iranien à 8 des principaux acheteurs qui avaient déjà procédé à des achats de précaution pour reconstituer leurs stocks. Les mesures d’intimidation du président Trump à l’égard de l’Opep n’ont pas disparu. Elles sont tout simplement suspendues jusqu’à nouvel ordre.

    Les pays pétroliers, dont le nôtre, se tiennent le ventre chaque fois que le marché pétrolier vacille. Et ils semblent avoir perdu l’espoir que la conjoncture changerait et que le baril se vendrait à plus de 100 dollars. À quels scénarios prospectifs pourront-ils être confrontés ?
    Les pays de l’Opep traversent une nouvelle crise qui n’est que la suite logique de la décision de 2014 de l’Arabie saoudite de s’en remettre aux forces du marché pour tout simplement reprendre sa liberté d’action afin d’augmenter sa part de marché. Il est indéniable que cette décision a contribué à la déstabilisation du marché depuis 2014 et a conduit à une extrême volatilité des cours qui empêche les pays membres de contrôler et donc de planifier le niveau de leurs revenus. Il ne s’agit pas de demander à l’Arabie Saoudite de garantir un niveau absolu des prix qui n’est pas exclusivement de son ressort, ni même du ressort de l’Opep, mais d’assurer aux pays membres (dont le nôtre) la stabilité du marché. C’est là que l’Arabie saoudite a un rôle primordial à jouer. L’Arabie Saoudite collabore aujourd’hui davantage avec les deux autres principaux producteurs, la Russie et les États-Unis, qu’avec ses collègues au sein de l’Opep. Il y va de la protection de ses intérêts égoïstes à court terme. À plus long terme, les préoccupations qu’elle partage aujourd’hui avec ces producteurs risquent de diverger. Le royaume wahhabite a besoin d’une Opep revigorée s’il souhaite protéger le rôle influent qu’il exerce dans le contexte énergétique mondial.
    Liberté-algerie
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