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Splendeurs enfouies du Yémen

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    Splendeurs enfouies du Yémen


    Le photographe Hugues Fontaine et l’épigraphiste Mounir Arbach ont exploré les vestiges de cette civilisation connue pour son écriture aux caractères géométriques et par de remarquables ouvrages hydrauliques, dont le plus célèbre est le barrage-digue de Ma’rib. La recherche archéologique est récente sur ces territoires entre montagne et désert et certains sites sont menacés par les pillages. Extraits du carnet de voyage du photographe.
    Al-Sawdâ', vallée du Jawf, lundi 17 janvier 2005. Le vent qui s'est levé au milieu de la matinée sans jamais cesser de forcir soulève maintenant une poussière jaune au goût âcre. Sur les terrasses des maisons, dans les villages que nous traversons, des femmes et des enfants nous observent, le visage protégé par des voiles, habitués, semble-t-il, à ce vent qui irrite les yeux et la gorge. Le temple que nous cherchons à l'aveuglette, et qui devrait être à 700 m environ à l'est de la ville antique d'al-Sawdâ', apparaît tout à coup devant nous.
    Fouillé à la fin des années 1980 par une équipe d'archéologues français, il a fait l'objet d'un important travail de restauration qui permet de se faire une idée assez précise de l’architecture des temples du Jawf. Mais pour l’instant, il est impossible d’en rien photographier. Tout juste faisons-nous quelques repérages pour le lendemain, en espérant que le vent tombe dans la nuit. La poussière, fine comme du talc, pénètre sous les vêtements, confond ciel et terre. Cette terre pulvérulente qui vole en tourbillons, ce sont les limons qui composaient autrefois les sols fertiles des jardins-oasis de la vallée.
    Maîtres de l’eau
    Utilisant des techniques dont l’origine remonte à l’âge du bronze, les Sud-arabes avaient appris à tirer profit des crues d’orages qui surviennent au printemps et à l’automne, lorsque les nuages de mousson se déversent sur les hauteurs du Yémen. Dévalant les pentes volcaniques sur des sols incapables d’absorber de telles quantités d’eau en si peu de temps, les ruissellements convergent pour former bien vite un oued qui arrache tout sur son passage. Ce torrent éphémère, en débouchant dans la plaine où il perd de sa vitesse, dépose les charges qu’il transporte, d’abord les plus lourdes, rocs et troncs d’arbres, ensuite les pierres, graviers et argiles, avant de se perdre finalement dans les sables. Il fallait donc aux hommes, pour capter cette manne providentielle mais combien dangereuse, ralentir le débit de l'eau au moyen de digues, ou bien en détourner le cours en creusant des prises aux endroits les plus judicieux, puis conduire l’eau boueuse et nourricière par un réseau de canaux jusqu'aux champs qui avaient été préparés pour la recevoir. Des ouvrages plus ou moins élaborés servaient à freiner et à dériver la crue ; certains étaient solidement construits en pierres maçonnées, ancrées dans le rocher – comme les môles de la digue de Ma’rib -, d’autres consistaient en de simples levées de terre réalisées au moyen d’outils rudimentaires, comme le font encore aujourd’hui les paysans de ces régions. L’ensemble du dispositif était en quelque sorte dormant et ne prenait vie qu’au moment où surgissait la crue. Aujourd’hui, autour des cités abandonnées, on peut encore voir les vestiges de ces jardins-oasis. La reprise de l’érosion par l’eau et le vent sur ces sols autrefois cultivés est venue brouiller le quadrillage des parcelles antiques et l’ordonnancement des canaux, mais à l’œil exercé de l’archéologue et du géographe, les restes épars des installations hydrauliques et des périmètres d’irrigation révèlent, comme un paysage en imagination, les jardins, les palmeraies et les vignobles qui firent autrefois la fortune de ces villes. Dans l’oasis de Ma’rib, les chercheurs de la mission allemande ont calculé que les sédiments se déposaient au rythme moyen d’un centimètre par an. Cela laisserait supposer, la hauteur de certains terroirs atteignant 30 m, que l’agriculture y soit apparue vers le milieu du IIIe millénaire avant l’ère chrétienne…
    L’archéologue
    et les brigands
    Al-Sawdâ', mardi 18 janvier. Dans la nuit, le vent est tombé. Levé avant l’aube, pour photographier dès les premières lumières du jour, je m’apprête à quitter la maison où nous avons passé la nuit. La femme de notre hôte me retient, me dit qu’il ne faut pas que je parte seul, qu’il faut attendre car c’est dangereux. Muhsen, notre guide, arrive à cet instant et m’explique laconiquement que la nuit a été agitée, mais que nous pourrons tout à l’heure nous rendre sur le site, comme prévu, quand il n’y aura plus personne… Comme presque toutes les nuits, on a fouillé dans l’enceinte de l’ancienne ville. Il y a quelques mois, six piliers formant l’entrée d’un temple ont été mis au jour clandestinement. Munir Arbach et l’archéologue Rémy Audouin ont eu vent de cette découverte lors d’une mission de prospection qu’ils menaient dans la région. Leur intervention a permis d’organiser une première campagne de sauvetage, avec l’aide des autorités yéménites.
    C’est sur ce site que nous revenons aujourd’hui. La fouille a été partiellement remblayée par les archéologues à la fin de leur mission, mais manifestement, depuis leur départ, le temps a été à nouveau visité. Je photographie les décors en bas-relief qui ornent certains piliers. Au-dessus de moi, accroupis au bord du trou, les hommes qui nous accompagnent ont été rejoints par d’autres, l’arme en bandoulière. Une conversation s’engage tandis que j’installe l’appareil photographique sur le trépied. Je comprends que le temps est compté et que mon travail peut être interrompu à tout moment. Nos guides ont accepté de nous aider, mais il est vraisemblable qu’ils connaissent ceux qui fouillent ici la nuit. Le ton monte. Que faisons-nous et qu’annonce ce déploiement de matériel ? Quelles informations allons-nous tirer des inscriptions que nous pouvons lire ? Il est aussi question d’objets qui viennent d’être découverts sur le site de Qarnaw, tout proche. Les photographies sont terminées ; le signal du départ est donné.
    Comme une suite à ce qui vient d’être dit, nos visiteurs proposent de nous montrer des sculptures qui viennent d’être «découvertes» il y a deux jours et qui vont certainement nous intéresser. Mais il ne sera pas possible de photographier ! Après avoir traversé plusieurs villages, nous nous arrêtons dans la cour d’une maison d’apparence modeste. Des bâches de plastique bleu recouvrent quatre sculptures, des bouquetins en calcaire d’un mètre de haut environ. Le dernier, plus soigneusement emballé est entier. Sur tous les autres, les cornes manquent, vraisemblablement brisées lors de l’extraction, car les fragments sont empilés dans des sceaux en caoutchouc noir, du type de ceux qu’on utilise sur les champs de fouille. Trois barres de levage gisent sur le sol à côté des bouquetins. Où vont aller ces pièces ? La réponse reste vague, mais nous comprenons que le bouquetin en bon état devrait partir en pick-up pour l’Arabie Saoudite. La frontière n’est pas loin ; si les mesures de surveillance se sont accrues ces dernières années, de nombreux trafics se font toujours par les pistes à travers le désert : armes, drogue, personnes, et donc aussi, nous pouvons le constater, pièces archéologiques, qui quittent ainsi le Yémen pour d’autres pays de la Péninsule ou pour New York, Londres ou Paris.
    Ouvert sur l’océan
    Bi’r’Alî, vendredi 28 janvier. Le piton volcanique connu sous le nom de Husn Al-Gurâb, le fort du Corbeau, culmine à 90 m au-dessus du niveau de la mer, à l’extrémité d’un isthme qui sépare deux baies considérées comme le meilleur mouillage de toute la côte. De la ville et du port antiques de Qâna’ ne subsistent que des structures en basalte noir. Leur fouille, entreprise par une mission soviétique à l’époque où le sud du pays formait la République démocratique et populaire du Yémen, a montré qu’il s’agissait d’entrepôts pour les cargaisons d’encens en provenance des régions de production du Mahra et du Dhofâr, dans le sud-est de l’Hadramawt. Des pains de résine emballés dans des paniers tressés ont été retrouvés dans l’angle d’un bâtiment incendié.
    Sur le sentier qui mène au sommet du piton par le flanc nord, je photographie l’inscription gravée dans le rocher par Sumayafa’a Ashwa’, gouverneur de Qâna’, pour commémorer la réfection qu’il fit des murailles, de la porte, des citernes et des chemins d’accès à la citadelle. Copiée en 1834 par des officiers de marine britanniques, cette épigraphe permit au philologue allemand, Wilhelm Gesenius, de déchiffrer, quelques années plus tard, les deux tiers de l’alphabet sudarabique. Plus haut sur le chemin, creusée dans le flanc de la pente et imperméabilisée avec un enduit hydraulique, une grande citerne servait à recueillir les eaux de pluie pour approvisionner les habitants du port et avitailler sans doute les navires qui faisaient escale sur la route de l’Inde. Faisant suite à nos récentes visites des cités aux marges du désert, haltes pour les caravanes sur la route de l’encens, la découverte de Qâna’, principal port du royaume de l’Hadramawt, nous ouvre le regard sur d’autres horizons. Au tournant de l’ère chrétienne, la maîtrise par les Romains de la navigation en mer Rouge et une meilleure compréhension du renversement des vents saisonniers de mousson, créditée au navigateur grec Hippalos, modifièrent la donne. Les royaumes sudarabiques des basses terres orientales ne furent plus en mesure de conserver leur monopole sur le commerce des aromates par voie caravanière, et progressivement, les échanges se firent par la mer.
    Les vestiges d’un phare au sommet du fort témoignent de l’ouverture de l’antique Qâna’ sur l’océan, l’Afrique et l’Inde, tandis qu’au loin, le passage d’un pétrolier géant confirme la position de passage obligé occupée par le sud de la péninsule Arabique entre l’Asie et l’Europe, l’océan Indien et la Méditerranée. Certes l’encens, la myrrhe, la cannelle, la cardamome et le ladanum n’attirent plus les convoitises du reste du monde. Et les jardins où, dit-on, aurait régné la reine de Saba, sont retournés au désert. Aujourd’hui, d’autres ressources sont l’objet des négoces internationaux. A environ 9 miles nautiques à l’ouest de Qâna’, le site portuaire de Balhaf abritera vers la fin 2008 une usine de gaz liquéfié actuellement en construction. En provenance des champs pétrolifères de Ma’rib, le gaz sera acheminé jusqu’à la côte par un gazoduc long de 320 km. Son tracé emprunte à peu de choses près celui des anciennes routes caravanières, au piémont des hautes terres de l’Arabia Felix, l’Arabie prospère rêvée par les Anciens.
    Hugues Fontaine,
    in Quantara - Janvier 2007photographe



    12-03-2007

    http://www.lanouvellerepublique.com/...2525252525252B
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