NADJIA BOUARICHA 20 FÉVRIER 2019 À 11 H 03 MIN 906 - EL WATAN
Dans cet entretien, l’éminent professeur Mohamed Cherif Belmihoub dresse un constat alarmant sur la situation économique et apporte aussi des pistes de sortie de crise. M. Belmihoub souligne que «l’observation des décisions prises ces dernières années et le niveau d’engagement dans la conception et la mise en œuvre des réformes montrent que les premiers partisans du statu quo sont les principaux gagnants».
Il se demande si l’on cherche «des consensus politiques plus larges pour mieux supporter les effets négatifs des réformes (chômage, privatisations, réduction des subventions, fiscalité…)». Il considère, entre autres points soulevés, que «la connexion du monde des affaires avec celui de la politique n’est jamais une bonne chose pour le développement économique du pays, parce que ces rapports ne sont jamais désintéressés».
Le niveau des réserves de change dégringole année après année, les déficits budgétaires et de la balance commerciale se creusent. Dans une telle configuration, comment se présente, à votre avis, l’avenir économique du pays ?
Pendant de nombreuses années, les équilibres macroéconomiques étaient présentés non seulement par les institutions nationales, mais aussi par les institutions internationales, comme le FMI et la Banque mondiale, comme des succès économiques de l’Algérie. Le FMI distribuait des satisfecit à chaque revue périodique des comptes publics algériens et tout le monde s’en réjouissait.
Bien entendu, avoir des équilibres macroéconomiques est un atout pour la croissance économique, lorsque ces derniers sont induits par une économie réelle productive et compétitive, mais pas lorsqu’ils sont le résultat d’une conjoncture favorable pour rémunérer une ressource naturelle dont le mérite n’est aucunement le résultat d’une efficacité économique ou institutionnelle nationale. Mais, en même temps, avoir des équilibres macroéconomiques solides est un atout pour mettre en place des politiques économiques pour «fabriquer» la «bonne» croissance.
Malheureusement, nous n’avons pas saisi ces opportunités pour transformer l’économie algérienne, surtout que les ressources budgétaires permettaient de faire face aux effets négatifs de la transformation économique. Aujourd’hui, la conjonction des trois déficits : déficit budgétaire, déficit de la balance de paiement et baisse des réserves de change est un handicap pour engager des transformations dans de bonnes conditions ; et pourtant, le report de ces dernières ne fait qu’aggraver la situation de crise.
Le financement non conventionnel des déficits a été présenté comme une alternative à la chute des ressources conventionnelles pour certains, ceux qui cherchent la facilité ou se préoccupent du seul court terme, ou comme une solution de secours ou provisoire pour d’autres, ceux qui pensent pouvoir engager des réformes globales : économiques, financières et budgétaires rapidement et ainsi revenir à des équilibres «acceptables» à moyen terme.
L’observation des décisions prises ces dernières années et le niveau d’engagement dans la conception et la mise en œuvre des réformes montrent que les premiers partisans du statu quo sont les principaux gagnants. Sinon, comment expliquer cette croissance des volumes monétaires (planche à billets) mis à la disposition du Trésor pour financer les différents déficits. Près de 5200 milliards de dinars à fin novembre 2018 (cumulés) ont été tirés et mis à la disposition du Trésor, ce qui représente plus de 28% du PIB (2017) et plus de 60% du budget de l’Etat (2019). Les réformes sont, encore une fois, reportées et seront donc encore plus difficiles à mettre en place.
Cherche-t-on des consensus politiques plus larges pour mieux supporter les effets négatifs des réformes (chômage, privatisations, réduction des subventions, fiscalité…) ? Les partisans du statu quo risquent d’hypothéquer l’avenir économique de l’Algérie.
Vous avez récemment déclaré qu’il n’existait pas de projet politique qui va au-delà de la loi de finances. S’agit-il d’un problème de compétence ou d’absence de volonté d’agir ?
On ne gère pas un pays de la taille de l’Algérie (le réel et le potentiel) avec une perspective annuelle. Les enjeux sont tellement importants pour notre pays de par sa position, sa taille relative en Afrique et dans le monde arabe, ses potentiels économiques que les défis soient du même ordre. C’est pourquoi nous avons besoin d’une ambition, d’une vision et d’une projection à long terme.
La loi de finances annuelle est un document essentiellement budgétaire (dépenses et recettes de l’Etat et dispositions fiscales et quelques dispositions à caractère régulatoire) et donc elle n’a pas vocation à traiter les problèmes structurels de l’économie nationale. La trajectoire budgétaire 2016-2019 suggérée par les rédacteurs du nouveau modèle de croissance économique pour justement sortir de l’annualité de la loi de finances n’a pas été respectée.
La loi de finances est un outil d’exécution des politiques économiques et des politiques publiques et n’a pas vocation à se substituer à une vision globale du pays à terme. Cette ambition exprimée dans une vision donnerait de l’espoir à chacun et à l’ensemble des acteurs pour leur permettre de se projeter, de prendre des risques et d’investir dans l’avenir.
Le fait d’accorder trop d’importance à la loi de finances dans les débats montre l’indigence de la réflexion sur les questions fondamentales. Est-ce par paresse intellectuelle ou par peur de regarder l’avenir et ses enjeux, ou encore par fatalisme (l’espoir que les problèmes se règlent par eux-mêmes) ?
La Banque d’Algérie continue de recourir à la planche à billets toujours en l’absence du tissu productif lui permettant de la soutenir. Un jusqu’au-boutisme suicidaire ?
Comme il a été rappelé plus haut, le volume tiré de la planche à billets à fin novembre 2018 est considérable dans l’absolu, mais aussi inquiétant par son affectation. En effet, sur les 5200 milliards de DA de tirage auprès de la Banque d’Algérie, plus de 3200 milliards de DA sont allés à la couverture du déficit budgétaire et au remboursement de la dette publique (constituée autour de Sonatrach, Sonelgaz et le remboursement de l’emprunt du Trésor).
Finalement, ce qui a été alloué directement à l’investissement à travers le FNI ne représente qu’un peu plus du tiers. Donc, le potentiel de remboursement du Trésor à la Banque d’Algérie est très faible si l’on en juge par l’importance de l’investissement dans le tissu industriel et les perspectives d’élargissement de l’assiette fiscale, seule voie possible pour des recettes budgétaires additionnelles.
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Dans cet entretien, l’éminent professeur Mohamed Cherif Belmihoub dresse un constat alarmant sur la situation économique et apporte aussi des pistes de sortie de crise. M. Belmihoub souligne que «l’observation des décisions prises ces dernières années et le niveau d’engagement dans la conception et la mise en œuvre des réformes montrent que les premiers partisans du statu quo sont les principaux gagnants».
Il se demande si l’on cherche «des consensus politiques plus larges pour mieux supporter les effets négatifs des réformes (chômage, privatisations, réduction des subventions, fiscalité…)». Il considère, entre autres points soulevés, que «la connexion du monde des affaires avec celui de la politique n’est jamais une bonne chose pour le développement économique du pays, parce que ces rapports ne sont jamais désintéressés».
Le niveau des réserves de change dégringole année après année, les déficits budgétaires et de la balance commerciale se creusent. Dans une telle configuration, comment se présente, à votre avis, l’avenir économique du pays ?
Pendant de nombreuses années, les équilibres macroéconomiques étaient présentés non seulement par les institutions nationales, mais aussi par les institutions internationales, comme le FMI et la Banque mondiale, comme des succès économiques de l’Algérie. Le FMI distribuait des satisfecit à chaque revue périodique des comptes publics algériens et tout le monde s’en réjouissait.
Bien entendu, avoir des équilibres macroéconomiques est un atout pour la croissance économique, lorsque ces derniers sont induits par une économie réelle productive et compétitive, mais pas lorsqu’ils sont le résultat d’une conjoncture favorable pour rémunérer une ressource naturelle dont le mérite n’est aucunement le résultat d’une efficacité économique ou institutionnelle nationale. Mais, en même temps, avoir des équilibres macroéconomiques solides est un atout pour mettre en place des politiques économiques pour «fabriquer» la «bonne» croissance.
Malheureusement, nous n’avons pas saisi ces opportunités pour transformer l’économie algérienne, surtout que les ressources budgétaires permettaient de faire face aux effets négatifs de la transformation économique. Aujourd’hui, la conjonction des trois déficits : déficit budgétaire, déficit de la balance de paiement et baisse des réserves de change est un handicap pour engager des transformations dans de bonnes conditions ; et pourtant, le report de ces dernières ne fait qu’aggraver la situation de crise.
Le financement non conventionnel des déficits a été présenté comme une alternative à la chute des ressources conventionnelles pour certains, ceux qui cherchent la facilité ou se préoccupent du seul court terme, ou comme une solution de secours ou provisoire pour d’autres, ceux qui pensent pouvoir engager des réformes globales : économiques, financières et budgétaires rapidement et ainsi revenir à des équilibres «acceptables» à moyen terme.
L’observation des décisions prises ces dernières années et le niveau d’engagement dans la conception et la mise en œuvre des réformes montrent que les premiers partisans du statu quo sont les principaux gagnants. Sinon, comment expliquer cette croissance des volumes monétaires (planche à billets) mis à la disposition du Trésor pour financer les différents déficits. Près de 5200 milliards de dinars à fin novembre 2018 (cumulés) ont été tirés et mis à la disposition du Trésor, ce qui représente plus de 28% du PIB (2017) et plus de 60% du budget de l’Etat (2019). Les réformes sont, encore une fois, reportées et seront donc encore plus difficiles à mettre en place.
Cherche-t-on des consensus politiques plus larges pour mieux supporter les effets négatifs des réformes (chômage, privatisations, réduction des subventions, fiscalité…) ? Les partisans du statu quo risquent d’hypothéquer l’avenir économique de l’Algérie.
Vous avez récemment déclaré qu’il n’existait pas de projet politique qui va au-delà de la loi de finances. S’agit-il d’un problème de compétence ou d’absence de volonté d’agir ?
On ne gère pas un pays de la taille de l’Algérie (le réel et le potentiel) avec une perspective annuelle. Les enjeux sont tellement importants pour notre pays de par sa position, sa taille relative en Afrique et dans le monde arabe, ses potentiels économiques que les défis soient du même ordre. C’est pourquoi nous avons besoin d’une ambition, d’une vision et d’une projection à long terme.
La loi de finances annuelle est un document essentiellement budgétaire (dépenses et recettes de l’Etat et dispositions fiscales et quelques dispositions à caractère régulatoire) et donc elle n’a pas vocation à traiter les problèmes structurels de l’économie nationale. La trajectoire budgétaire 2016-2019 suggérée par les rédacteurs du nouveau modèle de croissance économique pour justement sortir de l’annualité de la loi de finances n’a pas été respectée.
La loi de finances est un outil d’exécution des politiques économiques et des politiques publiques et n’a pas vocation à se substituer à une vision globale du pays à terme. Cette ambition exprimée dans une vision donnerait de l’espoir à chacun et à l’ensemble des acteurs pour leur permettre de se projeter, de prendre des risques et d’investir dans l’avenir.
Le fait d’accorder trop d’importance à la loi de finances dans les débats montre l’indigence de la réflexion sur les questions fondamentales. Est-ce par paresse intellectuelle ou par peur de regarder l’avenir et ses enjeux, ou encore par fatalisme (l’espoir que les problèmes se règlent par eux-mêmes) ?
La Banque d’Algérie continue de recourir à la planche à billets toujours en l’absence du tissu productif lui permettant de la soutenir. Un jusqu’au-boutisme suicidaire ?
Comme il a été rappelé plus haut, le volume tiré de la planche à billets à fin novembre 2018 est considérable dans l’absolu, mais aussi inquiétant par son affectation. En effet, sur les 5200 milliards de DA de tirage auprès de la Banque d’Algérie, plus de 3200 milliards de DA sont allés à la couverture du déficit budgétaire et au remboursement de la dette publique (constituée autour de Sonatrach, Sonelgaz et le remboursement de l’emprunt du Trésor).
Finalement, ce qui a été alloué directement à l’investissement à travers le FNI ne représente qu’un peu plus du tiers. Donc, le potentiel de remboursement du Trésor à la Banque d’Algérie est très faible si l’on en juge par l’importance de l’investissement dans le tissu industriel et les perspectives d’élargissement de l’assiette fiscale, seule voie possible pour des recettes budgétaires additionnelles.
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