Vous êtes juriste international avez été membre du conseil constitutionnel en Algérie quel est votre appréciation de la proposition de sortie de crise faites par le président Bouteflika ?
C’est une fausse réponse a un vrai problème. Il est vraiment dommage pour le Président Bouteflika, qui après vingt années de « règne » sans partage, (il n’a jamais voulu être un « demi ou trois-quarts président »d’après ses mots ! et avait montre du mépris pour ses prédécesseurs qu’il avait qualifié de « Présidentstagiaire ») n’a pas pu penser à aucun moment qu’il lui faudra partir un jour et laisser le peuple se choisir un nouveau Président pour répondre à d’autres défis qui ne sont plus ceux de 1999.
Bien sûr, je comprends bien qu’autour du Président Bouteflika, il s’est constitué une cour avec des courtisans qui ont pu lui faire croire que sous son règne, le peuple accumulait la richesse et le bonheur, et que sans lui l’Algérie il s’écroulerait et sombrerait dans le néant. C’est le propre de tous les régimes autoritaires de voir se développer une cour autour du chef suprême que personne n’ose ni contredire ni encore moins critiquer. Hélas cela n’est pas une vue de l’esprit quand je vois les membres de cette cour faire un véritable concours d’imagination et d’éloquence pour dire que sans lui, nous autres quarante millions d’Algériens seront incapables de survivre dans le monde moderne et que nous serons toujours empêtrés dans une guerre de cent ans.
La proposition de sortie de crise, comme vous l’appelez, est un élément indissociable d’une stratégie de pérennisation de l’homme au pouvoir. Par définition elle est une non-réponse à la légitime demande du peuple et de sa jeunesse d’en finir avec un système qui n’est ni démocratique ni porteur de développement économique, social et culturel. Sachant l’etat de la sante du Présidentet sa capacite a se concentrer des nuits durant, comme le ferait un Président en bonne santé, je pense que ce schéma de sortie de crise a été probablement préparé par des courtisans qui n’ont pas le courage de lui expliquer la profondeur de la crise qui secoue le pays et de la nécessité de passer la main. L’explication de ses courtisans devenus porte-paroles sur le fait qu’il a compris cette revendication et qu’il lui faut du temps pour concrétiser le changement procède de cette stratégiede pérennisation du pouvoir. Il est dommage que cela soit le fait d’hommes supposés avoir de l’intelligence et du savoir faire en diplomatie et en communication, et qui acceptent sans questionner et d’emblée le principe de la manipulation de la Constitution a des fins non-avouées. Je ne peux que légitimement douter de leur bonne foi.
En quoi est-elle en contradiction avec la constitution ?
Il n’y a aucun besoin d’être un grand constitutionnaliste pour faire une lecture grammaticale de la Constitution pour relever qu’elle ne prévoit pas de report d’élection en dehors de circonstances exceptionnelles et précises qui n’existent pas : état d’urgence, état de guerre, agression contre notre pays par des forces étrangères ou autres circonstances exceptionnelles que la jurisprudence constitutionnelle pourrait avaliser (tremblement de terre grave, cataclysme naturel etc….) qui pourraient rendre matériellement impossible les opérations électorales. De plus le mandat présidentiel est limité dans le temps et seul un amendement constitutionnel pourrait le modifier. Il n’y a aucune règle, ni principe constitutionnel qui autorise un Président a prolonger son mandat sous le prétexte qu’il lui faut accomplir des reformes. Une décision unilatérale d’un Président en fin de mandat dont la candidature est largement contestée par le peuple est clairement une violation flagrante de la Constitution et non pas une simple contradiction avec cette dernière. Le maintien de cette situation après la fin du mandat du Président aura les mêmes conséquences qu’un coup d’Etat. Les jeunes doivent savoir que le coup d’Etat de 1965 devait aboutir a un nouvel ordre constitutionnel qui ne s’est formalise qu’en 1976 (onze ans après) par une Constitution qui a légitimé les auteurs du coup d’Etat. Dans l’Algérie du XXIème siècle, un tel schéma est inopérant et ne doit pas être toléré.
Par quels biais le président Bouteflika a imposé ces dernières années un pouvoir autocratique ( ou absolu ) par des révisions constitutionnelles ?
La manipulation de la constitution que j’évoquais plus haut a été utilisée plusieurs fois depuis 1999 pour cimenter la pérennisation d’un pouvoir sans limitation du nombre de mandats pour le Président (la dernière manipulation qui limite le nombre de mandats a deux se serait appliquait a un successeur du Président Bouteflika dans les plans de ses auteurs et courtisans !). De même, les amendements constitutionnels ont fait du Président un « Deus Ex Machina » avec des pouvoirs illimités en réalité et sans aucune obligation de rendre compte a qui que ce soit. C’est ce que les politologues et constitutionnalistes ont appelé un présidentialisme aggravé.
Pour s’assurer ainsi un pouvoir ad vitam aeternam, le Président Bouteflika a offert ce spectacle incroyable d’un pays qui a changé trois fois sa constitution sans rien changer à ses mœurs de gouvernement ou d’exercice du pouvoir et encore moins pour renforcer le régime des droits de l’homme et des libertés fondamentales. En fait, il ne s’agissait pas de reformes ou d’amendements constitutionnels tels qu’on les comprend dans les jurisprudences d’autres pays, il ne s’agissait que de manipulations de quelques articles avec pour objectif la pérennisation de Bouteflika au pouvoir et du système qu’il était en train de mettre en place depuis 2000. Il a certainement donne l’impression de faire des concessions à la société, notamment avec la constitutionnalisation du Tamazight, mais cela aussi faisait partie d’un decorum légal pour mettre en évidence le côté octroyé d’une réforme, même s’il n’avait guère les moyens de s’opposer a la volonté populaire pour qui la dimension Tamzight de la société algérienne est indiscutable de son ADN.
Ces manipulations de la Constitution étaient complétées par des modifications incessantes dans la composante humaine des institutions. Aucune n’y échappait, ANP, APN et FLN et autres comme si leur stabilité pouvait signifier un risque pour son maintien au pouvoir et jouir d’un mandat ad vitam aeternam. Comme disait un grand homme d’Etat algériens, « il n’y a que le mouvement qui provoque l’immobilisme » et il faut reconnaitre que cela a été le cas pendant de longues périodes sous la Présidence Bouteflika. Ainsi, jouissant de ces pouvoirs considérables, le Président avait le droit de designer et de révoquer qui il voulait, quand il voulait : chefs des partis politiques qui sont les supports du régime, chefs militaires, premier ministre nommé et révoqué sans aucune logique apparente (le même premier ministre révoqué aujourd’hui est rappelé le lendemain, un premier ministre révoqué après quelques semaines d’exercice, des ministres et ambassadeurs demis sans cause apparente etc…).
Même lorsqu’il déclare vouloir rompre l’ordre constitutionnel comme le suggère sa lettre de retrait de sa candidature a un cinquième mandat, il n’a pas cru nécessaire de se soumettre à une obligation de consulter d’autres institutions avant de la prendre. Rien n’indique que cela a été le cas sauf si, comme dans les schémas de coup d’Etat, une consultation secrète a eu lieu sans que le peuple n’en sache rien.
Comme mentionné plus haut, dès l’inauguration de son premier mandat, le Président Bouteflika a fait savoir qu’il exercera la plénitude des pouvoirs que la Constitution accorde a sa fonction. Des lors, il s’est donné des ressources juridiques illimitées pour assoir son pouvoir sur les hommes. De ce point de vue il a usé et abusé de ces ressources juridiques et de ses fonctions pour changer les hommes qu’il choisissait dans la solitude de ses bureaux et des recommandations de ses proches et courtisans. Il avait dit au début qu’il n’avait pas trouvé assez d’hommes d’Etat pour former un gouvernement, en fait il a écarté tout homme qui pouvait montrer une stature d’homme d’Etat en portant la moindre critique de ses choix, voire quelques velléités de penser « librement ». Des généraux et des ministres en ont fait les frais.. je n’en plains aucun car s’ils avaient fait preuve de lucidité, ils auraient dû poser des questions avant d’accepter de contribuer à un programme du Président dont ils ne maitrisaient aucun élément, ou démissionner avant d’être demis sans explication. N’ont survécu que les responsables qui ont une échine souple, très souple. Des ministres dont les noms étaient liés a des grands scandales ont toujours été protégé y compris contre une éventuelle soumission aux procédures judiciaires en vigueur. Inutile de les citer, l’opinion publique les connait, certains se sont montrés comme les plus « acharnés » défenseur du cinquième mandat et d’une présidence a vie.
Que veut dire pour vous une seconde république ?
Si on considère que l’Algérie a connu une république avec plusieurs versions depuis 1962, on peut parler de deuxième république comme l’expression d’une demande profonde du peuple et de sa jeunesse qui en ce XXIème siècle. C’est le sens que je donne au « système dégage » que j’entends et voit dans les banderoles des manifestants. Pour moi, la deuxième République algérienne est plusieurs choses que j’ai appelé un jour a l’Université d’Oran dans une discussion avec mes étudiants les dix commandements de la bonne gouvernance, que je résumerais comme suit :
a. -C’est une République ou les citoyens veulent vivre sous le seul règne du droit qui doit être reconnu, consacré et protégé par une constitution que les présidents en exercice ne peuvent pas manipuler àleur guise.
b. -C’est une République ou des régulateurs indépendants seront établis pour résoudre les conflits d’intérêts et lutter contre la corruption,
c. -C’est une République ou les contre-pouvoirs sont reconnus et protégés par des règles claires, précises et applicables à tous,
d. -C’est une République ou l’équilibre des pouvoirs est bien établi, et où les élus du peuple sont redevables auprès de leurs électeurs. La deuxième République, c’est celle où un Président d’APC, ne dira plus « J’ai reçu des instructions de mon supérieur hiérarchique le Wali » et un Président du Parlement « je ne partirai que sur ordre de celui qui n’a désigné » a savoir le Président de la République,Président d’un Parti Politique devenu un appareil bureaucratique dont les responsables eux-mêmes sont soumis aux caprices de leur président et non àun congres souverain.
e. Une deuxième République est une République en phase avec la démographie de notre pays ou l’écrasante majorité de la population a moins de quarante ans et les fonctions de direction du payssont aux mains d’une gérontocratie dont la plupart des membres n’ont aucune conscience de ce que sont les réseaux sociaux et du rôle grandissant del’économie digitale que notre jeunesse commence amaitriser en dépit des freins mis a l’expansion des télécommunications pendant quinze ans (accès a la 3G) et les retards de l’accès a internet ;
f. -Une deuxième république c’est une République ou les gouvernants ne prendront pas des mesures en fonction des prix du pétrole sur le marché mondial et où les banques d’Etat (qui octroient plus de 80% des crédits à l’économie) ne seront plus au service d’une ploutocratie qui a mis le pays sur le chemin de la crise socio-économique.
g. -Une deuxième République sera celle d’une justice souveraine et indépendante de l’injonction politique et de l’alignement sur la volonté de l’administration
h. -Une deuxième République sera celle où l’alternance au pouvoir sera une réalité fondée sur le droit et la capacité de tous à contribuer au bien-être et au développement du pays.
i. -Une République ou la construction de routes, de barrages ou de logements sociaux ne doit pas être un moyen de légitimation politique mais comme une simple activité de gestion ordinaire du pays et de ses ressources sous un contrôle sérieux et efficace des institutions légitimes (cour des comptes, assemblées parlementaire, justice).
j. -Une République d’où sera banni la corruption et dans laquelle le salaire des travailleurs et les services sociaux donneront aux citoyens la satisfaction d’une vie honorable.
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