Pour Ali Benflis, l'ancien chef du Gouvernement algérien, le mouvement citoyen en Algérie sera exclusivement mené par le peuple algérien, qui refuse farouchement toute tentative d'ingérence extérieure. Il confie en exclusivité à Sputnik que le pays est «mûr pour passer d'un système autocratique, stalinien, à un système démocratique.»
Ancien magistrat et avocat, Ali Benflis a été nommé ministre de la Justice dans la foulée de l'ouverture démocratique qui a succédé aux événements d'octobre 1988. Il a démissionné en 1991, pour protester notamment contre les arrestations administratives (extrajudiciaires), mais fera son grand retour sur la scène politique, d'abord en tant que député FLN en 1997, puis aux côtés d'Abdelaziz Bouteflika, à partir de 1999.
Il sera ainsi successivement son directeur de campagne, puis secrétaire général de la présidence et directeur de cabinet du Président, avant d'être nommé en 2000 Premier ministre. Une fonction qu'il gardera jusqu'au 5 mai 2003, date de son remplacement par Ahmed Ouyahia, à la suite d'un conflit avec le Président. «Nous nous sommes séparés. J'ai continué à vivre mes convictions. Il a continué à vivre les siennes, c'est-à-dire le pouvoir. Depuis maintenant 16 ou 17 ans, je n'y suis plus», confie-t-il à Sputnik, au cours d'un entretien exclusif.
Ali Benflis a été candidat à la présidentielle algérienne contre Abdelaziz Bouteflika à deux reprises, en 2004 et en 2014. Depuis septembre 2015, il est à la tête d'un parti d'opposition progressiste et démocrate, Talaie El Hourriat.
Sputnik: Peut-on parler d'un avant et d'un après 15 mars, les premières manifestations monstre à travers toute Algérie?
Ali Benflis: «C'est certain! Mais il y avait surtout l'annonce de la candidature au 5e mandat et le dépôt par quelqu'un, qui n'était pas le Président de la République, de la candidature de ce dernier, au Conseil constitutionnel. Ce jour-là, le peuple algérien a été touché dans son amour-propre, s'est senti humilié et provoqué par une candidature à la fois imaginaire et surréaliste. Il est sorti à travers toute l'Algérie pour dire "ça suffit de nous humilier et de nous provoquer". Moi je dis que c'est à partir de ce jour-là qu'il y a eu un avant et un après.»
Sputnik: C'était, donc, cela l'événement fondateur de la mobilisation?
Ali Benflis: «L'événement fondateur et déclencheur. Et juste après cela, j'ai déclaré qu'il fallait d'abord des mesures d'apaisement. Et ensuite, on peut sortir de la crise à travers des démarches multiples et qui peuvent être discutées le moment voulu.»
Sputnik: Quelles mesures d'apaisement?
Ali Benflis: «Je l'ai dit juste après le dépôt de candidature et l'annonce du cinquième mandat. J'ai dit que pour apaiser la population, il fallait des annonces fortes. D'abord, le retrait du cinquième mandat, puis le départ du gouvernement Ouyahia. Ensuite, le gel de cette "Commission de supervision des élections", que l'on a qualifiée de haute et indépendante, alors qu'elle n'était ni haute ni indépendante.
L'objectif était de montrer qu'on voulait quitter les pratiques anciennes. J'ai même appelé au départ du président du Conseil constitutionnel, qui, lors de la prestation de serment présidentielle de 2014, a déclaré sa fidélité « au Président et à l'Algérie », c'est dire qu'il a situé la fidélité à l'Algérie après celle au Président.
Qu'est-ce qui s'est passé? L'annonce, par le Président, du retrait du cinquième mandat, en disant qu'il n'avait pas l'intention de se présenter à la présidentielle! De quoi donner une idée sur la gestion du pays. Il a aussi annoncé son intention de faire des réformes et de se retirer au terme d'élections anticipées. Résultat, le peuple est sorti dans la rue, à travers tout le pays, vendredi 8 mars.
Suit, alors, une autre annonce, avec renoncement à ce 5ème mandat, mais prolongation du quatrième pour une durée qui sera fixée par une conférence nationale convoquée, avec de plus l'annonce du départ du gouvernement [Ahmed] Ouyahia et la formation d'un nouveau gouvernement présidé par l'ancien ministre de l'Intérieur et avec un vice-Premier ministre, fonction qui n'existe pas dans la Constitution algérienne. Or, que va faire la Conférence nationale? Écrire une Constitution par le haut, par des personnes désignées par le Président, alors que le peuple ne demande qu'à devenir souverain et à faire écrire sa Constitution par la légitimité des urnes et des personnes dûment déléguées par lui-même.»
Sputnik: selon vous, qu'indiquent ces atermoiements, ces marches arrière de la part du pouvoir algérien?
Ali Benflis: «Les élections de 2014, déjà, étaient une reconduction de la vacance. Des forces extra-constitutionnelles se sont emparées du pouvoir présidentiel. Il s'agit là de la proximité du Président. Il y a là des hommes d'affaires qui ont bénéficié de 80% des marchés publics. Ils sont au nombre de cinq ou six et se sont accaparés de grosses fortunes, se sont constitués une communication qui leur est propre (des chaînes de télévisions, des journaux, etc.).
Avec tous les moyens dont ils disposent, ils se sont permis de tirer vers elles des institutions civiles et politiques qui étaient à leur merci, puisque ces forces avaient le pouvoir de faire nommer des Walis ou des ministres. Voilà que le 4e mandat arrive à ses derniers mois. La question s'est posée pour eux pour rester. Elles voulaient un 5e mandat au nom du Président, mais qui est, réellement, le mandat des forces extra-constitutionnelles, à travers la photo ou le cadre du Président. Le morceau était trop important et il ne fallait pas le lâcher. Elles ont tenté le cinquième, qui est tombé. Elles ont voulu prolonger le 4e en donnant l'impression de faire des réformes.
Ce pouvoir politique a eu 20 ans devant lui. Une véritable autoroute. Il a eu 1 200 milliards [de dollars US, ndlr] entre ses mains. Sauf qu'il n'est pas arrivé à construire une légitimité politique, c'est-à-dire que le pouvoir s'exerçait sans le peuple souverain. On n'a pas réalisé les réformes qu'il fallait pour sortir d'une économie dépendante des hydrocarbures, en allant vers une économie alternative.
On ne reconnaît pas la vraie société civile, les syndicats. On a des conflits sociaux parce qu'il n'y a pas de médiation légitime. Le Syndicat omnipotent est au service de l'État, voulant représenter malgré eux les ouvriers, qui sont allés vers les syndicats autonomes. Certains ont été agréés, en s'imposant par leur force et leur présence sur le terrain, et beaucoup d'autres ne le sont pas jusqu'à ce jour. Il n'y a pas d'autre intermédiation sur le plan politique.
Difficilement, seuls quelques partis ont réussi à avoir les agréments. Dont le mien, un parti d'opposition dès le départ. Beaucoup d'autres ont demandé l'agrément, sans succès. C'est justement l'oeuvre de ce ministre de l'Intérieur qui a été l'architecte de trois lois scélérates: la loi sur les partis politiques, qui empêche des partis politiques d'obtenir des agréments, le code électoral, qui gère la fraude et tous les dépassements contre la volonté populaire. Et puis la loi sur la commission dite "indépendante et haute" de supervision des élections, qui couvre les trucages du ministère de l'Intérieur.»
Sputnik: Vous avez évoqué les précédentes élections. En 2004, vous disiez que « l'armée n'était pas avec eux ». Peut-on affirmer la même chose aujourd'hui? L'armée n'est pas avec Bouteflika?
Ali Benflis: «Je viens d'une famille qui a donné neuf martyrs pour la libération du pays, sur un million et demi de martyrs [dont] mon père et mon frère, enlevés alors que j'avais 12 ans et demi, et dont les corps n'ont jamais été retrouvés à ce jour. L'ANP, l'Armée nationale populaire, est composée de nos enfants, femmes et hommes, qui vivent en tant que militaires les mêmes problèmes économiques et sociaux, notamment de pouvoir d'achat qui ne cesse de baisser, mais aussi toutes les autres difficultés quotidiennes auxquelles sont confrontées tous les Algériens. Il ne me vient pas un instant à l'esprit que l'armée puisse être contre les aspirations du peuple. Je ne pense pas me tromper. Je l'ai dit hier, avant-hier, et je le redis aujourd'hui.»
Sputnik: Pas l'armée, ni même une partie de l'État-Major?
Ali Benflis: «L'armée est une institution républicaine, une institution de la nation algérienne. Elle est composée des enfants du peuple. Aujourd'hui, et pendant les trois vendredis qui sont passés, l'armée s'est occupée à exercer ses missions constitutionnelles. Jusqu'à présent, on n'a pas vu l'armée prendre position contre le peuple algérien. Je pense même que les services de sécurité, dans leur globalité, sont en train d'accompagner ces aspirations du peuple. La preuve, c'est que les gens manifestent, occupent les rues, les places publiques, dans un esprit de grande lucidité et de grande civilité.
Je pense, personnellement, que la chose est prise en charge par le peuple dans sa globalité: armée, services de sécurité, gendarmerie, police, institutions d'État. D'ailleurs, tout le monde était dans la rue vendredi, y compris des policiers et des gens qui exercent des fonctions de sécurité. C'est allé crescendo et maintenant, tout le peuple a pris en charge ces aspirations, propres à lui, pour aller vers la paix et un État où le peuple est souverain. La situation est mûre pour que l'Algérie passe d'un système autocratique, stalinien, vers un système démocratique.»
Sputnik: S'il y a autant de monde qui est contre le pouvoir —ou en tout cas, qui soutient les aspirations du peuple-, qu'est-ce qui permet aujourd'hui à la logique du pouvoir de se maintenir?
Ali Benflis: «Je cherche à faire des analyses objectives. On veut parfois dire des choses à propos de l'armée. Mais ce que je constate de mon côté, c'est une évolution très saine dans le sens des aspirations du peuple et de l'Histoire. Le pouvoir politique algérien qui gouverne encore —je ne pense pas que ce soit pour longtemps encore- le fait dans une mentalité du XIXe siècle. Il ne voit pas du tout que cette jeunesse (42 millions d'habitants, dont plus de 70% de moins de 45 ans), qui est connectée à Internet, voit en temps réel ce qui se passe dans le monde et veut vivre son temps dans son propre pays. Or, ce pouvoir veut lui faire vivre un autre temps, des temps anciens, dans son propre pays.
Je craignais qu'il n'y ait une cassure violente. Je l'exclus aujourd'hui à 100%, en voyant que la jeunesse aujourd'hui, qui a fait les facultés et qui est dans la grande école de tous les jours, Internet, a repris son destin en main sans qu'une seule vitre ne soit brisée à travers le pays. Vendredi 15 mars, il y avait le double des effectifs de la semaine dernière, de même que dans les autres villes, où on m'a dit que c'est deux ou trois fois plus que la semaine dernière. Je ne sais pas qui peut s'aventurer à dire que ce n'est rien.»
Sputnik: Quelle issue voyez-vous à ce qui est en train de se passer, si le pouvoir maintient sa vision des choses?
Ali Benflis: «L'écoute du peuple, c'est la plus grande leçon et c'est la meilleure école. Je pense qu'il y a de l'écoute, puisqu'on a renoncé au 5e et que le gouvernement a été remplacé. Mais en annonçant une conférence nationale, qui n'a aucune légitimité, on a créé une autre provocation. Alors, qu'est-ce qui va se passer? Vous avez des millions de manifestants à travers tout le pays. Quelle est cette force qui pourrait leur dire "vous avez tort ou alors, on ne vous écoute pas?" C'est pour ça qu'il me semble que c'est une question de jours et il y aura du nouveau par l'écoute, puisqu'il y a dans ce pouvoir —et là, je ne parle pas des forces extra-constitutionnelles- des patriotes et des gens qui n'acceptent pas que l'on aille droit dans le mur.»
Ancien magistrat et avocat, Ali Benflis a été nommé ministre de la Justice dans la foulée de l'ouverture démocratique qui a succédé aux événements d'octobre 1988. Il a démissionné en 1991, pour protester notamment contre les arrestations administratives (extrajudiciaires), mais fera son grand retour sur la scène politique, d'abord en tant que député FLN en 1997, puis aux côtés d'Abdelaziz Bouteflika, à partir de 1999.
Il sera ainsi successivement son directeur de campagne, puis secrétaire général de la présidence et directeur de cabinet du Président, avant d'être nommé en 2000 Premier ministre. Une fonction qu'il gardera jusqu'au 5 mai 2003, date de son remplacement par Ahmed Ouyahia, à la suite d'un conflit avec le Président. «Nous nous sommes séparés. J'ai continué à vivre mes convictions. Il a continué à vivre les siennes, c'est-à-dire le pouvoir. Depuis maintenant 16 ou 17 ans, je n'y suis plus», confie-t-il à Sputnik, au cours d'un entretien exclusif.
Ali Benflis a été candidat à la présidentielle algérienne contre Abdelaziz Bouteflika à deux reprises, en 2004 et en 2014. Depuis septembre 2015, il est à la tête d'un parti d'opposition progressiste et démocrate, Talaie El Hourriat.
Sputnik: Peut-on parler d'un avant et d'un après 15 mars, les premières manifestations monstre à travers toute Algérie?
Ali Benflis: «C'est certain! Mais il y avait surtout l'annonce de la candidature au 5e mandat et le dépôt par quelqu'un, qui n'était pas le Président de la République, de la candidature de ce dernier, au Conseil constitutionnel. Ce jour-là, le peuple algérien a été touché dans son amour-propre, s'est senti humilié et provoqué par une candidature à la fois imaginaire et surréaliste. Il est sorti à travers toute l'Algérie pour dire "ça suffit de nous humilier et de nous provoquer". Moi je dis que c'est à partir de ce jour-là qu'il y a eu un avant et un après.»
Sputnik: C'était, donc, cela l'événement fondateur de la mobilisation?
Ali Benflis: «L'événement fondateur et déclencheur. Et juste après cela, j'ai déclaré qu'il fallait d'abord des mesures d'apaisement. Et ensuite, on peut sortir de la crise à travers des démarches multiples et qui peuvent être discutées le moment voulu.»
Sputnik: Quelles mesures d'apaisement?
Ali Benflis: «Je l'ai dit juste après le dépôt de candidature et l'annonce du cinquième mandat. J'ai dit que pour apaiser la population, il fallait des annonces fortes. D'abord, le retrait du cinquième mandat, puis le départ du gouvernement Ouyahia. Ensuite, le gel de cette "Commission de supervision des élections", que l'on a qualifiée de haute et indépendante, alors qu'elle n'était ni haute ni indépendante.
L'objectif était de montrer qu'on voulait quitter les pratiques anciennes. J'ai même appelé au départ du président du Conseil constitutionnel, qui, lors de la prestation de serment présidentielle de 2014, a déclaré sa fidélité « au Président et à l'Algérie », c'est dire qu'il a situé la fidélité à l'Algérie après celle au Président.
Qu'est-ce qui s'est passé? L'annonce, par le Président, du retrait du cinquième mandat, en disant qu'il n'avait pas l'intention de se présenter à la présidentielle! De quoi donner une idée sur la gestion du pays. Il a aussi annoncé son intention de faire des réformes et de se retirer au terme d'élections anticipées. Résultat, le peuple est sorti dans la rue, à travers tout le pays, vendredi 8 mars.
Suit, alors, une autre annonce, avec renoncement à ce 5ème mandat, mais prolongation du quatrième pour une durée qui sera fixée par une conférence nationale convoquée, avec de plus l'annonce du départ du gouvernement [Ahmed] Ouyahia et la formation d'un nouveau gouvernement présidé par l'ancien ministre de l'Intérieur et avec un vice-Premier ministre, fonction qui n'existe pas dans la Constitution algérienne. Or, que va faire la Conférence nationale? Écrire une Constitution par le haut, par des personnes désignées par le Président, alors que le peuple ne demande qu'à devenir souverain et à faire écrire sa Constitution par la légitimité des urnes et des personnes dûment déléguées par lui-même.»
Sputnik: selon vous, qu'indiquent ces atermoiements, ces marches arrière de la part du pouvoir algérien?
Ali Benflis: «Les élections de 2014, déjà, étaient une reconduction de la vacance. Des forces extra-constitutionnelles se sont emparées du pouvoir présidentiel. Il s'agit là de la proximité du Président. Il y a là des hommes d'affaires qui ont bénéficié de 80% des marchés publics. Ils sont au nombre de cinq ou six et se sont accaparés de grosses fortunes, se sont constitués une communication qui leur est propre (des chaînes de télévisions, des journaux, etc.).
Avec tous les moyens dont ils disposent, ils se sont permis de tirer vers elles des institutions civiles et politiques qui étaient à leur merci, puisque ces forces avaient le pouvoir de faire nommer des Walis ou des ministres. Voilà que le 4e mandat arrive à ses derniers mois. La question s'est posée pour eux pour rester. Elles voulaient un 5e mandat au nom du Président, mais qui est, réellement, le mandat des forces extra-constitutionnelles, à travers la photo ou le cadre du Président. Le morceau était trop important et il ne fallait pas le lâcher. Elles ont tenté le cinquième, qui est tombé. Elles ont voulu prolonger le 4e en donnant l'impression de faire des réformes.
Ce pouvoir politique a eu 20 ans devant lui. Une véritable autoroute. Il a eu 1 200 milliards [de dollars US, ndlr] entre ses mains. Sauf qu'il n'est pas arrivé à construire une légitimité politique, c'est-à-dire que le pouvoir s'exerçait sans le peuple souverain. On n'a pas réalisé les réformes qu'il fallait pour sortir d'une économie dépendante des hydrocarbures, en allant vers une économie alternative.
On ne reconnaît pas la vraie société civile, les syndicats. On a des conflits sociaux parce qu'il n'y a pas de médiation légitime. Le Syndicat omnipotent est au service de l'État, voulant représenter malgré eux les ouvriers, qui sont allés vers les syndicats autonomes. Certains ont été agréés, en s'imposant par leur force et leur présence sur le terrain, et beaucoup d'autres ne le sont pas jusqu'à ce jour. Il n'y a pas d'autre intermédiation sur le plan politique.
Difficilement, seuls quelques partis ont réussi à avoir les agréments. Dont le mien, un parti d'opposition dès le départ. Beaucoup d'autres ont demandé l'agrément, sans succès. C'est justement l'oeuvre de ce ministre de l'Intérieur qui a été l'architecte de trois lois scélérates: la loi sur les partis politiques, qui empêche des partis politiques d'obtenir des agréments, le code électoral, qui gère la fraude et tous les dépassements contre la volonté populaire. Et puis la loi sur la commission dite "indépendante et haute" de supervision des élections, qui couvre les trucages du ministère de l'Intérieur.»
Sputnik: Vous avez évoqué les précédentes élections. En 2004, vous disiez que « l'armée n'était pas avec eux ». Peut-on affirmer la même chose aujourd'hui? L'armée n'est pas avec Bouteflika?
Ali Benflis: «Je viens d'une famille qui a donné neuf martyrs pour la libération du pays, sur un million et demi de martyrs [dont] mon père et mon frère, enlevés alors que j'avais 12 ans et demi, et dont les corps n'ont jamais été retrouvés à ce jour. L'ANP, l'Armée nationale populaire, est composée de nos enfants, femmes et hommes, qui vivent en tant que militaires les mêmes problèmes économiques et sociaux, notamment de pouvoir d'achat qui ne cesse de baisser, mais aussi toutes les autres difficultés quotidiennes auxquelles sont confrontées tous les Algériens. Il ne me vient pas un instant à l'esprit que l'armée puisse être contre les aspirations du peuple. Je ne pense pas me tromper. Je l'ai dit hier, avant-hier, et je le redis aujourd'hui.»
Sputnik: Pas l'armée, ni même une partie de l'État-Major?
Ali Benflis: «L'armée est une institution républicaine, une institution de la nation algérienne. Elle est composée des enfants du peuple. Aujourd'hui, et pendant les trois vendredis qui sont passés, l'armée s'est occupée à exercer ses missions constitutionnelles. Jusqu'à présent, on n'a pas vu l'armée prendre position contre le peuple algérien. Je pense même que les services de sécurité, dans leur globalité, sont en train d'accompagner ces aspirations du peuple. La preuve, c'est que les gens manifestent, occupent les rues, les places publiques, dans un esprit de grande lucidité et de grande civilité.
Je pense, personnellement, que la chose est prise en charge par le peuple dans sa globalité: armée, services de sécurité, gendarmerie, police, institutions d'État. D'ailleurs, tout le monde était dans la rue vendredi, y compris des policiers et des gens qui exercent des fonctions de sécurité. C'est allé crescendo et maintenant, tout le peuple a pris en charge ces aspirations, propres à lui, pour aller vers la paix et un État où le peuple est souverain. La situation est mûre pour que l'Algérie passe d'un système autocratique, stalinien, vers un système démocratique.»
Sputnik: S'il y a autant de monde qui est contre le pouvoir —ou en tout cas, qui soutient les aspirations du peuple-, qu'est-ce qui permet aujourd'hui à la logique du pouvoir de se maintenir?
Ali Benflis: «Je cherche à faire des analyses objectives. On veut parfois dire des choses à propos de l'armée. Mais ce que je constate de mon côté, c'est une évolution très saine dans le sens des aspirations du peuple et de l'Histoire. Le pouvoir politique algérien qui gouverne encore —je ne pense pas que ce soit pour longtemps encore- le fait dans une mentalité du XIXe siècle. Il ne voit pas du tout que cette jeunesse (42 millions d'habitants, dont plus de 70% de moins de 45 ans), qui est connectée à Internet, voit en temps réel ce qui se passe dans le monde et veut vivre son temps dans son propre pays. Or, ce pouvoir veut lui faire vivre un autre temps, des temps anciens, dans son propre pays.
Je craignais qu'il n'y ait une cassure violente. Je l'exclus aujourd'hui à 100%, en voyant que la jeunesse aujourd'hui, qui a fait les facultés et qui est dans la grande école de tous les jours, Internet, a repris son destin en main sans qu'une seule vitre ne soit brisée à travers le pays. Vendredi 15 mars, il y avait le double des effectifs de la semaine dernière, de même que dans les autres villes, où on m'a dit que c'est deux ou trois fois plus que la semaine dernière. Je ne sais pas qui peut s'aventurer à dire que ce n'est rien.»
Sputnik: Quelle issue voyez-vous à ce qui est en train de se passer, si le pouvoir maintient sa vision des choses?
Ali Benflis: «L'écoute du peuple, c'est la plus grande leçon et c'est la meilleure école. Je pense qu'il y a de l'écoute, puisqu'on a renoncé au 5e et que le gouvernement a été remplacé. Mais en annonçant une conférence nationale, qui n'a aucune légitimité, on a créé une autre provocation. Alors, qu'est-ce qui va se passer? Vous avez des millions de manifestants à travers tout le pays. Quelle est cette force qui pourrait leur dire "vous avez tort ou alors, on ne vous écoute pas?" C'est pour ça qu'il me semble que c'est une question de jours et il y aura du nouveau par l'écoute, puisqu'il y a dans ce pouvoir —et là, je ne parle pas des forces extra-constitutionnelles- des patriotes et des gens qui n'acceptent pas que l'on aille droit dans le mur.»
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