Selon des spécialistes du droit constitutionnel :
Par REPORTERS - 23 mars 2019
Si le Président Abdelaziz Bouteflika décide de quitter la présidence de la République à la date d’expiration de son mandat, soit le 28 avril prochain, il aura répondu à l’appel du peuple, certes, mais cette décision incite, par la même occasion, à se poser moult questions quant à la voie légale que pourrait emprunter le pays après le 28 avril.
PAR INES DALI ET LEILA ZAIMI
Le scénario de départ au terme de son mandat qu’on prête au chef de l’Etat laissera le pays dans «une situation qui n’est prévue nulle part dans la Constitution», selon des spécialistes en droit constitutionnel contactés par Reporters. Ce qui ajoute à l’ambiguïté de la situation, c’est qu’aucune échéance pour la tenue d’une élection présidentielle n’est prévue. L’Algérie post-28 avril se retrouverait alors dans une situation de vacance du pouvoir et de vide constitutionnel.
Comment démêler cet imbroglio juridique et quelles pourraient être les solutions qui éviteraient la voie sans issue dans laquelle l’Algérie risquerait de se retrouver ? La spécialiste en droit constitutionnel Fatiha Benabbou estime que le départ du chef de l’Etat à la date d’expiration de son mandat ne constitue nullement une solution, mais, au contraire, risquerait d’exacerber davantage la crise politique qui prévaut dans le pays. «Le Président doit savoir qu’il existe d’autres décisions, en conformité avec la Constitution, qu’il pourrait prendre avant la fin de son mandat. Cela d’autant qu’il avait signé un décret portant report de la convocation du corps électoral à une échéance non déterminée», a-t-elle indiqué.
De son côté, Djamel Nezar, avocat, souligne que le mandat présidentiel s’achevant le 28 avril prochain, après cette date, Bouteflika ne sera donc plus président du point de vue constitutionnel. «Même s’il reste après le 28 avril, il ne pourra plus toucher à la Constitution. Après cette date, il n’y aura aucune solution constitutionnelle, et toute autre pratique sera anticonstitutionnelle». Même son de cloche chez Aïb Allaoua, homme de loi et ancien membre du Conseil de la nation, qui soutient lui aussi que si Bouteflika quitte la présidence de la République au terme de son mandat, l’Algérie se retrouverait face à un vide constitutionnel.
Pour les spécialistes en la matière, la seule option possible pour anticiper sur ce «vide constitutionnel» reste «la démission du Président». C’est l’avis de Aïb Allaoua et de de Fatiha Benabbou. Cette dernière déclare clairement qu’il est préférable et souhaitable que le Président démissionne avant le 28 avril. «Je fais appel à son sens du patriotisme en tant que moudjahid et fils de cette patrie pour démissionner de la présidence de la République, car cette option existe dans l’article 102 (alinéa 3) de la Constitution». Cet article stipule qu’«en cas de démission ou de décès du président de la République, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit et constate la vacance définitive de la présidence de la République. Il communique immédiatement l’acte de déclaration de vacance définitive au Parlement qui se réunit de plein droit. Le président du Conseil de la nation assume alors la charge de chef de l’Etat pour une durée de 90 jours au maximum, au cours de laquelle l’élection présidentielle est organisée». De l’avis de la constitutionaliste, «c’est la meilleure solution qui laissera le pays dans un processus démocratique et non dans l’impasse».
Contre les solutions de transition
Si le Président ne démissionne pas, selon Fatiha Benabbou, il existe une voie de recours qui pourrait être entreprise par les parlementaires. Ce qui donnerait «droit au Conseil constitutionnel d’intervenir. Cela s’appelle les règles autonomes». Elle s’explique : «Il faut que 50 membres de l’Assemblée populaire nationale ou 30 membres du Conseil de la nation saisissent le Conseil constitutionnel par rapport au décret du 11 mars dernier – qui reporte la convocation du corps électoral – aux fins de contrôle de la constitutionalité dudit décret. Par la suite, il suffit d’une majorité des membres du Conseil constitutionnel pour déclarer le décret inconstitutionnel et le retirer. Nous serions alors dans la situation d’avant le 11 mars, date à laquelle a été signé le décret portant annulation du décret portant convocation du corps électoral.» A ce moment-là, poursuit Benabbou, «les personnes qui ont vu leur candidature à l’élection présidentielle retirée peuvent la remettre à l’ordre du jour. Si le Conseil Constitutionnel accepte, nous pourrions alors continuer le processus électoral».
Elle se dit, par ailleurs, contre les solutions de transition. «On sait comment ces transitions se sont terminées dans d’autres pays et même en Algérie durant la période 1992-1995. Elles sont dangereuses dans la mesure où les institutions sont affaiblies. Lorsqu’il n’y a pas de Président, l’édifice institutionnel risque de s’ébranler. C’est dangereux car les Etats étrangers pourraient faire pression dans plusieurs domaines». Une instance de transition, poursuit-elle, n’est jamais forte et les conséquences pourraient s’avérer dramatiques, «cela obligerait, par ailleurs, l’Armée à endosser un rôle d’arbitrage.
Laissons l’Armée dans ses casernes, s’occuper des frontières et de la sécurité du pays pour ne pas entacher sa légitimité en raison des débats politiques». Deux scénarios restent encore possibles pour que le pays ne se retrouve pas dans un «un vide constitutionnel : soit le Président démissionne soit les parlementaires saisissent le Conseil constitutionnel», conclut Fatiha Benabbou.
Par REPORTERS - 23 mars 2019
Si le Président Abdelaziz Bouteflika décide de quitter la présidence de la République à la date d’expiration de son mandat, soit le 28 avril prochain, il aura répondu à l’appel du peuple, certes, mais cette décision incite, par la même occasion, à se poser moult questions quant à la voie légale que pourrait emprunter le pays après le 28 avril.
PAR INES DALI ET LEILA ZAIMI
Le scénario de départ au terme de son mandat qu’on prête au chef de l’Etat laissera le pays dans «une situation qui n’est prévue nulle part dans la Constitution», selon des spécialistes en droit constitutionnel contactés par Reporters. Ce qui ajoute à l’ambiguïté de la situation, c’est qu’aucune échéance pour la tenue d’une élection présidentielle n’est prévue. L’Algérie post-28 avril se retrouverait alors dans une situation de vacance du pouvoir et de vide constitutionnel.
Comment démêler cet imbroglio juridique et quelles pourraient être les solutions qui éviteraient la voie sans issue dans laquelle l’Algérie risquerait de se retrouver ? La spécialiste en droit constitutionnel Fatiha Benabbou estime que le départ du chef de l’Etat à la date d’expiration de son mandat ne constitue nullement une solution, mais, au contraire, risquerait d’exacerber davantage la crise politique qui prévaut dans le pays. «Le Président doit savoir qu’il existe d’autres décisions, en conformité avec la Constitution, qu’il pourrait prendre avant la fin de son mandat. Cela d’autant qu’il avait signé un décret portant report de la convocation du corps électoral à une échéance non déterminée», a-t-elle indiqué.
De son côté, Djamel Nezar, avocat, souligne que le mandat présidentiel s’achevant le 28 avril prochain, après cette date, Bouteflika ne sera donc plus président du point de vue constitutionnel. «Même s’il reste après le 28 avril, il ne pourra plus toucher à la Constitution. Après cette date, il n’y aura aucune solution constitutionnelle, et toute autre pratique sera anticonstitutionnelle». Même son de cloche chez Aïb Allaoua, homme de loi et ancien membre du Conseil de la nation, qui soutient lui aussi que si Bouteflika quitte la présidence de la République au terme de son mandat, l’Algérie se retrouverait face à un vide constitutionnel.
Pour les spécialistes en la matière, la seule option possible pour anticiper sur ce «vide constitutionnel» reste «la démission du Président». C’est l’avis de Aïb Allaoua et de de Fatiha Benabbou. Cette dernière déclare clairement qu’il est préférable et souhaitable que le Président démissionne avant le 28 avril. «Je fais appel à son sens du patriotisme en tant que moudjahid et fils de cette patrie pour démissionner de la présidence de la République, car cette option existe dans l’article 102 (alinéa 3) de la Constitution». Cet article stipule qu’«en cas de démission ou de décès du président de la République, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit et constate la vacance définitive de la présidence de la République. Il communique immédiatement l’acte de déclaration de vacance définitive au Parlement qui se réunit de plein droit. Le président du Conseil de la nation assume alors la charge de chef de l’Etat pour une durée de 90 jours au maximum, au cours de laquelle l’élection présidentielle est organisée». De l’avis de la constitutionaliste, «c’est la meilleure solution qui laissera le pays dans un processus démocratique et non dans l’impasse».
Contre les solutions de transition
Si le Président ne démissionne pas, selon Fatiha Benabbou, il existe une voie de recours qui pourrait être entreprise par les parlementaires. Ce qui donnerait «droit au Conseil constitutionnel d’intervenir. Cela s’appelle les règles autonomes». Elle s’explique : «Il faut que 50 membres de l’Assemblée populaire nationale ou 30 membres du Conseil de la nation saisissent le Conseil constitutionnel par rapport au décret du 11 mars dernier – qui reporte la convocation du corps électoral – aux fins de contrôle de la constitutionalité dudit décret. Par la suite, il suffit d’une majorité des membres du Conseil constitutionnel pour déclarer le décret inconstitutionnel et le retirer. Nous serions alors dans la situation d’avant le 11 mars, date à laquelle a été signé le décret portant annulation du décret portant convocation du corps électoral.» A ce moment-là, poursuit Benabbou, «les personnes qui ont vu leur candidature à l’élection présidentielle retirée peuvent la remettre à l’ordre du jour. Si le Conseil Constitutionnel accepte, nous pourrions alors continuer le processus électoral».
Elle se dit, par ailleurs, contre les solutions de transition. «On sait comment ces transitions se sont terminées dans d’autres pays et même en Algérie durant la période 1992-1995. Elles sont dangereuses dans la mesure où les institutions sont affaiblies. Lorsqu’il n’y a pas de Président, l’édifice institutionnel risque de s’ébranler. C’est dangereux car les Etats étrangers pourraient faire pression dans plusieurs domaines». Une instance de transition, poursuit-elle, n’est jamais forte et les conséquences pourraient s’avérer dramatiques, «cela obligerait, par ailleurs, l’Armée à endosser un rôle d’arbitrage.
Laissons l’Armée dans ses casernes, s’occuper des frontières et de la sécurité du pays pour ne pas entacher sa légitimité en raison des débats politiques». Deux scénarios restent encore possibles pour que le pays ne se retrouve pas dans un «un vide constitutionnel : soit le Président démissionne soit les parlementaires saisissent le Conseil constitutionnel», conclut Fatiha Benabbou.
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