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Ghania Mouffok-Sur les frontières du permis et de l’interdit.

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  • Ghania Mouffok-Sur les frontières du permis et de l’interdit.

    Ce qui se passe tous les vendredis en marge des manifestations pacifiques, silmiya, aux frontières du permis et qui opposent dans une grande violence des civils, du moins en apparence, aux forces de police, Unité du Maintien de l’ordre, BRI et policiers en civils, est souvent passé sous silence ou jugé anecdotique, pourtant sa répétition hebdomadaire qui clôture les manifestations mérite que l’on s’y attarde.
    Les premiers vendredis, depuis la première marche du 22 février, aux alentours du quartier d’El Mouradia alors qu’au centre d’Alger les manifestants se dispersent dans un ordre impressionnant et sans incident notoire, une nouvelle scène s’ouvre autour du Telemly, d’Addis Abeba jusqu’à l’hôtel Saint Georges.
    Ce trajet est celui qui permet de monter depuis Alger centre vers la Présidence, désigné par l’imaginaire populaire sous le nom d’El Mouradia, et immortalisé par la chanson emblématique de ce mouvement par la Casa d’El Mouradia, du nom de la commune où se trouve ce lieu de pouvoir qui est devenu un lieu symbolique.
    Un lieu inhabité et vide puisque sans corps vivant, le président étant porté disparu.
    C’est pourtant entre ce quartier et Alger centre que sont disposés de manière spectaculaire le plus grand nombre de force de sécurité, armés, bottés, casqués, bâtons, grenades lacrymogènes, boucliers anti-émeute avec chars blindés. C’est sur ce territoire qu’ont été posées pour la première fois de nouvelles armes de guerre urbaine comme ce camion appelé le tonnerre, il filme, il est à lui seul 30 hommes armés de grenades lacrymogène et il fait un bruit à vous crever les tympans. C’est dans ce quartier que la première victime du Mouvement populaire du 22 février, Hassan Benkhedda, est tombée dans des conditions violentes qui restent à élucider. Ce mort symbole est le fils de Benyoucef Benkhedda, le président du GPRA, victime du premier coup d’état de l’Algérie pré-indépendance, comme si dans ce pays il fallait toujours mourir pour témoigner.
    C’est également sur ce territoire que les manifestations basculent de pacifique à des affrontements d’une grande violence dans un corps à corps entre des manifestants et les forces de l’ordre qui utilisent des grenades lacrymogènes, des balles en caoutchouc et des balles à blanc, provoquant des lésions sur des corps de jeunes anonymes que personne ne compte, ni la police, ni le Mouvement, mais qui quittent la scène en emportant avec eux d’énormes blessures et pas seulement sur leurs corps.
    Ces blessures témoignent que ces manifestants ne sont pas des baltadjiyas comme on les désigne un peu hâtivement pour les identifier, du nom, emprunté à l’Egypte, de ces hommes de main recrutés par la police pour provoquer des violences et justifier la répression et discréditer un mouvement pacifique, politique et populaire de revendication.
    En règle générale, les Baltadjiyas sont sur la scène des affrontements aux côtés de la police. En la circonstance, ce n’est pas le cas : les manifestants sont face à la police et à leurs armes généreusement utilisées et destructrices, comme en témoigne le nombre de douilles retrouvées plus tard sur les lieux des affrontements.
    Alors qui sont-ils ?
    Dans cette foule qui monte vers El Mouradia il y a deux types de manifestants, ceux qui montent paisiblement en confiance chez eux et à pied après la manifestation du centre puisque la circulation des voitures et des moyens de transport publics sont rendus impossibles, les rues étant bloquées à la fois par la foule et les barrages de police qui interdisent le passage vers El Mouradia, des gens qui habitent le Golf, el madania, etc.
    Ces derniers sont accompagnés de manifestants pour lesquels la manifestation n’est pas finie et qui espèrent, souhaitent défaire l’interdit d’El Mouradia.
    Comme les forces de l’ordre, ils font de ce lieu un lieu symbole à prendre, à conquérir.
    Au départ ils ne sont pas violents, ils espèrent par leurs chants, leurs tambours, le nombre, la force de leurs corps faire céder les rangées de flics qui leur font face, comme à Alger centre, dans un ballet qui met en scène un véritable courage physique, ils sont ceux qui n’ont pas peur et démontrent une certaine idée de leur virilité. Les forces de l’ordre résistent à coup de bâtons et de boucliers dans un premier temps, mais quand leurs barrages commencent à fléchir, ils reçoivent sans doute l’ordre d’utiliser des moyens de dissuasion plus musclés : grenades lacrymogènes en quantité incroyables, balles en caoutchouc et balles à blanc.
    Ce qui a pour effet de rendre furieux les jeunes garçons que la vue du sang, la fumée étouffante des lacrymos, les enfants et les femmes sans défense font qu’ils se considèrent alors en droit de se défendre contre cette hogra et libèrent une énorme colère accumulée depuis des années et jusqu’alors contenue.
    A l’origine, ce n’est pas leur intention, à l’exception de quelques- uns, comme en témoigne la manière dont ils s’arment de tout ce qui traîne, ils descellent les pavés et ramassent leurs « armes » aux alentours, chantiers, pierres, madriers et réutilisent les grenades lacrymogènes qu’ils retournent à l’envoyeur.
    Et c’est là que le mouvement se divise, dangereusement pour son avenir, entre les « pacifiques » et « les violents » parce que les couches moyennes, dans leur majorité, sourde à d’autres histoires que la leur, vont bientôt les traiter de « voyous » et les livrer à la police qui sera applaudie comme des sauveurs, face au désordre des « classes dangereuses ». Il n’est pas impossible que certains provocateurs, difficiles à identifier dans la cohue, jouent aux pyromanes.
    Au fil des vendredis, l’encerclement sécuritaire n’a cessé d’avancer, de l’Avenue de Pékin, dans la commune d’El Mouradia, il est descendu vers le Palais du peuple, puis vers le Télemly, au niveau de l’école des Beaux- Arts et du Musée des antiquités et des Arts islamiques. En se déplaçant ainsi, ces barrages inscrivent dans l’espace les limites des territoires interdits et permis aux manifestants. Ce sont sur ces limites que la violence des forces de l’ordre se déploie, une violence disproportionnée qui laisse sur le trottoir de nombreux blessés, policiers et manifestants.
    En ce 8ème vendredi l’encerclement s’est déplacé sur la rue Didouche et au cœur du Tunnel des facultés, devenu un lieu avec une forte charge symbolique d’appropriation du ventre de la ville par les manifestants.
    Une appropriation qui apparemment est devenue insupportable pour le système autoritaire.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Ce qui a été signifié le jour même de l’installation du nouveau président par intérim et contesté, A. Bensalah, le mardi 9 avril. Ce jour là, pendant que les étudiants et des associations tentaient de nouvelles marches, le tunnel avait été interdit et occupé des deux côtés par des camions de police et tout le long du tunnel. Ce même jour, les forces de police tentaient de déloger les manifestants de la Grande Poste, autre lieu d’occupation de la ville pour se faire entendre.
    Des centaines de policiers avaient pour ordre d’interdire le rassemblement et pour ce faire des officiers étaient sur place, leur présence étaient semble-t-il dictée par le manque d’enthousiasme des hommes de troupe à réprimer et leur rôle était de les pousser à s’avancer corps à corps, y compris en les poussant dans le dos, en les tirant par les bras et en les engueulant, contre les manifestants. L’un d’entre eux, massif et haut de taille, la cinquantaine, agira en véritable provocateur en s’attaquant à une femme qui refusait de quitter l’arbre sous lequel elle était appuyée. Cette femme d’un certain âge lui expliquant qu’elle était là pour protéger les jeunes. Il s’agissait d’empêcher les manifestants à s’additionner pour faire foule en les séparant par de véritables herses vivantes de policiers casqués et armés de bâtons, de fusil lacrymogène et de boucliers. Ils étaient des dizaines.
    Et, c’est ici que la stratégie silmiya, pacifique, va s’avérer une redoutable stratégie de combat. Chaque fois qu’un groupe de policier faisait mine de devenir violent, les cris « ohohoh » et « filmez, filmez », les corps et les voix « silmiya, silmiya » d’hommes et de femmes, paralysaient les forces de répression imposant une dimension éthique à l’affrontement voulu et organisé. Cette attitude éthique et politique des manifestants place les policiers, même âge, même milieu, dans un véritable conflit de loyauté, entre les ordres de leurs chefs, leur mission et leur conscience qui répugne à réprimer des gens qui ne font que manifester sans violence. L’un d’entre eux, me dira : « Nous n’intervenons que lorsque des personnes ou des biens sont en danger. »
    Une conscience interpellée par les manifestants qui les appellent à enlever « leurs casquettes et à les rejoindre » contre « les gangs » et qui en appelle à la justice de Dieu.
    Cette situation place ces jeunes policiers dans une position intenable entre ce qui est juste, y compris au regard de la loi, et ce qui est injuste. D’autant plus qu’en face, ils ont affaire à une nouvelle génération impressionnante et difficile à impressionner.
    De par leur attitude, leur bonne foi et leur incroyable confiance en eux- mêmes, ils parviennent à inverser les rôles en se posant en citoyens défendeurs de la paix civile, par la seule force des valeurs effectives de la citoyenneté qu’ils déploient : civilité, civisme et solidarité. Une solidarité sans faille qui va jusqu’à défendre, protéger les policiers quand ils sont menacés physiquement par ceux de leur propre camp sous les yous- yous et les applaudissements de la population... qui filme.
    Cette situation inédite risque d’entraîner également des conséquences inédites. Tout à leur stratégie répressive au service du système ceux qui dirigent, qui commandent et qui ordonnent, depuis leurs hélicoptères, leurs bureaux et leurs intérêts, se rendent-ils compte qu’en ne faisant pas la différence entre la frontière ténue entre maintien de l’ordre public et répression dans des circonstances politiques exceptionnelles, ils mettent en danger la cohésion des représentants de l’état, incarnée ici par la bataille sourde et discrète entre commandement et exécutants ?
    Ce vendredi, en utilisant des grenades lacrymogènes dans un tunnel sans issue et sans aération où marchaient pacifiquement des hommes, des femmes, des enfants et des handicapés confiants, le commandement des opérations, à identifier, a pris une lourde responsabilité au risque de tuer. Le même jour, en début de soirée, des affrontements ont eu lieu en bordure de la Casbah, en bordure de la gare routière, en bordure de la place du premier mai, violents avec usage disproportionné de grenade lacrymogène et corps à corps avec les manifestants. Sur la place du TNA, un jeune garçon torse nu, craque et pleure de toute son âme en peine et il crie « y en a marre », à genoux sur la route, et rien ne semble pouvoir l’apaiser, ni le policier qui le soulève gentiment, ni ses amis qui le portent, seule la musique qui s’invite avec une darbouka bienveillante redonne à son corps insoutenable le souffle de la vie contre celui de la mort. Images désormais insupportables : des enfants mineurs courent dans tous les sens, les gens disent que Dieu nous protège, pendant que les forces de l’ordre profitent de la dispersion de la foule pour saisir violemment au collet tous les corps dont ils peuvent se saisir et qu’ils jettent sans ménagement dans les fourgons qui les attendent, à coup de pieds et de matraques. Vers la gare, des GOSP courent, visages couverts, ils embarquent et ils sont armés, une porte s’ouvre et l’on voit assis des dizaines de garçons à même la terre, raflés. Ils sont trop anonymes, trop pauvres, pour provoquer l’indignation, la solidarité de la société civile, des militants des droits de l’homme, pour avoir droit à un récit journalistique, mais ils sont là et j’ai honte de rentrer chez moi, en voiture. Un homme avance, il cherche sa voiture et il ne sait plus où il l’a garée, hagard son front est blessé et sa bosse saigne, il était dans le tunnel. Les banlieusards sont appelés manu militari à quitter la ville, en bus, en camions, à pied, en stop et en courant. Pendant que des femmes et des hommes profitent des dernières lumières de cette fin de journée magnifique assis sur l’herbe comme si de rien n’était. Ce qui se joue en ses moments d’histoire dans notre pays n’est pas seulement une bataille politique mais un combat titanesque entre la puissance de la vie et l’ordre de la mort. A la place du 1er Mai, les mêmes scènes se jouent, la circulation est impossible à partir de la Maison de la presse, les mêmes images que dans les années 90, des robocop tirent et font de la fumée pendant que des civils fuient dans tous les sens en laissant derrière eux des odeurs de pierres et de vinaigre, l’odeur de l’émeute.
    En utilisant une telle violence, y compris symbolique, ceux qui nous gouvernent, militaires et civils, entre ombre et lumière, sans même avoir le courage politique de décréter que les manifestations sont interdites, et au contraire en glorifiant le Mouvement populaire viennent de signifier que la frontière du permis s’était rétrécie et que désormais le territoire interdit n’était plus seulement El Mouradia mais toute la wilaya d’Alger. Sans aucune sommation, comme l’exigent les lois dont ils se réclament, à la déloyale. Ce soir, demain, ils nous demanderont notre confiance qui, dans leur langue morte, se traduit par soumission. Pendant qu’autour de cette wilaya d’est en ouest, du nord au sud, des barrages de gendarmerie refoulaient par milliers, des hommes à pied ou en voiture qui souhaitaient manifester au cœur de la capitale. Et selon des témoignages étaient jugés suspects tous ceux qui avaient avec eux un drapeau aux couleurs du pays, vert, blanc et rouge. Désormais en Algérie les nouveaux terroristes du système seront les porteurs de l’emblème national et leur hymne kassaman.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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