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Révolutions: l’Insoutenable Puissance de la Silmiya par les chiffres

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    Révolutions: l’Insoutenable Puissance de la Silmiya par les chiffres


    Tinhinan El Kadi Assistante de Recherche au Département de Développement international à la London School of Economics and Political Science (LSE)

    J’étais un peu sceptique, jusqu’à récemment, en la capacité des manifestations pacifiques à changer le cours des choses. L’idée que des citoyens puissent brandir des pancartes et marcher pour transformer une réalité politique, sociale, culturelle ou économique ne me convainquait pas complètement.

    Pour moi, petite-fille de Moudjahidines, et admiratrice de la révolution algérienne contre le colonialisme, afin d’effectivement changer le rapport de forces entre oppresseurs et oppressés, il fallait infliger une forme de violence sur ceux qui détiennent le pouvoir. Comme on nous le disait à l’école ‘ma oukhida Bil Kouwa, la youstarja’a ila Bil Kouwa’ (ce qui a été pris par la force, ne peut être repris que par la force). La révolution en marche en Algérie depuis le 22 février 2019 a bien fini par briser mon scepticisme sur la force de la mobilisation pacifique.

    Avec sa dignité légendaire, son humour trépidant, et sa créativité abondante, le peuple algérien fait trembler le régime algérien arc-bouté au pouvoir depuis 1962. Des millions d’Algériens, jeunes, moins jeunes, femmes, hommes, de différentes classes sociales scandent depuis plusieurs semaines des slogans hostiles au pouvoir, et demandent son départ. Parmi ces slogans, “Silmya” (Pacifique), résonne fort comme l’énonciation des règles du jeu. Comme une rédemption face à nos violences passées. Un exorcisme des atrocités d’avant.

    “Silmya” résonne aussi comme un serment pour l’Algérie de demain. L’Algérie du rêve et du possible. Celle de l’espoir, de la justice. Si on est encore loin de la réalisation de l’emblématique ¨Yetnahaw Ga3¨ (Ils dégageront tous), la stratégie de la lutte pacifique semble être la plus judicieuse.

    La recherche en faveur de la Silmya

    Le débat en sciences politiques sur le mérite de différents types de luttes est ancien. Cependant, une étude publiée en 2013 vient confirmer empiriquement l’efficacité supérieure de la résistance pacifique vis-à-vis de la résistance violente dans les campagnes visant à changer de régime. Pour répondre à la question de quel type de lutte a historiquement produit le plus de succès, Erica Chenoweth ; professeur en sciences politiques à l’université de Wesleyen, et Maria Stephan, du Centre International sur le Conflit non-Violent, ont collecté des données sur tous les mouvements violents et non-violents de 1900 à 2006 ayant tenté de renverser un gouvernement ou de libérer un territoire. Les chercheuses ont créé une base de données de 323 mouvements de masse et ont analysé près de 160 variables liées aux critères de réussite des soulèvements. Les résultats sont frappants : dans l’ensemble, la résistance civile, non-violente a été beaucoup plus efficace pour produire un changement de fond.

    Le taux de réussite des révoltes violentes est sur une pente décroissante. Aux 20 e siècle, les luttes non violentes réussissaient dans 53% des cas, contre 26% pour les résistances violentes. Entre 2000 et 2006, 70% des résistances non-violentes avaient réussi à concrétiser des transformations politiques majeures, cinq fois plus que les campagnes violentes durant la même période.

    D’après les chercheuses les soulèvements violents menacent les dirigeants et les forces de sécurité ce qui complique leur départ. Par peur de se voir décapiter ou emprisonner, ceux au pouvoir font tout pour y rester quitte à ordonner des atrocités massives. Ceci peut faire rentrer le pays dans un long cycle de violence, réduisant les chances de réussite du mouvement contestataire. L’utilisation de la violence divise aussi très vite au sein de la population et fait perdre au soulèvement l’appui populaire. Par ailleurs, la manière avec laquelle la contestation se déroule est critique pour déterminer la suite. Les soulèvements non-violents sont statistiquement beaucoup plus susceptibles de produire des institutions démocratiques et un Etat de droit.

    Cependant, pour qu’une résistance pacifique réussisse, la masse est cruciale. D’après l’étude, pas un gouvernement a pu tenir après que 3,5% de la population le conteste activement. En effet, aucune campagne de contestation entre 1900 et 2006 n’a échoué avec un engagement soutenu de 3,5% de la population. À signaler que toutes les luttes ayant dépassées le seuil critique de 3,5% ont été non-violente. Les luttes non violentes mobilisent en moyenne quatre fois plus que les luttes violentes.

    Une Silmya + pour Accélérer leur Départ
    La révolution du sourire en cours, qui a pourtant eu pour seule arme la grâce et la détermination des corps mobilisés, a réussi à faire bouger l’échiquier politique, à changer le rapport de forces. Le régime est en crise. Il se fragmente. Les alliances se déchirent. La peur a définitivement changé de camp. Le 02 avril la mobilisation a enregistré son plus grand acquis pour le moment ; la démission d’Abdelaziz Bouteflika. Ceci dit, il est évident que la victoire n’est pas encore acquise. L’implication grossière de Gaid Saleh dans le jeu politique ; la répression des récentes marches ; l’entêtement du régime à appliquer l’article 102 contre la volonté populaire, et la convocation bourrue du corps électoral, nous montrent que la contre-révolution est bien en marche.

    À nous de monter en puissance. Les grèves de quelques jours, les marches pendant la semaine, les rassemblements en face des institutions clés, la résistance par l’art, par la parole, par l’écrit sont des pratiques louables dans les processus d’émancipation politique. La révolution du sourire mobilise déjà plus de 3,5 % des algériens de manière active depuis 7 semaines. Elle dispose du potentiel, selon l’étude évoquée, de faire tomber le régime. La force de notre révolution est dans sa sophistication. Dans sa sérénité. Dans sa grandeur majestueuse. Il est difficile de ne pas être solidaire d’une contestation où les citoyens ramassent les déchets derrières eux, où les parents marchent avec leurs enfants dans les bras, où les manifestants diminuent le son de leurs chants devant les centres hospitaliers.

    Nous avons appris depuis ce 22 février à nous redécouvrir ; à rayonner collectivement. Nous nous sommes redécouverts bien plus beaux que ce que nos dirigeants ont voulu nous faire croire pendant des années. Nous avons été tellement irréprochable que nos bourreaux ont voulu se joindre à nous. Ils sentent leur défaite arriver. Une mobilisation où les manifestants chantent ‘zidouna el shampoing enwelou labels’ (ajoutez nous du shampoing et on ira bien) en réponse aux tirs des canaux à eau des forces de répression, est déjà quelque part, une mobilisation triomphante. Continuons à les faire trembler. Silmya pour ne pas leur fournir le prétexte de la peur et nourrir leur tentation à s’accrocher au trône. C’est dans cet équilibre que réside le succès.
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