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A Laghouat, le hirak au labo

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    A Laghouat, le hirak au labo




    elwatan.com
    HOURIA ALIOUA 26 AVRIL 2019 À 9 H 32 MIN

    A l’université Amar Thelidji de Laghouat, un groupe de chercheurs s’attelle à analyser et décortiquer la mobilisation sociale en cours en Algérie. Dans cette université du sud du pays, le laboratoire Tamkin – à savoir «Autonomisation sociale et développement durable en milieu saharien» – de la faculté des sciences sociales vient de tenir un colloque national sur le «Le hirak social en Algérie, les causes, la réalité et les aboutissements».

    Les travaux de ce colloque, qui a enregistré la participation de onze chercheurs des universités de Laghouat et Ghardaïa, a abordé des thématiques aussi diverses que pointues sur «La dynamique de la mobilisation citoyenne en Algérie», «La génération des crises politiques en Algérie», «La mobilisation sociale, solutions constitutionnelles et politiques», «La mobilisation du point de vue des médias et du traitement de l’information», «Société civile et mouvement syndical», ainsi que «Les implicationssur l’économie nationale et les issues constitutionnelles de la crise». Le colloque a également abordé la relation entre la mobilisation actuelle et la citoyenneté active en tant que modèle de changement social.

    Générer des crises

    «L’approche politique de la crise en Algérie» du docteur Djdour Hadj Bachir, chercheur à l’université de Ghardaïa, met en exergue «les dysfonctionnements de l’autorité politique en Algérie, la priorité du politique sur le militaire qui n’a jamais été résolue, et la légitimité révolutionnaire», une situation maintenue par le système, confortant la peur inhibitrice du peuple malgré des soulevements soutenus en Kabylie et au sud du pays jusqu’au 22 février où le verrou a sauté.

    Le Dr Djdour a souligné que «l’ex- Président a reconnu ne pas avoir de garanties envers le peuple concernant l’institution militaire, d’une part, et, d’autre part, nous savons que les présidents sont faits et défaits par les militaires en Algérie». Il a ajouté que «les amendements de la Constitution ont créé un président omnipotent. La crise a empiré avec l’instauration du poste de Premier ministre sans prorogatives réelles, le système de freinage du Sénat ne fonctionnant pas et le Parlement étant incapable d’exécuter quoi que ce soit, l’Algérie s’enlise dans une crise politique. Cette mobilisation a libéré les esprits, mais aussi l’espoir d’un changement radical».

    Diagnostic accablant

    Les difficultés actuelles à mettre en place une sortie de secours et une solution à la crise algérienne, entre la Constitution et la politique sont dues, selon le Dr Bakchiche Ali de l’université de Laghouat, à une mobilisation qui a surpris : «Cette mobilisation est globale, inclusive, sociale et certainement politique. Le gap entre le peuple et le système pose le problème de la légitimité des institutions et du pouvoir en place.»

    Elle est surtout «le nom d’un cumul d’échecs, d’une congestion qui a conduit le peuple à la révolte, l’inexistence d’un référentiel politique dans le pays, la corruption généralisée, l’absence de démocratie et d’alternance au pouvoir, une justice dépendante du pouvoir politique et financier, absence de la liberté de la presse, inexistence de mécanismes de lutte contre la corruption, l’inexistence d’une société civile émancipée et de syndicats, le clientélisme, les fausses loyautés, l’évasion fiscale et des capitaux».

    Le mal est profond. Il en découle l’absence de légitimité des gouvernements successifs, l’altération de l’action politique dans le pays, de sorte que tous ceux qui pratiquent la politique sont accusés de corruption. La généralisation de la légitimation de la corruption à toutes les échelles a sapé le principe de justice sociale et d’égalité des chances. L’Algérie est un pays riche avec un peuple pauvre en raison de la mauvaise répartition des richesses, du déséquilibre social et de l’échelle des valeurs.

    Cette mobilisation sociale qui demande des solutions se trouve devant un système qui se régénère et veut maintenir le statu quo, alors que le mouvement pacifique et inclusif est à la recherche de solutions politiques et non constitutionnelles. Pour le Dr Bakchich, «la solution politique consiste en un organe présidentiel collégial, non gouvernemental, pour assumer les fonctions de Président qui sera le garant d’une période de transition ne dépassant pas le mois, sachant que le hirak ne fait pas confiance aux organes découlant de l’application de l’article 102 et qu’il attend de nouvelles concessions de l’armée dans les prochains jours».

    Crise de l’élite

    Le colloque de Laghouat serait, pour ses initiateurs, le début de la mise en place d’une approche scientifique de la mobilisation populaire. Le docteur Talha Bachir a, pour sa part, observé que «cette mobilisation citoyenne devrait permettre aux chercheurs d’adopter des approches scientifiques pour comprendre le hirak».

    Il souligne qu’aucun spécialiste ni observateur, y compris ceux s’intéressant aux mouvements sociaux au Maghreb, n’a anticipé cette mobilisation et que l’approche scientifique est inexistante pour le moment. Relevant les contributions dans la presse de Aïssa Kadri (expert des mouvements populaires), Abderahmane Moussaoui (anthropologue) et Nasreddine Saidi (historien), Bachir Talha souligne que «la crise est d’abord une crise de l’élite, qui a brillé par son absence dans cette mobilisation pensée et initiée par les jeunes».

    C’est surtout le risque de reproduction du système qui hante le chercheur, ce qui arrive est est l’adoption du hirak par la classe politique et les médias dès la quatrième semaine, un mouvement glorifié et devenant le symbole d’une nation vivante, à l’opposé de l’image qu’elle offrait au monde après un début inattendu, fort, pacifique, au message et à la revendication clairs, conduit par des jeunes des années 1990, une génération protestataire qui n’est pas en phase avec les précédentes, selon lui, avec une prise d’initiative et une audace.

    Le mouvement populaire a au contraire une relation directe entre la première génération, celle de la Révolution, et la troisième, celle menant cette nouvelle Révolution qui s’est appropriée les symboles de Novembre 1954, l’emblème national, Djamila Bouhired, Drifa Ben M’hidi, etc. La représentativité posant problème, les revendications posent, selon Bachir Talha, les principes généraux d’une société nouvelle, qui veut bannir la corruption et arriver à un partage équitable des richesses du pays, au-delà du départ des trois B assure-t-il. «Ce sont là les ingrédients d’une vraie révolution.»

    Médias et société civile

    Sur le plan médiatique, Tarif Atallah souligne la couverture précoce de l’APS et sa liberté de ton à propos des revendications des manifestants portant l’emblème national, l’audace à utiliser le terme «président sortant» et «le peuple lui demandant de renoncer à un 5e mandat» témoigne d’un ordre émis par une aile du pouvoir à l’agence officielle de prendre la voie de la liberté de ton. Atallah explique qu’un directeur de l’APS lui a confié que l’agence a décidé de son propre chef de suivre le mouvement et d’en donner la vraie portée.

    Le Dr Kasmi Brahim, de l’université de Sidi Bel Abbès, consacrera pour sa part son intervention à l’implication de la société civile dans l’actuelle dynamique sociale du pays et reste assez sceptique sur son rôle futur vu «son inscription dans les rouages du pouvoir et son opportunisme».

    Instaurée comme alternative aux partis, créée pour constituer un contre-pouvoir aux vraies initiatives d’organisation de la société civile, «il faut reconnaître que la majorité des associations et organisations non gouvernementales sont à la solde du pouvoir et créées sur mesure pour le servir, occultant les vrais représentants de la société», explique Kasmi qui relate les résultats d’une étude sur les infiltrations, les ONG parallèles, «celles clonant les instances des droits de l’homme, des syndicats autonomes pour mieux les occulter, de la stratégie de la répression et de la peur pour faire taire les voix dissidentes», dira-t-il.

    A l’occasion du hirak, «les vraies organisations culturelles, celles des droits de l’homme ont soutenu la mobilisation, les opportunistes, profitant des subventions étatiques sont quant à elles le vrai danger pour la mobilisation et je pense que la première manche a été gagnée par le hirak, mais je reste pessimiste par rapport aux résultats car le système est en train de se reproduire et de se régénérer et peut facilement renverser la vapeur», note-t-il.

    Ce premier colloque sur la mobilisation populaire en Algérie a été riche en débats et en propositions, il s’agit pour le Dr Biran Benchaa, directeur du laboratoire organisateur, «d’instaurer une thématique de recherche dédiée au hirak, d’établir les valeurs de liberté, de citoyenneté et de dialogue entre les composantes de la société, les autorités et l’opposition».

    Pour ces chercheurs, ce mouvement populaire n’est pas simplement un phénomène passager, mais un point focal du mouvement continu du changement au sein de la société algérienne, d’où les recommandations qui sont en fait un appel à toutes les forces vives du pays pour saisir l’opportunité historique qui s’offre au peuple algérien pour investir dans la dynamique de ce mouvement populaire afin d’établir un système de valeurs fondateur pour une nouvelle Algérie.

    Le colloque recommande d’encourager les chercheurs à contribuer à la création d’une vision et d’une solution combinant vision politique et réalité constitutionnelle, d’exploiter les acquis du mouvement pour établir une citoyenneté positive qui tienne compte de tous les spectres, différences et diversités de la société algérienne tout en invitant les universitaires à se joindre aux nouveaux décideurs pour améliorer le système juridique des institutions existantes afin de répondre aux exigences du mouvement populaire.

    Au sein de l’université algérienne d’aujourd’hui, il s’agit pour ce laboratoire qui a eu l’audace et le courage de lancer des pistes de réflexion sur la réalité de cette dynamique citoyenne et de ses perspectives, il faut impérativement orienter les étudiants de master et de doctorat vers de nouvelles thématiques de recherche et débattre des problèmes posés par le mouvement tels que la corruption et les forces non constitutionnelles qui influencent la vie politique et appeler à la libération des médias privés et publics afin de transmettre en toute sincérité et responsabilité le message de changement de cette dynamique populaire légitime.
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