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Pour la défense des entrepreneurs privés

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    Pour la défense des entrepreneurs privés
    27 avril 2019 à 8 h 00 min

    Ce qui semblait être une révolution contre la corruption et l’incompétence politique qui a mené le pays à la dérive se transformerait en une chasse aux entrepreneurs privés, aussi bien dans les actions judiciaires que dans les médias.

    Ces développements récents sont inquiétants vu la situation économique du pays, et révélateurs d’une incompréhension des véritables enjeux de l’Algérie.

    Que la justice fasse son travail est normal et même souhaité. En revanche, il ne faut pas que cette instrumentalisation trompe l’opinion publique et discrédite le grand travail et service que rendent les entrepreneurs privés à l’Algérie. Il n’est pas question ici de remettre en question le travail de la justice ou de créer une justice à géométrie variable, mais de tenir compte de la morale des actions de tout un chacun.

    A travers ces quelques lignes, je souhaite surtout inviter les lecteurs à réfléchir à l’importance des entrepreneurs privés pour le développement économique, social et institutionnel de notre pays, et à remettre leurs comportements dans le contexte social et institutionnel dans lequel elles opèrent.
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    Notre pays ne souffre pas des entrepreneurs privés, même pas des plus corrompus. Notre pays souffre de dirigeants successifs qui ont échoué dans leur mission principale : construire de vraies institutions qui encouragent les bonnes pratiques, aussi bien des citoyens, des fonctionnaires que des acteurs économiques. Notre pays ne souffre pas non plus d’entrepreneurs corrompus, mais de nombreux fonctionnaires corrompus et incompétents.

    Un fonctionnaire corrompu est bien plus dangereux pour la société qu’un entrepreneur corrompu qui contourne la loi ; leur fonction et symbolique ne sont pas les mêmes. L’un représente les institutions et travaille pour l’intérêt général, l’autre travaille pour ses intérêts personnels, et génère chemin faisant d’importantes retombées pour le pays.

    La corruption ne touche pas que les entrepreneurs économiques, elle touche aussi toutes les sphères de la société. Elle n’est pas le résultat de malveillance individuelle, mais d’un environnement institutionnel qui encourage voire contraint ces comportements. Plus important encore, les recherches scientifiques montrent que la corruption n’est jamais le problème d’un pays, mais le symptôme d’un problème plus grand.

    En l’occurrence, d’institutions défaillantes où les normes, les règles et les valeurs ne sont plus des freins ou des garde-fous à la pratique frauduleuse et illégale. D’où l’importance de recentrer le débat et de se focaliser sur l’essentiel : comment et pourquoi nos institutions encouragent-elles encore les comportements corrompus de manière endémique depuis au moins les années 80’ ?

    Cette chasse aux sorcières semble servir certaines voix hostiles à la liberté d’entreprendre, véritable problème en Algérie. D’aucuns se servent aussi de cette chasse aux sorcières pour réifier le problème, pourtant dépassé, des riches et des pauvres. Les faits sont pourtant têtus : les entrepreneurs, aussi imparfaits soient-ils, feront l’Algérie de demain.

    L’Amérique a été faite par ses entrepreneurs ! C’est pour cela aujourd’hui que nous écrivons nos textes sur un logiciel, un clavier et un ordinateur américains, et que nous lisons la presse électronique sur un site internet rendu possible grâce à une innovation américaine. Ont-ils toujours été irréprochables ? L’histoire montre que non.

    Des multinationales réputées aujourd’hui avaient même été impliquées avec les nazis. Cela, les dirigeants américains l’ont vite compris. Ils ont ainsi recentré leur attention, par essai-erreur, sur la création d’une bonne infrastructure institutionnelle, plutôt qu’à agir en tant que gendarme, en délaissant la construction des institutions, le véritable promoteur de bons comportements sociaux.

    Pour avoir mené des recherches sur certains entrepreneurs algériens, je pense pouvoir en dire quelques mots. C’est en 2015 que j’ai eu le plaisir de visiter ces entreprises. Des installations ultra-modernes, des cadres de grande qualité et une culture organisationnelle orientée vers la recherche d’excellence.

    J’avais été agréablement surpris de voir autant de bonnes choses dans une organisation en Algérie. Nous écrivions à l’époque une étude de cas pédagogique pour documenter le travail de ces entreprises dans la modernisation des pratiques dans leurs filières respectives.

    Ces entreprises ont réussi en moins de deux décennies ce que les pouvoirs publics ont échoué à faire en 50 ans, c’est-à-dire transformer la manière dont leurs métiers sont pratiqués.

    Cela permet aujourd’hui à l’Algérie d’exporter certains de ces produits, alors qu’elle en était importatrice il y a à peine quelques années. Je me souviens d’une discussion de groupe que j’ai eu avec des agriculteurs locaux d’une commune déshéritée mais aux perspectives prometteuses. Un père exprimait, les larmes aux yeux, qu’il était redevable à l’entreprise privée qui s’y est installée pour avoir permis à son fils d’espérer faire de l’agriculture une profession rentable et à long terme.

    C’est dire que les entreprises privées sont non seulement utiles dans la création de richesses, la création d’emplois et l’innovation, mais elles sont également importantes pour le développement social et institutionnel du pays. De grands universitaires l’ont déjà décrit il y a un demi-siècle aux Etats-Unis, et des collègues l’ont récemment dit et documenté chez nous.

    Est-ce que certaines entreprises algériennes ont surfacturé leurs importations comme nous l’entendons un peu partout sur les médias ? Je l’ignore à vrai dire, et je pense que cette question est secondaire compte tenu de la situation socio-politique du pays.

    Ce qui est plus important, à mon sens, est de comprendre pourquoi le problème de la surfacturation semble être un fléau national depuis au moins deux décennies ? L’un des éléments de réponse tient peut-être au fait que les entrepreneurs algériens œuvrent dans un contexte institutionnel difficile à deux égards. C’est d’abord un environnement où la corruption règne à tous les niveaux. Cela est le cas depuis longtemps, bien avant la démocratisation du secteur privé. C’est aussi un environnement où le climat des affaires est extrêmement difficile.

    L’Algérie est régulièrement classée parmi les pires élèves aussi bien en matière de corruption que du climat des affaires. Si l’on considère ces deux facteurs, il n’est pas étonnant de voir certains acteurs économiques adhérer aux règles du jeu. Le grand problème de l’Algérie est que les pouvoirs publics veulent à tout prix être un acteur économique, alors que leur présence dans cette arène fausse les règles du jeu. Les pouvoirs publics devraient avoir pour principale mission d’établir les bonnes règles du jeu et de s’assurer que tous les respectent ; surtout et avant tout, le fonctionnaire, garant du respect de la loi.

    Deux réalités particulières encouragent les comportements organisationnels contraires à l’éthique et la loi. La première est celle où les entreprises se voient obligées d’agir d’une manière contraire à l’éthique pour obtenir des autorisations quelconques.

    Lorsqu’on sait qu’il faut parfois payer pour obtenir un certificat d’origine ou une mise à jour en matière de cotisations à la sécurité sociale ou de paiement des impôts et taxes, cela ne devrait étonner personne qu’un entrepreneur réponde à des sollicitations malsaines pour poursuivre son projet pour lesquels ils remboursent des dettes et qui devrait générer des emplois et de la richesse. A écouter les uns et les autres, on aurait tendance à penser que les acteurs économiques sont heureux et contents d’être soumis aux diktats de certains fonctionnaires. La réalité est plus complexe et nuancée.

    Dans ces circonstances, le dilemme est entre l’acte de corruption et la remise en question de la pérennité de l’organisation. Cela renvoie à un dilemme moral qui existe depuis la nuit des temps : est-ce l’intention ou la conséquence de l’acte qui compte avant tout ?

    La seconde réalité est celle de la législation incohérente avec le monde des affaires et les besoins du XXIe siècle. Encore une fois, de brillants sociologues ont montré que des règlementations vaines et inefficaces ne faisant pas consensus seront régulièrement contournées par les acteurs, ce qui engendrera davantage de règlementations qui seront elles-mêmes contournées, etc.

    Prenons simplement le problème des devises pour illustrer comment un système de règlementation désuet et incohérent avec les besoins et réalités du XXIe siècle peut générer des comportements contraires à la loi et à l’éthique, en dépit de bonnes intentions. La plupart des entrepreneurs actuels se font pointer du doigt pour des questions de surfacturation et de transfert illicite de devises.

    Comment se fait-il que cette pratique semble être si courante ? La réponse est en réalité simple.

    Lorsqu’un Algérien lambda effectue un voyage en Europe, il passe par l’informel pour s’approvisionner en devises. Ce n’est pas parce qu’il souhaite contourner la loi, mais c’est son seul moyen dans la mesure où la banque lui donnera un peu plus de 100 euros par année.

    L’entrepreneur est confronté à ce défi au quotidien, mais avec des sommes plus importantes. Lorsqu’une entreprise privée envoie une délégation pour assister à une foire commerciale, à une rencontre d’affaires, à un programme de formation, etc., les paiements se font en devises.

    Ces budgets peuvent facilement avoisiner plusieurs centaines de milliers d’euros par année pour les entreprises algériennes. Si la législation algérienne interdit de transférer des fonds légalement – même s’ils soutiennent directement les activités de création de richesses en Algérie –, l’entrepreneur a le choix de remettre en question la pérennité de son organisation, ou bien d’agir stratégiquement pour s’approvisionner en devises pour poursuivre son travail entrepreneurial.

    En Algérie, vous l’aurez compris, la surfacturation est le moyen privilégié pour ce faire.

    Pour avoir étudié quelques entrepreneurs algériens de près, j’ai pu réaliser à quel point le problème des devises, pourtant anodin a priori, freinait le développement économique en Algérie. Certains comportements contraires à la loi et à l’éthique sont donc parfois accomplis dans un mode de survie. Sur le plan moral, cet acte est, certes, sujet à débat : quelle est l’intention de l’acte et quelle est sa finalité ?

    Somme toute, cette chasse aux sorcières est également vaine dans sa forme. Le problème du déroulement actuel des choses est qu’il ne résoudra en rien les réels problèmes institutionnels car nous prenons la corruption et les actes contraires à l’éthique et à la loi de manière ad hoc, sans appréhender l’enjeu comme étant ancré dans un problème institutionnel plus large.

    Tant que l’activité économique est tributaire de règlementations controversées et d’autorisations et des agréments attribués par des fonctionnaires en dehors de cadres prévisibles et établis par la loi, les entrepreneurs continueront à être confrontés à des blocages qui les obligeront à répondre aux pressions de ces fonctionnaires.

    A titre d’illustration, lorsqu’un scandale de corruption a récemment éclaté au Canada dans l’industrie de la construction, les pouvoirs publics ont décidé d’accorder l’immunité à tous les fonctionnaires et entrepreneurs impliqués, pour peu qu’ils contribuent à élucider le fonctionnement, les mécanismes et les motivations de cette corruption institutionnalisée.

    L’impunité, si on peut l’appeler ainsi, devait servir un intérêt plus important : s’assurer que cela ne se reproduise plus. Comprendre avant d’agir, voici la leçon de cet exemple. L’Algérie poursuit des gens corrompus depuis la nuit des temps, sans avoir pu résoudre cette problématique, symptomatique d’un malaise institutionnel plus grand.

    J’espère que l’Algérie se réconciliera avec elle-même et ceux qui contribuent réellement à son développement. L’Algérie de demain ne pourra se faire sans nos entrepreneurs les plus créatifs, sérieux, dévoués et compétents.

    C’est au peuple algérien de choisir des dirigeants qui sauront instaurer un climat social, un cadre législatif et des institutions qui encourageront les bonnes pratiques et décourageront la corruption. Somme toute, l’indépendance politique et la satisfaction démocratique sans autonomie économique n’a pas de sens.

    Par Sofiane Baba

    Professeur-chercheur en management stratégique
    Université de Sherbrooke
    “Les mensonges sont nécessaires quand la vérité est très difficile à croire”
    Pablo Escobar après avoir brûlé le tribunal qui devait le juger.
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