Pourquoi ils aiment l’Afrique
par FRÉDÉRIC MAURY
Bien qu’il avance en ordre dispersé - avec vingt pays producteurs -, le continent a réussi à s’imposer comme premier fournisseur des États-Unis et, bientôt, de la Chine.
L’Afrique, nouvel eldorado pétrolier… Maintes fois répétée depuis quelques années, jamais démentie mais jamais prouvée, l’hypothèse est-elle devenue réalité ? Les pétroliers africains ont-ils tiré parti de la modification des rapports de force internationaux sur un marché confronté à l’émergence de la Chine et au repli stratégique des pays du Golfe ? À dire vrai, pas réellement : la théorie ne résiste pas à l’examen des chiffres. Sur huit barils produits dans le monde, trois proviennent du Moyen-Orient et un seul d’Afrique. Le continent, dans son ensemble, abrite 2,3 fois moins de réserves que la seule Arabie saoudite… Mais il apparaît que c’est en étant à la marge que l’Afrique a gagné son poids grandissant. C’est en effet ici - à la marge - que se joue désormais la bataille énergétique internationale. Que prennent corps les tensions nées de l’augmentation vertigineuse de la demande mondiale : elle devrait encore augmenter de moitié d’ici à 2030.
Cette analyse, les experts et diplomates du gouvernement américain la répètent à l’envi. « Nous avons appris du passé que ce sont les barils marginaux qui constituent le facteur décisif dans la détermination des conditions permettant de stabiliser le marché pétrolier. L’Afrique est importante pour nous parce qu’elle est une source importante de barils marginaux… », expliquait déjà en 2003 John R. Brodman, sous-secrétaire adjoint pour la politique énergétique au ministère américain de l’Énergie. Le temps n’a pas altéré cette approche, et les évolutions récentes sont venues la confirmer. L’Afrique est stratégique. Du nord au sud, de l’Algérie à l’Angola, elle fournit un peu plus de 20 % des besoins du premier consommateur mondial, les États-Unis. En 2000, l’Afrique subsaharienne - Nigeria, Angola, Tchad, Guinée équatoriale, Gabon, Congo-Brazzaville, Côte d’Ivoire, Cameroun et RD Congo - livrait déjà 15 % du pétrole brut acheté à l’étranger par les Américains. Six ans plus tard, la proportion atteint 18 %. Soit autant que le Canada ou le Mexique et davantage que l’Arabie saoudite ou le Venezuela, grands fournisseurs traditionnels des États-Unis (voir infographie ci-dessous). L’Algérie s’est en outre imposée en quelques années comme l’un de leurs principaux partenaires africains. Alors qu’en 2000 le pays ne leur livrait que 200 000 barils sur toute l’année, il en aura fourni autant par jour en 2006. Dans le même temps, la Guinée équatoriale a multiplié par dix ses exportations pétrolières en volume vers les États-Unis. Résultat : l’Afrique a délivré au cours des huit premiers mois de 2006 davantage de pétrole aux États-Unis que l’ensemble des pays du golfe Persique. Trois des dix plus importants fournisseurs américains sont africains.
L’autre grande révolution tient à la formidable et extrêmement rapide irruption de la Chine sur l’échiquier pétrolier international et, plus particulièrement, africain. Le continent fournit désormais plus d’un tiers des importations pétrolières chinoises. Selon la Banque mondiale, elles se sont élevées en 2005 à 13,2 milliards de dollars contre 3,6 milliards cinq ans plus tôt, et elles augmentent chaque année de 30 %. L’Angola représente la moitié des achats, suivi par le Soudan (19 %), le Congo (16 %), la Guinée équatoriale (10 %), le Nigeria (4 %) et le reste de l’Afrique (1 %). « La Chine est très engagée dans l’exploitation des ressources pétrolières africaines », souligne Elisabeth Economy, directrice des études asiatiques au Conseil des relations étrangères, un think-tank américain. La montée en puissance chinoise inquiète les Américains, obsédés par la sécurisation des flux pétroliers. D’autant plus que Pékin déploie une stratégie qui commence à heurter de front leurs intérêts. C’est par exemple le cas au Nigeria, où le géant public China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) a acquis cette année 45 % du puits offshore d’Akpo pour 2,3 milliards de dollars. La présence chinoise s’amplifie également en Angola, qui exporte désormais autant de pétrole vers la Chine que vers les États-Unis. Ce pays de 16 millions d’habitants, à peine sorti de longues années de guerre civile, n’a guère tardé pour figurer parmi les tout premiers fournisseurs d’or noir d’un empire du Milieu pris de boulimie. Depuis le début de l’année 2006, il en est d’ailleurs le premier fournisseur d’or noir, devant l’Arabie saoudite… La CNOOC, qui, en 2005, a été empêchée de reprendre la major américaine Unocal, a fait de l’Afrique l’un de ses terrains de jeux préférés. « Si vous ne pouvez le faire quelque part, alors vous pouvez toujours le faire ailleurs, expliquait il y a quelques mois Fu Chengyu, président du conseil d’administration. Nous regardons les débouchés en Afrique dans son ensemble. »
par FRÉDÉRIC MAURY
Bien qu’il avance en ordre dispersé - avec vingt pays producteurs -, le continent a réussi à s’imposer comme premier fournisseur des États-Unis et, bientôt, de la Chine.
L’Afrique, nouvel eldorado pétrolier… Maintes fois répétée depuis quelques années, jamais démentie mais jamais prouvée, l’hypothèse est-elle devenue réalité ? Les pétroliers africains ont-ils tiré parti de la modification des rapports de force internationaux sur un marché confronté à l’émergence de la Chine et au repli stratégique des pays du Golfe ? À dire vrai, pas réellement : la théorie ne résiste pas à l’examen des chiffres. Sur huit barils produits dans le monde, trois proviennent du Moyen-Orient et un seul d’Afrique. Le continent, dans son ensemble, abrite 2,3 fois moins de réserves que la seule Arabie saoudite… Mais il apparaît que c’est en étant à la marge que l’Afrique a gagné son poids grandissant. C’est en effet ici - à la marge - que se joue désormais la bataille énergétique internationale. Que prennent corps les tensions nées de l’augmentation vertigineuse de la demande mondiale : elle devrait encore augmenter de moitié d’ici à 2030.
Cette analyse, les experts et diplomates du gouvernement américain la répètent à l’envi. « Nous avons appris du passé que ce sont les barils marginaux qui constituent le facteur décisif dans la détermination des conditions permettant de stabiliser le marché pétrolier. L’Afrique est importante pour nous parce qu’elle est une source importante de barils marginaux… », expliquait déjà en 2003 John R. Brodman, sous-secrétaire adjoint pour la politique énergétique au ministère américain de l’Énergie. Le temps n’a pas altéré cette approche, et les évolutions récentes sont venues la confirmer. L’Afrique est stratégique. Du nord au sud, de l’Algérie à l’Angola, elle fournit un peu plus de 20 % des besoins du premier consommateur mondial, les États-Unis. En 2000, l’Afrique subsaharienne - Nigeria, Angola, Tchad, Guinée équatoriale, Gabon, Congo-Brazzaville, Côte d’Ivoire, Cameroun et RD Congo - livrait déjà 15 % du pétrole brut acheté à l’étranger par les Américains. Six ans plus tard, la proportion atteint 18 %. Soit autant que le Canada ou le Mexique et davantage que l’Arabie saoudite ou le Venezuela, grands fournisseurs traditionnels des États-Unis (voir infographie ci-dessous). L’Algérie s’est en outre imposée en quelques années comme l’un de leurs principaux partenaires africains. Alors qu’en 2000 le pays ne leur livrait que 200 000 barils sur toute l’année, il en aura fourni autant par jour en 2006. Dans le même temps, la Guinée équatoriale a multiplié par dix ses exportations pétrolières en volume vers les États-Unis. Résultat : l’Afrique a délivré au cours des huit premiers mois de 2006 davantage de pétrole aux États-Unis que l’ensemble des pays du golfe Persique. Trois des dix plus importants fournisseurs américains sont africains.
L’autre grande révolution tient à la formidable et extrêmement rapide irruption de la Chine sur l’échiquier pétrolier international et, plus particulièrement, africain. Le continent fournit désormais plus d’un tiers des importations pétrolières chinoises. Selon la Banque mondiale, elles se sont élevées en 2005 à 13,2 milliards de dollars contre 3,6 milliards cinq ans plus tôt, et elles augmentent chaque année de 30 %. L’Angola représente la moitié des achats, suivi par le Soudan (19 %), le Congo (16 %), la Guinée équatoriale (10 %), le Nigeria (4 %) et le reste de l’Afrique (1 %). « La Chine est très engagée dans l’exploitation des ressources pétrolières africaines », souligne Elisabeth Economy, directrice des études asiatiques au Conseil des relations étrangères, un think-tank américain. La montée en puissance chinoise inquiète les Américains, obsédés par la sécurisation des flux pétroliers. D’autant plus que Pékin déploie une stratégie qui commence à heurter de front leurs intérêts. C’est par exemple le cas au Nigeria, où le géant public China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) a acquis cette année 45 % du puits offshore d’Akpo pour 2,3 milliards de dollars. La présence chinoise s’amplifie également en Angola, qui exporte désormais autant de pétrole vers la Chine que vers les États-Unis. Ce pays de 16 millions d’habitants, à peine sorti de longues années de guerre civile, n’a guère tardé pour figurer parmi les tout premiers fournisseurs d’or noir d’un empire du Milieu pris de boulimie. Depuis le début de l’année 2006, il en est d’ailleurs le premier fournisseur d’or noir, devant l’Arabie saoudite… La CNOOC, qui, en 2005, a été empêchée de reprendre la major américaine Unocal, a fait de l’Afrique l’un de ses terrains de jeux préférés. « Si vous ne pouvez le faire quelque part, alors vous pouvez toujours le faire ailleurs, expliquait il y a quelques mois Fu Chengyu, président du conseil d’administration. Nous regardons les débouchés en Afrique dans son ensemble. »
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