Par Amirouche Yazid - 13 mai 2019
Le général-major à la retraite, Ali Ghediri, revient dans cet entretien sur la crise politique que traverse le pays depuis le 22 février. Candidat à la présidentielle qui devait se dérouler le 18 avril dernier avant que l’ancien président ne décide de son annulation, M. Ghediri ne cache pas sa volonté de briguer la magistrature suprême à l’occasion de la présidentielle du 4 juillet prochain même si la tenue de cette échéance reste incertaine aux yeux des observateurs et de nombreux Algériens. Pour lui, la voie la plus sûre pour une sortie de crise est celle de l’élection, estimant que « sortir du cadre constitutionnel est un pari hasardeux ».
Reporters : M. Ghediri, vous maintenez votre candidature à la présidentielle du 4 juillet, alors que les conditions ne sont point favorables à son déroulement. Pourquoi ?
Ali Ghediri : Il faut voir les choses autrement. Il ne s’agit pas d’une candidature maintenue en dépit des conditions dans lesquelles va se dérouler l’élection présidentielle, mais plutôt telle était ma vision et elle le demeure ainsi. J’avais dit dès le début que l’unique issue pour le pays était le passage par une élection présidentielle libre, transparente et régulière. Et je maintiens cette position. La meilleure voie, la voie la plus sûre, celle qui ne renferme pas d’embuches pour l’Etat, c’est la voie de l’urne. Je maintiens et je dis que l’unique voie qui est à même d’assurer à l’Algérie une sortie de crise avec un minimum, sinon zéro, dégât, c’est la voie des élections. Quant à ma candidature, c’est une autre paire de manche. Ma candidature relève, en effet, d’une autre problématique. Le corps électoral ayant été convoqué par décret présidentiel, j’avais annoncé ma candidature pour laquelle je me suis acquitté de toutes les démarches exigées. Le dossier compte 120 000 signatures alors que la réglementation en exige 60 000. Je dois ouvrir là une parenthèse pour dire que cela n’a pas été une sinécure. Ca été vraiment difficile parce que des maires ont été instruits par le ministère de l’Intérieur et par d’autres organes pour ne pas légaliser les formulaires autres que ceux destinés au président sortant, Abdelaziz Bouteflika. Des consignes particulières ont été données contre ma personne. Mais malgré cela et grâce à l’adhésion du peuple, j’ai pu avoir les 120 000 signatures et j’aurai pu avoir un demi-million si les choses s’étaient passées autrement et s’il n’y avait pas ces consignes données par le ministère de l’Intérieur et par les organes de sécurité. Maintenant, si j’insiste à ce que la présidentielle ait lieu dans les délais prévus, c’est par souci d’éviter au pays un dérapage anticonstitutionnel qui pourrait nous coûter cher.
Pouvons-nous faire l’impasse sur les conditions dans lesquelles va se dérouler l’élection du 4 juillet prochain vu notamment son rejet par la population et aussi par des parties essentielles dans l’opération d’encadrement du processus ?
Un professeur en stratégie, de qui j’ai beaucoup appris, nous disait qu’à chaque fois que vous avez un problème, il faut aller à sa genèse pour trouver des éléments de réponse à vos questionnements. Le problème se situe dans le fait que Bouteflika lorsqu’il est parti – il a décidé ou on l’a obligé à sortir du jeu électoral – aurait pu mettre en place les mécanismes à même d’éviter au pays ce que nous sommes en train de vivre. Il aurait pu, connaissant la chose politique pour l’avoir pratiquée comme il l’a pratiquée, désigner les 7 personnalités manquantes au Conseil de la Nation. Parmi ces membres, il aurait pu nommer des personnalités qui fassent consensus. Il aurait pu aussi remplacer Tayeb Belaïz à la tête du Conseil constitutionnel qui lui était inféodé et dont la désignation était déjà contestée. Il aurait pu également désigner un Premier ministre autre que M. Bedoui qui était, lui aussi, contesté. Mais, il n’a rien fait de cela. S’il avait fait cela, il n’y aurait pas eu de contestation des « 3 B », puisque Bensalah, Belaïz et Bedoui ne seraient pas dans ces postes. Il est parti en laissant un champ de ruine avec des institutions qui n’ont d’institutions que l’office de décorum qu’elles représentaient. C’est un décorum fait pour la galerie et le monde extérieur pour dire que nous avons un semblant d’APN, un semblant de Sénat, un semblant de Conseil constitutionnel, alors que dans les faits, ce sont des officines qui obéissent, toutes, à la personne du président de la République et ceux qui l’entouraient. Donc, la seule institution qui restait debout, c’était l’Armée. Et l’Armée s’est trouvée avec une charge à laquelle elle n’était pas préparée. Elle a l’endossée et assumée.
Quid des revendications populaires dans tout cela ?
Il aurait été beaucoup plus indiqué ou plus malin d’opter dès le début pour le départ au moins de 2 personnes qui ne posaient pas de problème constitutionnel, à savoir le Premier ministre et le président du Conseil Constitutionnel et dire voilà que l’armée a franchi les 2/3 du chemin, laissons le peuple faire le tiers manquant. On aurait abouti à une sortie consensuelle qui, je présume, aurait évité au pays ce que nous sommes en train de vivre. Mais cela n’a pas été fait. Au lieu de cela, nous sommes tombés dans une sorte de guerre de sourds : la rue revendique le départ du système et l’Armée s’en tient à la Constitution. Maintenant, le temps passe. Nous n’avons plus le temps à la manœuvre. Nous avons en face de nous l’écueil, il faut être très vigilant. En fait, nous avons le choix entre 2 solutions. Ou bien on reporte les élections et là on sort du cadre constitutionnel et on doit en assumer les conséquences. Ou bien, il faut prendre carrément la décision anticonstitutionnelle de démettre Bensalah. Jusqu’à présent, c’est ce cadre constitutionnel, c’est cette Constitution – bonne ou mauvaise – qui est là. Et la sagesse nous dicte, nous impose, de nous en tenir à son contenu. Imaginons si on sort du cadre constitutionnel et chacun va avec sa chanson et chaque partie tire la couverture de son côté, cela va aboutir à quoi ? Moi, je dirais que c’est un pari hasardeux et dangereux. Il faut souligner que la première est une entorse à la Constitution. La deuxième aussi puisqu’on fait une entorse à la Constitution. Cela étant dit, les artifices existent pour le remercier et placer quelqu’un d’autre qui fait consensus à sa place parmi les membres du Conseil de la nation et aller à l’élection présidentielle à la date prévue. De cette manière, l’Armée aurait répondu à la demande populaire et on aurait évité au pays de sortir du cadre constitutionnel qui est le seul garant et à même d’éviter au pays le pire.
Vous suggérez donc de mettre fin aux missions de Bensalah et de désigner un membre du Sénat à sa place tout en maintenant la date du 4 juillet pour la présidentielle…
Oui. Parce que des deux maux, c’est le moindre. Car si on sort du cadre constitutionnel, on va devoir aller vers la désignation d’une personnalité, mais cette dernière n’aura pas la légitimité ni populaire, ni constitutionnelle. Ce sera une personnalité peut-être consensuelle, mais qui ne bénéficie d’aucune légitimité, elle pourrait être sujette à toute forme de pression et elle pourrait ne pas être à la hauteur des revendications populaires…
Vous insistez donc sur la tenue de la présidentielle…
C’est un rejet conditionné. Les gens ne disent pas non aux élections, ils disent non aux élections sous la direction de Bensalah et Bedoui. La solution que je préconise comme déjà indiqué : qu’on accède à la demande populaire et qu’on renvoie Bensalah et Bedoui quitte à faire une entorse à la Constitution. Ce que je suggère tient compte de la demande populaire et du souci d’éviter au pays la sortie du cadre constitutionnel. Personne n’a intérêt à ce que ça dure au-delà d’une certaine limite. Ce qui se passe maintenant risque de favoriser des dérapages porteurs de dangers pour le pays. Qu’on aille à cette élection, que le peuple se mobilise davantage pour aller massivement voter et veiller à ce que l’élection se déroule dans la transparence. Cela va permettre au pays de repartir sur de nouvelles bases car la situation économique, sociale et politique va de mal en pis. Il n’est pas dans l’intérêt du pays que cette situation perdure. Nous observons dores et déjà quelques infiltrations internes et externes, des revendications pas très catholiques qui pourraient attenter aux institutions et à l’unité du pays. Ceci sur le plan interne. Sur le plan externe, les tentatives d’infiltration ne sont pas du tout une vue de l’esprit, mais une réalité. Et le meilleur moyen pour empêcher cela, c’est d’écourter cette période et d’aller vers la présidentielle le 4 juillet. On élira un président qui serait légitime qui aurait l’aval de la population qui l’aurait élu sur la base d’un programme. Ce président pourrait alors entamer les réformes demandées par le peuple. Maintenant, il y a une crise de confiance entre le peuple et les gouvernants. On a demandé des têtes et c’est par fourgon de police qu’on les envoie en prison. La vox populi, la confiance n’étant plus là, dit que c’est du cinéma. Pour éviter cela, il faut élire un Président et lui laisser le soin de réformer l’Etat, de reprendre la Constitution et de permettre à la justice d’accomplir son travail dans la sérénité et sans précipitation.
Le général-major à la retraite, Ali Ghediri, revient dans cet entretien sur la crise politique que traverse le pays depuis le 22 février. Candidat à la présidentielle qui devait se dérouler le 18 avril dernier avant que l’ancien président ne décide de son annulation, M. Ghediri ne cache pas sa volonté de briguer la magistrature suprême à l’occasion de la présidentielle du 4 juillet prochain même si la tenue de cette échéance reste incertaine aux yeux des observateurs et de nombreux Algériens. Pour lui, la voie la plus sûre pour une sortie de crise est celle de l’élection, estimant que « sortir du cadre constitutionnel est un pari hasardeux ».
Reporters : M. Ghediri, vous maintenez votre candidature à la présidentielle du 4 juillet, alors que les conditions ne sont point favorables à son déroulement. Pourquoi ?
Ali Ghediri : Il faut voir les choses autrement. Il ne s’agit pas d’une candidature maintenue en dépit des conditions dans lesquelles va se dérouler l’élection présidentielle, mais plutôt telle était ma vision et elle le demeure ainsi. J’avais dit dès le début que l’unique issue pour le pays était le passage par une élection présidentielle libre, transparente et régulière. Et je maintiens cette position. La meilleure voie, la voie la plus sûre, celle qui ne renferme pas d’embuches pour l’Etat, c’est la voie de l’urne. Je maintiens et je dis que l’unique voie qui est à même d’assurer à l’Algérie une sortie de crise avec un minimum, sinon zéro, dégât, c’est la voie des élections. Quant à ma candidature, c’est une autre paire de manche. Ma candidature relève, en effet, d’une autre problématique. Le corps électoral ayant été convoqué par décret présidentiel, j’avais annoncé ma candidature pour laquelle je me suis acquitté de toutes les démarches exigées. Le dossier compte 120 000 signatures alors que la réglementation en exige 60 000. Je dois ouvrir là une parenthèse pour dire que cela n’a pas été une sinécure. Ca été vraiment difficile parce que des maires ont été instruits par le ministère de l’Intérieur et par d’autres organes pour ne pas légaliser les formulaires autres que ceux destinés au président sortant, Abdelaziz Bouteflika. Des consignes particulières ont été données contre ma personne. Mais malgré cela et grâce à l’adhésion du peuple, j’ai pu avoir les 120 000 signatures et j’aurai pu avoir un demi-million si les choses s’étaient passées autrement et s’il n’y avait pas ces consignes données par le ministère de l’Intérieur et par les organes de sécurité. Maintenant, si j’insiste à ce que la présidentielle ait lieu dans les délais prévus, c’est par souci d’éviter au pays un dérapage anticonstitutionnel qui pourrait nous coûter cher.
Pouvons-nous faire l’impasse sur les conditions dans lesquelles va se dérouler l’élection du 4 juillet prochain vu notamment son rejet par la population et aussi par des parties essentielles dans l’opération d’encadrement du processus ?
Un professeur en stratégie, de qui j’ai beaucoup appris, nous disait qu’à chaque fois que vous avez un problème, il faut aller à sa genèse pour trouver des éléments de réponse à vos questionnements. Le problème se situe dans le fait que Bouteflika lorsqu’il est parti – il a décidé ou on l’a obligé à sortir du jeu électoral – aurait pu mettre en place les mécanismes à même d’éviter au pays ce que nous sommes en train de vivre. Il aurait pu, connaissant la chose politique pour l’avoir pratiquée comme il l’a pratiquée, désigner les 7 personnalités manquantes au Conseil de la Nation. Parmi ces membres, il aurait pu nommer des personnalités qui fassent consensus. Il aurait pu aussi remplacer Tayeb Belaïz à la tête du Conseil constitutionnel qui lui était inféodé et dont la désignation était déjà contestée. Il aurait pu également désigner un Premier ministre autre que M. Bedoui qui était, lui aussi, contesté. Mais, il n’a rien fait de cela. S’il avait fait cela, il n’y aurait pas eu de contestation des « 3 B », puisque Bensalah, Belaïz et Bedoui ne seraient pas dans ces postes. Il est parti en laissant un champ de ruine avec des institutions qui n’ont d’institutions que l’office de décorum qu’elles représentaient. C’est un décorum fait pour la galerie et le monde extérieur pour dire que nous avons un semblant d’APN, un semblant de Sénat, un semblant de Conseil constitutionnel, alors que dans les faits, ce sont des officines qui obéissent, toutes, à la personne du président de la République et ceux qui l’entouraient. Donc, la seule institution qui restait debout, c’était l’Armée. Et l’Armée s’est trouvée avec une charge à laquelle elle n’était pas préparée. Elle a l’endossée et assumée.
Quid des revendications populaires dans tout cela ?
Il aurait été beaucoup plus indiqué ou plus malin d’opter dès le début pour le départ au moins de 2 personnes qui ne posaient pas de problème constitutionnel, à savoir le Premier ministre et le président du Conseil Constitutionnel et dire voilà que l’armée a franchi les 2/3 du chemin, laissons le peuple faire le tiers manquant. On aurait abouti à une sortie consensuelle qui, je présume, aurait évité au pays ce que nous sommes en train de vivre. Mais cela n’a pas été fait. Au lieu de cela, nous sommes tombés dans une sorte de guerre de sourds : la rue revendique le départ du système et l’Armée s’en tient à la Constitution. Maintenant, le temps passe. Nous n’avons plus le temps à la manœuvre. Nous avons en face de nous l’écueil, il faut être très vigilant. En fait, nous avons le choix entre 2 solutions. Ou bien on reporte les élections et là on sort du cadre constitutionnel et on doit en assumer les conséquences. Ou bien, il faut prendre carrément la décision anticonstitutionnelle de démettre Bensalah. Jusqu’à présent, c’est ce cadre constitutionnel, c’est cette Constitution – bonne ou mauvaise – qui est là. Et la sagesse nous dicte, nous impose, de nous en tenir à son contenu. Imaginons si on sort du cadre constitutionnel et chacun va avec sa chanson et chaque partie tire la couverture de son côté, cela va aboutir à quoi ? Moi, je dirais que c’est un pari hasardeux et dangereux. Il faut souligner que la première est une entorse à la Constitution. La deuxième aussi puisqu’on fait une entorse à la Constitution. Cela étant dit, les artifices existent pour le remercier et placer quelqu’un d’autre qui fait consensus à sa place parmi les membres du Conseil de la nation et aller à l’élection présidentielle à la date prévue. De cette manière, l’Armée aurait répondu à la demande populaire et on aurait évité au pays de sortir du cadre constitutionnel qui est le seul garant et à même d’éviter au pays le pire.
Vous suggérez donc de mettre fin aux missions de Bensalah et de désigner un membre du Sénat à sa place tout en maintenant la date du 4 juillet pour la présidentielle…
Oui. Parce que des deux maux, c’est le moindre. Car si on sort du cadre constitutionnel, on va devoir aller vers la désignation d’une personnalité, mais cette dernière n’aura pas la légitimité ni populaire, ni constitutionnelle. Ce sera une personnalité peut-être consensuelle, mais qui ne bénéficie d’aucune légitimité, elle pourrait être sujette à toute forme de pression et elle pourrait ne pas être à la hauteur des revendications populaires…
Vous insistez donc sur la tenue de la présidentielle…
C’est un rejet conditionné. Les gens ne disent pas non aux élections, ils disent non aux élections sous la direction de Bensalah et Bedoui. La solution que je préconise comme déjà indiqué : qu’on accède à la demande populaire et qu’on renvoie Bensalah et Bedoui quitte à faire une entorse à la Constitution. Ce que je suggère tient compte de la demande populaire et du souci d’éviter au pays la sortie du cadre constitutionnel. Personne n’a intérêt à ce que ça dure au-delà d’une certaine limite. Ce qui se passe maintenant risque de favoriser des dérapages porteurs de dangers pour le pays. Qu’on aille à cette élection, que le peuple se mobilise davantage pour aller massivement voter et veiller à ce que l’élection se déroule dans la transparence. Cela va permettre au pays de repartir sur de nouvelles bases car la situation économique, sociale et politique va de mal en pis. Il n’est pas dans l’intérêt du pays que cette situation perdure. Nous observons dores et déjà quelques infiltrations internes et externes, des revendications pas très catholiques qui pourraient attenter aux institutions et à l’unité du pays. Ceci sur le plan interne. Sur le plan externe, les tentatives d’infiltration ne sont pas du tout une vue de l’esprit, mais une réalité. Et le meilleur moyen pour empêcher cela, c’est d’écourter cette période et d’aller vers la présidentielle le 4 juillet. On élira un président qui serait légitime qui aurait l’aval de la population qui l’aurait élu sur la base d’un programme. Ce président pourrait alors entamer les réformes demandées par le peuple. Maintenant, il y a une crise de confiance entre le peuple et les gouvernants. On a demandé des têtes et c’est par fourgon de police qu’on les envoie en prison. La vox populi, la confiance n’étant plus là, dit que c’est du cinéma. Pour éviter cela, il faut élire un Président et lui laisser le soin de réformer l’Etat, de reprendre la Constitution et de permettre à la justice d’accomplir son travail dans la sérénité et sans précipitation.
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