Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Ammar Belhimer, éminent professeur de droit public, à L’Expression «Hamrouche est un homme d’Etat»

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Ammar Belhimer, éminent professeur de droit public, à L’Expression «Hamrouche est un homme d’Etat»

    Ammar Belhimer, éminent professeur de droit public, à L’Expression
    «Hamrouche est un homme d’Etat»


    L'Expression-dz - 02/06/2019

    Journaliste, éminent économiste et fin observateur de la scène nationale, Ammar Belhimer revient dans cette interview sur les raisons profondes qui ont conduit le pays à la crise institutionnelle.


    L’Expression : Quel diagnostic faites-vous de la situation du pays, après plus de trois mois de mobilisation populaire en faveur d’un changement profond du système ?
    Amar Belhimer : La crise que traverse l’Algérie depuis le 22 février 2019 (encore une !) est consubstantielle au modèle qui prévaut du fait de la prévalence de la rente pétrolière. Ce modèle s’apparente à l’économie de comptoir et s’exprime par lame de fond charriant deux séries de facteurs : extraversion et dépendance/ instabilité et forte prégnance de la violence. Par ailleurs, l’Algérie est, en de nombreux endroits, un espace périphérique économiquement surdéterminé et politiquement instrumentalisé/soumis. Au regard de ce lourd héritage, notre pays revient de loin, de très loin, et, tout compte fait, négocie à très bon prix le changement nécessaire à sa «normalisation».
    La «légitimité révolutionnaire» et son corollaire le «consensus totalitaire» ont enfanté une forme pré-étatique d’exercice du pouvoir faisant peu cas de la légalité. Preuve du caractère inachevé de la construction de l’Etat de droit, donc de l’Etat tout court – tant il est vrai qu’il ne peut y avoir d’Etat sans droit -, notre pays a produit huit Constitutions en une courte période d’indépendance ; quatre d’entre elles sont dîtes «formelles» et quatre «matérielles».
    A cet inventaire pléthorique des lois fondamentales, s’ajoutent nombre de destins tragiques vécus par les premiers responsables de l’Etat : le premier président Ben Bella est arrêté et emprisonné ; Chadli et Zeroual sont contraints à la démission, Boudiaf est assassiné et Bouteflika, destitué. Ce processus pré-étatique, hérité de la guerre de Libération nationale est inaccompli et inachevé.

    Dans quelle mesure, ces crises ont-elles impacté l’architecture du système et comment pourraient évoluer les choses en son sein ?
    Deux tendances lourdes se disputent l’alternance au régime autocratique actuel, appelée IIe République, en dehors de toute règle de droit préétablie et obéie : une tendance prétorienne, affairiste, de parvenus – résultat d’une accumulation aussi fulgurante que phénoménale qui œuvre à être aussi bien dirigeante politiquement que dominante socialement- d’une part, une tendance patriotique, héritière de la légitimité historique en phase finale d’existence, de plus en plus marginalisée, d’autre part. Les deux monnaient leur existence et leur développement avec une vague islamiste en quête d’un statut identitaire de substitution, l’ensemble évoluant sur fond de parrainages extérieurs divers. Ces contradictions ont, depuis peu, dépassé le cadre étroit des vieilles superstructures héritées de la guerre de libération et des espaces étroits de conciliation qui ont survécu à la répression (syndicats, partis, etc).
    Enfin, la demande de changement que portent les banderoles, pancartes et autres supports, sur fond de bonhomie et de marches pacifiques, se focalise sur des revendications à caractère républicain, démocratique, libéral au sens positif de libertés. Les milieux de la gauche traditionnelle ne cachent pas, à juste tire d’ailleurs, leur inquiétude de voir les revendications de justice sociale, de répartition équitable des revenus, de salaires, d’emplois, de logements, d’égalité des chances, de préservation et d’amélioration des acquis sociaux, etc. largement occultées.

    Comment appréciez-vous les différentes initiatives de sortie de crise, dont l’appel de Ahmed Taleb Ibrahimi, Ali Yahia Abdennour et Rachid Benyellès ?
    L’amitié qui lie ces trois personnalités nationales d’envergure est ancienne. Elle s’est particulièrement manifestée autour du soutien à la candidature de Ahmed Taleb Ibrahimi à l’élection présidentielle du
    15 avril 1999, avant son retrait de cette même élection aux côtés de cinq autres candidats (Hocine Ait Ahmed, Youcef Khatib, Mouloud Hamrouche, Mokdad Sifi, Abdallah Djaballah). C’est la synthèse des courants nationalistes identitaire, «droit de l’hommiste» et patriotique. Il ne paraît malheureusement pas avoir réussi à susciter suffisamment d’appuis et d’adhésions pour être en position de direction de la transition ou d’arbitrage.

    Le nom de Mouloud Hamrouche revient avec insistance, comme étant l’homme du compromis. Qu’en pensez-vous ?
    Mouloud Hamrouche a le privilège de disposer d’une boîte à outils et du mode d’emploi qui va avec pour amorcer la transition espérée pour aller vers un Etat de droit assis sur une économie sociale de marché. Une nouvelle vision - libérale – a prévalu après la promulgation de la Constitution de février 1989 qui a enfanté ses réformes. Son article 49 dispose : «La propriété privée est garantie. Le droit d’héritage est garanti.» Les biens «wakfs» et les fondations sont égalementreconnus et leur destination protégée par la loi. Il a amorcé une phase cruciale de rupture avec le modèle hérité des premières années de l’indépendance, avec l’annonce de réformes graduelles passant par la dissolution des structures coopératives de commercialisation et de distribution et la restructuration des exploitations agricoles. Le point culminant de ces réformes, enregistré en dehors de la sphère agricole tient à la séparation entre l’État propriétaire et l’État gestionnaire à partir des lois de janvier 1988, avant que soit franchement promulguée la privatisation des entreprises publiques à partir de 1995.
    Cette évolution juridique accompagne une lame de fond : l’autonomisation croissante de la sphère économique des rouages du pouvoir politique, préfigurant une construction systémique balbutiante. Bien que manquant «cruellement d’appuis et de soutiens affichés», la «brèche» qu’il a gérée au lendemain d’Octobre 1988 a fait de lui un visionnaire incontournable au sens où il cultive à la perfection l’art de décrypter et de devancer les événements. «Refusé par la bureaucratie politique, repoussé par des élites au pouvoir, rejeté par des porte-paroles de la contestation», le premier processus d’ouverture a été dévoyé «en un pluralisme factice, une perversion de la politique et une corruption de l’élection». La vacuité du système allant à son terme, l’histoire lui témoignera et lui prêtera une vocation messianique.
    La philosophie de M. Hamrouche est organisatrice. Elle repose sur l’éducation et l’instruction, comme le socialisme de Saint-Simon était technocratique. Une sorte d’industrialisme des temps modernes qu’autorise le transfert du pouvoir aux industriels et entrepreneurs, ingénieurs, cadres et autres sociétés ou sphères savantes. Elle autorise à méditer un certain nombre d’enseignements toujours d’actualité. Le plus important est que la nature de la structure économique, marquée par des relents distributifs – au sens où elle favorise la consommation au détriment de la production et de la création de richesses –, semble desservir la construction démocratique. Aussi, l’acquisition d’une citoyenneté active ne peut se passer de l’impôt comme moyen de socialisation de l’Etat.
    Le poids de la rente dans le déficit démocratique est tel que lorsqu’on décline l’évolution politique contemporaine de l’Algérie par une courbe de croissance des libertés, on constate que les pics de gains démocratiques correspondent à un tarissement de la rente.
    Les parenthèses, ouvertures ou brèches démocratiques «subies» par le système coïncident toutes avec des périodes de «vaches maigres». Quatre grands tournants nous viennent à l’esprit pour étayer cette hypothèse :
    - le relâchement des tutelles bureaucratiques et administratives sur les entreprises publiques, l’ouverture au secteur privé et les premières associations des droits de l’homme en 1988 ont vu le jour après l’effondrement des cours du pétrole de 1986 ;
    - les lois libérales de 1990, notamment associatives relatives aux droits de l’homme, correspondent au premier accord annuel de confirmation du 31 mai 1989 (pour un montant de 155,7 millions de dollars) ;
    - les réformes économiques ont été initiées avec des réserves de changes ne dépassant pas 500 millions de dollars ;
    - le dialogue politique qui a précédé la Constitution de 1996 et ce qu’elle a apporté comme acquis en matière identitaire, de parachèvement du dernier ordre institutionnel (seconde chambre, commission de lutte contre la corruption) et de limitation des mandats correspond à une conjoncture de faillite, d’insolvabilité, de caisses vides, de cessation de paiement.
    Pour revenir à votre question, l’Algérie manque d’hommes d’Etat de sa trempe, et de celle de Ahmed Taleb Ibrahimi aussi, car jusque-là le système n’a pas toléré l’existence d’une classe politique, d’une société civile et d’une intelligentsia, privilégiant à leur médiation des modèles de cooptation faisant appel au clientélisme, au régionalisme, à la corruption et aux passe-droits.

    Quel est, selon vous, le rôle que doit jouer l’armée en ces circonstances particulières que traverse le pays ?
    L’armée accompagne le processus sans prendre directement partie à la gestion politique directe des choses. Elle a bien raison de faire ainsi car dans le vide sidéral hérité de l’ancien système, elle est la seule institution qui supplée la carence affectant tous les autres espaces de médiation, d’arbitrage, de surveillance, etc.
    A ce titre, elle est pour nous tous la ligne rouge à ne pas franchir dans les actions de contestation et de rejet. Elle accompagne une révolution pacifique, la protège et se refuse de la confisquer, occupée par ailleurs à la sécurisation des frontières, compte tenu des instabilités des pays voisins (Libye, Mali en particulier).
    Fort heureusement, les confrontations et règlements de comptes, d’influence et d’argent, parfois violents, entre différents centres de pouvoir politiques, n’ont pas entamé la cohésion globale du coeur militaire. Son attitude actuelle rappelle celle de l’Armée portugaise, pendant la révolution des Œillets, qui eut lieu en avril 1974 (il y a 45 ans de cela) : les militaires ont contribué à mettre fin au régime dictatorial de Salazar pour ouvrir le pays à la démocratie (gouvernement civil, élections libres, etc.).
    Bien mieux, étant une armée populaire et nationale qui n’est ni composée ou encore dirigée par un groupe ou une classe spécifique du peuple, elle accompagne la promesse de démocratisation par une large opération d’assainissement des rouages politiques et économiques affectés par la corruption, l’évasion fiscale et les fuites de capitaux.
    Tant que les institutions, la stabilité et la souveraineté ne sont pas confrontées à une menace qui autorise constitutionnellement son intervention directe.Comme l’écrivait récemment, mon collègue et ami de longue date, l’anthropologue Yazid Ben Hounet, dans une très belle contribution : « Dans ce contexte, ce n’est probablement pas du côté de l’armée que proviendra l’obstacle au processus de transition démocratique tant demandé. Ce qu’il faut craindre, c’est le pourrissement, l’impatience, les discordes chez les manifestants et les possibles radicalisations. Il faut rester, dans ces circonstances, vigilants, unis et constructifs. Mais tant qu’il y aura des femmes mobilisées, et des mères en particulier, l’espoir demeurera.»

    Derniers ouvrages : Les voies de la paix (ANEP, 2018), Les Dix Commandements de Wall Street (ANEP 2017) et Les printemps du désert (ANEP 2016)

    Saïd BOUCETTA Saïd BOUCETTA
    Othmane BENZAGHOU

  • #2
    Ammar Belhimer était journaliste dans les années 1970/1980/1990, juste une remarque
    Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre.
    (Paul Eluard)

    Commentaire


    • #3
      Ammar Belhimer est docteur en droit, professeur de l’enseignement supérieur. Il est également essayiste et chroniqueur., Ecrivain sont dernier livre ( Les voies de la paix : Rahma, Concorde et Réconciliation dans le monde , publié par les Editions Anep) et Journalist
      dz(0000/1111)dz

      Commentaire

      Chargement...
      X