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L’opposition soudanaise entre en clandestinité

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  • L’opposition soudanaise entre en clandestinité

    Le camp pro-démocratie a lancé un mouvement de désobéissance civile après la répression menée par les militaires.

    C’était un jour de rentrée, mais, pour arriver à son bureau, ce capharnaüm de papiers jonchant le sol, d’ordinateurs brisés et de meubles défoncés, le professeur de l’université de Khartoum n’a pas eu à braver les embouteillages. La capitale soudanaise, lundi 10 juin, vit son deuxième jour de désobéissance civile.

    La ville est en partie paralysée. Ses grands axes sont quadrillés par les forces de diverses unités militaires ou paramilitaires soutenant le Conseil militaire de transition (TMC), un groupe de généraux qui devaient rendre le pouvoir aux civils après avoir renversé le président Omar Al-Bachir, le 11 avril, mais qui s’y *accrochent avec le soutien de leurs parrains régionaux.

    Ecrasement du sit-in dans le sang
    Depuis le 3 juin, date de l’écrasement du sit-in du mouvement démocratique qui avait élu domicile depuis près de deux mois juste à côté de l’université, tout va de mal en pis.

    Lundi 10 juin, le professeur de sciences – qui doit cacher son nom comme tous ceux qui s’impliquent dans le mouvement de contestation – n’est pas venu reprendre le travail, mais constater l’ampleur des dégâts : les bâtiments en brique rose de la vénérable institution qui date, pour ses premières constructions, du tout début du XXe siècle, ont été ravagés il y a quelques heures par les hommes de la Force de soutien rapide (RSF), bras armé du groupe des généraux. L’université avait été fermée dès le début des manifestations, en décembre. Depuis, elle a été saccagée par les ex-miliciens janjawids, recrutés pour leur brutalité, qui sont lâchés sur Khartoum.

    Les bureaux ont été mis à sac, le matériel qui n’a pas été volé a été détruit. Les archives ne sont plus qu’un souvenir. Une sorte de punition contre le savoir, la contestation ou les deux à la fois.

    « C’est lamentable, lamentable. Ils n’ont épargné que les bureaux de professeurs qui étaient proches du pouvoir [de l’ex-président Omar Al-Bachir et, à présent, des généraux du TMC] mais, s’ils croient nous briser, ils se trompent. On est prêt à continuer pendant des semaines la campagne de désobéissance *civile », témoigne le professeur, joint par téléphone.

    Il ne reste plus rien de la mémoire physique de ce lieu où ont été formés tant de cerveaux de l’élite soudanaise et où ont aussi été élaborées tant de transformations politiques : la « révolution d’octobre » contre le général *Abboud est partie de là en 1964. On y a préparé les manifestations monstres qui ont renversé le pouvoir du général Nimeiry en 1985 ; on s’y est battu à la barre de fer dans les années 1980, tandis que les étudiants proches des Frères musulmans y faisaient une percée musclée.

    Le marxisme y a prospéré, puis est entré en mode « sous-marin » après le coup d’Etat militaro-islamiste d’Omar Al-Bachir, en 1989. La contestation, depuis plusieurs années, s’y perpétuait malgré la violence de la répression. Depuis le début des manifestations, les étudiants, fer de lance de la « révolution », *n’allaient plus en cours, mais ils étudiaient la politique en travaux pratiques accélérés au sit-in.

    Ce village de tentes planté devant le quartier général de l’armée a été balayé par les RSF et leurs alliés le 3 juin. Lorsque l’activité y battait son plein, différentes organisations de professeurs de l’université de Khartoum y avaient des stands : ceux du département de mathématiques ou d’ingénierie côtoyaient l’association des anciens élèves. Ils participaient à l’édification générale, dispensaient des cours d’éducation civique. L’une de leurs dernières leçons, coordonnée par l’Association des professionnels du Soudan, avait été consacrée à l’utilité d’une grève générale et d’une campagne de désobéissance civile.

    Quelques heures plus tard, le 3 juin, les RSF du général Hemetti et d’autres unités pro-TMC allaient mettre fin à l’expérience. On compte aujourd’hui 118 morts, et 748 blessés ont pu être décomptés par l’Organisation mondiale de la santé, qui estime que le véritable chiffre « doit être supérieur ».

    Pour sauver ce qui reste de l’élan démocratique du Soudan, il faudrait relancer le processus de négociations entre le TMC et les Forces pour la liberté et le changement (FFC), une coalition large de mouvements impliqués dans le transfert du pouvoir aux civils, et amener les généraux à accepter qu’ils administrent le pays le temps d’une transition de plusieurs années, avant des élections générales. Cette hypothèse est partie en fumée le 3 juin. Depuis, pour ramener le TMC à la table des négociations, un mouvement de désobéissance civile a été lancé dimanche. Des barricades bloquent les mouvements à l’intérieur des quartiers. Les transports en commun sont presque inexistants. Les grands axes de la capitale sont dégagés mais seuls ouvrent les commerces de première nécessité : épiceries, boulangeries, stations-service.

    Série d’arrestations
    Le climat demeure très lourd. Des hôpitaux ont été attaqués et ont fermé leurs portes. « Le Conseil militaire a décidé de renforcer la présence des forces armées, des RSF et des autres forces régulières pour un retour à la vie normale », a déclaré à la télévision le général Jamal Eddin Omar, du TMC, accusant les leaders de la contestation de « mettre en danger la sécurité du pays » et de préparer le terrain pour « les gangs », dans un classique de la manipulation consistant à proférer des accusations mensongères destinées à justifier le recours à la violence.

    Le TMC peut encore durcir le niveau de brutalité dans les rues de Khartoum. Peut-il, inversement, faire machine arrière et reprendre des négociations ? C’est ce à quoi s’emploient les organisateurs de la désobéissance civile, comptant sur l’effet conjugué du blocage du pays et des pressions extérieures. Mais les durs du régime parient sur le fait accompli. Ils font le gros dos, multiplient les déclarations contradictoires et ne relâchent pas la pression.

    Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine a exclu le Soudan trois jours après l’écrasement dans le sang du sit-in, bravant ainsi la volonté du président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi. Président en exercice de l’organisation panafricaine, ce dernier a tout fait pour torpiller la condamnation du TMC par ses alliés.

    Dans la foulée, le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, est venu à Khartoum samedi pour tenter de relancer des négociations entre le TMC et la délégation des Forces pour la liberté et le changement. A la suite de la rencontre avec M. Ahmed à l’ambassade d’Ethiopie, une série d’arrestations a eu lieu : celle d’un responsable de la banque centrale, Mohamed Ismat, membre de la délégation des FFC, puis de deux membres d’un groupe armé, le SPLM-Nord, expulsés depuis vers le Soudan du Sud.

    Selon une source diplomatique, ces arrestations ont été réalisées à l’instigation de l’Egypte et étaient destinées à signifier que « l’Ethiopie n’allait pas faire la pluie et le beau temps au Soudan ». Les membres les plus actifs de la mobilisation citoyenne, ceux de l’Association des professionnels du Soudan, sont désormais passés dans la clandestinité.

    Jean-Philippe Rémy
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