Par REPORTERS - 23 juin 2019
Par Rachid SEKAK, économiste, ancien directeur de la dette extérieure à la Banque d’Algérie
La chute brutale des cours des hydrocarbures depuis le second semestre de 2014 a ébranlé en profondeur l’économie algérienne toute entière.
Quatre remarques préliminaires.
La baisse du prix du pétrole n’est pas la cause de la crise, mais en est le révélateur. Refuser cette évidence c’est aussi refuser la remise en cause d’un modèle économique obsolète basé sur la rente et la dépense budgétaire. Il n’est plus acceptable et certainement dangereux pour le pays que son système économique et son modèle social dépendent lourdement d’une variable exogène. Le système économique, basé sur une sphère publique hégémonique et sur une redistribution de la rente tirée des hydrocarbures, n’assure pas sa reproduction endogène.
Le souci essentiel n’est pas l’argent : pendant de nombreuses années, l’économie algérienne a bénéficié de ressources financières abondantes sans pouvoir réaliser son potentiel de croissance probablement à cause d’une intermédiation financière beaucoup plus faible que celle des pays de la région mais aussi à cause de l’inefficacité de ses investissements publics.
UN PEU D’HISTOIRE ECONOMIQUE RECENTE LA PERIODE 2014-2016
La lecture des données figurant au tableau en annexe permet de cerner quatre tendances :
Un amenuisement rapide des réserves de change dont le niveau passe de 194 milliards de $ à fin 2013 à 114 milliards de $ à fin 2016
Une détérioration accélérée des finances publiques : le solde budgétaire qui passe d’un quasi équilibre en 2013 à un déficit évalué à 13.5 % du PIB en 2016
Une dégradation de la balance courante qui passe d’un solde positif d’un milliard de $ en 2013 à un solde négatif de 26.2 milliards de $ en 2016
Un épuisement de l’épargne budgétaire : l’épargne budgétaire mesurée par les disponibilités au sein du FRR passe de 5 563 milliards de DZD à fin 2013 au niveau plancher prévu par la Loi de 740 milliards de DZD à fin 2016 puis à Zéro au début de 2017.
Je rajouterai un dernier point qui n’apparaît pas dans les données du tableau en annexe : on a observé une forte poussée de la part de la monnaie fiduciaire dans M2 qui indique, sans aucun doute et au moins partiellement, une importance croissante du secteur informel dans l’économie.
La dure réalité de la mécanique économique apparaît dans ces évolutions. Très clairement entre 2014 et 2016, l’ajustement a été réalisé par « réforme minimale » :
Pas d’ajustement budgétaire significatif en dehors de certaines modifications introduites en matière de prix local de l’énergie par la Loi des finances pour 2017.
Pas d’ajustement de la balance des paiements en dehors de certains encadrements quantitatifs des importations de nature administrative (contingentements au travers de quotas et autres licences).
Absence de visibilité sur un programme de réformes structurelles. Des effets d’annonce ont été faits sur « un nouveau modèle économique » sans aucune mesure concrète mise en œuvre.
Le seul ajustement significatif mis en œuvre est celui de la Banque d’Algérie ayant touché le taux de change.
Les autorités gouvernementales sont restées implicitement sur une vision de court terme basée sur une anticipation de remontée prochaine du prix des hydrocarbures et sur la croyance d’une « pérennité éternelle » des réserves de change du pays en occultant notamment l’explosion de la demande locale et le contexte bien spécifique du marché mondial des hydrocarbures.
L’agenda politique et social est resté prioritaire par rapport à l’agenda économique et les marges de manœuvre qui existaient à la fin 2014 ont été utilisées pour maintenir un statu quo en pensant pouvoir « acheter la paix sociale ».
Pendant cette période, on n’a observé aucune volonté d’introspection, ni de prise de virage audacieux pour construire une nouvelle vision économique, ni de modification des modes de fonctionnement et de régulation de l’économie du pays.
En gros, trois années perdues.
LA PERIODE 2017-2018
Très clairement au début de cette période, le pays est déjà en déficit de ressources et le caractère insoutenable du « modèle algérien » est démontré.
Pour mieux cerner le contexte, il est possible de revenir au « b.a.-ba. de l’économie ».
Cette rareté des ressources imposait :
Soit la réduction des dépenses
Soit la recherche de nouvelles ressources
Soit la combinaison des deux éléments
Les nouvelles ressources ne pouvaient venir que de deux origines :
La ressource locale
Les ressources du reste du monde.
La ressource locale pouvait venir :
De nouveaux impôts ou d’un ajustement du taux de change favorable à l’élargissement de l’assiette de fiscalité pétrolière
De l’épargne hors circuit bancaire détenue notamment dans le secteur informel
D’une cession d’actifs publics à des investisseurs locaux
Les ressources sur le reste du monde pouvaient venir :
Du recours à l’endettement extérieur
D’une augmentation du flux d’investissements étrangers
D’une cession d’actifs publics à des investisseurs étrangers
Face à ces différentes alternatives et à l’accumulation d’arriérés domestiques par l’Etat, les autorités ont opté pour un financement monétaire des déficits budgétaires. La Loi Monnaie et Crédit a donc été modifiée en octobre 2017.
Le dogmatisme politique est la principale cause du rejet des alternatives associées à un recours au reste du monde.
L’endettement extérieur a été injustement diabolisé, le recours aux IDE et la cession d’actifs à des étrangers posaient la lancinante question du 51/49.
L’ANNEE 2019
L’agenda politique rattrape l’agenda économique et la démonstration que l’on ne peut pas acheter la paix sociale dans la durée est faite. La paix sociale et la discipline citoyenne ne peuvent se construire qu’au travers d’une économie pourvoyeuse de croissance et d’emplois et dans une réelle participation populaire aux décisions.
Les prochains mois
Dans le contexte politique actuel et dans un contexte économique ou la commande publique reste encore le «principal
driver », une morosité ambiante s’installe progressivement et les prochains mois seront complexes à gérer. Les éléments de complexité possibles sont, à mon avis, les suivants :
Les retards et arriérés de paiement domestiques
Un resserrement de la liquidité bancaire et une plus grande frilosité des banques car hausse certaine des NPLs (prêts improductifs)
Des restrictions quantitatives aux importations
Un probable ajustement du taux de change
Un élargissement de la prime sur le marché parallèle
Une possible poussée de l’inflation si revendications salariales et non maîtrise de la masse salariale dans l’administration
Un risque de certains appels abusifs pour les cautions de marché
Un ralentissement de l’activité économique globale et une hausse sensible du chômage avec un risque d’exacerbation des tensions sociales.
Une nouvelle détérioration du niveau des réserves de
change.
La vision de plus long terme
A contrario, je suis beaucoup plus optimiste sur un horizon temporel plus long car beaucoup de choses sont envisageables dans un contexte politique différent dont les contours sont en train de se dessiner.
La principale contrainte pour la nouvelle équipe économique et politique qui devra s’atteler à reconstruire la confiance sera, à mon avis, de pouvoir gagner du temps. Gagner du temps, non pas pour justifier un statu quo « stérile », mais parce que la conception et la mise en œuvre graduelle d’un ambitieux programme de réformes pour la construction ex-nihilo d’une véritable économie de marché, de production diversifiée, et surtout de libre entreprise, pendra du temps. Gagner du temps parce que la mise en œuvre d’un tel programme aura inévitablement un coût social qu’il sera souhaitable d’étaler dans le temps pour en atténuer les effets négatifs notamment sur la croissance économique et éviter/ atténuer la résistance aux réformes.
Il me paraît possible de construire un programme de réforme sur 7 ans et de dégager des marges de manœuvre sur une telle période :
Bien qu’en baisse sensible, les réserves de change offrent une visibilité sur 4 ou 5 ans.
Par Rachid SEKAK, économiste, ancien directeur de la dette extérieure à la Banque d’Algérie
La chute brutale des cours des hydrocarbures depuis le second semestre de 2014 a ébranlé en profondeur l’économie algérienne toute entière.
Quatre remarques préliminaires.
La baisse du prix du pétrole n’est pas la cause de la crise, mais en est le révélateur. Refuser cette évidence c’est aussi refuser la remise en cause d’un modèle économique obsolète basé sur la rente et la dépense budgétaire. Il n’est plus acceptable et certainement dangereux pour le pays que son système économique et son modèle social dépendent lourdement d’une variable exogène. Le système économique, basé sur une sphère publique hégémonique et sur une redistribution de la rente tirée des hydrocarbures, n’assure pas sa reproduction endogène.
Le souci essentiel n’est pas l’argent : pendant de nombreuses années, l’économie algérienne a bénéficié de ressources financières abondantes sans pouvoir réaliser son potentiel de croissance probablement à cause d’une intermédiation financière beaucoup plus faible que celle des pays de la région mais aussi à cause de l’inefficacité de ses investissements publics.
UN PEU D’HISTOIRE ECONOMIQUE RECENTE LA PERIODE 2014-2016
La lecture des données figurant au tableau en annexe permet de cerner quatre tendances :
Un amenuisement rapide des réserves de change dont le niveau passe de 194 milliards de $ à fin 2013 à 114 milliards de $ à fin 2016
Une détérioration accélérée des finances publiques : le solde budgétaire qui passe d’un quasi équilibre en 2013 à un déficit évalué à 13.5 % du PIB en 2016
Une dégradation de la balance courante qui passe d’un solde positif d’un milliard de $ en 2013 à un solde négatif de 26.2 milliards de $ en 2016
Un épuisement de l’épargne budgétaire : l’épargne budgétaire mesurée par les disponibilités au sein du FRR passe de 5 563 milliards de DZD à fin 2013 au niveau plancher prévu par la Loi de 740 milliards de DZD à fin 2016 puis à Zéro au début de 2017.
Je rajouterai un dernier point qui n’apparaît pas dans les données du tableau en annexe : on a observé une forte poussée de la part de la monnaie fiduciaire dans M2 qui indique, sans aucun doute et au moins partiellement, une importance croissante du secteur informel dans l’économie.
La dure réalité de la mécanique économique apparaît dans ces évolutions. Très clairement entre 2014 et 2016, l’ajustement a été réalisé par « réforme minimale » :
Pas d’ajustement budgétaire significatif en dehors de certaines modifications introduites en matière de prix local de l’énergie par la Loi des finances pour 2017.
Pas d’ajustement de la balance des paiements en dehors de certains encadrements quantitatifs des importations de nature administrative (contingentements au travers de quotas et autres licences).
Absence de visibilité sur un programme de réformes structurelles. Des effets d’annonce ont été faits sur « un nouveau modèle économique » sans aucune mesure concrète mise en œuvre.
Le seul ajustement significatif mis en œuvre est celui de la Banque d’Algérie ayant touché le taux de change.
Les autorités gouvernementales sont restées implicitement sur une vision de court terme basée sur une anticipation de remontée prochaine du prix des hydrocarbures et sur la croyance d’une « pérennité éternelle » des réserves de change du pays en occultant notamment l’explosion de la demande locale et le contexte bien spécifique du marché mondial des hydrocarbures.
L’agenda politique et social est resté prioritaire par rapport à l’agenda économique et les marges de manœuvre qui existaient à la fin 2014 ont été utilisées pour maintenir un statu quo en pensant pouvoir « acheter la paix sociale ».
Pendant cette période, on n’a observé aucune volonté d’introspection, ni de prise de virage audacieux pour construire une nouvelle vision économique, ni de modification des modes de fonctionnement et de régulation de l’économie du pays.
En gros, trois années perdues.
LA PERIODE 2017-2018
Très clairement au début de cette période, le pays est déjà en déficit de ressources et le caractère insoutenable du « modèle algérien » est démontré.
Pour mieux cerner le contexte, il est possible de revenir au « b.a.-ba. de l’économie ».
Cette rareté des ressources imposait :
Soit la réduction des dépenses
Soit la recherche de nouvelles ressources
Soit la combinaison des deux éléments
Les nouvelles ressources ne pouvaient venir que de deux origines :
La ressource locale
Les ressources du reste du monde.
La ressource locale pouvait venir :
De nouveaux impôts ou d’un ajustement du taux de change favorable à l’élargissement de l’assiette de fiscalité pétrolière
De l’épargne hors circuit bancaire détenue notamment dans le secteur informel
D’une cession d’actifs publics à des investisseurs locaux
Les ressources sur le reste du monde pouvaient venir :
Du recours à l’endettement extérieur
D’une augmentation du flux d’investissements étrangers
D’une cession d’actifs publics à des investisseurs étrangers
Face à ces différentes alternatives et à l’accumulation d’arriérés domestiques par l’Etat, les autorités ont opté pour un financement monétaire des déficits budgétaires. La Loi Monnaie et Crédit a donc été modifiée en octobre 2017.
Le dogmatisme politique est la principale cause du rejet des alternatives associées à un recours au reste du monde.
L’endettement extérieur a été injustement diabolisé, le recours aux IDE et la cession d’actifs à des étrangers posaient la lancinante question du 51/49.
L’ANNEE 2019
L’agenda politique rattrape l’agenda économique et la démonstration que l’on ne peut pas acheter la paix sociale dans la durée est faite. La paix sociale et la discipline citoyenne ne peuvent se construire qu’au travers d’une économie pourvoyeuse de croissance et d’emplois et dans une réelle participation populaire aux décisions.
Les prochains mois
Dans le contexte politique actuel et dans un contexte économique ou la commande publique reste encore le «principal
driver », une morosité ambiante s’installe progressivement et les prochains mois seront complexes à gérer. Les éléments de complexité possibles sont, à mon avis, les suivants :
Les retards et arriérés de paiement domestiques
Un resserrement de la liquidité bancaire et une plus grande frilosité des banques car hausse certaine des NPLs (prêts improductifs)
Des restrictions quantitatives aux importations
Un probable ajustement du taux de change
Un élargissement de la prime sur le marché parallèle
Une possible poussée de l’inflation si revendications salariales et non maîtrise de la masse salariale dans l’administration
Un risque de certains appels abusifs pour les cautions de marché
Un ralentissement de l’activité économique globale et une hausse sensible du chômage avec un risque d’exacerbation des tensions sociales.
Une nouvelle détérioration du niveau des réserves de
change.
La vision de plus long terme
A contrario, je suis beaucoup plus optimiste sur un horizon temporel plus long car beaucoup de choses sont envisageables dans un contexte politique différent dont les contours sont en train de se dessiner.
La principale contrainte pour la nouvelle équipe économique et politique qui devra s’atteler à reconstruire la confiance sera, à mon avis, de pouvoir gagner du temps. Gagner du temps, non pas pour justifier un statu quo « stérile », mais parce que la conception et la mise en œuvre graduelle d’un ambitieux programme de réformes pour la construction ex-nihilo d’une véritable économie de marché, de production diversifiée, et surtout de libre entreprise, pendra du temps. Gagner du temps parce que la mise en œuvre d’un tel programme aura inévitablement un coût social qu’il sera souhaitable d’étaler dans le temps pour en atténuer les effets négatifs notamment sur la croissance économique et éviter/ atténuer la résistance aux réformes.
Il me paraît possible de construire un programme de réforme sur 7 ans et de dégager des marges de manœuvre sur une telle période :
Bien qu’en baisse sensible, les réserves de change offrent une visibilité sur 4 ou 5 ans.
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