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Stephen Breyer juge à la cour suprême

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  • Stephen Breyer juge à la cour suprême

    Stephen Breyer est homme peu connu du grand public est l'un des plus influents des Etats-Unis. C'est sa fonction. Stephen Breyer est l'un des neuf membres de la Cour suprême, la plus haute instance judiciaire, dont les décisions changent en profondeur la société américaine, de la fin de la ségrégation raciale à la légalisation de l'avortement, en passant par le téléchargement sur Internet, ou même l'élection d'un président.

    L'image traditionnelle d'un juge à la Cour suprême est celle d'une figure vénérable, en robe noire, estimée et peu publique. Stephen Breyer porte ses 68 ans avec l'allure d'un quinquagénaire, qui pratique jogging et vélo. Un juge de la Cour suprême est discret, voire mutique, Justice Breyer, comme on présente les membres de la Cour suprême, aime parler. Cet ancien professeur de droit a une longue habitude des débats et des confrontations avec le public.

    Il peut être intarissable sur les décisions qu'il a prises ou qu'il n'a pas pu prendre. Il est aussi rompu à la technique de ne pas aborder les sujets les plus sensibles ou les affaires en cours. Il s'en excuse d'avance au début de la rencontre, se retranche derrière son devoir de réserve, ou s'en tire par une pirouette : "Vous avez remarqué que je n'ai pas parlé d'avortement dans mon livre."

    Il parle de la loi et de son interprétation. C'est un sport national à Washington. Et un sujet de conflit politique, dans une Amérique où les opinions se radicalisent entre libéraux (gauche) et conservateurs. Cette opposition traverse la Cour suprême. Les décisions les plus sensibles (Guantanamo, la fin du recomptage des voix en Floride en 2000) sont souvent prises à une majorité de cinq contre quatre. Stephen Breyer se situe à l'aile gauche de la Cour.

    Il a beaucoup de défauts pour les conservateurs. Il a été nommé par Bill Clinton, a travaillé avec le sénateur Ted Kennedy, se retrouve en opposition avec eux dans la plupart des votes sur les questions de société, accorde une grande part à l'interprétation de la loi plutôt qu'au texte strict. Il va puiser des arguments dans d'autres systèmes juridiques. Et il parle très bien français. Il aime Simenon et Arsène Lupin, qu'il lit dans le texte. Il vient de terminer La Chartreuse de Parme, mais avoue avoir craqué au milieu de Bouvard et Pécuchet.

    Son ami Robert Badinter voit en lui "ce que la culture et la justice américaine peuvent produire de mieux". "C'est un universaliste, poursuit-il, qui croit que l'on peut faire évoluer le droit des pays en utilisant des jurisprudences d'autres cours." Pour Stuart Taylor, spécialiste des questions juridiques à l'Institut Brooking de Washington, "on peut le considérer comme le leader de l'aile libérale de la Cour, même si aucun des trois autres ne peut être présenté comme l'un de ses fidèles". Stuart Taylor insiste aussi sur son côté "peu doctrinaire". Stephen Breyer est un homme de conciliation. Il espère toujours convaincre. Il dialogue devant les étudiants et les caméras avec son collègue Antonin Scalia, qui est son alter ego conservateur, et la bête noire de la gauche américaine. Leurs opinions sont radicalement opposées sur la plupart des sujets.

    De cette opposition, Stephen Breyer a fait un livre Pour une démocratie active (éd. Odile Jacob, 230 p., 25,50 €), qui plonge le lecteur, comme rarement, dans le processus de décision d'un juge. Faut-il s'en tenir à la lettre du texte ou privilégier son esprit ? Pour lui, non seulement la loi et le texte de la Constitution ne sont pas figés, mais il faut essayer de prendre en compte les intentions du législateur de l'époque pour l'appliquer à un cas contemporain.

    Quand il a un doute, il s'adresse directement aux Pères fondateurs, comme James Madison. "Prenons l'exemple de la discrimination positive", explique-t-il. Il se tourne légèrement vers sa gauche et s'adresse à un interlocuteur imaginaire : "Mister Madison, l'objectif de cet amendement, excluant de faire des distinctions entre les races, est-il d'inclure des citoyens ou de les exclure ?" "Il me répond que j'ai raison : l'égalité absolue en droit peut aboutir au résultat contraire : la non-intégration des Noirs dans les universités ou dans la hiérarchie militaire."

    Comment devient-on membre de la Cour suprême ? Stephen Breyer a quelques prédispositions génétiques. Son père était juriste, son frère est juriste. Le premier avocat à San Francisco, le deuxième juge fédéral. Le parcours de Breyer est classique : études de droit (Stanford), professeur à Harvard, juge à la cour d'appel, nommé par Jimmy Carter.

    En 1993, il est reçu par Bill Clinton car un poste est vacant à la Cour suprême. Le président choisit finalement Ruth Ginsburg. Il n'aura qu'un an à attendre, avant qu'une nouvelle occasion se présente. Le président se contente de l'appeler, la seconde fois, sans le rencontrer à nouveau. "Les télévisions avaient déjà annoncé ma nomination", se souvient-il.

    Né à San Francisco, c'est un enfant d'une famille juive de la Côte ouest, qui va au lycée public puis à Stanford dans les années 1950. Les luttes pour la fin de la ségrégation raciale l'ont marqué. Au début des années 1960, il fait connaissance avec la Cour suprême, où il est clerc du juge Goldberg, à un moment où "la mission était de démanteler la ségrégation". Il travaille ensuite dans l'équipe d'enquête sur le Watergate qui a conduit à la démission du président Nixon, "dans un rôle minoritaire", précise-t-il. De cette période, il tire une leçon simple : "Quand tout va mal, il y a cette résilience qui permet au pays de réagir et de rétablir les institutions et de les améliorer, comme cela s'est produit dans d'autres moments difficiles du pays."

    Il a une foi profonde dans la démocratie et l'équilibre des pouvoirs : "La Cour suprême a rendu trois décisions sur Guantanamo. A chaque fois, le gouvernement américain a perdu. Le chauffeur de Ben Laden a attaqué le président Bush et c'est le président qui a perdu." Pour lui, c'est tout simplement la "règle de la loi", pas un problème politique. "Si je pense en tant qu'idéologue, j'ai tort."

    Dans l'affaire Bush versus Gore, la décision la plus controversée de la Cour ces dernières années, qui a arrêté le décompte des voix en Floride et permis l'élection de George W. Bush en 2000, il était minoritaire. "J'étais déçu mais j'ai fondé ma décision en me disant que j'aurais la même opinion si la situation était inverse. Je pense que mes collègues ont eu la même attitude." On ne sait pas s'ils en ont tous parlé avec James Madison.

    Par Le Monde
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