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Algérie: l’histoire des colons suisses de Sétif

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  • Algérie: l’histoire des colons suisses de Sétif

    Signés le 18 mars 1962 entre Alger et Paris, les Accords d’Evian ont 50 ans. L’occasion d’exhumer de l’oubli la Compagnie genevoise des Colonies suisses de Sétif. En 1853-54, une centaine de familles, surtout vaudoises, ont émigré en Algérie pour peupler une colonie privée.

    Ils s’appelaient Favre, Mercier, Buffat ou Porchet. Des noms bien de chez nous. Souvent assistés par leur commune du Pays de Vaud, ils ont cherché meilleure fortune en Algérie française au milieu du XIXe siècle. Sans grand succès. Les plus méritants ont fini par se fondre dans la population française. Leurs descendants ont quitté le pays dans le flot des «pieds noirs» de retour d’Algérie, en 1962.
    La Suisse n’a que rarement été associée au fait colonial. Sétif est une exception. La destinée de ces colons suisses rappelle une autre saga, celle de la colonie suisse de Chabag crée par des vignerons vaudois en 1822 au bord de la mer Noire. Autant d’histoires méconnues. De l’une et de l’autre, les ouvrages scolaires n’en pipent mot.

    A l’origine, huit personnalités suisses - des capitalistes genevois et vaudois, dont le comte Sautter de Beauregard de la banque Lullin & Sautter, Paul-Elisée Lullin, Jacques-Marie Mirabaud, le Baron de Gingins-La Sarraz et l’ancien conseiller d’Etat genevois Jean-Antoine Fazy – créent une compagnie coloniale en Algérie avec la bénédiction de l’empereur Napoléon III. Le décret impérial leur concède 20'000 hectares avec la possibilité d’implanter dix villages aux portes de la Kabylie. Le recrutement des colons s’effectue par un battage efficace dans le canton de Vaud. Paris leur accorde le passage maritime gratuit pendant 10 ans. Le coût maximum de chaque maison est fixé à 2'500 francs et chaque colon est tenu de déposer 2000 francs destinés notamment à l’achat des bestiaux et instruments nécessaires à la mise en culture des 20 hectares concédés dans cet ancien grenier à blé des Romains.

    Le meunier Henry Dunant

    Tout près de là se dressent les fantastiques ruines romaines de Djemila, classées au patrimoine mondial de l’UNESCO. Un nom qui sera repris pour sa société par le Genevois Henry Dunant, qui se trouva à Sétif, à l’âge de 25 ans, comme jeune employé de la colonie suisse. Le père de la Croix-Rouge est l’auteur d’annonces parues dans le Journal de Genève pour recruter des colons, promettant une main d’œuvre arabe bon marché. Quelques années plus tard, il va construire des moulins à blé et créer la S.A. des Moulins de Mons-Djemila, près de la cité romaine. Ses moulins sont encore opérationnels et l’on retrouve les meules d’époque fabriquées à Corbeil (France). Une pierre avec la date de 1859 prouve l’authenticité du « moulin Dunant », un établissement qui va conduire «Dunant l’Africain» à la faillite. La même année, il prendra son bâton de pèlerin pour contacter l’empereur Napoléon, qui se trouve à Solferino, en Italie. La vision du champ de bataille ensanglanté donnera au futur Prix Nobel de la Paix l’idée de fonder la Croix-Rouge en 1862.

    A cette date-là, les colons suisses de Sétif, et surtout du village d’Aïn-Arnat, se comptent par centaines. Le bouche à oreille fait son effet et les courriers envoyés d’Algérie au Pays de Vaud sont assez enthousiastes : «L’air est pur ici, quoi qu’assez frais ; à quelque chose près, il ressemble à celui de la Suisse en hiver», écrivent les Vulliamy et Burnens à leur commune d’Oulens. En Suisse «ils étaient dans une position très gênée et très pénible», relate le livre de commune. Les autorités d’Oulens leur ont versé un subside communal de 1875 francs par famille pour emmener leurs nombreuses bouches à nourrir : sept petits enfants pour François Burnens, six pour Charles Vulliamy et son épouse, née Jaquier, cinq pour Georges Vulliamy et son épouse, née Clavel. La «prime au départ» est une façon de se séparer des indigents : «Ces personnes ne possédant rien n’ont pu emporter aucune valeur,» note encore le livre de commune d’Oulens à propos des Jaquier et des Mayor. Sur 436 habitants, le village du district d’Echallens va voir un dixième de sa population prendre le bateau de l’Algérie, soit 43 adultes et enfants. «Plusieurs demandes d’argent ont été faites à la commune d’Orbe par des bourgeois pauvres vouant émigrer à Sétif ; toutes ont été repoussées,» relatent les documents.

    Fièvres, typhus et choléra

    Mais les désillusions guettent les colons. Une dizaine d’entre eux prend sa plus belle plume pour rédiger une lettre collective à Monsieur le Baron de Gingins et Messieurs les propriétaires de fermes à Aïn-Arnat : «Maintenant que nous connaissons les propriétés, nous voyons qu’il nous est absolument impossible de payer le prix des fermes. Vous nous avez promis de belles prairies et que nous trouverions du blé semé en quantité (…) Nous demandons d’être logés comme des Suisses non comme des Arabes. Nous ne pouvons pas tenir les bêtes dans nos logements comme eux. Nous demandons le remboursement de notre argent dans les plus brefs délais».
    Malgré tout, la vie continue. Henri Viande, qui avait été syndic de Bussy-Chardonney, près de Morges, est proposé pour remplir les mêmes fonctions à Aïn-Arnat. Un temple protestant y est construit par le Génie français. Il est toujours dressé avec son clocher orné de deux nids de cigogne. Le village est bientôt doté d’une garde nationale et un concours de tir organisé. Mais une série de malheurs vont s’abattre sur la colonie. Les orages dévastent maisons et cultures, tandis qu’une épidémie de choléra frappe en juillet 1854 : «La démoralisation est complète.
    La maladie a commencé par des fièvres prises par suite d’imprudences, par exemple en dormant dans la journée pendant les fortes chaleurs sous les herbes humide, note Dunant. En s’entassant dans les maisons du village, attendu que quelques colons prennent, moyennant un franc par jour, des ouvriers en logement et conservent des habitudes d’intempérance à l’égard des boissons». Du 24 novembre 1853 au 31 décembre 1854, on déplore 100 morts sur 388 habitants.

    Les raisons d’un échec
    Les historiens trouvemt une autre explication dans l’échec des colons suisses en Algérie. Ils invoquent «la coexistence forcée des colons européens et de la population indigène dans l’agriculture. Le faible coût de la production indigène engendra l’échec du petit colon. La seule issue possible pour les Européens, dans ces régions de hautes plaines, fut l’évolution vers l’agriculture capitaliste qui s’opéra dans les décennies 1890-1900.»
    En 1958, la Compagnie genevoise des colonies suisses de Sétif fit l’objet d’une expropriation du gouvernement français pour racheter les terres et les redistribuer aux indigènes.
    "La Compagnie genevoise des Colonies suisses de Sétif (1853-1956)", par Claude Lützelschwab, Editons Peter Lang,
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