DJILALI HADJADJ 15 JUILLET 2019
L’Algérie est un pays miné par la corruption». Le propos indigné du président Abdelaziz Bouteflika a été lâché lors d’un meeting tenu le 30 août 1999.
Non seulement il ne fit rien pour déminer le pays de ce fléau, mais bien au contraire, durant ses 4 trop longs mandats, la corruption connut une explosion sans précédent, devenue un instrument de pouvoir et du pouvoir pour se maintenir en place à n’importe quel prix : 20 ans après, on commence à peine à en entrevoir l’étendue et les conséquences désastreuses pour le pays.
Comment en est-on arrivés là ? Le pouvoir n’hésita pas à se donner les moyens pour faciliter la culture de la corruption à tous les niveaux, sur fond d’impunité généralisée : parmi ces moyens, la réglementation des marchés publics.
En plein été, le 24 juillet 2002, Bouteflika fait main basse sur le code des marchés en apposant sa signature sur une nouvelle mouture (Journal officiel n°52 du 28 juillet 2002) – code faisant partie habituellement des prérogatives du Premier ministre –, en y greffant son pouvoir réglementaire et en le modifiant, sans honte bue, pour y introduire le gré à gré à sa guise : il en fera usage, pour ne pas dire en abusera, 15 longues années durant.
Ce qui devait être l’exception dans la gestion de la commande publique devint la règle et fait le lit de la corruption à grande échelle, le tout dopé par l’explosion des prix du pétrole.
Il commence d’abord par préciser dans l’article 22 de ce nouveau code (le précédent date de 1991) que «la procédure du gré à gré simple est une règle de passation de contrat exceptionnelle», puis quelques articles plus loin, par s’octroyer ouvertement d’énormes prérogatives dans le dernier alinéa de l’article 37 : «Le service contractant a recours au gré à gré simple exclusivement dans les cas suivants : quand il s’agit d’un projet prioritaire et d’importance nationale.
Dans ce cas, le recours à ce mode de passation exceptionnel, doit être soumis à l’accord préalable du Conseil des ministres.» Après avoir énuméré les autres cas dans les alinéas précédents, il jeta les bases d’une «stratégie» de prédation tous azimuts !
A ce stade, sans vouloir pour autant disculper les gouvernements qui ont précédé l’arrivée au pouvoir de Bouteflika, le code des marchés, qui était en vigueur – la version de 1991, décret exécutif signé par le Premier ministre –, n’avait prévu l’utilisation du gré à gré qu’en cas d’urgence (article 40), sans aucune prérogative particulière du Conseil des ministres, encore moins dans les cas des projets dits « prioritaires ou d’importance nationale ».
Avant d’aller plus loin, précision de taille : le Conseil des ministres est présidé par le Chef de l’Etat, et ce, conformément à la Constitution, à ne pas confondre avec le Conseil du gouvernement qui l’est par le Premier ministre.
Arrêtons-nous un instant sur cet alinéa «criminel» de l’article 37 du Code des marchés de 2002 ayant fait l’objet d’un décret présidentiel : qu’est-ce qu’un marché public étiqueté «projet prioritaire et d’importance nationale».
L’exposé des motifs de ce texte présidentiel, fait accablant, ne le précise pas, et pour cause, toutes nos recherches dans les réglementations en vigueur un peu partout dans le monde, n’ont rien montré de tel, hormis les cas d’urgence, suite à une catastrophe naturelle, lors d’un tremblement de terre et la mise en place d’un programme de reconstruction, lors du séisme de Boumerdès en 2003 par exemple, quoique là aussi les pouvoirs publics exploitèrent ce drame pour abuser du gré à gré pendant des années.
Ce pouvoir réglementaire exceptionnel que s’octroya Bouteflika dans la gestion des marchés publics est à contrario de tous les instruments internationaux à venir en matière de prévention de la corruption, pouvoir qui précédera même l’avènement de ces instruments et leur transposition en droit interne.
Le Code Algérien des marchés publics n’est pas légal !
Un rappel du contexte qui prévalait à l’échelle internationale : chronologie des faits.
En 2002 et 2003, l’Algérie participe à Vienne aux travaux de mise en forme de la Convention des Nations unies contre la corruption (CNUCC). Le 31 octobre 2003, adoption de la CNUCC par l’Assemblée générale des Nations unies à New York.
Le 9 décembre 2003, à Mérida au Mexique, sous l’égide des Nations unies, s’ouvre la cérémonie officielle de signature de la CNUCC : l’Algérie est représentée par son ministre de la Justice, Tayeb Belaïz. Cette date fut consacrée, dès 2004, Journée internationale de lutte contre la corruption.
Le 19 avril 2014, soit 2 jours après sa réélection pour un 2e mandat, Bouteflika signe un décret portant ratification de la CNUCC (cette dernière est publiée intégralement au Journal officiel n°26 du 25 avril 2014).
L’Algérie fait partie des 10 premiers pays au monde à ratifier cette Convention : au siège de l’Office des Nations uwnies contre le crime et la drogue (UNODC), «gestionnaire» de la CNUCC, on exulte, l’Algérie étant considérée comme un des leaders des pays du Sud, leader qui pourrait donner le bon exemple.
Cette exultation sera de courte durée : l’Algérie aura trompé son monde un temps, car elle deviendra la tête de fil d’un «Front du refus» des mécanismes d’évaluation de l’application de la CNUCC, prétextant le respect de la souveraineté nationale et la non ingérence dans les affaires intérieures.
Ce «Front du refus» imposera son diktat lors des Conférences des Etats-partie de la CNUCC , allant jusqu’à obtenir un droit de veto sur la participation des ONG, à titre d’observateur, à ces réunions, droit de veto dont abusera l’Algérie à plusieurs reprises, à la surprise générale ! Mais alors, pourquoi l’Algérie a-t-elle ratifié la CNUCC si elle n’en voulait pas ?
Il y a à cela deux raisons principales : la première, ne pas se mettre au banc de la communauté internationale et ne pas apparaître comme un pays qui tourne le dos à la lutte contre la corruption ; la deuxième, s’octroyer un statut de membre à part entière de la Conférence des Etats-partie et se donner les moyens de bloquer les mécanismes d’évaluation évoqués plus haut, en réussissant même jusqu’à entrainer derrière elle les Groupes des pays arabes et des «77»…
Derrière ces deux raisons se cache en fait une ligne de conduite – beaucoup plus qu’une conviction –, du pouvoir algérien sous Bouteflika : l’adoption de la CNUCC est un nouveau complot des pays occidentaux contre les pays du Sud de la planète, à l’image de ce que fut la question des droits de l’homme pendant les années 90 : rien que ça !
C’est ce que m’a affirmé avec force en 2003 – voulant me convaincre certainement –, le «Monsieur Conventions internationales» de la présidence de la République, un chargé de missions, ayant même eu le toupet de considérer cette démarche anti-CNUCC comme étant un élément de doctrine du pouvoir en place.
Mais là surgit un problème de taille : le Code des marchés de 2002 signé par Bouteflika est contraire, en matière de gré à gré, aux dispositions de la CNUCC qui ne mentionnent pas du tout cette procédure dans son article 9, article repris presque intégralement dans la loi du 20 février 2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption (Journal officiel n°14 du 8 mars 2006).
L’Algérie est un pays miné par la corruption». Le propos indigné du président Abdelaziz Bouteflika a été lâché lors d’un meeting tenu le 30 août 1999.
Non seulement il ne fit rien pour déminer le pays de ce fléau, mais bien au contraire, durant ses 4 trop longs mandats, la corruption connut une explosion sans précédent, devenue un instrument de pouvoir et du pouvoir pour se maintenir en place à n’importe quel prix : 20 ans après, on commence à peine à en entrevoir l’étendue et les conséquences désastreuses pour le pays.
Comment en est-on arrivés là ? Le pouvoir n’hésita pas à se donner les moyens pour faciliter la culture de la corruption à tous les niveaux, sur fond d’impunité généralisée : parmi ces moyens, la réglementation des marchés publics.
En plein été, le 24 juillet 2002, Bouteflika fait main basse sur le code des marchés en apposant sa signature sur une nouvelle mouture (Journal officiel n°52 du 28 juillet 2002) – code faisant partie habituellement des prérogatives du Premier ministre –, en y greffant son pouvoir réglementaire et en le modifiant, sans honte bue, pour y introduire le gré à gré à sa guise : il en fera usage, pour ne pas dire en abusera, 15 longues années durant.
Ce qui devait être l’exception dans la gestion de la commande publique devint la règle et fait le lit de la corruption à grande échelle, le tout dopé par l’explosion des prix du pétrole.
Il commence d’abord par préciser dans l’article 22 de ce nouveau code (le précédent date de 1991) que «la procédure du gré à gré simple est une règle de passation de contrat exceptionnelle», puis quelques articles plus loin, par s’octroyer ouvertement d’énormes prérogatives dans le dernier alinéa de l’article 37 : «Le service contractant a recours au gré à gré simple exclusivement dans les cas suivants : quand il s’agit d’un projet prioritaire et d’importance nationale.
Dans ce cas, le recours à ce mode de passation exceptionnel, doit être soumis à l’accord préalable du Conseil des ministres.» Après avoir énuméré les autres cas dans les alinéas précédents, il jeta les bases d’une «stratégie» de prédation tous azimuts !
A ce stade, sans vouloir pour autant disculper les gouvernements qui ont précédé l’arrivée au pouvoir de Bouteflika, le code des marchés, qui était en vigueur – la version de 1991, décret exécutif signé par le Premier ministre –, n’avait prévu l’utilisation du gré à gré qu’en cas d’urgence (article 40), sans aucune prérogative particulière du Conseil des ministres, encore moins dans les cas des projets dits « prioritaires ou d’importance nationale ».
Avant d’aller plus loin, précision de taille : le Conseil des ministres est présidé par le Chef de l’Etat, et ce, conformément à la Constitution, à ne pas confondre avec le Conseil du gouvernement qui l’est par le Premier ministre.
Arrêtons-nous un instant sur cet alinéa «criminel» de l’article 37 du Code des marchés de 2002 ayant fait l’objet d’un décret présidentiel : qu’est-ce qu’un marché public étiqueté «projet prioritaire et d’importance nationale».
L’exposé des motifs de ce texte présidentiel, fait accablant, ne le précise pas, et pour cause, toutes nos recherches dans les réglementations en vigueur un peu partout dans le monde, n’ont rien montré de tel, hormis les cas d’urgence, suite à une catastrophe naturelle, lors d’un tremblement de terre et la mise en place d’un programme de reconstruction, lors du séisme de Boumerdès en 2003 par exemple, quoique là aussi les pouvoirs publics exploitèrent ce drame pour abuser du gré à gré pendant des années.
Ce pouvoir réglementaire exceptionnel que s’octroya Bouteflika dans la gestion des marchés publics est à contrario de tous les instruments internationaux à venir en matière de prévention de la corruption, pouvoir qui précédera même l’avènement de ces instruments et leur transposition en droit interne.
Le Code Algérien des marchés publics n’est pas légal !
Un rappel du contexte qui prévalait à l’échelle internationale : chronologie des faits.
En 2002 et 2003, l’Algérie participe à Vienne aux travaux de mise en forme de la Convention des Nations unies contre la corruption (CNUCC). Le 31 octobre 2003, adoption de la CNUCC par l’Assemblée générale des Nations unies à New York.
Le 9 décembre 2003, à Mérida au Mexique, sous l’égide des Nations unies, s’ouvre la cérémonie officielle de signature de la CNUCC : l’Algérie est représentée par son ministre de la Justice, Tayeb Belaïz. Cette date fut consacrée, dès 2004, Journée internationale de lutte contre la corruption.
Le 19 avril 2014, soit 2 jours après sa réélection pour un 2e mandat, Bouteflika signe un décret portant ratification de la CNUCC (cette dernière est publiée intégralement au Journal officiel n°26 du 25 avril 2014).
L’Algérie fait partie des 10 premiers pays au monde à ratifier cette Convention : au siège de l’Office des Nations uwnies contre le crime et la drogue (UNODC), «gestionnaire» de la CNUCC, on exulte, l’Algérie étant considérée comme un des leaders des pays du Sud, leader qui pourrait donner le bon exemple.
Cette exultation sera de courte durée : l’Algérie aura trompé son monde un temps, car elle deviendra la tête de fil d’un «Front du refus» des mécanismes d’évaluation de l’application de la CNUCC, prétextant le respect de la souveraineté nationale et la non ingérence dans les affaires intérieures.
Ce «Front du refus» imposera son diktat lors des Conférences des Etats-partie de la CNUCC , allant jusqu’à obtenir un droit de veto sur la participation des ONG, à titre d’observateur, à ces réunions, droit de veto dont abusera l’Algérie à plusieurs reprises, à la surprise générale ! Mais alors, pourquoi l’Algérie a-t-elle ratifié la CNUCC si elle n’en voulait pas ?
Il y a à cela deux raisons principales : la première, ne pas se mettre au banc de la communauté internationale et ne pas apparaître comme un pays qui tourne le dos à la lutte contre la corruption ; la deuxième, s’octroyer un statut de membre à part entière de la Conférence des Etats-partie et se donner les moyens de bloquer les mécanismes d’évaluation évoqués plus haut, en réussissant même jusqu’à entrainer derrière elle les Groupes des pays arabes et des «77»…
Derrière ces deux raisons se cache en fait une ligne de conduite – beaucoup plus qu’une conviction –, du pouvoir algérien sous Bouteflika : l’adoption de la CNUCC est un nouveau complot des pays occidentaux contre les pays du Sud de la planète, à l’image de ce que fut la question des droits de l’homme pendant les années 90 : rien que ça !
C’est ce que m’a affirmé avec force en 2003 – voulant me convaincre certainement –, le «Monsieur Conventions internationales» de la présidence de la République, un chargé de missions, ayant même eu le toupet de considérer cette démarche anti-CNUCC comme étant un élément de doctrine du pouvoir en place.
Mais là surgit un problème de taille : le Code des marchés de 2002 signé par Bouteflika est contraire, en matière de gré à gré, aux dispositions de la CNUCC qui ne mentionnent pas du tout cette procédure dans son article 9, article repris presque intégralement dans la loi du 20 février 2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption (Journal officiel n°14 du 8 mars 2006).
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