Université d’Ottawa le 21 juillet 2019
De coups de force en improvisations, l’Algérie est depuis le 9 juillet en situation de totale anticonstitutionnalité. En plus de l’illégitimité qui les frappe depuis l’indépendance, les instances exécutives sont désormais illégales. A commencer par le chef de l’Etat par intérim qui a consommé depuis cette date la période de trois mois que lui confère la constitution. Aucune des décisions prises depuis le 9 juillet, aucun des actes accomplis ne repose sur une disposition juridique pertinente.
Au même moment, la situation économique se dégrade rapidement et dangereusement, accentuant la précarité sociale déjà grande et les tensions politiques qui minent le pays. Quelle est la situation des forces en présence, quelles sont leurs positionnements , intentions ou projets ?
Dans quelle méthode inscrivent-elles leur démarche ?
Il faut encore et toujours insister sur cet aspect, c’est de la lecture faite de la révolution du 22 février que dépend la solution qui sera donnée à l’impasse nationale.
Trois acteurs sont aujourd’hui en scène.
Le peuple algérien, l’état-major de l’armée et ses affidés et les intervenants extérieurs.
C’est la première fois depuis les protestations de l’indépendance du pays exprimées en juillet 1962 par un mémorable sbaa snin barakat dénonçant le coup de force de l’armée des frontières que les citoyens algériens manifestent pacifiquement et massivement sur tout le territoire national pour un Etat civil et non militaire. Corollaire de cette demande : l’exigence du départ du système en place affirmée par un solennel et définitif « système dégage ». Pour y parvenir, l’idée d’une transition démocratique organisée pour un processus constituant et dont les délais ne sont pas encore déterminés a fait son chemin.
De son côté, l’état major de l’armée, longtemps acquis à l’idée du cinquième mandat, a fini par se rallier à l’éviction de l’ancien chef de l’Etat. Cette résignation, un instant accompagnée d’une certaine forme de volonté d’accompagnement de la rue, n’ a pas fait longtemps fait illusion et les abus primaires refont surface. Rapidement, les tentations autoritaires ont fait leur apparition. Reprise en main des médis publics, encerclement de la capitale pour réduire l’afflux des manifestants, instrumentalisation de la justice, emprisonnements arbitraires pour délits d’opinion, proscription de l’emblème amazigh…dernière décision scélérate : la signature d’un décret consacrant une police politique avec des prérogatives judiciaires qui rappellent la funeste sécurité militaire.
Politiquement, cet arbitraire se décline en positions plaçant l’armée en rupture frontale avec la révolution. La période transitoire est rejetée et la décision d’aller vers une élection présidentielle dans les dispositions actuelles est imposée à tous. Episodiquement, des « initiatives » auxquelles on fait endosser cette feuille de route sont lancées par des associations ou des « personnalités ».
Sur la scène internationale on distingue deux démarches : les pétromonarchies d’obédience salafiste gravitant autour de l’Arabie saoudite auxquelles s’ajoute l’Egypte qui manifestent un soutien public à l’état-major. Ces capitales veulent rééditer la complicité qu’elles ont accordée aux militaires soudanais avec le bain de sang qui s’en est suivi. Le Caire a fait expulser vers Alger des Algériens qui ont exprimé leur adhésion à la révolution citoyenne.
De leur côté, les puissances occidentales, restées sur une prudente réserve au début, commencent à déclarer leur inquiétude devant la dérive autoritaire du général Gaid Salah et certains pays, à l’instar du Canada, et, plus récemment, la France, ont publiquement apporté leur soutien au peuple algérien.
Dans la classe politique, la plupart des intervenants exige comme préalable la libération des détenus d’opinion avant toute prise de contact avec le pouvoir. La similitude des approches s’arrêtent là.
Dans le camp conservateur, l’alignement sur la feuille de route de l’armée est clairement assumé puisque ce courant accepte de renier la transition démocratique, de s’engager vers une élection présidentielle qui conduirait de facto à la reconduction du système et conviennent que le chef de l’Etat par intérim doit continuer à exercer son pouvoir en dehors de tout adossement juridique.
A l’opposé, le courant démocratique, en phase avec la rue, maintient la revendication de la phase transitoire, le départ du régime et de ses symboles et exige, évidemment, la libération des détenus d’opinion ainsi que l’ouverture de la scène politique et médiatique.
Sur la scène politique, la situation s’est nettement bipolarisée. Et il y a dans cette bipolarisation un piège dont il faut rapidement désamorcer. Cette césure ne traverse pas les rangs de la révolution mais oppose l’armée et ses clientèles à la révolution. C’est pour cela que les formations de la mouvance démocratique doivent veiller à ne pas se laisser aspirer dans un affrontement qui donnerait à penser que la rupture concerne des courants de pensée antagoniques inscrits dans la rue. Non, l’opposition met face à face la revendication de l’avènement de l’Etat de droit précédé par une phase de transition constituante porté par la rue à laquelle adhère des partis politiques et diverses associations et le responsable de l’état-major, suivi par des débris du système, qui veut court-circuiter la transition pour introniser une potiche qui serait à sa dévotion. On imagine bien qu’un despote, ultime reliquat du boutelkisme, qui fait enlever un Lakhdar Bouregaa, qui fait insulter une Djamila Bouhired et qui emprisonne des jeunes, garçons et filles, pour avoir exhiber un emblème amazigh dont les symboles et les signifiants politiques et culturels sont inscrits dans la constitution ne va pas se gêner pour bourrer les urnes, lui qui rêve de transformer le pays en caserne.
Sur le terrain, des sites de débats se multiplient à travers tout le pays et des propositions de formalisation organique et politique se font jour. En effet, s’il était prématuré et risqué de se diriger vers une structuration précoce du mouvement par la haut avant d‘avoir vérifier sa pérennité et la nature profonde de ses revendications, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour dire que les manifestations hebdomadaires, si elles doivent se poursuivre avec la même vigueur, ne peuvent constituer une fin en soi.
De coups de force en improvisations, l’Algérie est depuis le 9 juillet en situation de totale anticonstitutionnalité. En plus de l’illégitimité qui les frappe depuis l’indépendance, les instances exécutives sont désormais illégales. A commencer par le chef de l’Etat par intérim qui a consommé depuis cette date la période de trois mois que lui confère la constitution. Aucune des décisions prises depuis le 9 juillet, aucun des actes accomplis ne repose sur une disposition juridique pertinente.
Au même moment, la situation économique se dégrade rapidement et dangereusement, accentuant la précarité sociale déjà grande et les tensions politiques qui minent le pays. Quelle est la situation des forces en présence, quelles sont leurs positionnements , intentions ou projets ?
Dans quelle méthode inscrivent-elles leur démarche ?
Il faut encore et toujours insister sur cet aspect, c’est de la lecture faite de la révolution du 22 février que dépend la solution qui sera donnée à l’impasse nationale.
Trois acteurs sont aujourd’hui en scène.
Le peuple algérien, l’état-major de l’armée et ses affidés et les intervenants extérieurs.
C’est la première fois depuis les protestations de l’indépendance du pays exprimées en juillet 1962 par un mémorable sbaa snin barakat dénonçant le coup de force de l’armée des frontières que les citoyens algériens manifestent pacifiquement et massivement sur tout le territoire national pour un Etat civil et non militaire. Corollaire de cette demande : l’exigence du départ du système en place affirmée par un solennel et définitif « système dégage ». Pour y parvenir, l’idée d’une transition démocratique organisée pour un processus constituant et dont les délais ne sont pas encore déterminés a fait son chemin.
De son côté, l’état major de l’armée, longtemps acquis à l’idée du cinquième mandat, a fini par se rallier à l’éviction de l’ancien chef de l’Etat. Cette résignation, un instant accompagnée d’une certaine forme de volonté d’accompagnement de la rue, n’ a pas fait longtemps fait illusion et les abus primaires refont surface. Rapidement, les tentations autoritaires ont fait leur apparition. Reprise en main des médis publics, encerclement de la capitale pour réduire l’afflux des manifestants, instrumentalisation de la justice, emprisonnements arbitraires pour délits d’opinion, proscription de l’emblème amazigh…dernière décision scélérate : la signature d’un décret consacrant une police politique avec des prérogatives judiciaires qui rappellent la funeste sécurité militaire.
Politiquement, cet arbitraire se décline en positions plaçant l’armée en rupture frontale avec la révolution. La période transitoire est rejetée et la décision d’aller vers une élection présidentielle dans les dispositions actuelles est imposée à tous. Episodiquement, des « initiatives » auxquelles on fait endosser cette feuille de route sont lancées par des associations ou des « personnalités ».
Sur la scène internationale on distingue deux démarches : les pétromonarchies d’obédience salafiste gravitant autour de l’Arabie saoudite auxquelles s’ajoute l’Egypte qui manifestent un soutien public à l’état-major. Ces capitales veulent rééditer la complicité qu’elles ont accordée aux militaires soudanais avec le bain de sang qui s’en est suivi. Le Caire a fait expulser vers Alger des Algériens qui ont exprimé leur adhésion à la révolution citoyenne.
De leur côté, les puissances occidentales, restées sur une prudente réserve au début, commencent à déclarer leur inquiétude devant la dérive autoritaire du général Gaid Salah et certains pays, à l’instar du Canada, et, plus récemment, la France, ont publiquement apporté leur soutien au peuple algérien.
Dans la classe politique, la plupart des intervenants exige comme préalable la libération des détenus d’opinion avant toute prise de contact avec le pouvoir. La similitude des approches s’arrêtent là.
Dans le camp conservateur, l’alignement sur la feuille de route de l’armée est clairement assumé puisque ce courant accepte de renier la transition démocratique, de s’engager vers une élection présidentielle qui conduirait de facto à la reconduction du système et conviennent que le chef de l’Etat par intérim doit continuer à exercer son pouvoir en dehors de tout adossement juridique.
A l’opposé, le courant démocratique, en phase avec la rue, maintient la revendication de la phase transitoire, le départ du régime et de ses symboles et exige, évidemment, la libération des détenus d’opinion ainsi que l’ouverture de la scène politique et médiatique.
Sur la scène politique, la situation s’est nettement bipolarisée. Et il y a dans cette bipolarisation un piège dont il faut rapidement désamorcer. Cette césure ne traverse pas les rangs de la révolution mais oppose l’armée et ses clientèles à la révolution. C’est pour cela que les formations de la mouvance démocratique doivent veiller à ne pas se laisser aspirer dans un affrontement qui donnerait à penser que la rupture concerne des courants de pensée antagoniques inscrits dans la rue. Non, l’opposition met face à face la revendication de l’avènement de l’Etat de droit précédé par une phase de transition constituante porté par la rue à laquelle adhère des partis politiques et diverses associations et le responsable de l’état-major, suivi par des débris du système, qui veut court-circuiter la transition pour introniser une potiche qui serait à sa dévotion. On imagine bien qu’un despote, ultime reliquat du boutelkisme, qui fait enlever un Lakhdar Bouregaa, qui fait insulter une Djamila Bouhired et qui emprisonne des jeunes, garçons et filles, pour avoir exhiber un emblème amazigh dont les symboles et les signifiants politiques et culturels sont inscrits dans la constitution ne va pas se gêner pour bourrer les urnes, lui qui rêve de transformer le pays en caserne.
Sur le terrain, des sites de débats se multiplient à travers tout le pays et des propositions de formalisation organique et politique se font jour. En effet, s’il était prématuré et risqué de se diriger vers une structuration précoce du mouvement par la haut avant d‘avoir vérifier sa pérennité et la nature profonde de ses revendications, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour dire que les manifestations hebdomadaires, si elles doivent se poursuivre avec la même vigueur, ne peuvent constituer une fin en soi.
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